Gabriel Peignot: une volonté de savoir
colloque international CPTC-Université de Bourgogne
Gabriel Peignot (1767-1849), bibliothécaire à Vesoul sous le Directoire, devenu en 1813 Inspecteur de la Librairie à Dijon, Recteur et Académicien, est une figure particulière, un cas sans doute: érudit auquel Pierre Larousse rend hommage dans son Dictionnaire, largement reconnu au XIXe siècle, il n'est aujourd'hui apprécié que de quelques bibliothécaires pour ses manuels de bibliographie.
Or c'est le rapport au savoir, tel qu'il se construit après la Révolution, qui est en jeu dans la profusion de ses ouvrages (on en dénombre plus de cent quarante) comme dans sa riche correspondance. Catalogues, Dictionnaires, Précis historiques, Documents authentiques, Essais chronologiques ou analytiques, Dissertations et Remarques, Histoires diverses dressent un état de la connaissance sur des sujets aussi variés et saugrenus que les dépenses de Louis XIV, l'« Histoire morale, civile, politique et littéraire du charivari », « les danses des morts » et « l'origine des cartes à jouer », le château de Dijon, son illustre Jacquemart, l'usage de boire à travers les âges, le luxe des Romains dans leur ameublement, les hivers les plus froids depuis -396 ou encore la généalogie des rois de France ou celle de Jésus-Christ (ce n'est là qu'un aperçu). Ces curiosités sont en réalité le moyen d'accéder, par accumulation et classement, à une vue plus générale de la connaissance. Nombre de recueils, intitulés « Variétés », « Singularités », ou « Mélanges », cherchent à appréhender, classer et conserver des savoirs touchant à tous les domaines, anatomie, botanique, économie aussi bien qu'histoire, sciences, ou philologie: on y trouve un recensement des découvertes, une histoire de la langue, un abrégé de l'histoire de France ou encore cet « Abrégé des personnages illustres, célébrés ou fameux de tous les siècles et de tous les pays du monde, avec les dieux et les héros de la mythologie ». Y aurait-il, établi là, un rapport entre le cabinet de curiosités et l'Encyclopédie? Gabriel Peignot est-il de son siècle un original et/ou un parfait représentant ?
Le premier objet du bibliothécaire, commis à l'inventaire de ce qui deviendra partie des bibliothèques de l'Etat, demeure le livre: là encore, l'ambition de mise en ordre du savoir ne se contente pas du général et dresse des listes inattendues. On y trouve l'ouvrage central qu'est le Dictionnaire raisonné de bibliologie, « contenant. 1°, L' explication des principaux termes relatifs à la bibliographie, à l'art typographique, à la diplomatique, aux langues, aux archives, aux manuscrits, aux médailles, aux antiquités, etc. 2°, Des notices historiques détaillées sur les principales bibliothèques anciennes et modernes ; sur les différentes sectes philosophiques ; sur les plus célèbres imprimeurs, avec une indication des meilleures éditions sorties de leurs presses, et sur les bibliographes, avec la liste de leurs ouvrages. 3°, Enfin, l'exposition des différents systèmes bibliographiques, etc. Ouvrage très utile aux bibliothécaires, archivistes, imprimeurs, libraires, etc. Par G. Peignot, bibliothécaire de la Haute-Saône, membre correspondant de la société libre d'émulation du Haut-Rhin. - an X, 1802 ». Mais aussi un Répertoire de bibliographies spéciales, curieuses et instructives, « contenant la notice raisonnée 1° des ouvrages imprimés à petit nombre d'exemplaires ; 2° des livres dont on a tiré des exemplaires sur papier de couleur ; 3° des livres dont le texte est gravé ; et 4° des livres qui ont paru sous le nom d'Ana. Le tout rédigé et publié avec des remarques historiques, littéraires et critiques ». Ou encore un Dictionnaire critique, littéraire et bibliographique des principaux livres condamnés au feu, supprimés ou censurés. Et une histoire du parchemin et du vélin, une autre de la lithographie.
« La Bibliologie, écrit Gabriel Peignot dans son Dictionnaire raisonné, embrassant l'universalité des connaissances humaines, s'occupe particulièrement de leurs principes élémentaires, de leur origine, de leur histoire, de leur division, de leur classification et de tout ce qui a rapport à l'art de les peindre aux yeux et d'en conserver le souvenir par le moyen des signes, soit hiéroglyphiques ou épistoliques, soir manuscrits ou imprimés. On voit, par cette définition, que la Bibliologie peut être considérée comme une espèce d'encyclopédie littéraire-méthodique, qui, traitant sommairement et descriptivement de toutes les productions du génie, assigne à chacune d'elle la place qu'elle doit occuper dans la bibliothèque universelle. » « Théorie de la bibliographie, [elle] présente l'analyse des connaissances humaines raisonnées, leurs rapports, leur enchaînement et leur division; approfondit tous les détails relatifs à l'art de la parole, de l'écriture, de l'imprimerie, et déroule les annales du monde littéraire pour y suivre pas à pas les progrès de l'esprit humain. » Cette entreprise d'ordre épistémologique emprunte dans nombre d'ouvrages une curieuse méthode: elle revendique la variété, le décousu, l'accumulation de « recherches curieuses », d' « anecdotes » , de « platitudes » et de « niaiseries », « car enfin il en faut pour tout le monde, et pour vous en particulier, mes chers compatriotes » (Histoire du charivari). C'est un gai savoir qui, attentif à son lecteur, pique son esprit, et veille à lui éviter la fatigue et la monotonie d'un seul et long sujet. L'ordonnancement des recueils, la brièveté des chapitres, les préfaces facétieuses, les pseudonymes, les notes de l'ordre du canular, tout éveille la curiosité et procure le plaisir. Cet esprit ne peut manquer de faire de Gabriel Peignot un oulipien avant l'heure et un plagiaire par anticipation d'un autre G. P., qui dans son Histoire du lipogramme, le cite: Georges Perec. Sa modestie, qui le place en retrait des auteurs compilés, classés et cités, pose aussi la question: est-ce un auteur ? est-ce une oeuvre ? Qu'est-ce qu'un auteur et qu’est-ce qu’une oeuvre ?
Les pistes et les champs d'études restent ouverts; nous en proposons quelques-uns:
Bibliographie et bibliologie
Histoire de France
Histoire culturelle
Histoire de la Bourgogne et de la Franche-Comté
Philologie et histoire de la langue
Histoire littéraire (conception du canon, réception des auteurs du XVIIIe siècle)
Conception de la recherche et de l'érudition (importance de la correspondance)
Epistémologie
Le singulier et le bizarre comme entrées du savoir
Ordonnancement et bric-à-brac
Penser/classer
Variété et plaisir du texte
Philologie et fiction
Auteur et lecteur
Le fonds Gabriel Peignot est disponible à la Bibliothèque Nationale de France, à la Bibliothèque Municipale de Dijon et, pour certains ouvrages, sur Gallica.
Les chercheurs de toutes les disciplines, Histoire, Littérature, Linguistique, Bibliologie en particulier, sont bienvenus.
Le colloque se tiendra à Dijon, France, Salle de l'Académie, 5 rue de l'Ecole de Droit, les 17 et 18 octobre 2013.
La date limite d’envoi des propositions de communication est fixée au 1er mars 2013.
Contacts : brigitte.bercoff@u-bourgogne.fr et Jacques.poirier@u-bourgogne.fr