Revue
Nouvelle parution
Francofonia, n° 66 

Francofonia, n° 66

Publié le par Jean-Louis Jeannelle (Source : Alice Toccafondi)

Référence bibliographique : Francofonia, Olschki , 2015. EAN13 : 9788822263353.

 

Francofonia n. 66 /  Primavera/ Printemps 2014

 

Emoi, émoi, émoi. Le discours autobiographique francophone comme espace conflictuel

sous la dir. de Jean-François Plamondon

 

Sommaire

Jean-François Plamondon, Emoi, émoi, émoi. Le conflit comme producteur du moi  

 

Yves Baudelle, Romance Nerveuse de Camille Laurens : une satire clinique de « l’exubérance irrationnelle »

Résumé

« Peut-être est-ce le conflit avec son éditeur qui a tout déclenché », annonce la 4e de couverture de Romance nerveuse (2010), la dernière autofiction de Camille Laurens. Tout ? C’est-à-dire la relation de l’héroïne avec Luc, un homme auquel tout l’oppose, lui-même « totalement clivé ». Car ici les conflits sont surtout intérieurs : le dédoublement fantastique de la narratrice, flanquée d’un esprit qui incarne son surmoi, dramatise avec humour l’antagonisme des forces psychiques. La fissilité du moi, ce mécanisme que Freud a mis en évidence dans la fiction, se manifeste dans le motif du Doppelgänger, entraînant un dialogisme généralisé qui est l’expression idéale d’une conscience conflictuelle. Ce dispositif narratif révèle alors le paradoxe des nouveaux désordres amoureux, où sont refoulées, non plus les pulsions, mais le surmoi. Le personnage de Luc est l’ahurissante satire de ce sujet postmoderne déréglé, entièrement livré à la labilité de ses humeurs.

 

Valeria Sperti, L’émoi douloureux du regard divergeant chez Nelly Arcan, de Putain à Burqa de chair

Résumé

Cet article examine le recueil autobiographique Burqa de chair (2011) de Nelly Arcan à la lumière de son premier roman Putain (2001). Après avoir tracé les contours de la production littéraire de l’écrivaine, l’analyse se propose de développer le paradoxe, que Nancy Huston avait souligné dans la Préface, entre le statut d’objet du personnage féminin que suggère sa condition de prostituée et le statut de sujet déterminé par son activité énonciative. À travers une analyse des genres dans les deux romans, l’étude insiste sur la notion de storytelling et élargit le paradoxe en paradigme, le raccordant à un nouveau régime de regard instauré par le narrateur dans Burqa de chair. La représentation de nombreux objets réfléchissant l’image de la protagoniste permet de postuler la présence d’une double focalisation, aliénante et mortifère, dernier avatar du paradoxe et lieu d’un émoi douloureux qui est le noyau scandaleux de l’écriture de Nelly Arcan.

 

Enrico Guerini, « Il faut que le public sache ». L’aveu (homo)sexuel dans l’autobiographie de Julien Green

Résumé

Dès qu’il s’agit de raconter sa propre histoire, Julien Green doit faire face au conflit intérieur qui oppose des fortes résistances au désir d’avouer sa propre homosexualité. Dans cet article j’ai cherché à démontrer que le projet d’écrire une autobiographie s’organise pour Green autour de l’urgence de traiter ce sujet, qu’il juge très épineux, mais en même temps fondamentale pour la compréhension de sa personnalité. Il arrive à surmonter ses difficultés grâce à une écriture qui fait recours à une « rhétorique de l’aveu » très personnelle, qui résulte de deux exigences de nature opposé : le souhait de parler ouvertement de sa vie intime et la tentation de censurer tout ce qui touche à sa vie affective et érotique. Avoir écrit sa confession se révèle pour l’auteur un acte libérateur, qui ressemble à certains égards à un « coming out » ; une confession faite, dans ce cas, non pas à ses proches mais à ses lecteurs. Un acte qu’il juge nécessaire, car, comme il le note dans son Journal, « il faut que le public sache ».

 

Luba Markovskaia, La guerre des Mémoires. Conflit et apologie de soi dans les Mémoires de Madame Roland

Résumé

Madame Roland écrit ses Mémoires dans les prisons de la Terreur avec deux buts avoués : se défendre contre les accusations des Jacobins qui pèsent contre elle et se consoler et se distraire dans sa prison. À ces deux fonctions correspondent chacune des deux grandes parties de ses Mémoires : les Notices historiques, qui concernent sa vie politique et le Ministère de son mari, et les Mémoires particuliers, où elle raconte son enfance et sa jeunesse. Nous proposons de contourner cette opposition binaire entre Mémoires politiques et « autobiographie » en lisant l’ensemble de ses écrits à la lumière de l’autojustification de la prisonnière face à ses accusateurs, comme un plaidoyer pro domo. Une telle lecture permettra de voir émerger une poétique du conflit, une véritable guerre des mémoires, qui parcourt l’ensemble des éléments à première vue disparates de son témoignage.

 

Cécile Meynard, Le « moi » en émoi. Le rôle des conflits dans la construction identitaire de Stendhal

Résumé

Les écrits diaristes et autobiographiques de Stendhal révèlent un être à vif, dont les sensations et les sentiments résonnent et s’exacerbent mutuellement. L’espace autobiographique se révèle ainsi conflictuel non seulement parce qu’il est le réceptacle des différents conflits vécus par le moi, mais aussi parce que mettre en mots ces derniers et plus généralement écrire sur soi implique une tension constante entre ses différentes aspirations. Stendhal se constitue en définitive comme un être révolté, y compris au moment où il écrit, le récit de sa vie privée entrant en écho avec ses opinions politiques sur l’histoire contemporaine de l’Europe.

 

Louis-Serge Gill, De l’unité à la fragmentation : la pratique diaristique dans le Journal, 1948-1971 d’Hubert Aquin

Résumé

Si le journal intime permet de lier les réflexions et les événements du quotidien, nécessitant ainsi une rigueur et une discipline de la part du diariste, il crée aussi par le fait même une distanciation de soi. Ce recul nécessaire pour jeter un regard critique et lucide sur son propre parcours peut mener à une autocritique acerbe, punitive et destructrice, semblable à ce que projette l’auteur de fragments. Cette dispersion de soi se retrouve dans les cahiers et les carnets qui constituent l’édition critique du Journal, 1948-1971 du romancier québécois Hubert Aquin. Au fil d’une introspection parfois tranchante, Aquin entre en débat avec lui-même et ceux qui l’entourent au moment critique de la Révolution tranquille au Québec. C’est au travers de l’écriture de cet éclatement que nous cherchons à dévoiler une part fondamentale de la littérarité des journaux intimes.

 

Véronique Montémont, Visages du conflit dans le journal personnel : journaux de jeunes filles sous l’Occupation

Résumé

Philippe Lejeune a fait connaître sur son site Autopacte l’existence d’un corpus de journaux féminins tenus sous l’occupation; cet article s’intéresse à sept d’entre eux, qui ont pour point commun d’avoir été tenu par des diaristes âgées de 13 à 20 ans au début de la guerre, à savoir Hélène Berr, Micheline Bood, Denise Domenach, Geneviève Gennari, Benoîte et Flora Groult, Frédérique Moret et Liliane Schroeder. Le journal, exutoire des angoisses nées de la guerre, est aussi un observatoire privilégié de la formation des consciences politiques; ces textes, dont certains ont été écrits par des résistantes, d’autre par des personnalités plus en retrait, et l’un par une jeune Juive demeurée à Paris durant les persécutions, nous montre toute la difficulté qu’il y a à composer avec la situation d’occupation, source de révolte patriotique, certes, mais aussi de doutes et d’ambiguïtés quant à la conduite à tenir.

 

Françoise Simonet-Tenant, La guerre d’Algérie : les voix camusiennes d’un déchirement intime

Résumé

La position de Camus sur l’Algérie a été complexe, ressentie comme ambiguë par certains, comme utopique par d’autres. Dans Actuelles III, Chroniques algériennes (1958), l’écrivain a tenté de faire entendre sa voix de journaliste sur le drame algérien, maintenant une position, jugée par beaucoup inaudible. Nous confrontons cette voix publique à celles de l’intimité : celles qui s’expriment dans les Carnets III à la publication posthume et dans Le Premier Homme, roman en genèse au moment de la mort accidentelle de son auteur. On montrera comment les tourments politiques ramènent Camus à la nécessité d’une écriture intime. Si l’on observe des traces intéressantes du questionnement politique dans le journal personnel et les correspondances, ce n’est sans doute pas là que Camus a trouvé la meilleure issue à l’impossible choix qui le déchire mais dans la mise en œuvre du projet du Premier homme, roman au soubassement autobiographique qui revêt une indéniable dimension politique.

 

Régis Lefort, De l’intime dans le poème d’Henry Bauchau

Résumé

Nous essayons ici de définir la notion d’intime pour le poème d’Henry Bauchau, en regard de cet intime catégorisé par François Jullien. Il s’agit de montrer que l’intime du poème n’est pas l’intimité ou l’intimiste. En conséquence, le poème présente moins un espace autobiographique qu’un espace ouvert à l’autre dans la connivence. Cet espace de l’entre, où le poète et l’autre se rejoignent dans un équilibre des forces en présence, est emblématique de cet autre espace, celui du processus de création.  

 

Alessandra Ferraro, Les récits personnels de Marie de l’Incarnation ou de l’écriture autobiographique détournée

Résumé

Cet article analyse une longue lettre que Marie de l’Incarnation adresse en 1652 à ses consœurs de Tours lors de la mort de Marie de saint Joseph, sa «compagne». À l’intérieur d’un genre codifié qui s’inspire de l’hagiographie, se glisse la parole féminine de l’épistolière qui exprime son deuil et rapporte, sur un ton spontané et subjectif, l’aventure intérieure de la défunte ainsi que ses propres émotions. À l’instar d’autres écrits autobiographiques de Marie de l’Incarnation, ce texte fait l’objet d’une réécriture de la part du Jésuite Paul Lejeune qui le désubjectivise et le normalise pour l’insérer dans la Relation de 1651-52. L’article se concentre sur les modalités du détournement de la lettre mortuaire de Marie de l’Incarnation qui la soustrait au giron intime et féminin de sa production et de sa réception. Puisque le destinataire de l’écrit change, l’objectif également varie et, au but consolatoire, se substitue le but de propagande: l’action des Ursulines est ainsi mise au profit de la mission des Jésuites.

 

Brigitte Diaz, Le Journal de Marie Bashkirtseff ou les mémoires d’une jeune fille enragée

Résumé

Le journal que Marie Bashkirtseff (1858-1884) a tenu de 1873 à 1884 se distingue des journaux intimes féminins contemporains par la rage et la violence qui s’y expriment. En guerre contre sa famille d’exilés russes menant entre Paris et Nice une vie itinérante et mondaine, contre les institutions qui entravent sa volonté de devenir peintre, contre la maladie qui détruit sa jeunesse, la diariste fait de son journal un instrument de résistance envers toutes ces frustrations existentielles. La violence de l’énonciation, bien sensible dans le protocole d’adresse au lecteur, signale un changement notable dans la pratique de l’écriture intime. Avec Marie Bashkirtseff le journal personnel passe d’un régime consensuel à un régime conflictuel. La mélancolie du diariste romantique volontiers replié dans un narcissisme plaintif laisse place à des affects violents, des rages inapaisées et des rébellions iconoclastes, dont le journal – loin de chercher à les tempérer – se fait à présent la chambre d’écho.

 

Comptes-rendus

P. Gasparini, La Tentation autobiographique de l’Antiquité à la Renaissance (J.-F. Plamondon)
F. Jullien, De l’intimité. Loin du bruyant amour (J.-F. Plamondon) 
Stendhal, Journaux et Papiers, I, 1797-1804, édition établie par C. Meynard, H. de Jacquelot, M.-R. Corredor (E. Guerini) 
C.W. Thompson, Explorations stendhaliennes. D’Armance à la « Fraternité des arts » (H. de Jacquelot) 
E. Lozinski, L’intertexte fin-de-siècle dans À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Les carafes dans la Vivonne (A. I. Squarzina)
L. Teyssandier, De Guercy à Charlus. Transformations d’un personnage de À la recherche du temps perdu (M. Bertini)