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Formes, figures et représentations des faits de déviance féminins

Formes, figures et représentations des faits de déviance féminins

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Pascal Fugier)

Interroger les faits de déviance à partir du prisme du genre féminin ne va pas de soi. D'une manière générale, que ce soit du côté des chercheurs en sciences sociales, du côté des travailleurs sociaux ou encore de celui des médias, les faits de déviance opérés par les femmes suscitent moins d'intérêt que ceux de leurs homologues masculins. Tenants du sens commun et chercheurs seraient pour une fois d'accord : « Les femmes résistent au crime ».

Certes, cette relative invisibilité des faits de déviance féminins n'est pas privée de tout fondement, les études statistiques relèvent bien par exemple que les femmes demeurent nettement sous-représentées au sein de la population carcérale. Mais cette relative invisibilité repose également sur une vision androcentrique que certaines études féministes à partir des années 1970 n'ont pas manqué de mettre en évidence et de dénoncer.

Le présent numéro de notre revue souhaite s'inscrire dans la perspective des réflexions actuellement menées sur le thème des faits de déviance féminins. Et, comme pour les appels à contribution antérieurs, nous espérons que celui-ci fera l'objet d'une approche pluridisciplinaire faisant dialoguer des contributions inspirées de méthodes diverses, pour les unes synthétiques, pour les autres centrées sur un fait de déviance ou une étude de cas spécifique. Un premier angle d'appréhension de ce thème pourrait consister à répondre à la question suivante : quels faits de déviance ont mis en scène ou mettent en scène des femmes ? Il s'agirait de présenter la déviance féminine dans son ensemble ou de l'illustrer par quelques-unes de ses formes les plus spécifiques, actuelles ou historiques. Pour cela, il est possible de s'inspirer du travail de classification opéré par Maurice Cusson (dans l'article "Déviance" du Traité de sociologie publié sous la direction de Raymond Boudon en 1992) et suggérer les sept catégories suivantes : 1/ les crimes et délits (de l'infanticide au vol à l'étalage en passant par les violences conjugales ou l'adoption d'une conduite automobile dangereuse) ; 2/ le suicide ; 3/ les addictions (toxicomanie, alcoolisme, addiction aux médicaments, aux jeux, etc.) ; 4/ les transgressions d'ordre sexuel (prostitution, homosexualité, pornographie, adultère, etc.) ; 5/ les déviances religieuses (sorcellerie, hérésies, sectarisme) ; 6/ les maladies mentales ; 7/ les handicaps physiques (surdité, obésité, etc.). Bien sûr, cette liste n'est pas exhaustive et nous pouvons proposer bien d'autres formes de déviance mettant notamment en scène des femmes, pensons par exemple aux phénomènes de marginalité comme la mendicité et le vagabondage ou encore aux déviances langagières, vestimentaires, etc. L'essentiel étant de ne pas confondre déviance et délinquance et que soient interrogées aussi bien la transgression de normes prescriptives que la transgression de normes évaluatives.

S'ouvre ici la question ‘‘classique'' de la relativité ou à l'inverse de l'universalité des normes sociales désignant comme déviantes tel ou tel acte ou telle attitude opérée par une femme. Autrement dit, indépendamment des contextes sociaux et historiques, certains actes criminels effectués par des femmes sont-ils l'objet d'une réaction sociale commune, les désignant alors comme des actes déviants ? A l'inverse, les recherches sociologiques et historiques mettent-elles en évidence de très importantes variations concernant la réaction sociale d'un groupe, d'une ethnie ou d'une nation, etc., relativement à un même acte féminin atypique?

Une deuxième perspective d'approche de ce thème pourrait conduire à se demander : qui sont les femmes productrices de faits de déviance ? Nous attendons ici la réalisation de portraits sociologiques, psychologiques ou encore psychanalytiques de femmes déviantes. Sur ce point, aucune échelle d'observation n'est à privilégier et nous accueillerons aussi bien des contributions qui se situent au niveau macrosociologique d'une nation, d'une classe d'âge, d'une classe sociale, d'une profession ou encore d'une époque historique que les contributions qui proposent une perspective microsociologique d'un fait divers, d'une cohorte d'individus ou d'un événement historique. Par ailleurs, si nous avons dégagé plusieurs formes de déviance féminines dans la première piste de recherche, cette seconde piste nous permet d'envisager les différentes figures de déviance féminines. En effet, qu'y a-t-il de commun et de diamétralement différent entre par exemple Les "crapuleuses", ces adolescentes déviantes étudiées par Stéphanie Rubi, les femmes hoologans par Dominique Bodin, Luc Robène, Stéphane Héas et Martin Gendron ("Une approche de la criminalité féminine à travers l'exemple du hooliganisme") ou encore les "Citoyennes, boutefeux et furies de guillotine" à l'époque de la Révolution Française qu'évoque Dominique Godineau, sans même revenir sur les sorcières chères à Michelet ? Les faits de déviance féminins mettent donc en scène plusieurs figures de déviantes. Outre le parallèle qui peut s'opérer entre certaines formes et figures typiques de déviantes, nous pouvons ajouter d'autres modalités de différenciation. Ainsi, si certaines femmes se construisent une véritable carrière de déviante, pour d'autres, la déviance s'apparente à un simple "accident de parcours". De même, on ne peut pas présupposer le même degré de participation aux faits de déviance parmi l'ensemble des femmes, "la division du travail déviant" opérée entre les genres et au sein d'un même genre n'accordant ni le même rôle ni le même statut à l'ensemble des acteurs déviants.

Pourquoi et comment une femme devient-elle déviante si tant est qu'il est vrai que devenir déviante soit plus particulièrement difficile pour les femmes ? Telle pourrait être la question introduisant le troisième abord de cet appel à contribution. Ici, deux problématiques interviennent selon que l'on s'intéresse aux conditions sociologiques, psychologiques, historiques ou encore psychanalytiques qui invitent des femmes à transgresser des normes prescriptives et évaluatives, ou plutôt à la reconnaissance et à la « stigmatisation » de différents écarts de conduite désignés comme déviants. Cette seconde branche de l'alternative nous renvoie au partage opéré entre le normal et le pathologique, au rôle déterminant de la « réaction sociale » et plus largement aux rapports sociaux dans la construction de la légitimité ou de l'illégitimité d'une conduite féminine. En effet, tout écart supposé ou avéré d'une femme à une norme n'est pas nécessairement désigné comme une déviance et une conduite inappropriée peut être identifiée comme le signe d'une servitude, de l'ignorance ou encore de l'imbécillité de son auteure. Il peut être utile à ce sujet de revenir sur le traitement différencié des transgressions féminines par les différentes institutions sociales (justice, famille, école, travail, etc.) et ce relativement à la nature de l'acte et au profil de son auteur. Concernant la première branche de l'alternative précédente, différentes explications s'affrontent et nous espérons que ce numéro sera le terrain d'un dialogue constructif entre elles. Qu'il s'agisse des approches sociologiques relatives à différentes écoles de pensée qui tentent d'expliquer les transgressions féminines par : la désorganisation sociale, le conflit de cultures, une éducation déviante, une masculinisation des comportements masculins, l'anomie ou encore des stratégies identitaires par exemple. Ou qu'il s'agisse d'autres approches psychologiques et psychanalytiques qui expliquent les transgressions féminines par : une ambiguïté sexuelle, une personnalité agressive, des mécanismes de défense, un défaut de ‘‘contenance'' symbolique, etc. Nous laissons évidemment la question volontairement ouverte…

Enfin, nous pouvons aussi nous demander quelles représentations de la déviance les femmes produisent. Loin de se focaliser sur les populations déviantes féminines, nous pouvons aussi nous intéresser au goût et au dégoût, à la peur et à l'envie, au rejet ou à la demande de déviance dont témoignent les femmes, qu'elles soient ou non auteures de déviance. Le comparatif entre les représentations masculines et féminines d'un même acte déviant constitue alors une entrée possible. De même, l'étude des représentations de la femme déviante dans les médias, les oeuvres cinématographiques, la littérature ou encore les ouvrages scolaires demeure un terrain sous-exploité qui a pleinement sa place dans le cadre de cet appel à contribution. Sans oublier le riche matériau qu'offre de ce point de vue toutes les mythologies, à commencer par celle sous-jacente aux trois religions du Livre : n'est ce pas Eve qui est supposée avoir cédé la première à la tentation du Grand Corrupteur et transgressé la Loi divine en entraînant Adam dans sa chute ? Interroger la récurrence dans ces traditions religieuses de la suspicion de la femme comme déviante par nature serait également une manière de s'intéresser à notre thème.

On l'aura compris : tout chercheur en sciences sociales peut répondre à cet appel à partir d'autres angles que ceux qui viennent d'être suggérés, dès l'instant que les faits de déviance féminins constituent l'objet central de la contribution. Les orientations précédentes ne font que suggérer des pistes à suivre dont il est loisible à chacun/e de… dévier.

Les auteurs doivent adresser leur article, entièrement rédigé, au coordinateur du numéro Pascal Fugier, pfugier@edu.univ-fcomte.fr, avant le 1er novembre 2008, délai de rigueur après lequel aucune participation ne sera acceptée pour ce dossier thématique. Les articles devront respecter les normes de la revue, normes présentées sur le site internet de la revue Interrogations ? : http://www.revue-interrogations.org. Précision importante, la revue publie des textes thématiques contenant au maximum 40 000 signes (espaces et notes compris).

Par ailleurs, la revue ¿ Interrogations ? accueillera volontiers, comme les précédents, des articles pour ses autres rubriques, articles qui ne se proposent pas de répondre à l'appel à contributions présenté ci-dessus et qui peuvent par conséquent traiter d'un tout autre thème que celui des faits de déviance. Pour cette même raison, ces articles ne sont soumis à aucun délai quant à leur réception.

◙ La rubrique « Des travaux et des jours » est destinée à des articles présentant des recherches en cours dans lesquelles l'auteur met l'accent sur la problématique, les hypothèses, le caractère exploratoire de sa démarche davantage que sur l'expérimentation et les conclusions de son étude (cette partie étant ainsi propice à la présentation des thèses de doctorat). Ces articles ne doivent pas dépasser 20 000 signes.

◙ La rubrique « Fiches techniques » est destinée à des articles abordant des questions d'ordre méthodologiques (sur l'entretien, la recherche documentaire, la position du chercheur dans l'enquête, etc.) ou théoriques (présentant des concepts, des paradigmes, des écoles de pensée, etc.) dans une visée pédagogique. Ces articles ne doivent pas non plus dépasser 20 000 signes.

◙ Enfin, la dernière partie de la revue recueille des « Notes de lecture » dans lesquelles un ouvrage peut être présenté de manière synthétique, mais aussi vivement critiqué, la note pouvant ainsi constituer un coup de coeur ou, au contraire, un coup de gueule ! Elle peut aller jusqu'à 10 000 signes.

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