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Espaces de la contre-utopie

Espaces de la contre-utopie

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Emmanuel Rubio)

"Espaces de la contre-utopie"

colloque, mars 2014.

 

Argument :

Utopie satyrique, dystopie, anti-utopie, contre-utopie : dès ses origines (pensons seulement à la Cité des femmes, d’Aristophane), le genre utopique s’est accompagné de ses reflets et autres doubles, qui lui empruntaient quelques-unes de ses propriétés pour la contester. Non sans variations : l’île de Laputa, décrite par Swift dans les Voyages de Gulliver, moque ainsi les rêveries scientistes dont la Nouvelle Atlandide de Bacon avait offert un bon exemple, tandis qu’H.G. Wells, avec Quand le dormeur se réveillera ou La Machine à remonter le temps, inverse les paradis futurs de l’uchronie pour annoncer le désastre à l’œuvre… Sans négliger les effets d’hybridité, on distinguera néanmoins dans cet ensemble deux grands domaines. Tandis que la dystopie décrit une société essentiellement en voie de désintégration, décomposée, voire « décadente », à moins qu’elle ne soit directement confrontée à la catastrophe, la contre-utopie s’attache pour sa part à une société qui pêche par sa perfection même, son « excès d’organisation » (Huxley), que celle-ci relève de la servitude volontaire, de la répression violente ou d’un mixte des deux.

            La contre-utopie, ainsi cernée, supporte dès lors deux lectures contemporaines. Elle critique le programme utopique proprement dit, comme le font les Lettres de Malaisie de Paul Adam (1898), en le supposant réalisé et moins paradisiaque qu’annoncé. Il est notable qu’un certain nombre d’« utopies d’ordre » (Ernst Bloch), comme celle de Campanella ou de Cabet, aient pu être relues, a posteriori, à la lumière de leur dirigisme assumé. La contre-utopie ausculte encore les réalisations autoproclamées de l’utopie, et leurs déviances (1984 en est un bon exemple). Mais au-delà du rapport à l’utopie proprement dite ou aux totalitarismes en tous genres, la contre-utopie peut viser des mouvements sociologiques et civilisationnels plus larges. Un regard vers la production du XIXe siècle (Souvestre, Robida), montre assez comment le développement de la technologie et du capitalisme portait avec lui autant de craintes que d’enthousiasme. Huxley, dans Retour au meilleur des mondes, vise le développement des sociétés démocratiques occidentales, en proie aux effets de la démographie comme de la concentration économique. Et l’on sait assez comment les éléments de 1984 servirent, en dehors du contexte soviétique, à caractériser certains mouvements de la société de consommation. Significativement, l’Internationale Situationniste se placera longtemps à la croisée de l’utopie cultivée par Raoul Vaneigem et de la leçon contre-utopique redéployée par Guy Debord (dans les Commentaires sur la Société du Spectacle notamment). La contre-utopie, ne se révèle pas seulement le garde-fou de l’utopie, mais bien un outil critique à même d’aborder l’histoire en cours.

            Le rapport à l’architecture, dans un tel cadre, s’impose assez aisément par le dialogue que la discipline a tendu à entretenir historiquement avec l’utopie. La rencontre, au XVIIe siècle, entre art militaire, urbanisme et utopie proprement dite est de ce point de vue aussi indéniable que productive, et l’on parlera fréquemment, pour Ledoux ou Boullée, au siècle suivant, d’architectes utopistes – même si l’adjectif peut être contesté – tandis que la plupart des utopies (pensons seulement au phalanstère de Fourier) s’attachaient à repenser avec précision le mode d’habitat. Le mouvement moderne au XXe siècle, des rêves de cristal de Bruno Taut au programme initial du Bauhaus ou à La Ville radieuse de Le Corbusier, s’inscrit explicitement dans une reprise du genre, qui voit l’architecte-urbaniste se substituer au philosophe-roi pour la construction de l’Etat idéal.

La critique architecturale ne manqua d’ailleurs pas de prendre en compte une telle ambition (Françoise Choay, L’Urbanisme, utopies et réalité), y compris pour en critiquer les attendus comme les résultats. Avec Guy Debord (La Société du spectacle, 1967) ou Manfredo Tafuri (Projet et utopie, 1973), le regard passe pourtant de l’échec avéré du programme utopique à la dénonciation d’un programme second à l’œuvre dans le mouvement architectural moderne, plus proche de l’asservissement totalitaire que de l’émancipation rêvée – et rejoint ainsi la contre-utopie. Dès les années vingt et Nous autres, Zamiatine avait en effet intégré la critique de l’architecture moderne dans le genre contre-utopique, non sans ouvrir une voie particulièrement prolifique. Citons seulement Robert Silverberg, Ira Levin et leurs descriptions de cités imaginaires ou, pour le cinéma, François Truffaut (Farenheit 451 et la mise en scène de Roehampton) comme Jean-Luc Godard (Alphaville et la Défense)…. Il est notable, dans ce contexte, que la contre-utopie soit ainsi apparue comme un des révélateurs les plus aigus du projet de « ville cybernétique » (Nicolas Schöffer).  Et il est pour le moins frappant qu’à l’époque même de La Société du spectacle ou de Projet et utopie, la fiction contre-utopique ait gagné le dessin architectural lui-même, avec les propositions de Superstudio (The continuous monument, 1969) ou Archizoom (Non-stop City, 1969-72) – prolongées par Rem Koolhaas (Exodus, 1972) ou MVRDV (Costa Iberica, 2000)…  

            Le colloque se proposera ainsi d’interroger la lecture contre-utopique de l’architecture sous toutes ses formes, aussi bien comme élaboration critique que comme ferment de création. Sans se limiter à la lecture de l’architecture moderne, il tentera d’inscrire celle-ci dans une histoire plus longue, interrogeant les villes utopiques / contre-utopiques antérieures au XXe siècle. Comment le Paris des romanciers du XIXe siècle construit-il les peurs à l’oeuvre ? De quelle manière le regard de Michel Foucault rejaillit-il sur l’architecture de Ledoux ? Quelle influence peut-il avoir sur ses lecteurs architectes ? Dans le même esprit, on se montrera sensible à l’actualité du genre, confronté à des formes explicitement anti-modernes. Que devient la contre-utopie en des temps post-modernes ? Comment le « village » du Prisonnier McGoohan se superpose-t-il au « village global » de notre temps ? Comment Le Park (Bruce Bégout) entre-t-il en dialogue avec les Variations sur un parc à thème (Sorkin ed.) ? Que devient de nos jours la fête programmée d’Archigram ?

            Naturellement, ces interrogations supposent une prise en compte des différentes formes du genre, qu’elles relèvent de la contre-utopie narrative, du projet architectural ou d’autres manifestations culturelles. Le colloque aura de ce fait pour ambition première la rencontre des regards disciplinaires. Ouvert à l’histoire de l’art et de l’architecture, aux études littéraires et cinématographiques, il privilégiera les approches confrontant plusieurs de ces domaines.

Le colloque est prévu dans le cadre de l'équipe REAGIR du CSLF (Centre des Sciences de la Littérature Française) de Paris Ouest Nanterre La Défense (EA 1586) en collaboration avec l'Atelier de Recherche et de Création pour les Masters 1 et 2 mention «Design graphique et édition» de l’EESAB (Ecole Européenne Supérieure d’Art de Bretagne) site de Rennes.

Modalités

Les propositions de contribution, d'une page maximum, sont à envoyer acompagnée d'une brève notice biographique à l'adresse suivante, rubio.emmanuel@laposte.net, avant le 30 juin 2013.