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Ecritures d'invention, inventions de l'écriture : pratiques scolaires et littéraires

Ecritures d'invention, inventions de l'écriture : pratiques scolaires et littéraires

Publié le par Florian Pennanech (Source : Martine JACQUES)

Ecritures d'invention, inventions de l'écriture :

Pratiques scolaires et littéraires 

Date limite : 31 juillet 2011

Journée d'études organisée à l'Université de Bourgogne le 14 octobre 2011 par le laboratoire Centre Pluridisciplinaire Textes et Cultures EA 4178 avec le soutien du Pôle recherche de l'IUFM de Bourgogne.

Lorsqu'en 1750, Voltaire offre au public son Oreste, la critique fuse comme une insulte dans le Mercure de France : la pièce n'est jamais qu'une "tragédie de collège" ; elle sent par trop son théâtre jésuite pour pouvoir révèler un génie réellement créateur. La formule résume à elle seule toute l'ambivalence des relations entre l'oeuvre littéraire, valorisée en ce qu'elle révèle un talent singulier, et l'institution scolaire, lieu de transmission de normes et de canons, et en cela vouée -semble-t-il- à promouvoir une pratique médiocre de l'écriture.

La fiction produite dans le cadre de l'école n'a pas bonne presse, et depuis fort longtemps. L'invention scolaire n'en serait pas une ; elle ne serait qu'une imitation servile et stérile de modèles antérieurs. Pourtant, la plupart des écrivains ont commencé par écrire en étant élèves, leurs premiers essais littéraires sont bien souvent le fruit d'un apprentissage scolaire, leurs oeuvres le résultat d'un travail d'écriture sur des codes subvertis mais pas toujours honnis. Dans Enfance, Nathalie Sarraute rapporte les souvenirs de l'une de ses premières rédactions "Mon premier chagrin". Dans l'écart entre la reprise du texte "tout lisse et net et rond" de l'enfant et les vacillements de l'écriture sarrrautienne, se donne à lire le dépassement d'un modèle narratif certes fondé sur le cliché, mais fondateur dans la pratique de l'auteur. Exploré, conquis, le stéréotype littéraire se voit pris dans une écriture qui lui donne une nouvelle vie, tout en demeurant matrice originelle.

Entre l'écriture des écrivains et celle des élèves, des ponts existent, qui permettent des circulations complexes, et non pas à sens unique. Il arrive que l'on s'interroge ponctuellement à propos de l'influence de la formation scolaire sur l'oeuvre d'un écrivain, et les exemples sont nombreux : en s'appuyant aussi bien sur la recherche génétique que sur des études monographiques ou des travaux d'esthétiques plus généraux, on a pu se demander dans quelle mesure la rhétorique jésuite a influencé les écrits satiriques, les contes ou le théâtre de Voltaire, ce que Rimbaud a retiré de sa pratique aisée et brillante de la versification latine, ou bien comment l'Oulipo a détourné la consigne scolaire pour en faire une réelle source créative. Dans le cadre de recherches sur l'histoire des théories esthétiques et de la pratique des genres, on peut s'interroger également sur l'évolution de certaines formes : ainsi du Dialogue des Morts, genre littéraire aux frontières du fictionnel, qui a été largement valorisé avant d'être transformé, ou même abandonné dans les pratiques des écrivains alors qu'il subsistait comme exercice pratiqué dans les classes. Toutefois, il est rare que ces liens entre pratiques littéraires et pratiques scolaires soient problématisés et intégrés dans une réflexion plus générale sur la poétique et l'histoire des formes fictionnelles et ce travail mérite largement d'être engagé.

De même, de l'école primaire à l'université, on trace bien souvent une nette frontière entre l'écriture fictionnelle pratiquée dans les classes et celle des écrivains, même si dans la ligne des travaux de Catherine Tauveron, on encourage de plus en plus les élèves à adopter une "posture d'auteur". Le numéro 153 du Français Aujourd'hui (2006) livre de stimulantes réflexions sur "Enseigner l'écriture littéraire" mais préfère parler d' "écriture littéraire scolarisée". Les polémiques auxquelles donnent lieu régulièrement le "sujet d'invention" du baccalauréat montrent assez la méfiance qui entoure la notion d'invention dans un système d'enseignement secondaire plus habitué à transmettre les règles du commentaire ou de la dissertation : les professeurs dénoncent bien souvent le malentendu dont sont victimes les élèves, persuadés qu'on valorise leur potentiel créatif, quand il s'agit bien plutôt d'évaluer leur capacité à se plier à des formes littéraires reconnues ; ils soulignent également la difficulté - l'impossibilité?- de donner aux élèves de véritables compétences d'écriture narrative, poétique ou théâtrale. Le travail de Violaine Houdart-Mérot sur le rôle fécond de "l'intertextualité comme clé d'écriture littéraire" ou bien encore les recherches menées au sein de l'INRP et qui ont donné lieu en 2009 à la publication d'un numéro de Repères consacré à "Ecrire sur, de, avec la littérature" ont pourtant fait émerger les postulats esthétiques et cognitifs sur lesquels reposent les démarches actuelles d'enseignement de l'écriture d'invention, notamment l'articulation qu'elles recherchent entre lecture et écriture. En s'appuyant sur de multiples référents théoriques et en les confrontant à des brouillons d'élèves, Catherine Bore, quant à elle, tend à définir les Modalités de la ficiton dans l'écriture scolaire dans un ouvrage publié en 2010 ; pour elle, le processus de fictionnalisation à l'oeuvre dans ce type d'écrits implique un positionnement spécifique de l'élève-auteur comme du lecteur et constitue "une réponse à des injonctions d'écriture fictive" peut-être moins définie par la notion de création que par celle de dialogisme.

La journée d'études organisée par le CPTC de l'Université de Bourgogne et soutenue par l'IUFM de Bourgogne  se veut l'occasion d'examiner les enjeux et les modalités du rapport entre écritures scolaire et littéraire, en s'autorisant d'une double perspective : d'une part, celle qui analyse le travail de création et les oeuvres littéraires au regard d'une tradition rhétorique transmise par l'institution scolaire et d'autre part, celle qui met l'accent sur les pratiques scolaires d'écriture de fiction nourries par une fréquentation régulière du littéraire et des écrivains. Cette journée doit permettre de mesurer, dans une approche à la fois diachronique et synchronique, les effets des pratiques scolaires d'écriture d'invention sur les compétences des élèves mais aussi sur les pratiques effectives des auteurs. Destinée à être renouvelée en 2012 et 2013, notamment dans une perspective comparatiste, elle se conçoit comme un lieu d'échanges entre des chercheurs en littérature venus d'horizons variés, trop rarement en interaction, comme didacticiens d'une part et  spécialistes d'un siècle ou d'un auteur d'autre part.

Les  communications pourront porter sur les angles suivants :

1. Histoire des pratiques d'écriture fictionnelle dans l'enseignement : sur ce point, les travaux d'André Chervel synthétisés dans son Histoire de l'enseignement du français du XVIIème au XXème siècle (2007) font date ; ils peuvent être mis en perspective, ou bien complétés par des études précises centrées sur l'écriture fictionnelle ; dans tous les cas, il s'agira de s'interroger sur l'évolution des ambitions, des projets et des pratiques proposés par l'enseignement ; on pourra examiner les liens ainsi établis avec les esthétiques qui leur sont contemporaines : points communs et divergences peuvent être alors sources de sens.

2. Pratiques d'écrivains en lien avec les exercices d'enseignement : quelques exemples ont été donnés plus haut ; ils peuvent bien sûr être élargis, notamment  à certains écrivains spécialisés dans des genres fictionnels didactiques comme le sont les fabulistes ou bien aux oeuvres de jeunesse des écrivains, encore sous l'influence de pratiques d'apprentissage récentes. Plus généralement, ces études seront l'occasion de valoriser et de donner du sens à une analyse des ressorts de production comme de réception à l'oeuvre dans les écrits d'invention. Ces textes, en effet s'appuient, ainsi que  l'a montré dès 1994 J.-L.Dufays dans Stéréotype et lecture, sur un rapport complexe au topos, fait de soumission et de rupture dont il s'agit ici de prendre la mesure.

3. Didactique de l'écriture d'invention : de la dictée à l'adulte au rallye d'écriture, de l'écriture d'invention du baccalauréat jusqu'à l'atelier d'écriture universitaire.., les démarches d'écriture fictionnelle proposées de l'école primaire à l'enseignement supérieur sont très variées. Il s'agira de s'interroger sur leurs principes de mise en oeuvre et sur leurs apports dans la construction des compétences d'écriture des élèves en lien avec celle de leur identité de sujet auctorial. Réflexions théoriques et comptes rendus analytiques de pratiques de classe seront également bienvenus. On privilégiera les études mettant l'accent sur l'articulation entre écriture et lecture littéraires ou bien explorant l'intérêt de la prise en compte des écrivains dans le projet artistique des élèves.

4. L'écriture d'invention comme matériau de l'écriture autobiographique et romanesque : dans l'autobiographie, la scène d'écriture scolaire fonctionne comme un vérritable topos, au même titre que le souvenir des premières lectures. On la trouve aussi dans la fiction romanesque. On s'interrogera sur le rôle de cette reprise explicite des modèles scolaires dans la mise en jeu, en mouvement, en question(s) de l'écriture littéraire.

Merci d'adresser avant le 31 juillet 2011 une proposition d'environ 2500 signes, accompagnée d'un bref CV à Martine Jacques (Mjacques2606@numéricable.com) ainsi qu'à Caroline Raulet-Marcel (caroline.raulet@dijon.iufm.fr). Les communications seront destinées à durer 30min maximum et donneront lieu à publication.