Édition
Nouvelle parution
E. Lévinas, Oeuvres, t. I: Carnets de captivité

E. Lévinas, Oeuvres, t. I: Carnets de captivité

Publié le par Marc Escola

Emmanuel Lévinas

Oeuvres - Tome 1, Carnets de captivité suivi de Ecrits sur la captivité et Notes philosophiques diverses

Édité par Rodolphe Calin et Catherine Chalier

Préface de Jean-Luc Marion


Paris : Grasset/Imec, 2009, 499 p.

  • ISBN : 978-2-246-72721-7
  •  25,00€



Nous avons le devoir, mais aussi le besoin, de parvenir à une véritable édition des Oeuvres complètes d'Emmanuel Levinas.

La découverte d'une masse considérable et inexplorée d'inédits rend cette entreprise plus nécessaire encore. C'est un vaste chantier qui exigera du temps ainsi que la collaboration de tous les connaisseurs de l'oeuvre. Ainsi la pensée de Levinas sera-t-elle préservée des risques d'une interprétation arbitraire ou idéologique.

SOMMAIRE:

CARNETS DE CAPTIVITE (1940-1945)
ECRITS SUR LA CAPTIVITE ET HOMMAGE A BERGSON
NOTES PHILOSOPHIQUES DIVERSES

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On peut lire sur nonfiction.fr un article sur cet ouvrage:

"Levinas, captif philosophe", par J.-C. Monod

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Sur Bibliobs:

Levinas captif, par Aude Lancelin

http://bibliobs.nouvelobs.com/20091022/15449/levinas-captif

Engagévolontaire pour défendre une France qui vient de le naturaliser,l'adjudant Levinas est fait prisonnier à Rennes le 16 juin 1940. A 34ans, le jeune émigré lituanien a déjà une fille et une oeuvre en cours.Publié dix ans plus tôt, son premier livre, fruit de l'enseignement deHusserl et Heidegger qu'il est allé écouter à Fribourg, marquel'introduction de la phénoménologie en France. Peu le savent alors. Lachose n'a cependant pas échappé à Raymond Aron qui conseillera à son «petit camarade» Jean-Paul Sartrela lecture de cet essai sur la théorie de l'intuition chez Husserl. Onsait à quel point cet avis s'avérera judicieux. «L'Etre et le Néant»,paru à Paris en pleine guerre, en est au fond le produit mutant. Maistout cela, Levinas, prisonnier de guerre à proximité de Laval, puis enAllemagne jusqu'en 1945, l'ignore encore.

Lire la suite.

Dans Le Monde des livres du 23.10.09, on pouvait lire cet article de Nicolas Weill:

Levinas, philosophe du désastre


Mettant peut-être un terme à une querelle qui divise depuis si longtemps les héritiers d'Emmanuel Levinas (1906-1995), voici que paraît le premier volume d'une série - qui en comportera sept - coordonnée par Jean-Luc Marionet consacrée à l'édition systématique et scientifique des oeuvres duphilosophe. Incontestablement, il s'agit d'un événement. Depuis prèsd'une quinzaine d'années, en effet, les désaccords entre ayants droitavaient pratiquement empêché la publication d'aucun écrit posthume -les archives ayant été placées sous scellés au siège de l'Institutmémoire de l'édition contemporaine (IMEC), à Caen.

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Or, avec ces "Carnets de captivité" (1940-1945) etles inédits de cette première livraison, le lecteur a désormais en mainune pièce non seulement inédite mais maîtresse, et non un documentarchéologique juste bon à éclairer la genèse de l'oeuvre.

EmmanuelLevinas, comme des centaines de milliers de ses camarades sous uniformefrançais, est capturé par l'armée allemande après la "drôle de guerre"et la débâcle de juin 1940. Protégé en tant que combattant par lesconventions de Genève, il passe la guerre dans un commando deprisonniers juifs, isolés des autres et astreints à de durs travauxforestiers à Rennes, Vesoul et Laval d'abord, puis, à partir de 1942,en Prusse.

Jusqu'en 1945, Levinas vivra ainsi séparé de sa femme,Raïssa, et de sa fille, Simone. De cette longue nuit sortira en 1948son premier ouvrage d'importance, De l'existence à l'existant.Mais les écrits qui paraissent maintenant en sont également un fruitremarquable, dans la mesure où ils font mieux entendre, dans l'ensemblede l'oeuvre, l'écho des conditions où celle-ci a pris son essor.

Surde petits carnets, Levinas couche des notes de lecture, des réflexionset même des bouts de romans, qui révèlent chez l'élève d'Husserl etd'Heidegger le projet d'une carrière d'écrivain dont seul son style,heureusement éloigné des normes académiques, conservera finalement latrace.

Rien n'empêche d'ailleurs d'aborder ces pages comme on le fait pour les Pensées de Pascal ou pour les Maximesde La Rochefoucauld. Après tout, même si Levinas n'usera pas del'aphorisme, le genre fragmentaire ne convient-il pas à une existencealors elle-même "endommagée", selon le mot d'Adorno, par la guerre et la persécution ?

Théories du désir

L'exhumation de ces "Carnets"met en tout cas à mal une conception courante qui, non sans desintentions excellentes, affirme toujours entendre derrière la langue,l'écriture et la pensée levinassiennes, le sourd murmure d'une altéritéhébraïque ou russe. Rien de tout cela ne transparaît dans ses papierspersonnels. Même si Levinas se montre polyglotte, ses références commeson phrasé sont surtout gros du contexte littéraire et intellectuelfrançais de son époque. Un temps où l'on lisait Proust, Bernanos,Céline ou Léon Bloy, et où Bergson et les bergsoniens (comme Vladimir Jankélévitch) concentrent l'attention.

Certainsthèmes émergent, qui courront non seulement chez Levinas mais dansl'ensemble de la pensée française d'après 1945. Outre que ce dernierprojetait un ouvrage qui se serait intitulé L'Etre et le néant (sansconnaître celui de Sartre), il s'essaie à une longue réflexion sur lebesoin - lequel ne saurait être pour lui défini exclusivement à partirdu manque. Ce faisant, il annonce bien des théories du désir que l'onretrouvera chez les philosophes critiques des années 1970.

Enaffirmant déjà que la morale constitue le commencement et la voieroyale de toute philosophie, Levinas marque d'emblée ses distances avecHeidegger. Il oppose à l'auteur d'Etre et temps "l'importance de l'Autre. Eros comme moment central". Mais surtout, il s'inscrit, avant même de redécouvrir le Talmud, dans la lignée des penseurs qui, à l'instar de Franz Rosenzweig,font du judaïsme non une alternative ni une référence mezza voce, maisune méthode ayant droit d'entrée par la grande porte dans laphilosophie française.

Là encore, la catastrophe a fait soneffet. Fêtant Rosh ha-Shana, le Nouvel An juif, avec ses compagnonsd'infortune, Levinas note ainsi : "Il y a quelques années, cesprières se lisaient comme un espoir dérisoire. Bonnes petites vieilleschoses dépassées - et voilà que tout cela se lit comme réalité. Lejugement dernier est devenu réalité. Le bien redevient bien, le malredevient mal - mais avec quel fracas." Un bouleversement qui s'était imposé, dès lors que les "draperies"officielles qui symbolisaient la France pour Levinas, et qui étaientdevenues sa réalité à lui, s'étaient consumées dans la défaite.