Questions de société
Dossier

Dossier "Universités, la crise" (Le Monde 19/2/9)

Publié le par Bérenger Boulay

LE MONDE (18.02.09) Articles parus dans l'édition papier du 19.02.09.

Universités, la crise

Lesenseignants-chercheurs, rejoints par des étudiants, étaient trèsnombreux à manifester, le 6 février, dans toutes les villesuniversitaires de France. Ils s'apprêtent à redescendre dans la rue,jeudi 19 février, pour exprimer à nouveau leur opposition aux projetsdu gouvernement.

Deux projets de réforme sont à l'origine de leurmobilisation : d'une part un décret modifiant leur statut et leursobligations d'enseignement et de recherche et accordant aux présidentsd'université un pouvoir nouveau d'évaluation et d'organisation de leurtravail ; d'autre part la refonte du système de formation desprofesseurs des écoles, collèges et lycées, au détriment de laformation pédagogique et de l'apprentissage du métier devant desclasses.

Mais au-delà de ces deux motifs, la colère du monde universitaire et dela recherche est beaucoup plus profonde. Le doublement en vingt-cinqans des effectifs d'étudiants, l'insuffisance des moyens desuniversités pour les accueillir et les former, la remise en cause desgrands organismes de recherche français, le sentiment d'être incompris,voire méprisés par le pouvoir politique : tout contribue à ceras-le-bol des universitaires. Nous leur donnons la parole.

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S'agit-il d'évaluation ou de dévaluation des enseignants-chercheurs ?, par Antoine Coppolani

 http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/02/18/s-agit-il-d-evaluation-ou-de-devaluation-des-enseignants-chercheurs-par-antoine-coppolani_1157069_3232.html#ens_id=1157181

Nous voici entrés dans l'ère del'évaluation obsessionnelle, dont le dernier avatar est le décretréformant le statut d'enseignant-chercheur. Ce texte a d'ores et déjàréussi un tour de force : celui de rassembler contre lui de très largespans de la communauté scientifique française, toutes disciplinesconfondues et, par-delà, les clivages politiques ou syndicaux. Affreuxréflexe corporatiste ? Il faut y regarder de plus près et considérerles arrière-pensées ou, au minimum, les risques de dérive, qui secachent derrière ce document.

Au prétexte de la "culture de la performance" ou du "résultat", leprojet de décret imposerait - en plus de toutes celles qui existentdéjà - de nouvelles procédures d'évaluation aux enseignants-chercheurs.Tous les quatre ans, leurs enseignements, comme leurs recherches,seraient évalués. Il y a quelques jours, dans les colonnes du Monde (du 6 février), des universitaires de prestigieuses institutions d'outre-Atlantique (université de Montréal, Massachusetts Institute of Technology, Northwestern University)soulignaient que les auteurs de cette réforme méconnaissent le systèmenord-américain, dont ils affirment pourtant s'inspirer. "Notre université, écrivaient-ils, nenous évalue que deux fois au cours de notre carrière, après six ans,pour la titularisation, puis lorsque nous sommes prêts à devenir full professor."

Pour avoir récemment été élu professeur des universités, je peuxtémoigner, à l'instar de bien d'autres universitaires français, que lesévaluations et même, horresco referens ! la sélection, abondent dansnotre système d'enseignement supérieur. Sans mentionner les concoursdes écoles normales supérieures ou ceux des différentes agrégations,l'obtention d'une thèse, à bac + 8, réunit un jury d'universitaires,avec soutenance publique, prérapports sur le travail accompli etrapport de soutenance.

Puis, le nouveau docteur doit être qualifié par le Conseil nationaldes universités pour prétendre postuler à un poste de maître deconférences. Espérer être élu à un poste à l'université requiert alorsd'être admis par une commission que la loi LRU (loi relative auxlibertés et responsabilités des universités) a d'ores et déjà modifiée,en 2007, en créant des comités de sélection, à la main des présidentsd'université.

Quelques années plus tard, même parcours du combattant pourl'obtention du plus haut diplôme universitaire français, l'habilitationà diriger les recherches, à bac + 20, + 25, ou plus encore ! Nouveaucopieux jury d'experts pour examiner des travaux comptant souvent desmilliers de pages, nouveaux prérapports, rapports, nouvellesqualifications - ou refus - par le Conseil national des universités. Etavec le précieux sésame délivré - mais souvent aussi refusé -, ilfaudra encore être élu sur une chaire de professeur d'université, dansune compétition très tendue.

Là ne s'arrêtent pas les évaluations ou la sélection. Un articlescientifique, pour être publié, passe par le crible de comités delecture, avec des experts indépendants. Les promotions donnent lieu àévaluation. Même chose pour l'obtention de crédits de recherche : ilfaut sans cesse élaborer des dossiers, les étayer, argumenter et êtreévalué.

Pourquoi, alors, un nouvel empilement d'évaluations ? Afin, répond le décret, de permettre la "modulation des services".Certes, mieux prendre en compte les tâches administratives, parexemple, serait une bonne chose. Mais pour cela, le décret exige unprix aussi bizarre qu'exorbitant : les enseignants-chercheurs qui neseraient pas "bien évalués" se verraient imposer uneaugmentation de leur charge d'enseignement. Ce principe est choquant.D'abord, parce que l'on voit mal comment un chercheur prétendumentdéficient pourrait améliorer sa recherche en étant illico écrasé pardes tâches d'enseignement. Ensuite, croit-on qu'en France de "mauvais"chercheurs feront par magie de "bons" enseignants ?

Lors de son discours du 22 janvier, le président de la République acité en exemple l'université de Californie à Berkeley. Cetteuniversité, je la connais bien, pour y avoir effectué une partie de mesétudes. Je me souviens de cours excellents. Mais certainement pas decours prodigués par des enseignants qui s'étaient vu imposer une pluslourde charge d'enseignement au prétexte que leur recherche nesatisfaisait pas leurs "évaluateurs" ! Au contraire, je me souviensd'enseignants qui étaient aussi de remarquables chercheurs, car ilsdisposaient du temps nécessaire pour leurs recherches.

Enfin, de manière significative, le texte du décret prévoit, enfixant un plancher chiffré, que certains enseignants-chercheurspourront voir leurs horaires d'enseignement allégés, mais il ne fixepas de plafond aux heures qui pourront être infligées aux autres. Alorsque le décret stipule que "le potentiel global d'enseignement ne peut être dégradé"(les allégements de cours consentis aux uns ne peuvent être supérieursau nombre d'heures imposées à d'autres), il ne porte pas mention de laréciproque.

Dans ces conditions, la voie n'est-elle pas ouverte àl'accroissement du nombre d'heures d'enseignement imposées auxenseignants comme solution aux problèmes budgétaires chroniques del'université ? Pourquoi rémunérer des heures d'enseignement lorsquel'on peut les imposer ? Nous sommes loin du "travailler plus pour gagner plus".

Oui, le décret porte atteinte à l'indépendance desenseignants-chercheurs, en voulant les faire passer sous les fourchesCaudines d'une évaluation supplémentaire, dont les risques de dérivesont manifestes, et les objectifs, inavoués, sont transparents. Letexte prétend rendre plus compétitifs l'enseignement supérieur et larecherche sur la scène internationale. En l'état, il ne conduit qu'àune dépréciation de la fonction d'universitaire. Pour l'universitéfrançaise, il n'est rien de moins qu'une dévaluation.

Antoine Coppolani, spécialiste des Etats-Unis, université de Montpellier


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Autonomie des universités : et si on essayait vraiment ?, par Hervé Joly

http://www.lemonde.fr/archives/article/2009/02/18/autonomie-des-universites-et-si-on-essayait-vraiment-par-herve-joly_1157075_0.html

Je n'ai aucune envie d'apporter monsoutien à un gouvernement qui mène une politique souvent socialementinjuste et brutale, incarnée par un personnage dont la vulgarité etl'anti-intellectualisme me révulsent. Mais cette position préalablen'interdit pas de s'interroger sur l'orientation d'un mouvementd'opposition à une politique précise, celle menée dans l'enseignementsupérieur en l'occurrence.

L'essentiel des critiques faites au projet de décret sur le statutdes enseignants-chercheurs porte sur la modulation des services. Onpeut, bien sûr, être choqué par cette idée que les "mauvais chercheurs"seraient punis en voyant leur service annuel d'enseignement augmenté ;on a raison de souligner que les véritables victimes risquent d'êtreles étudiants, le manque d'investissement dans la recherche nesuffisant pas à garantir la qualité d'un enseignant, bien aucontraire...

On peut aussi s'inquiéter que les modulations des services soientdécidées par les présidents en fonction de considérations qui auraientpeu à voir avec la qualité de la recherche menée. Cela dit, la dernièremouture du texte présente assez de garde-fous pour que le risque soitplutôt celui... d'une non-application de la disposition, les présidentspréférant laisser tout le monde au régime normal de 192 heuresannuelles pour ne pas faire de vagues.

Après tout, n'y aurait-il pas moyen de s'emparer de ce système pourpermettre à certains enseignants-chercheurs, notamment les plus jeunes,de mieux se consacrer à la recherche ? Et s'il pouvait en inciterd'autres, qui préfèrent accumuler les heures complémentaires ou - enparticulier dans une discipline dont on vante l'engagement exceptionneldans ce mouvement - se consacrer à des activités extérieures fortrémunératrices, à faire plus de recherche, qui s'en plaindrait ?

Par ailleurs, et cela vaut aussi à propos des dispositions relativesaux promotions, il est choquant et désobligeant à l'égard des collèguesque nous élisons pour s'investir dans les instances universitairesd'associer systématiquement les prérogatives du président et du conseild'administration à des pratiques clientélistes ou arbitraires. Onconnaît bien sûr les risques de dérives vers un localisme accru ; maisne peut-on rêver d'un monde meilleur où les universités autonomesseraient, dans une émulation à l'échelle internationale, portées parune logique d'excellence ?

CRITÈRES PROPRES D'ÉVALUATION

N'y a-t-il que des instances nationales dans ce pays pour garantirla reconnaissance du travail scientifique ? Le Conseil national desuniversités est certes une instance à bien des égards remarquable, maisforce est de constater qu'il n'existe pas ailleurs qu'en France et queles collègues étrangers ne nous l'envient pas nécessairement. Lâcher labride d'une tutelle fait toujours peur, mais ne faut-il pas aussi faireconfiance et se dire que ceux qui joueront la carte de la médiocrité lepaieront ? Plutôt que de les dénigrer, ne peut-on pas peser sur lesinstances universitaires pour les amener à mettre en place localementleurs propres systèmes d'évaluation par les pairs (intérieurs etextérieurs) qui présenteraient autant de garanties d'objectivité ?Sommes-nous démunis au point d'être incapables de nous défendreindividuellement et collectivement face à d'éventuelles dérives ?

Enfin, les critiques sur la mastérisation des concours del'enseignement secondaire ne s'attaquent guère à l'aspect le pluscondamnable de cette réforme : le quasi-renoncement de toute formationpédagogique appliquée, du fait de la suppression de l'année de stageencadré qui va mettre immédiatement à temps plein devant des classesd'élèves-cobayes les lauréats des concours sans aucune expérience.

L'étonnant antipédagogisme qui sévit en France, autant à gauche qu'àdroite, avec cette idée que toute exigence d'une formationprofessionnelle à transmettre les connaissances se feraitnécessairement aux dépens des savoirs disciplinaires, amène à défendredans leur forme actuelle une autre institution nationale que le mondeentier ne nous envie pas : les fameux concours nationaux. Leurpréparation serait indispensable pour à la fois tirer l'enseignementuniversitaire vers une exigence de qualité et attirer les étudiantsvers la recherche.

Là encore, ne peut-on pas rêver que les diplômes universitairescomme la licence - considérés aujourd'hui par ceux-là même qui lesattribuent comme des parchemins sans valeur - vaillent reconnaissanced'une maîtrise de sa discipline suffisante pour enseigner dans lesecondaire ? Ne peut-on imaginer que la recherche attire des vocationsen masters pour d'autres raisons que pour servir d'antichambre à lapréparation aux concours ?

Il serait temps que l'université française ait confiance enelle-même, en ses propres règles et critères d'évaluation, plutôt quede s'en remettre toujours à des instances extérieures centralisées. Acondition bien sûr que ce qui pourrait être économisé là lui soiteffectivement redéployé, l'autonomie ne pouvant se faire dans lapénurie de moyens.

Hervé Joly, historien au CNRS

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La formation des professeurs, une révolution conservatrice, par Jean Houssaye

http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/02/18/la-formation-des-professeurs-une-revolution-conservatrice-par-jean-houssaye_1157070_3232.html#ens_id=1157181

La réforme de la formation desenseignants, qui entre en vigueur cette année, est bien une révolution,au moins sur deux points. Le premier réside dans l'incorporation de laformation des enseignants à l'université. Jusqu'ici, les enseignantsétaient formés à côté de l'université, dans les écoles normales (EN) etles centres pédagogiques régionaux (CPR) d'abord, dans les institutsuniversitaires de formation des maîtres (IUFM) ensuite. Désormais ilsle seront au sein même de l'université. Le second tient au niveau durecrutement. Il faudra maintenant un master (et non plus une licence),soit une formation de cinq ans après le baccalauréat, pour être intégrécomme enseignant. On ne pourra pas aller plus loin. C'est unerévolution.

Cette révolution se fait au prix de quatre dissolutions. L'IUFMétait une structure fédératrice qui réunissait, sur deux ans,l'ensemble des préparations aux concours et des formationsprofessionnelles des enseignants. La formation des enseignants vamaintenant être balkanisée selon l'organisation des départementsuniversitaires. Il restera, au mieux, à l'IUFM à retrouver la surfacedes écoles normales. Dissoute, la structure fédératrice visait (sans yparvenir) à se fonder sur un dispositif de formation qui tentaitd'entrer dans une logique de compétences, ou dans une logique quimettait les connaissances au service des capacités professionnelles.Maintenant, l'habillage des compétences reste, mais elles sontdissoutes dans la logique des connaissances. De plus, auparavant, dansle processus de formation, la pratique était reconnue comme évaluatriceet comme formatrice de la capacité d'enseigner (c'était la deuxièmeannée à l'IUFM). Elle disparaît au profit de la seule logique dessavoirs. Enfin, le nouveau dispositif réduit de manière dramatique lapossibilité d'organiser une formation continue des enseignants.

Si cette révolution passe bien par l'affirmation de la logique dessavoirs, en même temps elle signe la prédominance des savoirs scolairessur les savoirs universitaires dans la formation des enseignants. Apremière vue, l'université balkanisée s'affirme institutionnellementdans la formation des enseignants, mais c'est sans compter sur le faitque, désormais, dans les masters eux-mêmes, ce sont les savoirs desconcours, donc les savoirs du premier et du second degré, qui vontservir à délivrer les diplômes du supérieur. Quant au concours en tantque tel, il tourne autour de trois types de savoirs : la connaissancedes programmes du premier ou du second degré, l'adaptation théoriqued'un savoir à une classe à travers une leçon modèle, la connaissance del'institution scolaire. De la maîtrise de ces savoirs dépend le droitd'enseigner.

Cette révolution signe enfin un refus, celui de la pédagogie ; c'esten ce sens qu'elle est conservatrice. On sera déclaré capabled'enseigner et mis en demeure de le faire quand on aura fait la preuvequ'on maîtrise les programmes du primaire ou du secondaire, qu'on saitthéoriquement les adapter à un niveau de classe et qu'on connaît lesrègles de l'institution scolaire. On est alors prêt à faire laclasse... Faire la preuve des savoirs tient lieu de mise à l'épreuvedans la classe. Nous sommes là dans une logique d'enseignement qui ometla logique de l'apprentissage, celle des élèves et celle desenseignants.

Et on ne peut croire que le master enseignement qui sera délivré auxfuturs enseignants les rendra "professionnels". En matière deprofessionnalisation, il ne sera qu'une couverture : les stages sontréduits, juxtaposés et centrés sur une observation modélisante ; lesconcours sont prédominants ; l'ouverture sur la recherche est limitée.

Il n'y a donc pas de formation pédagogique des enseignants, car laformation pédagogique, en tant que formation à un savoir-faire et à unsavoir-être, suppose que le formé puisse construire son savoir-faire etson savoir-être à partir de sa propre expérience en s'appuyant sur dessavoirs théoriques et pratiques mobilisables et adaptés. Nous auronsdonc des enseignants diplômés et lauréats de concours à qui il resteraà apprendre à faire la classe, une fois qu'ils y seront.

L'université, qui hérite donc pleinement de la formation desenseignants, va se trouver dans une impasse. Elle va préparer auxconcours et diplômer les enseignants, mais elle sera rapidement accuséede ne pas réellement former les enseignants à leur métier. Cela, c'estpour ceux qui seront reçus aux concours. Pour ceux qui vont échouer, etils seront nombreux, elle va les diplômer d'un master enseignement,étrange lot de consolation pour des diplômés qui justement ne pourrontpas enseigner. Quant à réorienter ces reçus-collés, on voit la gageure: obtenir un nouveau diplôme alors qu'on a déjà un bac + 5. Larévolution conservatrice de la formation des enseignants est grosse debien des impasses...

Jean Houssaye, professeur en sciences de l'éducation, université de Rouen

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Une semaine dans la vie d'un universitaire, par François Clément

http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/02/18/une-semaine-dans-la-vie-d-un-universitaire-par-francois-clement_1157068_3232.html#ens_id=1157181

Etonné par les proposdu président de la République le 22 janvier, et voulant vérifier sinous autres, chercheurs et enseignants-chercheurs, étions nuls à cepoint (car on peut se tromper sur son propre compte), j'ai pris monagenda et voici ce que j'ai trouvé.

Une semaine ordinaire de travail, dans mon cas, compte 7 jours moinsune demi-journée, soit 55 heures intégralement consacrées à mon métier(et à mon employeur, l'Etat). Sur ce total, les tâches d'enseignementoccupent 16 heures (8 heures de cours devant les étudiants plus 8heures de mise au point), la recherche 27 heures et la bureaucratie 12heures. Autrement dit, la moitié environ de mon temps de travail va àla production des connaissances, un gros quart à la formation et unpetit quart à l'administration. Cette répartition varie au fil del'année (davantage d'administration au moment de la rentrée, parexemple), mais la charge hebdomadaire de travail reste la même.

 Statutairement, je dois à l'Etat 192 heures annuellesd'enseignement. J'en effectue 240, non par désir de gagner plus, maisparce que je n'ai pas le choix (il manque 83 postes dans monuniversité). Je dois, pour la recherche, un temps de cerveau disponiblenon quantifié mais évalué, de façon empirique, au nombre despublications. Ne parlons pas de qualité, l'avis des pairs ne serabientôt plus valable. Quant aux tâches administratives, qui n'entrentpas dans les obligations de service, là encore je n'ai guère le choix :pour que la machine tourne, il me faut bien prendre ma part de "backoffice".

DE QUOI S'INDIGNER

Ensuite, j'ai sorti mes bulletins de salaire et une calculette. Unmois de travail, à raison de 55 heures par semaine, totalise 220heures. Mon revenu moyen mensuel s'élève à 3 227 euros net avant impôt.Il inclut le salaire de base, les heures supplémentaires et différentesprimes. Soit, si je divise par 220 heures, un revenu horaire effectifde 14,66 euros. Voilà ce que vaut, en France, un bac + 8 comme moi, quin'est plus tout à fait un novice (douze ans d'ancienneté dans le gradeet trente ans de carrière dans l'éducation nationale). A titre decomparaison, mon médecin généraliste perçoit 22 euros pour uneconsultation qui dure un quart d'heure. Notons que j'ai, moi aussi, desfrais professionnels : l'équipement informatique, les livres etdocuments (très chers, surtout ceux qu'il faut commander à l'étranger),les abonnements, déplacements, voyages, billets de musée, d'exposition,toutes ces dépenses finissent par chiffrer.

Restent les vacances. Ah, les vacances... 12 semaines par an, pensez! Quatre-vingt-quatre jours à fainéanter aux frais de la collectivité ?Il y a de quoi s'indigner, en effet, surtout quand on ne connaît rienau monde de la recherche. Car 12 semaines de "vacances" s'avèrent trèsinsuffisantes pour terminer les travaux en souffrance, amorcer lasuite, lire ce qu'on n'a pas le temps de lire, donner des conférences,discuter avec les uns et les autres, élaborer de nouveaux projets,réfléchir - prendre soin des siens et de sa santé. Bref, continuer àfaire le métier pour lequel on nous paye et que nous aimons faire, mêmeà 14,66 euros de l'heure. Bien sûr, en ces temps de tout-managérial,nous devrions économiser notre temps. Mais nous ne "faisons" paschercheur, nous autres, comme d'autres "font" président, nous lesommes, à 100 %, y compris pendant les vacances et pendant que nousenseignons. Allez expliquer ça à un tableur Excel ! Autant parler decinéma à une caméra de vidéosurveillance.

Que l'on se rassure, pourtant, l'idée progresse : je débranchedésormais mon ordinateur du 31 juillet au 20 août, c'est-à-dire pendantla période de fermeture de l'université. Mais qu'on ne me demande pasdavantage : malgré tous mes efforts, franchement, il m'est impossibled'arrêter de penser.

François Clément, département des études arabes, université de Nantes

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Le management du savoir, par Jean-François Bayart

http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/02/18/le-management-du-savoir-par-jean-francois-bayart_1157071_3232.html#ens_id=1157181

Soumettre au marché et au pouvoir laproduction et l'enseignement de la connaissance, tel est le but de laréforme en cours. Nicolas Sarkozy avait annoncé sa volonté de donner "à l'exécutif les moyens de fixer les orientations de la recherche à long terme". Il entend aussi l'assujettir au "New Public Management"grâce à l'étalonnage de ses performances en termes quantitatifs etfinanciers, selon la logique de l'Espace européen de la recherche et dela stratégie de Lisbonne. D'où son insistance sur l'"évaluation",omniprésente dans les pratiques effectives des métiers scientifiques,quoi qu'on en dise, mais qui reste trop qualitative pour êtrenéolibéralement honnête.

 Ce double objectif suppose que soit cassée l'autonomie desinstitutions universitaires et scientifiques. Il veut que le principede collégialité et d'évaluation par les pairs, sur lesquelles reposentcelles-ci, cède la place à l'esprit d'entreprise des chefsd'établissement, promus grands patrons du "capitalisme cognitif" sur le parangon implicite du dynamique et médiatique directeur de Sciences Po, Richard Descoings.La loi de 2008, dont la novlangue gouvernementale dit qu'elle consacrel'autonomie de l'université, acte en réalité l'autonomie des présidentsd'université, désormais dotés de prérogatives discrétionnaires enmatière de recrutement, de rémunération, d'évaluation et de définitiondes services de leur personnel.

Les enseignants-chercheurs le refusent. Ils ne veulent pas êtreprivés des libertés académiques ni devenir des employés taillables etcorvéables à merci selon des critères étrangers aux règles de l'art.L'asservissement de leur profession à la logique néolibérale est de lamême encre que celui de l'ensemble des services publics et desinstitutions. Le tout à l'étalonnage (bench marking)des performances dans les termes exclusifs de la bibliométrie et desclassements internationaux, selon des méthodes quantitativisteshautement contestables et arbitraires. Le démantèlement des organismesscientifiques, crédités de tous les maux en toute méconnaissance decause, est décidé parce que ceux-ci consolident l'autonomie du savoirpar rapport au pouvoir, à l'administration, à l'entreprise, et même,n'en déplaise à une mauvaise légende, au syndicalisme. L'avilissementdes chercheurs et enseignants est la condition même de la réforme. Seull'opprobre jeté sur eux peut légitimer une transformation aussibrutale. Et c'est la qualité, et non la médiocrité, des performances duCNRS qui nécessite son évidement.

La résistance des chercheurs et universitaires n'est pascorporatiste. Elle défend la liberté de la science, aussi importanteque celle de la presse ou de la justice. Elle rejoint la protestationdes personnels de l'hôpital, de la magistrature, de l'éducationnationale, eux aussi soumis au New Public Management, et révoltés par la destruction de leurs métiers respectifs. Elle rappelle l'utilité des corps intermédiaires.

L'historien Peter Brown montre que le pouvoir et la persuasion, dans l'Antiquité, passaient par des "styles d'échanges sociaux". Le style d'échange social des néolibéraux avec les scientifiques, c'est ce poujadisme intellectuel dont fait preuve Nicolas Sarkozy, et que l'on retrouve chez un Berlusconi ferraillant contre l'Université "communiste" entre deux chansonnettes de karaoké.

Le gouvernement sous-estime le risque d'explosion dont est lourde lacolère des agents qu'il bafoue dans leur dignité et voue àl'extinction. L'on voit mal comment il renouera les fils avec unecommunauté professionnelle hors d'elle. Et le chef de l'Etat s'estlui-même discrédité comme recours.

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Pour une recherche bling-bling ?, par Alexandre Dupeyrix

 http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/02/18/pour-une-recherche-bling-bling-par-alexandre-dupeyrix_1157073_3232.html#ens_id=1157181

Prononcé le 22 janvier par Nicolas Sarkozy,le fameux discours sur l'innovation et la recherche, qui continued'alimenter la colère des enseignants-chercheurs, repose sur uneidéologie que la crise actuelle devrait pourtant rendre plus quesuspecte. Cette idéologie tient en deux mots : "évaluation" et "performance". Je cite notre président : "Franchement, la recherche sans évaluation, ça pose un problème (...). Ecoutez,c'est consternant, mais ce sera la première fois qu'une telleévaluation sera conduite... dans nos universités... la première...2009... franchement... on est un grand pays moderne... c'est lapremière fois (...). L'évaluation, c'est la récompense de la performance."

Dire que les enseignants-chercheurs refusent d'être évalués, c'estignorer le parcours et la vie quotidienne d'un chercheur. Mais lastratégie est simple et toujours aussi grossière : débusquer lesprétendus tricheurs, les fainéants, les paresseux et justifier lesréductions de postes ou les modifications de statut. Chercher c'estbien, trouver c'est mieux, c'est le message qui traverse le discoursprésidentiel, simple, imparable, facilement relayable au bistrot ducoin. Cette rhétorique ras-du-zinc est socialement malsaine, leressentiment dont elle est chargée est communicatif. Nicolas Sarkozy,c'est un peu Tullius Detritus dans l'album d'Astérix La Zizanie : partout où il passe, les gens se tapent dessus.

Pour appuyer sa démonstration, le président établit un syllogismeconvaincant : il y a plus d'argent investi dans la recherche publiqueet plus de chercheurs statutaires en France qu'en Grande-Bretagne ; orles Anglais publient de 30 % à 50 % plus ; conclusion : pas besoind'avoir un vrai statut pour faire du bon boulot, pour être productif etrentable.

Un éclaircissement s'impose. Nos traditions de recherche sont toutsimplement différentes. Le système de publication dans des revues esttypiquement anglo-saxon et provient, à l'origine, des sciencesnaturelles. Il s'est généralisé ces dernières années. Il se trouve queles Anglo-Saxons sont actuellement eux-mêmes confrontés aux limites dusystème qu'ils ont mis en place. Le slogan qui circule chez noscollègues, "Publish or perish" (publie ou crève), en dit bientoute l'ambiguïté. Précisément parce qu'ils ont moins de stabilitéstatutaire, ils sont sous pression, doivent rendre des comptesconstamment. S'ensuit une inflation des publications. Que les articlessoient plus ou moins identiques, bons ou mauvais, on s'en moque ; on adu chiffre, c'est l'essentiel. En voulant s'inspirer de ce modèle,Nicolas Sarkozy a un train de retard.

"PUBLIE OU CRÈVE !"

Par ailleurs, il faut comparer ce qui est comparable. Déplorer queles publications des Français soient moins visibles au niveauinternational que les publications anglaises ou américaines n'est pashonnête. Nous sommes dans un contexte de domination culturelle où, sansmême évoquer la disproportion des moyens, ce qui se dit ou s'écrit enanglais est systématiquement surévalué et s'impose à une bonne partiedu monde. Cela revient exactement au même que de reprocher au cinémafrançais de ne pas pouvoir rivaliser avec le cinéma américain. TomCruise n'est pas forcément meilleur acteur que Vincent Cassel ou Gérard Lanvin. C'est pourtant lui la star internationale.

Mais le doute est insinué : nos chercheurs-fonctionnaires sont desplanqués qui bossent deux fois moins que les autres. Et ils voudraientconserver leur statut ?

J'en viens à un aspect qui me semble essentiel s'agissant d'undiscours présidentiel. Pourquoi vouloir suspendre l'activitéprofessionnelle des chercheurs à cette navrante alternative : "Publieou crève !" Nicolas Sarkozy se fend d'une petite phrase anodine, maisterrifiante. Il dit : "D'ailleurs, toute activité sans évaluation pose un problème."Là, on entre véritablement dans la représentation du monde de notreprésident et on touche un problème fondamental qui dépasse largement laquestion des chercheurs : il s'agit au fond de savoir dans quel type desociété l'on veut vivre. Le discours de Sarkozy est porté par le cultede la performance, l'obsession de tout mettre en concurrence. Tout doitavoir une utilité - mais aux yeux de qui ? et qui en fixe les critères? -, et cette utilité doit être quantifiée, testée, validée. Il atellement savonné la planche qu'il ne permet pas de position médiane :si l'on n'est pas performant, si l'on ne cherche pas à l'être, c'estqu'on est paresseux, assisté, parasite.

Cette idéologie utilitariste n'épargne évidemment pas lesdiscussions autour de la recherche - et notamment en sciences humaines.Le grec ancien, ça sert à quoi ? Le français du Moyen Age, ça remplit le Stade de France? L'étude du sanskrit, combien de brevets ? Il se trouve que quand lechercheur ne trouve pas, au minimum, et c'est énorme, il hérite ettransmet. Ce bien qu'il transmet, c'est le patrimoine de l'humanité, laculture sous ses différentes formes, la mémoire de l'existence humaine.

Il se trouve aussi qu'il a d'autres rapports au monde, d'autresfaçons d'accomplir son existence que dans la recherche de profit, lacomparaison avec autrui. Les chercheurs n'ont pas l'obsession dubling-bling. Ils ont choisi le temps de la réflexion et de l'analyse,l'échange et le partage de la connaissance, la liberté de suivre leschemins de recherche qui leur semblent pertinents. Cette liberté qu'onleur reproche est l'essence même de leur activité. Ne pas lecomprendre, c'est ne pas comprendre ce que sont la recherche et lascience.

J'ajouterai que la crise économique actuelle entame sérieusement lacrédibilité d'un modèle fondé sur une obsession mortifère de lacompétition et du gain. Que cette atmosphère générale de pressionpermanente nourrit un malaise sourd et une violence sociale. C'est làqu'on attendrait une vision, un souffle, une énergie véritablementpositive, et non des décharges d'agressivité. Notre pays n'a pas besoind'un chef d'entreprise vindicatif à sa tête, mais d'un homme derassemblement qui se soucie de la paix sociale, d'un vivre-ensembleharmonieux et de la poursuite du bonheur - utopie qui est au fondementde notre modernité politique (cf. le préambule de la Déclaration de1789).

Au fond, tout cela demande une certaine hauteur de vue. C'est unproblème de... politique de civilisation ! Tiens, tiens, on n'en entendplus parler de celle-là.

Alexandre Dupeyrix, philosophe, germaniste, université Paris-Sorbonne

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Monsieur le Président, vous ne mesurez peut-être pas la défiance..., par Wendelin Werner

LE MONDE | 18.02.09 |

Article paru dans l'édition du 19.02.09. 

http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/02/18/monsieur-le-president-vous-ne-mesurez-peut-etre-pas-la-defiance-par-wendelin-werner_1157067_3232.html


Je ne pensais pas unjour me retrouver dans la situation qui est la mienne aujourd'hui, àsavoir écrire une lettre ouverte au président de la Républiquefrançaise : ce qui m'intéresse avant tout, et ce à quoi j'ai choisi deconsacrer ma vie professionnelle, c'est de réfléchir à des structuresmathématiques, d'en parler avec mes collègues en France et à l'étrangeret d'enseigner à mes étudiants. J'ai eu le privilège de voir mestravaux aboutir et récompensés par un prix important. Cela me donne unecertaine responsabilité vis-à-vis de ma communauté et me permet aussid'être un peu plus écouté par les médias et le pouvoir politique.

Comme le montre le sociologue allemand Max Weber dans son diptyque Le Savant et le Politique, auquel Barack Obamas'est d'ailleurs implicitement référé dans son discours d'investiture,nous devons partager une même éthique de la responsabilité. C'est aunom de celle-ci que je m'adresse aujourd'hui à vous.

Vous ne mesurez peut-être pas la défiance quasi unanime à votreégard qui s'installe dans notre communauté scientifique. L'unique foisoù nous avons pu échanger quelques mots, vous m'avez dit qu'il étaitimportant d'arriver à se parler franchement, au-delà des divergences,car cela fait avancer les choses. Permettez-moi donc de nouveau dem'exprimer, mais de manière publique cette fois.

Je m'y sens aussi autorisé par l'extrait suivant du discours quevous aviez prononcé il y a un an lors de votre venue à Orsay pourcélébrer le prix Nobel d'Albert Fert : "Latâche est complexe, et c'est pourquoi j'ai voulu m'entourer des plusgrands chercheurs français, dont vous faites partie, pour voir commenton pouvait reconfigurer notre dispositif scientifique et lui rendre lepilotage le plus efficace possible. Je les consulterai régulièrement,ces grands chercheurs, et je veux entendre leurs avis." Je vous donne donc mon avis, sans crainte et en toute franchise.

Votre discours du 22 janvier a, en l'espace de quelques minutes,réduit à néant la fragile confiance qui pouvait encore exister entre lemilieu scientifique et le pouvoir politique. Il existait certes, déjà,une réaction hostile d'une partie importante de notre communauté auxdifférents projets mis en place par votre gouvernement et leurmotivation idéologique. Mais c'est uniquement de votre discours et deses conséquences dont je veux parler ici.

Tous les collègues qui l'ont entendu, en direct ou sur Internet,qu'ils soient de droite ou de gauche, en France ou à l'étranger (voirla réaction de la revue Nature), sont unanimementcatastrophés et choqués. De nombreuses personnes présentes à l'Elyséece jour-là m'ont dit qu'elles avaient hésité à sortir ostensiblement dela salle, et les réactions indignées fleurissent depuis.

Rappelons que vous vous êtes adressé à un public comprenant denombreux scientifiques dans le cadre solennel du palais de l'Elysée. Jepasserai sur le ton familier et la syntaxe approximative qui sont denature anecdotique et ont été suffisamment commentés par ailleurs.Lorsque l'on me demande à quoi peut servir une éducation mathématiqueau lycée pour quelqu'un dont le métier ne nécessitera en fait aucuneconnaissance scientifique, l'une de mes réponses est que la sciencepermet de former un bon citoyen : sa pratique apprend à discerner unraisonnement juste, motivé et construit d'un semblant de raisonnementfallacieux et erroné.

La rigueur et le questionnement nécessaires, la détermination de lavérité scientifique sont utiles de manière plus large. Votre discourscontient des contrevérités flagrantes, des généralisations abusives,des simplifications outrancières, des effets de rhétorique douteux, quilaissent perplexe tout scientifique. Vous parlez de l'importance del'évaluation, mais la manière dont vous arrivez à vos conclusions estprécisément le type de raisonnement hâtif et tendancieux contre lequeltout scientifique et évaluateur rigoureux se doit de lutter.

Nous sommes, croyez-moi, très nombreux à ne pas en avoir cru nosoreilles. Vous, qui êtes un homme politique habile, et vos conseillers,qui connaissent bien le monde universitaire, deviez forcément prévoirles conséquences de votre discours. Je n'arrive pas à comprendre ce quia bien pu motiver cette brutalité et ce mépris (pour reprendre lestermes de Danièle Hervieu-Léger,la présidente du comité que vous avez mis en place ce jour-là), dontl'effet immédiat a été de crisper totalement la situation et de rendreimpossible tout échange serein et constructif. De nombreux étudiants oucollègues de premier plan, écoeurés, m'ont informé durant ces quinzederniers jours de leur désir nouveau de partir à l'étranger. J'avoueque cela m'a aussi, un très court instant, traversé l'esprit enécoutant votre intervention sur Internet.

Le peu de considération que vous semblez accorder aux valeurs dumétier de scientifique, qui ne se réduisent pas à la caricature quevous en avez faite - compétition et appât du gain -, n'est pas faitpour inciter nos jeunes et brillants étudiants à s'engager dans cettevoie. La ministre et vos conseillers nous assurent depuis plus d'un anque vous souhaitez authentiquement et sincèrement aider la recherchescientifique française. Mais vous n'y parviendrez pas en l'humiliant eten la touchant en son principe moteur : l'éthique scientifique.

Comme vous l'expliquez vous-même, la recherche scientifique doitêtre une priorité pour un pays comme la France. En l'état actuel deschoses, il ne semble plus possible à votre gouvernement de demander àla communauté scientifique de lui faire confiance.

De nombreux collègues modérés et conciliants expriment maintenantleur crainte d'être instrumentalisés s'ils acceptent de participer àune discussion ou à une commission. Les cabinets de la ministre de larecherche et du premier ministre ont certainement conscience del'impasse dans laquelle vous les avez conduits. J'ai essayé deréfléchir ces derniers jours à ce qui serait envisageable pour sauverce qui peut encore l'être et sortir de l'enlisement actuel.

Un début de solution pourrait être de vous séparer des conseillersqui vous ont aidé à écrire ce discours ainsi que de ceux qui ne vousont pas alerté sur les conséquences de telles paroles. Ils sont aussiresponsables de la situation de défiance massive dans laquelle nousnous trouvons aujourd'hui, et que votre intervention du 22 janvier acristallisée.

Ils ont commis, à mon sens, une faute grave et c'est votre propredogme que toute faute mérite évaluation et sanction appropriée. Celapermettrait à notre communauté de reprendre quelque espoir et detravailler à améliorer notre système dans un climat apaisé, de manièremoins idéologique et plus transparente.

Il est, pour moi, indispensable de recréer les conditions d'unvéritable dialogue. L'organisation de la recherche et de l'enseignementsupérieur est certes un chantier urgent mais, comme vous l'aviez notéil y a un an, il est d'une extrême complexité. Sa réforme demande del'intelligence et de la sérénité. Il n'appartient qu'à vous de corrigerle tir.

Wendelin Werner, professeur de mathématiques, université Paris-Sud et Ecole normale supérieure
Médaille Fields 2006 et membre de l'Académie des sciences