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Appels à contributions
Communautés interprétatives, communautés collaboratives. Littérature, idéologie, arts visuels et performatifs

Communautés interprétatives, communautés collaboratives. Littérature, idéologie, arts visuels et performatifs

Publié le par Romain Bionda (Source : Adrian Tudurachi)

Communautés interprétatives, communautés collaboratives. Littérature, idéologie, arts visuels et performatifs

Appel à contribution pour le no 3 / 2016 de la revue Dacoromania litteraria

La communauté intellectuelle a fait, ces dernières décennies, l'objet d'étude des philosophes (Jean-Luc Nancy, Maurice Blanchot, Giorgio Agamben) ou des anthropologues (Victor Turner). Le concept de la « communauté interprétative », proposé par Stanley Fish dans un article de 1976, Interpreting the Variorum, reste jusqu'à nos jours une source de dilemmes théoriques, des débats, de ruptures et repositionnements de la pensée critique en marge de la littérature, de l'art et des phénomènes esthétiques en général. Mettre en discussion l'idée de communauté c'est évoquer à la fois un partage de valeurs, de protocoles et de pratiques d'interprétation culturelles.

Le numéro 3 de la revue « Dacoromania litteraria » propose un dialogue sur les communautés interprétatives contemporaines, dans et au-delà de la sphère du littéraire. La pratique de l'interprétation dans des différents domaines de l'expression artistique peut engager, sinon des communautés d'idées, au moins des effets de « réseau », des dispositions collaboratives d'analyse esthétique et culturelle. Et ce n'est pas par hasard qu'on trouve aujourd'hui de nombreux critiques et herméneutes littéraires, tout comme des théoriciens du visuel ou des arts performatifs, qui agissent sur une scène commune de la pensée critique. L'anthropologie d'un Michel Serres ou Bruno Latour permet un dialogue des interprétations culturelles au-delà des frontières disciplinaires. Un concept comme l'iconophilie (formulé contre l'attitude iconoclaste et l'attitude iconodule), dont Bruno Latour veut faire l'instrument d'une analyse commune des images artistiques, scientifiques et religieuses, semble voué à rouvrir le débat sur les enjeux de la critique d'art, de la critique et la théorie littéraires, ainsi que sur le projet des diverses idéologies esthétiques contemporaines. À quel point est-il nécessaire d'en saisir les convergences, d'autant plus que les préoccupations de diverses « castes » critiques se revendiquent souvent des postures, des attitudes et des obsessions d'interprétation communes? La réflexion que nous proposons privilégie la perspective transdisciplinaire sur les communautés et la volonté d'engager un dialogue inter-médial. Littérarité, visuel, performativité : ces concepts qui rendent compte de la différence des domaines de l'expression artistique peuvent tout aussi bien fonctionner comme des instruments d'interprétation entrecroisés, capables de nourrir le discours de l'art « voisin ».

En même temps, dans une réflexion sur les communautés, il nous semble important de restituer leur double dimension, interprétative et collaborative. Car l'exigence de l'inter-subjectivité et de sociabilité marque non seulement l'attitude critique, mais aussi la gesticulation créatrice proprement dite. Une esthétique relationnelle – pour penser dans les termes de Nicolas Bourriaud – peut comprendre à la fois les communautés de production et les réseaux interprétatifs, tout en incitant à leur mise en dialogue. La sociabilité critique est, certes, un thème de débat ; elle peut devenir en plus un territoire virtuel de rencontre des méthodes d'engagement réflexif et des pratiques collaboratives.

On propose une réflexion sur les communautés articulée en fonction de trois perspectives:

1. Une perspective anthropologique et esthétique. Dans l'interprétation de l'anthropologue Victor Turner, le concept de communitas désigne une condition privilégiée de certains membres d'une communauté qui partagent l'expérience d'un « seuil » existentiel, une condition liminale, comme dans les cas des rituels de passage. Nous aimerions mobiliser un regard anthropologique du partage communautaire dans la réflexion sur les communautés collaboratives et sur leur poétique de la créativité : ce sera une manière de s'émanciper de la mythologie romantique de la génialité qui domine encore l'imaginaire des études littéraires et même celui des études théâtrales. Il s'agira de saisir les modalités multiples par lesquelles les communautés critiques et créatrices cherchent à déjouer l'hégémonie de l'Auteur ; et aussi de comprendre la volonté de tout projet de collaboration intra-communautaire et inter-communautaire, de trouver des solutions alternatives pour engager les individus et la société dans la création.

2. Une perspective historique. Les communautés interprétatives s'inscrivent dans un contexte local et répondent, par leur programme, par la constitution du réseau des collaborateurs et par la dynamique de leur interaction, à une conjoncture sociale plus ample. Les projets d'association intellectuelle, comme le Cercle littéraire de Sibiu (1940) ou le Groupe de Păltiniş (1975), ont été orientés, souvent de manière explicite, en fonction des conditions du moment historique. La guerre, le contexte nationaliste de l'époque de l'entre deux guerres, les contraintes du régime communiste ont agi comme catalyseurs des communautés interprétatives. Un groupement contemporain comme CriticAtac (2010) combine ainsi, au cœur de son projet, l'attitude politique, étroitement liée aux problèmes actuels de la société, et les enjeux herméneutiques qui visent la fondation d'un espace commun de réflexion idéologique et philosophique.

3. Une perspective politique. De nos jours, les figures de la communauté ont un important contenu politique. Le plaidoyer de Yves Citton pour la réhabilitation des études littéraires dans la société contemporaine, Lire, interpréter, actualiser (2007), propose de penser les communautés interprétatives constituées dans le milieu universitaire comme un modèle de communication, apte à être extrapolé à l'échelle de toute la société. À leur tour, les communautés collaboratives du domaine de l'art visuel ou performatif ont été souvent perçues comme des espaces d'expérimentation à la recherche des styles de vie, comme des « laboratoires » dans lesquels se forgent des modèles possibles de la société (on pense par exemple à la méthode du théâtre-forum, conçue par Augusto Boal comme une forme de théâtre social, communautaire et interventionniste, avec une vocation pédagogique manifeste). Cet engagement des communautés dans l'élaboration des modèles de vie et de communication représente, peut-être, la solution la plus simple pour mettre en évidence la rencontre trans-disciplinaire et inter-médiale des perspectives, l'agenda commune des collectivités littéraires, artistiques et idéologiques.

 

Références:

Giorgio Agamben, La communauté qui vient: théorie de la singularité quelconque, traduit par Marilène Raiola, Paris, Seuil, 1990.

Maurice Blanchot, La communauté inavouable, Paris, Minuit, 1984.

Nicolas Bourriaud, L'esthétique relationnelle, Dijon, Les Presses du réel, 1998.

Yves Citton, Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi les études littéraires?, Paris, Amsterdam, 2007.

Stanley Fish, Is There a Text in This Class? The Authority of Interpretive Communities, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1980.

Jean-Luc Nancy, La communauté désœuvrée. Nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1986, 1990.

Victor W. Turner, The Ritual Process: Structure and Antistructure, with a foreword by Roger D. Abrahams, Brunswick and London, Aldine Transaction, 1995.

 

Modalités de soumission :

On attend les propositions d’articles (4000 signes, espaces compris) accompagnées d’une bio-bibliographie, jusqu’à 30 janvier 2016, à l’adresse ligia.tudurachi@gmail.com. Les propositions envoyées seront soumises au conseil de rédaction, qui décidera de l’acceptation.

Les articles entiers (25000-50000 signes) seront envoyés jusqu’à 31 mars 2016 (consignes de présentation des manuscrits sur le site de la revue : http://www.dacoromanialitteraria.inst- puscariu.ro/). La décision de publication sera prise après l'évaluation externe et communiquée jusqu’à 30 mai 2016.

 

Calendrier :

Date limite de soumission des propositions (4000 signes, espaces compris) : 30 janvier 2016

Notification d'acceptation des propositions : 15 février 2016

Remise des textes complets (50000 signes maximum, espaces compris) : 31 mars 2016

Décision finale de publication : 30 mai 2016

Publication : 30 juin 2016

 

Responsables du dossier :

Laura Pavel (laura.pav12@yahoo.com), Professeur dr., Faculté de Théâtre et Télévision, Université « Babeș-Bolyai », Cluj-Napoca.

Ligia Tudurachi (ligia.tudurachi@gmail.com), Chercheur dr., Institut de linguistique et d'histoire littéraire « Sextil Pușcariu », Académie Roumaine, Cluj-Napoca.