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Comment ça parle dans le roman ? Le roman et la parole au xixᵉ siècle

Comment ça parle dans le roman ? Le roman et la parole au xixᵉ siècle

Publié le par Emilien Sermier (Source : Lola Kheyar Stibler)

APPEL A CONTRIBUTION

Comment ça parle dans le roman ? Le roman et la parole au xixᵉ siècle

Journée d’études du samedi 17 mai 2014

à Paris III - Sorbonne Nouvelle

 

Cette journée d’études est consacrée à la question de la parole au xixᵉ siècle, pour laquelle le genre narratif offre un terrain d’observation privilégié : il s’agit de proposer une étude des formes, des fonctions, et des valeurs que prend la parole dans le genre romanesque : de l’échange verbal à l’épineuse question de la « parole » narrative en passant par la parole silencieuse d’un monologue. Qui parle ou plutôt comment ça parle dans un roman ?

Cette question centrale, qui offre un cadre d’étude aussi bien linguistique que stylistique et narratif, ouvre également la voie à des approches philosophiques, sociologiques ou historiques. La thèse d’une « césure » révolutionnaire (A. Vaillant), opérant le passage d’une littérature-discours (placée sous l’influence de l’oralité) à une littérature texte (s’adressant à l’herméneutique silencieuse du lecteur), permet d’analyser bon nombre d’évolutions narratives. Ainsi, au début du siècle, la règle d’usage est-elle l’alternance plus ou moins heureuse des dialogues et des interventions narratoriales. Des blocs de textes bien distincts permettent au lecteur de comprendre qu’ici le personnage parle, que là, c’est le narrateur. Mais définir le texte écrit par l’usage d’un terme tel que la « parole » n’est qu’une image dont la pertinence, au sein du discours critique, reste à interroger.  De surcroît, l’analogie semble justifiée par le travail des romanciers eux-mêmes, faisant parler les corps et les visages (physiognomonie) et théorisant l’influence du milieu sur le comportement et le langage (voir les parlures zoliennes). Balzac, on le sait, est un maître de ces conversations à bâtons rompues d’où le geste surgit et fait sens. Parler n’est pas seulement échanger des mots et aller à la ligne. Comptent aussi le contexte, la gestuelle, et bientôt la pensée. De fait, on assiste progressivement à un recul du discours direct pour représenter les mots échangés. Ceux-ci deviennent de véritables actions verbales, comparables aux actions décrites par le narrateur. Les mots se raréfient, le registre de langue varie, narration et dialogue se rapprochent. Le tournant majeur de ces transformations est sans doute la redécouverte et l’essor du discours indirect libre vers 1850 (Flaubert). Là émerge une forme où sont confondues narration et parole dialoguée. Ces bouleversements ont fait l’objet, sur le plan théorique, de débats passionnés, stimulés par des analyses contradictoires, notamment celles d’une catégorie spécifique de discours, parfois définie comme la dominante stylistique du genre romanesque : le discours indirect libre. Aux dialogues entre Gérard Genette, Dorrit Cohn et Oswald Ducrot, bien connus des littéraires, se sont invités les linguistes Ann Banfield et Shige-Yuki Kuroda. En pratique, ces débats visent à répondre à la question « Qui parle ? » dans le texte narratif. Genette, Cohn et Ducrot, partisans d’une analyse polyphonique, la plus partagée aujourd’hui, entendent deux voix dans le discours indirect libre, celle du narrateur et celle du personnage. Banfield et Kuroda n’en entendent qu’une, celle du personnage et, pour être tout à fait précis, n’en entendent pas du tout : les formes représentées comme paroles ne correspondent pas à des formes oralement pertinentes. L’énonciation au discours indirect libre ne serait pas calquée sur un modèle pour lequel peut être supposé un locuteur. Que dit sur notre vision du langage ce recours au schéma de communication de l’oral pour analyser paroles et pensées des personnages ?

La représentation de la pensée est en effet étroitement articulée à la question de la parole. Le xixe siècle a vu l’émergence de l’étrange métaphore du langage intérieur, étrange car se référant à un langage qui ne se prononce pas, symptôme d’un monde où l’autre s’absente au profit d’un nouveau type d’échange avec soi. Les lauriers sont coupés (1887) de Dujardin constitue l’ultime évolution de ce grand rapprochement où la parole définissant la pensée finit par se retourner sur elle-même. Pourtant s’il n’y a plus d’échange, s’il n’y a plus de dialogue, y a-t-il encore parole ? Le monologue dialogique, ultime variante de la parole interlocutive, tend à faire de la réflexivité de la parole l’un des signes de la conscience moderne.

En définitive, s’interroger sur la parole au xixᵉ siècle revient principalement à examiner la différence entre la parole, acte individuel de production de langage, et sa représentation, acte médiatisé de simulation du langage. Là où l’individu parle et échange en son nom, le personnage est fait parlé, au nom d’une logique esthétique. Il n’est pas l’origine de sa parole, il n’en est que le véhicule et le symbole. Ce sont aussi les représentations symboliques de la parole que cette journée d’études se propose d’examiner.

 

Les communications peuvent être monographiques ou aborder des questions transversales, dans les domaines les plus variées, de la littérature à la sociologie, en passant par l’histoire, la philosophie, la psychologie, la linguistique et la stylistique. Vos propositions (titre + résumé d’env. 500 mots) sont à envoyer avant le 6 janvier 2014 à Lola Kheyar Stibler (lolastibler@free.fr) et à Jérémy Naïm (jeremynaim@free.fr).

 

Quelques thèmes, non exhaustifs, à explorer :

  • Le rôle de la rhétorique dans l’écriture romanesque : la permanence stylistique d’un modèle oratoire ;
  • La voix narrative et ses enjeux : polyphonie, ironie, discours d’autorité ;
  • Le dialogue : régisseur du discours, relations entre discours cité et discours citant ;
  • Le style et la parole : contamination d’un modèle parlé dans la langue écrite ; la norme et la parole ; style et pratiques éditoriales ;
  • Le langage intérieur : penser la parole et faire parler la pensée ;
  • Le sujet et sa langue : approches philosophique, psychologique ou sociologique.