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Villes en guerre :  l’urbanité moderne à l’épreuve du conflit 1800-1914 (Goethe Univ., Francfort-sur-le-Main)

Villes en guerre : l’urbanité moderne à l’épreuve du conflit 1800-1914 (Goethe Univ., Francfort-sur-le-Main)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Aurore Peyroles)

Colloque

Villes en guerre :  l’urbanité moderne à l’épreuve du conflit (1800-1914)

Que devient l’urbanité face à la guerre ? La ville n’a jamais été tenue à l’écart des conflits : assiégée, pillée, incendiée, elle a souvent subi les attaques des belligérants au cours des siècles. Les conflits modernes brouillent cependant un peu plus la fragile frontière entre arrière et front, la ville devenant le théâtre ou la toile de fond des affrontements : la guerre peut alors toucher toutes les composantes de l’espace urbain. Or qu’arrive-t-il à la ville, en tant qu’urbi, espace de sociabilité urbaine, mais aussi en tant que polis, espace politique, quand la guerre surgit en son sein ? Quelle « invention du quotidien » urbain, pour reprendre l’expression de Michel de Certeau, autorise ou empêche-t-elle ? En retour, la ville configure dans une certaine mesure les visages de la guerre, modifiant les modalités des affrontements, mais aussi la perception et la définition de l’adversaire. Quand ce dernier n’est plus seulement une armée, mais une population civile et urbaine, les rapports noués avec lui sont d’une nature nécessairement complexe. Qu’elle soit le théâtre des combats de rue ou celui des parades des vainqueurs, la ville rend en effet inévitable la rencontre de l’autre qu’il s’est agi de vaincre.

Au prisme de leurs représentations littéraires et historiques, les villes en guerre constituent ainsi des décors singuliers, propices à l’exacerbation des sentiments, à l’exaltation des valeurs, à l’intensité des aventures. Souvent liée à des enjeux idéologiques, leur évocation n’est jamais anodine : que ce soit pour chanter les villes martyres, victimes de l’ennemi, ou, au contraire, pour justifier une entreprise de conquête, la ville en guerre joue un rôle stratégique dans les discours, contemporains ou rétrospectifs, qui la mentionnent. Dans quelle perspective, au double sens d’objectif et de point de vue, est-elle représentée ? Quelles sont les modalités narratives de son surgissement ? Quel rapport entre fiction et non fiction, entre témoignage et romanesque s’y noue-t-il ?

Au XIXe siècle, la guerre se déploie sur plusieurs horizons. Les villes des conquêtes coloniales constituent un observatoire privilégié de son surgissement dans un cadre urbain. Comment les futurs colonisateurs perçoivent-ils les capitales d’anciens empires, fleurons de civilisations radicalement autres mais d’une extraordinaire charge exotique ? Ce siècle est aussi celui des campagnes napoléoniennes et des indépendances nationales européennes, dont les villes constituent parfois un enjeu majeur : le statut de Rome est l’une des questions récurrentes qui se posent au Risorgimiento. Plus proche encore, la guerre n’épargne pas les villes françaises, dont certaines sont aux premières loges des tourmentes nationales qui s’égrènent au cours du siècle. Certaines sont au contact direct du front et deviennent des champs de bataille (Sedan, bombardements de Strasbourg et de Paris). Le conflit s’impose alors au cœur même de la ville et touche directement ses habitants, qui doivent apprendre à vivre dans une cité en guerre. Dans un siècle marqué par la croissance urbaine, la ville, prise dans des conflits aussi réels que symboliques, n’est donc plus refuge : parfois objet des affrontements, elle s’en fait aussi le théâtre. Quels regards les écrivains, les stratèges et les historiens portent-ils sur ces villes qui font directement l’expérience de la guerre – coloniale, nationale ou civile ?

L’irruption de la guerre, ou de ses traces, dans l’espace urbain redéfinit également la conception que se fait le XIXe siècle de la ville, alors érigée en décor d’une modernité triomphante. Dans quelle mesure l’expérience du conflit modifie-t-elle l’appréhension de l’urbanité, les projets architecturaux mais aussi les rapports sociaux, les physionomies urbaines mais aussi les mythes de la ville ? On se souvient du colonel Chabert de Balzac, « mort à la bataille d’Eylau » revenant à Paris : spectre hantant une société et une ville qu’il ne connaît plus et qui ne le reconnaissent plus. Donnant un visage au soldat de retour du front à la ville, cette figure fantomatique incarne plus largement le spectre que la guerre et sa mémoire font peser sur une société urbaine, quels que soient les efforts déployés par cette dernière pour l’oublier, la refouler.

Comment la ville réagit-elle à ces spectres, et plus généralement comment inscrit-elle la mémoire de la guerre en son sein ? Quand les ruines sont vite balayées, les monuments façonnent le souvenir du conflit et entendent souder une communauté autour d’eux. C’est au XIXe siècle que se multiplient les monuments aux morts : signes d’une nouvelle perception de la guerre, dont il s’agit de rappeler le souvenir dans l’espace social quotidien. Les traces sont parfois moins immédiatement visibles : si la mémoire collective de la guerre s’inscrit géographiquement et officiellement dans les villes, elle influe également sur la façon dont une époque (se) représente le fait urbain. Grand mythe du XIXe siècle, la ville semble être le lieu même du progrès où s’incarnera la société moderne. Or le surgissement en son sein de la ruine et de la destruction met à mal cette assimilation de la ville au progrès : la temporalité urbaine peut aussi être celle de la catastrophe ; Paris, la capitale de la modernité par excellente, pourrait connaître le sort de Pompéi – ou celui du Moscou de 1812.

La naissance de la science-fiction semble s’inscrire pleinement dans cet imaginaire apocalyptique qui fait de la ville le lieu du conflit et de l’anéantissement. Le fantasme de la grande ville détruite serait ainsi à l’origine d’une certaine littérature, s’insinuant également dans les genres à la mode que sont les romans fantastiques et historiques. Quel urbanisme et quelle urbanité subsistent dans cet imaginaire angoissé de l’effondrement aux accents eschatologiques ?

 

PROGRAMME

Mercredi 30 mai 2018

 

14h15 Mots d’ouverture : Frank Estelmann, Aurore Peyroles

Section 1 – L’irruption de la guerre dans la ville (1870/71) : de la ville assiégée à la ville révoltée

14h30 Joseph Jurt (Fribourg) : La Commune de Paris comme forme d’organisation face aux menaces extérieures et intérieures

15h15 Jean-Marc Largeaud (Tours) : Réalités et représentations du combat en ville :  Châteaudun en 1870

16h00 Pause café

16h30 Éléonore Reverzy (Paris) : Poétiques du siège de Paris : Goncourt, Gautier, Huysmans

17h15 Henning Hufnagel (Zurich) : Idylles prussiennes. Hugo et les Parnassiens face au siège de Paris

18h00 Malte Osterloh : « Andromaque, je pense à vous ! » L’haussmannisation comme conduite de la guerre

 

Jeudi 31 mai 2018

 

Suite de la section 1 – L’irruption de la guerre dans Paris (1870/71) : de la ville assiégée à la ville révoltée

9h00 Caroline Mannweiler (Mayence) : « Cette inaccessible gaîté de Paris », ou la littérature face aux canons – le journal Le Rappel (1870-71)

9h45 Michael Bernsen (Bonn) : « La dispersion des pierres fera la dispersion des idées»: Paris et ses mythes pendant la guerre franco-allemande chez Victor Hugo

10h30  Pause café

Section 2 – Témoignages et traumatismes : guerres d’indépendance, conquêtes coloniales

11h00 Tobias Berneiser (Marbourg) : Alexandre Dumas et Vicenzo Cuoco : la reconquête de Naples en 1799

11h45 Franziska Meier (Göttingen) : Les guerres napoléoniennes dans le genre des mémoires

13h00  Déjeuner

15h00 Olaf Müller (Marbourg) : Waterloo vu de Bruxelles dans les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand

15h45 Dominique Dupart (Lille) : Échos de la guerre dans les cercles littéraires urbains

16h30  Pause café

17h00 Sarga Moussa (CNRS, THALIM) : Fromentin à Lagouhat. Violence et traumatisme en situation coloniale

17h45 Daniel Lançon (Grenoble) : Résistance nationale égyptienne et interventionnisme colonial anglais : récits et discours sur le bombardement d’Alexandrie, ville cosmopolite (juillet 1882)

 

Vendredi 1er juin 2018

 

Section 3 – Effets de la guerre : retours, spectres et ruines

9h30 Daryl Lee (Brigham Young) : Witnessing and Collecting the Paris Commune Ruins

10h15 Aude Déruelle (Orléans) : Villes en guerre dans le roman historique

11h00 Matthias Hausmann (Dresde) : Les villes dans les guerres futures : la littérature

d’anticipation du XIXe siècle

12h00 Déjeuner

13h00 Eliza Culea-Hong (ENSA-Versailles) : FUTUR DYNAMIQUE / FUTUR-DYNAMITE : Du « wonderland futuriste » à la dissolution de la ville à l’aube du XXe siècle

13h45 Joëlle Prungnaud (Lille) : Des ruines de la Commune aux dévastations de la Grande Guerre : l’effet retour

15h00 Clôture du colloque