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"Internet est un cheval de Troie" (Lyon 3)

Publié le par Marc Escola (Source : Gilles Bonnet)

Internet est un cheval de Troie

Colloque international / 10 & 11 mars 2016

Université Jean Moulin-Lyon 3 / équipe MARGE

Organisation : Gilles Bonnet

 

Certaines œuvres furent « nativement numériques », avant que de devenir livres-papier. On ne s’étonnera donc pas d’y déceler une poétique inspirée des contraintes et des possibilités d’écriture comme de lecture propres au Web. Ainsi des fragments qui scandent, au rythme de trois par jour, le blog « L’autofictif » d’Éric Chevillard, et qui s’impriment, tels quels, dans les volumes publiés aux éditions de l’Arbre vengeur. De même, François Bon imagina-t-il d’abord son Tumulte pour Internet, en lui dédiant même un site spécifique, www.tumulte.net, avant d’en proposer une édition papier en 2006[1]. Si l’auteur note « l’arborescence mobile du livre »[2], c’est bien comme un héritage d’une pratique d’abord numérique, au sein d’un site, d’une arborescence donc, et pensée comme mobile, car sans cesse en reconfiguration, et reconfigurée par chaque consultation. Naissent ainsi quelques étranges livres homothétiques, c’est-à-dire non pas remédiatisés, numérisés, à partir d’une version originale papier, mais imprimés d’après une première publication en ligne.

Mais n’assistons-nous pas, au-delà de ces quelques cas remarquables, qui sont le fait d’écrivains présents sur le Web et dans l’édition papier traditionnelle, à une influence de la poétique propre aux écrits d’écran sur une partie de la littérature contemporaine pourtant exclusivement publiée en livres-papier ? Michel Houellebecq aura instillé le doute chez ses lecteurs, en truffant La Carte et le territoire d’extraits d’articles de Wikipedia. Plus qu’un plagiat potache, ne peut-on y voir l’ironique retournement du principe du copier/coller et de la circulation de la citation inscrite dans les principes mêmes des travaux collaboratifs, typiques du Web 2.0 ? Alain Veinstein n’en fait pas mystère, qui s’engouffre dans la tweeterature, pour tester le potentiel poétique de la contrainte du Tweet comme « une nouvelle voie d'écriture » (Cent quarante signes, Grasset, 2013). Mais l’influence paraît parfois moins explicite, et non moins profonde. Olivier Cadiot, avec Un Mage en été (P.O.L, 2010) – « Ah c’est pratique, on peut se balader dans l’image… » (p. 28) – ainsi que Laurent Mauvignier avec Autour du monde (Minuit, 2014), instaurent un dialogue entre texte et image qui semble reproduire, voire imiter[3] les potentialités heuristiques de ce compagnonnage définitoire d’une poétique de l’Internet. La structure même des deux romans hérite de la circulation désormais mondiale et instantanée des informations, et négocie donc avec l’esthétique du flux caractéristique du cyberespace[4]. C’est quant à lui la fragmentation du texte continu et l’inachèvement heureux de l’œuvre Web, toujours susceptible d’être continuée par quelque mise à jour, que Camille de Toledo importe dans son volume de Vies pøtentielles (Seuil, 2011) : « D’histoire en histoire », explicite-t-il, « Vies pøtentielles pourrait se prolonger, entrant ainsi dans l’âge où le livre cesse d’être ce qu’il fut : un codex fermé, avec un début et une fin, pour se perdre dans le rhizome des textes et métatextes. »[5] Alexandre Gefen propose lui de « lire la recrudescence contemporaine de sommes romanesques » – des Microfictions de Jauffret aux romans de Claro – « à la lumière du rapport décomplexé à la fiction, à l’actualité et à la longueur, qu’autorise internet »[6].

Puisque c’est bien l’objet-livre qui est ici mis à la question, n’est-il pas normal de voir les éditeurs proposer des formats, voire de nouvelles collections qui, implicitement en tout cas, rappellent fortement certaines caractéristiques des œuvres littéraires proposées sur Internet ? Les listes et abécédaires, s’ils n’ont pas attendu le Web pour fasciner les écrivains, constituent toutefois une modalité majeure de présence du texte et de son « énonciation éditoriale »[7] sur les sites et blogs d’écrivains. La nouvelle collection « vingt-six » de Grasset qui érige l’abécédaire en forme-sens n’a-t-elle pas pour horizon la captation de lecteurs par ailleurs coutumiers de la lecture préhensive qu’autorise Internet et sa « tendance anthologique »[8]? N’est-ce pas là une première réponse aux interrogations que formulait Milad Doueihi en 2008 : « Les auteurs se mettront-ils à écrire avec cette lecture à l’esprit ? Écriront-ils pour l’index et l’archive dans leur incarnation numérique ? »[9] Le Web recycle, commente, voire recrée, dans le sillage de la fan-fiction, théorisable en termes de transfictionnalité[10]. Or, la collection « Lelivrelavie » chez Cécile Defaut, propose à un écrivain d’écrire à partir d’une œuvre antérieure, quand Belfond, pour sa nouvelle collection « Remake » sollicite des écrivains contemporains pour qu’ils prolongent ou récrivent des classiques de l’histoire littéraire, Ubu roi (Nicole Caligaris) ou Bouvard et Pécuchet (Frédéric Berthet). Certes, le parallèle est explicitement proposé avec le cinéma (Short Cuts pour Mauvignier ; la pratique du remake cinématographique pour la collection de Belfond) : n’est-il pourtant pas possible de discerner là l’influence d’Internet au moins autant que celle du médium cinématographique ?

Ce colloque ne se propose donc pas seulement d’explorer les représentations du Web dans les œuvres littéraires contemporaines – qui bien entendu enregistrent son omniprésence dans la société et notre quotidien –  mais bien plutôt de tenter d’identifier et d’interroger les phénomènes de contamination de la production de l’extrême contemporain, en particulier narrative, qui pour autant continue de se proposer sous la forme de livres, par une poétique issue, au moins en partie, de l’œuvre numérique et des pratiques neuves d’écriture et de lecture qui en découlent. Stratégies d’écriture et d’édition se croisent peut-être, à un moment où chacun tente de discerner les modalités d’une mutation en cours.

Le colloque n’entend pas limiter les interventions au corpus français, mais accueillera toutes les propositions susceptibles de contribuer à un effort collectif de théorisation.

 

Gilles Bonnet

 

 

Merci d’envoyer vos propositions (2000 signes max.), accompagnées d’un bref CV, avant le 1er août 2015, à l’adresse suivante: bonnetgilles@wanadoo.fr

 

[1] Ce qui intrigua certains de ses lecteurs ; ainsi de Laurent Margantin : « Mais pourquoi en faire un livre-papier si l’expérience Tumulte a trouvé son accomplissement et son espace propre sur le net ? Je croyais y voir le symbole fort d’une œuvre numérique, exponentielle, forme d’infini littéraire, en excroissance toujours dans l’entremêlement des voix... cela n’interdisait-il pas de revenir finalement à l’imprimerie ? » (http://web.archive.org/web/20060708132737/http://www.tumulte.net/article.php3?id_article=470).

[2] http://web.archive.org/web/20051012070614/http://www.tumulte.net/article.php3?id_article=127.

[3] N. Katherine Hayles décèle ainsi deux tendances, dans le rapport problématique entre l’œuvre imprimée et la littérature nativement numérique : l’imitation de la seconde par la première, et l’intensification par cette dernière de ses spécificités : « imitating electronic textuality through comparable devices in print (…) ; and intensifying the specific traditions of print » : Electronic Literature. New Horizons for the Literary, Notre Dame, Indiana, University of Notre Dame Press, 2008, p. 162.

[4] Se reporter à Bertrand Gervais & Anaïs Guilet, « Esthétique et fiction du flux. Éléments de description», Protée, vol. 39, n° 1, 2011, p. 89-100 ; en ligne : http://id.erudit.org/iderudit/1006730ar.

[5] http://toledo-archives.net/oeuvres/vies-potentielles.

[6] A. Gefen, « La littérature contemporaine face au numérique », in Les Mutations de la lecture, Olivier Bessard-Banquy (dir.), Presses universitaires de Bordeaux, coll. « Les cahiers du livre », 2012, p. 205.

[7] Par quoi on désigne « l’ensemble de ce qui contribue à la production matérielle des formes qui donnent au texte sa consistance, son “image de texte” » (Yves Jeanneret et Emmanuel Souchier, « L’énonciation éditoriale dans les écrits d’écran », Communications et Langages, no145, 2005, p. 6).

[8] Voir Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Paris, Seuil, 2011, p. 44 sq.

[9] La grande conversion numérique, Paris, Seuil, [2008], coll. Points, 2011, p. 229.

[10] Voir Richard Saint-Gelais, Fictions transfuges. La Transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2011.