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CiNéMAS, 25, n° 2-3:

CiNéMAS, 25, n° 2-3: "Le Remake. Généalogies secrètes dans l'histoire du cinéma" (M. Martin)

Publié le par Marc Escola (Source : Marie Martin)

Référence bibliographique : CiNéMAS, , 2016. EAN13 : 11816945.

 

Parution du volume 25, n° 2-3 de la revue internationale CiNéMAS, dirigé par Marie Martin, et intitulé: "Le Remake. Généalogies secrètes dans l'histoire du cinéma".

 

La cinéphilie issue de la Nouvelle Vague a formé une culture critique qui se plaît au tour de force de voir dans un film le remake jusqu’alors inaperçu d’un illustre prédécesseur. Prenant au sérieux cette tendance toujours active, ce numéro s’attache à un type de réécriture qui travestit sa source — comme le rêve déguise ses pensées latentes — et en révèle obliquement le refoulé. Il répond à trois enjeux : définir le « remake secret » comme fiction théorique adossée à la notion spectatorielle de figure; distinguer cette forme de remake des modèles de filiation que sont le genre ou l’adaptation, en fondant sa spécificité sur un travail filmique de reconfiguration d’un trauma originel, intime et psychique ou collectif et historique; esquisser les contours d’une histoire du cinéma sensible aux collisions et aux précipités qu’y produisent les généalogies secrètes de ces remakes en séries.

 

Table des matières et résumés:

- Marie Martin (Université de Poitiers), « Présentation ».

- Marie Martin, « Le remake secret : généalogie et perspectives d’une fiction théorique »: Cet article expose la construction d'un cas particulier d'hypertextualité filmique qui, sous le nom de « remake secret », entend rendre compte d'un type de réécriture indexée sur le Traumarbeit. Un film-source est refait par un film-second qui, selon une logique onirique de condensation, déplacement et figurabilité, en fait apparaître la part traumatique latente ou refoulée. La notion est inscrite dans le prolongement des travaux d’A. Zanger (Film Remakes as Ritual and Disguise) et de J.-F. Buiré (« Hypothèse de film volé »), du côté de son extension minimale, et de critiques contemporains comme J.-B. Thoret ou H. Aubron pour sa portée maximale. T. Kuntzel et M. Lefebvre, avec le « travail du film » et la « figure », offrent des outils pour élaborer en compréhension ce qui assume d'être une fiction théorique, produit de la spectature. Une étude de cas actualise le modèle : bien qu’adaptation de roman, Grifters (Frears, 1990) est analysé comme remake secret de Psycho (Hitchcock, 1960), reprenant en la déguisant la figure du meurtre sous la douche pour mieux rejouer et accuser, au niveau dramatique et figuratif, les complexes psychiques qui la fondent.

- Denis Mellier (Université de Poitiers), « Figure(s) de sang : amours secrètes, troubles fratries et miscegenation dans The Searchers (Ford, 1956), The Unforgiven (Huston, 1960) et The Missing (Howard, 2002) ».

Sorti quatre ans après The Searchers de Ford, The Unforgiven de Huston (1960) traite également des thèmes de la famille, des amours interdites et de la miscegenation. Au-delà d’une communauté imputable à l’imaginaire d’Alan LeMay que les deux films adaptent, une circulation de motifs et d’arguments fonde un dialogue objectivable entre les deux films. Cet échange semble se poursuivre lorsque que Howard, dans The Missing (2002) aborde, lui aussi, ces éléments mais déplacés et reformulés. Cet article examine la façon dont une figure, comprise comme un réseau de motifs et d’associations, permet une forme de reprise implicite conditionnant des effets de lecture complexes. Cette circulation figurale se distingue des formes de la réflexivité, de l’intertextualité ou du jeu avec les conventions d’un matériau générique. A l’intérieur de l’imaginaire du genre, le secret et l’implicite font émerger un sens jouant de libres circulations, d’effets de mémoire et d’imagination. Il s’agit alors de s’interroger sur ce processus d’émergence dans le cadre d’une pensée de la généalogie des films qui sans méconnaître leurs relations objectivées de reprises et d’influences ne saurait s’y limiter.

- Hervé Aubron (EHESS et Magazine Littéraire), « Les répliques d’une explosion. Carambolages et remake de soi dans Death Proof, de Quentin Tarantino »:

Quentin Tarantino est souvent abordé à travers les prismes du maniérisme ou du jeu citationnel, ce qui réduit parfois ses films à de simples jeux formels. La notion de « remake secret » est peut-être un moyen de l’envisager par-delà sa seule virtuosité cinéphile. Son film Death Proof (Boulevard de la mort, 2007) est particulièrement riche en jalons référentiels, l’un des plus nets étant Vanishing Point (Point limite zéro, 1971), de Richard Sarafian. Cette illustre série B partageait bien des figures avec Zabriskie Point, d’Antonioni, sorti un an auparavant. Sarafian pourrait-il être un intercesseur entre Antonioni et Tarantino ? Un autre indice permet en effet de concevoir Death Proof comme un remake secret de Zabriskie Point : au mitan du film de Tarantino, une collision automobile, reprise sous plusieurs angles et au ralenti, évoque les derniers plans du film d’Antonioni, leur boucle autour d’une villa qui explose. Peut-on refaire, rejouer une explosion ? Cette dernière notion invite entre autres à circonscrire une catégorie proche mais distincte du remake, celle de la réplique, entendue à la fois comme copie, réponse, mais aussi (au sens des sismologues) reprise assourdie d’une catastrophe.

- Marie Martin (Université de Poitiers) et Laurent Véray (Université de la Sorbonne nouvelle - Paris 3), « La chambre verte (1977) de François Truffaut, remake secret de Paradis perdu (1938) d’Abel Gance. Du culte des morts à celui du cinéma »:

Cet article vise à démontrer, à travers une analyse croisée des deux films et de diverses archives, que, davantage qu’une adaptation littéraire affichée de différents thèmes de Henry James, La chambre verte (François Truffaut, 1977) est avant tout le remake secret de Paradis perdu (Abel Gance, 1939). L’aveuglement des critiques à l’époque de la sortie du film de Truffaut permet de réfléchir à la question du secret qui, dans le sillage de la fameuse figure dans le tapis jamesienne, se fonde sur une dénégation truffaldienne et sert de pierre de touche à une ferveur cinéphile conçue sur le modèle du culte des morts mis en scène par les deux films. Ces convergences permettent de théoriser la part de la projection, au double sens de dispositif cinématographique et de processus psychique, dans l’élaboration du remake secret.

- Lúcia Ramos Monteiro (Université de la Sorbonne nouvelle - Paris 3), « Remaking a European, post-catastrophic setting in 2000s China. Jia Zhang-ke’s Still Life and the iconology of ruins »:

Jia Zhang-ke’s Still Life (2006) was shot in Fengjie, a Chinese city with a 2000-year history, shortly before its flooding brought about by the construction of the Three Gorges Dam, the world’s largest hydropower station in terms of capacity. The film remakes, in a condensed, displaced and renewed way, sequences of European films made in post-apocalyptic settings. Still Life recalls real location filmed after the post-Second World War (Germany Year Zero, Roberto Rossellini, 1947) and deserted industrial landscape (Red Desert, Michelangelo Antonioni, 1964). From a web of cinephilic, intermediatic and intertextual references, which inscribe Still Life in a local and global history of art and of film, this text highlights these two situations of remake. They create a strange temporality, combining the imminence of a future catastrophe with the memory of past ones.

Tourné à Fengjie, ville chinoise ayant 2000 ans d’histoire, peu de temps avant qu’elle ne soit inondée par la construction du barrage des Trois Gorges, considérée comme la plus grande centrale hydroélectrique au monde, Still Life de Jia Zhang-ke (2006) refait des séquences de films européens réalisés dans des décors post-apocalyptiques, en condensant, déplaçant et actualisant leurs éléments constitutifs. Still Life rappelle les décors post-catastrophiques réels, filmés après la Seconde Guerre mondiale (Allemagne année zéro, Roberto Rossellini, 1947), ainsi que le paysage industriel déserté (Désert rouge, Michelangelo Antonioni, 1964). Du réseau de références cinéphiliques, intermédiatiques et intertextuelles que Jia Zhang-ke tisse dans ce film, inscrivant son œuvre dans une histoire locale et globale de l’art et le cinéma, cet article met en évidence ces deux situations particulières de remake. Elles instaurent une temporalité étrange, en combinant l’imminence d’une catastrophe future avec la mémoire des catastrophes du passé.

- Marc Cerisuelo (Université de Paris Est Marne la Vallée), « Remake secret et univers multiples. Notes sur un “drôle de genre” et sur quelques recherches contemporaines » :

Les récents ouvrages de Pierre Bayard (Il existe d’autres mondes, Minuit, 2013) et d’Alain Boillat (Cinéma, machine à mondes, Georg, 2014) ont l’un et l’autre contribué à une meilleure connaissance de la problématique de la pluralité des univers en littérature et au cinéma. L’article présente les thèses des auteurs en les reliant à la question des fictions du « voyage de l’amour perdu dans le temps ». Puis il développe l’articulation d’un passage d’Alain Boillat, consacré à Je t’aime, je t’aime (Alain Resnais, 1968) et Eternal Sunshine of the Spotless Mind (Michel Gondry, 2004), avec la question du remake et, plus largement, celle de l’histoire du cinéma comme champ de réécritures multiples, sous l’espèce de la négociation générique mais aussi de la généalogie secrète entre les répliques d’un même ébranlement séminal : ici, celui de Vertigo (Alfred Hitchcock, 1958).