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Ce que le témoignage fait à la littérature. et la littérature au témoignage

Ce que le témoignage fait à la littérature. et la littérature au témoignage

Publié le par Bérenger Boulay

Mardi 15 avril 2008

Saint-Denis

Université Paris 8 - Bâtiment D – salle D 002

à partir de 9h15

Ce que le témoignage fait à la littérature... et la littérature au témoignage

organisé par Frédérik Detue et Charlotte Lacoste

Équipe de recherche « Littérature et histoires »



Face à la violence de masse telle qu'elle s'est exercée au XXe siècle – traumatisme de la Grande Guerre, terreurs totalitaires, système concentrationnaire et génocides – , est apparue une « littérature de témoignage » qui, à tort ou à raison, tend à se présenter comme un nouveau genre littéraire. Mais l'acte de témoignage est tel que ces textes ont un statut particulier au sein de la littérature ; par là même ils la débordent et l'interrogent. Cet acte a une signification éthique particulière – le survivant pense souvent accomplir une mission, au nom des morts et auprès des vivants, en narrant son expérience –, et un impact critique : le témoin, conscient des pouvoirs et des limites de la littérature, aide à repenser la nécessité de celle-ci, en même temps que la responsabilité incombant aux écrivains. Mais ce corpus hétéroclite pose ainsi de nouvelles questions de poétique, en reposant la question de la validité des concepts de la poétique, à commencer par celui de « genre », et en attirant l'attention sur ce qui se joue autour des diverses opérations de poétisation et de fictionnalisation. Par une certaine exigence et tension d'écriture, les auteurs de témoignages littéraires ont défendu, illustré ou invoqué une certaine idée de la littérature, suscitant parfois de grandes batailles critiques, voire certains scandales ou malentendus. Nous envisageons, au cours de cette journée d'étude, de renverser la perspective habituellement adoptée : il s'agira moins de savoir si les textes de témoignage méritent ou non de faire partie du panthéon littéraire, que de prendre la mesure de ce que l'avènement de ce « genre » ou ce régime littéraire a modifié – ou non – dans l'idée de littérature. Quel effet les textes des écrivains survivants, ainsi que les discours critiques qu'ils suscitent – en France depuis une quinzaine d'années surtout –, ont-ils eu sur l'ensemble du paysage littéraire et théorique ? En tentant de se porter à hauteur de destructions qui altèrent la représentation de la figure humaine et les valeurs de la culture, le texte de témoignage invente-t-il, dans son régime propre, un nouveau mode d'être artistique, permettant à la littérature de continuer à vivre, voire de survivre ?

Matinée
Modératrice : Tiphaine Samoyault, Professeur, Université Paris 8

9 h 15 Ouverture de la journée par Danielle Tartakowsky, Directrice de l'Ecole Doctorale «Pratiques 
          et théories du sens», Université Paris 8

9 h 30 Laure Coret, Docteur, Université Paris 8 : Les (im)possibles du récit

L'idée est courante selon laquelle le traumatisme fait taire. Il ne saurait donc être question, par définition, d'une littérature, même de témoignage, représentant le traumatisme collectif de la violence extrême. Je propose d'envisager ce qu'il en est du pire, de chercher à percevoir comment il est ou non possible de parler, d'écrire, de créer, à partir de l'événement historique qui pousse jusqu'au bout la logique de déshumanisation : le génocide.

10 h 10 Charlotte Lacoste, Doctorante, Université Paris 8 : Le témoignage « ou la vérité de la littérature » ? Retour sur la naissance du genre et sur son siècle de déboires

En tant que dépositaire, devant l'Histoire, de son histoire et de celle des engloutis, le témoin relate, en un récit sobre et précis, sans pathos ni suspens, sans apprêts, sans excès, sans faire de « littérature » en somme, les souffrances qu'il a endurées afin que les générations à venir, mieux instruites, en soient épargnées. Passés inaperçus lors de la Première Guerre mondiale, que l'on connaît surtout par les romans et par les lettres de Poilus, les récits testimoniaux ne réapparaissent après 1945 que pour se voir à nouveau concurrencés par des genres connexes, et dédaignés par le lectorat. En prenant la défense de ce genre critique, éthique, et partant controversé, Cayrol, Vidal-Naquet, Perec et quelques autres, reprennent et prolongent, à propos de la littérature concentrationnaire, les arguments que Jean Norton Cru opposait déjà aux romanciers à succès de l'entre-deux-guerres qui avaient fait des tranchées leur fond de commerce. Nous examinerons en quoi leur défense et illustration du témoignage a pu contribuer à renouveler la conception du « littéraire ».

10 h 55 Pause

11 h 10 Marie-Laure Basuyaux, Docteur, Université Paris IV : Les fictions lazaréennes : pour une présence oblique du témoignage

Le « romanesque lazaréen » élaboré par Jean Cayrol à partir de la fin des années 1940 peut être interprété comme une tentative pour modifier les frontières qui séparent le témoignage de  la littérature. Cayrol  élabore en effet une poétique pour la littérature d'après les camps, poétique de l'oblique qui repose sur l'idée d'un dialogue étroit entre les fictions et le corpus des témoignages. Ce corpus est à la fois la source à laquelle les récits lazaréens puisent leurs formes et le fond de pensée sur lequel ils aspirent à être lus.

11 h 50 Simon Benistant, Etudiant en Master 2, Université Paris 8 : Gorazde de Joe Sacco, un objet critique du témoignage

Le discours testimonial face aux événements incommensurables qu'il relate souffre d'un régime d'incomplétude. Or le langage de la bande dessinée semble pouvoir prendre en charge ses apories non pas tant pour les résoudre que pour en problématiser poétiquement les données. Cette cohérence du témoignage et de la BD découle de la nature du dispositif employé qui consigne en une unité narrative une parole  disséminée en cases. Le récit de Joe Sacco  s'énonce comme une archive recueillant la parole des survivants. Il devient ainsi le témoignage de témoignages.

12 h 30 Pause

13 h 45 Table ronde animée par Annie Epelboin, Maître de conférences, Université Paris 8

Actualité du témoignage

Auteurs invités :
Catherine Coquio, Professeur, Université de Poitiers et Aurélia Kalisky, Doctorante, Université Paris 3 : L'enfant et le génocide. Témoignages sur l'enfance pendant la Shoah, Robert Laffont, 2007.
Anny Dayan-Rosenman, Maître de conférences, Université Paris 7-Denis Diderot : Les Alphabets de la Shoah. Survivre, témoigner, écrire, CNRS, 2007.
Philippe Mesnard, Maître de conférences, Haute Ecole de Bruxelles : Témoignage en résistance, Stock, 2007.
Claude Mouchard, Poète et Professeur émérite, Université Paris 8 : auteur de Qui si je criais... ? Oeuvres-témoignages dans les tourmentes du XXe siècle, Laurence Teper, 2007.

15 h 45 Pause

Après-midi
Modératrice : Charlotte Lacoste, Doctorante, Université Paris 8

16 h 00 François Rastier, Linguiste, CNRS : Valeur critique du témoignage

Alors que le vingtiémisme reste traditionnellement hostile à la notion même de genre littéraire, à quelles conditions pourrait-on faire une place au genre littéraire du témoignage ? D'une part il n'appartient pas à la catégorie sociologique du littéraire, d'autre part il reste bien loin des réflexions essentialistes sur la littérarité. Il reste en outre insaisissable pour une poétique tributaire des catégories de la philosophie du langage, comme la référence, la fiction, etc. Enfin, dans la guerre des genres, il se voit inévitablement concurrencé et brouillé par les faux témoignages, les romans historiques à succès, etc. Par quelques analyses contrastives, entre Levi et Littell notamment, nous préciserons  les liens entre manipulation de l'histoire et style pompier (Hilberg), entre négationnisme et spectacularisation (Vidal-Naquet) : rien de plus intempestif aujourd'hui que d'établir des relations entre projets esthétiques et programmes éthiques (ou anti-éthiques).

16 h 40 Frédérik Detue, Doctorant, Université Paris 8 : Le témoignage et l'idée de littérature au XXe siècle

Inventée par le premier romantisme, l'idée de littérature a une histoire, sur laquelle il s'agira de s'interroger. Notre hypothèse est que l'histoire désastreuse du XXe siècle a provoqué une mutation de cette idée de littérature. Tandis qu'elle donnait naissance à un nouvel art d'écrire, appelé témoignage, cette histoire a aussi rendu la littérature problématique ; parallèlement, deux phénomènes critiques sont apparus, qui non seulement s'éclairent l'un l'autre mais se sont corrélés. Nous tâcherons ainsi de considérer comment, l'un par l'autre, ces deux phénomènes ont porté atteinte et redéfini l'idée de littérature, et poserons la question, à leur propos, d'une nouvelle tradition littéraire.