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Caliban, n° 63:

Caliban, n° 63: "Dynamiques de l'effondrement dans le fantastique, la fantasy et la SF"

Publié le par Vincent Ferré (Source : Cyril Camus)

Caliban, n° 63

"Dynamiques de l'effondrement dans le fantastique, la fantasy et la SF"

L’imaginaire apocalyptique irrigue depuis longtemps le fantastique, l’horreur, la SF et la fantasy. De nombreux classiques au sein de ces genres ont pour thème central l’anéantissement du monde ou de la civilisation. Qu’on pense au roman I Am Legend (1954) de R. Matheson et à sa pandémie qui change tout le monde en morts-vivants. Ce récit a donné naissance à de multiples adaptations filmiques,[1] puis au sous-genre du « film d’apocalypse zombie » via G. Romero et son Night of the Living Dead (1968). À côté de cette filiation, une autre œuvre post-apocalyptique a inspiré maintes imitations traitant l’anticipation dystopique sous un angle plus proche du film d’action ou du western motorisé : Mad Max 2: The Road Warrior (1981) de G. Miller. La ruine de la civilisation y est due à l’épuisement des ressources pétrolières. On se trouve donc dans un schéma proche des évolutions qu’a connues le monde depuis, le pic de production mondial de pétrole ayant été atteint en 2006 selon l’Agence internationale de l’énergie.[2]

Dans un registre également proche de notre environnement actuel, certaines œuvres récentes ont été présentées et/ou interprétées par l’écocritique comme des métaphores du changement climatique et des désastres qu’il provoque : Annihilation de J. VanderMeer (2014) et son adaptation filmique (2018) par Alex Garland, où une altération de l’air autour d’un espace en expansion cause des mutations de la faune et de la flore ; ou The Tangled Lands (2018), roman de fantasy de P. Bacigalupi et T.S. Buckell où l’utilisation excessive de la magie dérègle l’environnement.[3]

Dans le même temps, de plus en plus de voix s’élèvent, dans la communauté scientifique, non plus pour prévenir une lointaine apocalypse, mais pour constater un effondrement déjà en cours. Parmi ces auteurs, l’astrophysicien J. Blamont et son livre Introduction au siècle des menaces (2004), l’historien-géographe américain J. Diamond et son désormais classique Collapse (2005), où il analyse les effondrements de sociétés du passé pour en tirer des leçons face aux alertes d’aujourd’hui[4], ou encore, bien sûr, le GIEC et ses rapports réguliers sur le changement climatique. The Limits to Growth (1972) ou « rapport Meadows », texte précurseur commandé par le Club de Rome, posait déjà toutes ces problématiques, mais ses prévisions n’ont pas été prises au sérieux à l’époque.

La synthèse la plus complète de tous ces travaux est sans doute Comment tout peut s’effondrer (2015), livre de l’ingénieur agronome et éthologue P. Servigne, et du chercheur indépendant et éco-conseiller R. Stevens, où les auteurs explorent les signes avant-coureurs et les implications d’un « effondrement global »[5], « économique et probablement politique et social, voire […] la fin de la civilisation thermo-industrielle », qui « pourrait être doublé d’un effondrement de l’espèce humaine, voire de presque toutes les espèces vivantes »[6]. La notion d’« effondrement » combine chez ces auteurs deux sens qui se complètent : l’un, plus technique, emprunté à J. Diamond : « réduction drastique de la population humaine et/ou de la complexité politique/économique/sociale, sur une zone étendue et une durée importante »[7] ; l’autre, plus pragmatique, emprunté à Y. Cochet : « le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi »[8].  Quant à la « collapsologie » que les deux auteurs entendaient fonder et qui a fait florès depuis, il s’agit de l’« exercice transdisciplinaire d’étude de l’effondrement de notre civilisation industrielle, et de ce qui pourrait lui succéder, en s’appuyant sur les deux modes cognitifs que sont la raison et l’intuition, et sur des travaux scientifiques reconnus »[9], et à partir de là l’exploration à la fois technique et anthropologique d’un monde où « le réchauffement provoque déjà des vagues de chaleur plus longues et plus intenses et des événements extrêmes » et où l’« [o]n constate déjà des pénuries d’eau dans les parties densément peuplées, des pertes économiques, des troubles sociaux et de l’instabilité politique, la propagation de maladies contagieuses, l’expansion de ravageurs et de nuisibles, l’extinction de nombreuses espèces vivantes […], la fonte des glaces polaires et des glaciers, ainsi que des diminutions de rendements agricoles »[10].

Le numéro 63 de Caliban, intitulé Dynamiques de l’effondrement dans le fantastique, la fantasy et la SF, se propose d’amorcer une réflexion sur les perspectives plus ou moins « collapsologiques » que notre nouveau contexte peut apporter à la création ou à la lecture d’œuvres apocalyptiques et post-apocalyptiques. Celles-ci pourront appartenir au genre fantastique, au sens classique de surgissement du surnaturel dans un cadre réaliste ou au sens todorovien de doute entretenu sur la réalité du surnaturel. Elles pourront aussi relever du merveilleux ou de la fantasy, au sens classique d’univers où le surnaturel est la norme, ou au sens todorovien de surnaturel dont l’existence n’est pas mise en doute. Enfin, il pourra bien entendu s’agir de science-fiction, terme que l’on entendra ici au sens large où les causes de l’effondrement, réalistes ou non, sont abordées avec la rigueur cognitive chère à Darko Suvin.[11] Le roman de Stephen King The Stand (1978) relève ainsi à la fois du fantastique au sens classique et de la SF, puisque l’apocalypse y est à la fois causée par une pandémie (SF) et par l’action occulte de forces surnaturelles maléfiques (fantastique). Tout le spectre de ce qu’on peut appeler plus ou moins strictement science-fiction est donc pertinent – du space opera post-apocalyptique comme la série télévisée Battlestar Galactica (2004-2009) aux diverses uchronies, dystopies et œuvres d’anticipation qui ne se concentrent pas nécessairement sur des évolutions et effondrements technologiques, mais plus sur des évolutions et effondrements sociopolitiques.

Les œuvres étudiées pourront bien sûr être littéraires ou filmiques, mais les articles portant sur des bandes dessinées, des jeux de société, des jeux de rôle ou des jeux vidéo sont aussi les bienvenus. 

Les principales façons d’approcher cette problématique sont l’étude d’œuvres récentes qui ont pu être influencées par le contexte d’effondrement en cours, ou la relecture d’œuvres plus anciennes à la lumière de notre nouveau contexte et/ou de réflexions développées par des chercheurs plus ou moins « collapsologues ». Les œuvres peuvent aussi servir de point de départ à un questionnement de la notion d’effondrement, ou à une réflexion sur la façon dont elles illustrent différents types d’effondrement (climatique, énergétique, infrastructurel, financier, politique, effondrement de la biodiversité…) et leurs interactions, puisque chacun d’entre eux peut causer les autres, tout comme les solutions à chacun d’entre eux peuvent entraîner un effondrement d’un autre type[12]. Voici une liste non exhaustive d’œuvres pertinentes, avec une ébauche purement indicative de pistes thématiques :

- penser l’après : The Walking Dead (bandes dessinées et adaptations), Kamandi de Jack Kirby, The Road de Cormac McCarthy, Riddley Walker de Russel Hoban,The Windup Girl de Paolo Bacigalupi, Engine Summer de John Crowley, Threads de Mick Jackson, Return to Oz de Walter Murch, The Planet of the Apes de Franklin J. Schaffner et ses suites. Toutes les dystopies post-apocalyptiques ou liées à un effondrement en cours : 1984 de George Orwell, The Hunger Games de Suzanne Collins, The Handmaid's Tale de Margaret Atwood, Children of Men d’Alfonso Cuaron, Soylent Green de Richard Fleischer ; les jeux de plateau Outlive ou Pandemic Legacy Season 2, les jeux vidéo Forsaken, Fallout et Wasteland, ou le jeu de rôle Polaris.

- les modalités de l’effondrement :

brutal (Nightfall d’Isaac Asimov, World War Z de Max Brooks, The War of the Worlds d’H.G. Wells, The Word for World is Forest d’Ursula K. Le Guin, Ubik de Philip K. Dick, The Stand de Stephen King, Ilium et Olympos de Dan Simmons, Embassytown de China Miéville ; les films Deep Impact, Blindness, Contagion, Perfect Sense, The NeverEnding Story; le jeu de plateau Pandemic ; le jeu de rôle Vampire: The Masquerade de Mark Rein-Hagen)

ou lent (Foundation d’Asimov, The Lord of the Rings ou The Silmarillion de J.R.R. Tolkien, Little, Big de Crowley, The Farthest Shore de Le Guin, Idiocracy de Mike Judge ; le jeu de rôle The One Ring de Francesco Nepitello – notamment la campagne The Darkening of Mirkwood)

inéluctable (« Paradises Lost » de Le Guin et The Call of Earth d'Orson Scott Card, « The Last Question » d'Asimov, The Magician’s Nephew et The Last Battle de C.S. Lewis, la série TV Dollhouse de Joss Whedon ; les jeux de plateau Small World, Vinci, War of the Ring et le jeu de rôle The One Ring)

ou évitable (Deep Impact, Armageddon, The Lord of the Rings, His Dark Materials de Pullman, The Farthest Shore, les jeux de plateau Pandemic et Arkham Horror ou le jeu de rôle The Call of Cthulhu). 

responsabilité individuelle (Lathe of Heaven de Le Guin, Cabin in the Woods de Drew Goddard, 12 Monkeys de Terry Gilliam, Rise of the Planet of the Apes de Rupert Wyatt, The Day the Earth Caught Fire de Val Guest ; le jeu vidéo Plague, Inc.: Evolved ; la trilogie d’épisodes « Weirdocalypse » qui conclut la série animée Gravity Falls),

collective (les séries Dollhouse et Black Mirror, le jeu de société Anacrony, le roman City de Clifford Simak, les films The Day After Tomorrow et Idiocracy et les dystopies politiques en général),

extérieure à la communauté représentée (la série de romans et de films Left Behind ou le jeu vidéo Judgment: Apocalypse Survival Simulation, le film This is the End, de Seth Rogen et Evan Goldberg)

ou un mélange de ces différents types de responsabilités (His Dark Materials de Phillip Pullman ou This Book is Full of Spiders: Seriously, Dude, Don’t Touch It de David Wong)

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Les articles seront évalués en double aveugle. Ils pourront être rédigés en anglais ou en français, et ils ne devront pas dépasser 30 000 signes (notes, espaces et bibliographie compris). Ils devront être envoyés avant le 15 novembre 2019 simultanément aux deux adresses suivantes :

cyril.camus@hotmail.fr / florent.hebert.eng@gmail.com

 

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[1]En 1964 avec Vincent Price, en 1971 avec Charlton Heston, en 2007 avec Will Smith.

[2]Cf. Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer : petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Paris : Editions du Seuil, 2015, p. 43. « Un pic désigne le moment où le débit d’extraction d’une ressource atteint un plafond avant de décliner inexorablement » (p. 42).

[3]Cf. Maddie Stone, « The Monsters of Climate Change », Earther, 2018, https://earther.gizmodo.com/the-monsters-of-climate-change-1829826348

[4]Jared Diamond, Collapse: How Societies Choose to Fail or Succeed, 2005, Londres : Penguin Books, 2011, p. 6-10.

[5]Servigne et Stevens, op. cit., p. 25-26.

[6]Ibid., p. 129.

[7]Ibid., p. 178. Texte original : « a drastic decrease in human population size and/or political/economic/social complexity, over a considerable area, for an extended time ». Diamond, op.cit., p. 3.

[8]Servigne et Stevens, op. cit., p. 15 ; Texte original : Yves Cochet, « L’effondrement, catabolique ou catastrophique ? », séminaire du 27 mai 2011, Institut Momentum, https://www.institutmomentum.org/l’effondrement-catabolique-ou-catastrophique/

[9]Servigne et Stevens, op. cit., p. 253.

[10]Servigne et Stevens, op. cit., p. 67-68.

[11]Darko Suvin, Metamorphoses of Science Fiction : On the Poetics and History of a Literary Genre, 1976 p. 7-8.

  

[12]Servigne et Stevens, op.cit., p. 124-125.