Essai
Nouvelle parution
C. Miller, Le Triangle atlantique français Littérature et culture de la traite négrière

C. Miller, Le Triangle atlantique français Littérature et culture de la traite négrière

Publié le par Marc Escola

Christopher Miller

Le Triangle atlantique français
Littérature et culture de la traite négrière


Cet ouvrage a été traduit de l’anglais (US) par Thomas Van Ruymbeke.

Éditions Les Perséides

ISBN : 9782915596588

29,90 Euros

Entre la fin du XVIIe et le XIXe siècle, la France a déporté à elle seule plus d’un million d’Africains de l’autre côté de l’Atlantique, dans les îles à sucre de la Caraïbe, notamment à Saint-Domingue, considérée avant la révolution haïtienne comme la plus riche colonie sur terre. Elle l’a fait longtemps de manière légale et codifiée, puis clandestinement durant la période de la traite « interlope », dans la première moitié du XIXe siècle. Mise en lumière par les historiens, l’économie atlantique triangulaire qui reliait la France à l’Afrique et à la Caraïbe, alimentée par la traite négrière, est désormais bien connue du public. En revanche, l’impact culturel de la traite sur la vie intellectuelle française, et la culture même de la traite, le sont beaucoup moins.

C’est tout l’enjeu de cet ouvrage, véritable somme dans laquelle Christopher Miller, dans une vaste enquête qui mène le lecteur tout autour de l’Atlantique, passe au crible de l’analyse non seulement le « système » triangulaire, mais aussi les grands textes littéraires sur la traite, de Voltaire à Césaire, Condé et Glissant, en passant par le théâtre d’Olympe de Gouges et la littérature maritime de Corbière ou Mérimée. Il nous dévoile les ambiguïtés de l’abolitionnisme et s’intéresse aux multiples ramifications culturelles de la traite – historiques, littéraires et cinématographiques – depuis le siècle des Lumières à nos jours, en métropole et dans les anciennes colonies françaises, y compris en Afrique.


Christopher L. Miller est professeur de littérature française à l’université de Yale, où il enseigne aussi la culture afro-américaine.

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On peut lire sur le site laviedesidees.fr un article sur cet ouvrage.

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Dans Le Monde des livres du 9/12/11, on pouvait lire cet article de G. L. Tin:

"Cette année-là, le programme d'histoire pour le concours d'entrée à l'Ecole normale supérieure portait sur la Révolution française. Un ami à moi, professeur de khâgne, donna à ses étudiants le sujet de dissertation suivant : "La question des libertés". Ceux-ci évoquèrent doctement la liberté de la presse, la liberté de culte, la liberté d'association. Mais pas un seul pour évoquer la liberté tout court. En 1794, l'esclavage fut aboli ; en 1802, il fut rétabli par Napoléon, leur indiqua mon ami, scandalisé. Comment avez-vous pu occulter ces événements majeurs de l'histoire de France ? Ses élèves répondirent, en toute bonne foi, que les livres qu'ils avaient lus n'en parlaient pas non plus...

Malheureusement, cela n'était pas faux. Dans Les Lieux de mémoire, de Pierre Nora, on ne trouvera rien sur l'esclavage, rien sur la traite négrière. C'est qu'il y a quelques lieux d'oubli dans ces lieux de mémoire, comme le souligne à juste titre Christopher Miller. Dans Le Triangle atlantique français, ce professeur de littérature française à Yale analyse la traite négrière dans la littérature et la culture françaises, s'inscrivant dans la lignée de Paul Gilroy, l'auteur de L'Atlantique noir.

"Entre la fin du XVIIe et le XIXe siècle, la France a déporté à elle seule plus d'un million d'Africains de l'autre côté de l'Atlantique, dans les îles à sucre de la Caraïbe." La première phrase du livre donne le ton. Nous sommes ici bien loin de tous ces ouvrages qui, dans le domaine des études multiculturelles, célèbrent le métissage, le mouvement et la rencontre des cultures. "Dans le contexte de la traite négrière, la rencontre était synonyme de guerre et de capture ; le mouvement, celui d'une marche forcée les fers aux pieds et d'un voyage sans retour ; le métissage était le fruit du viol." Bien que la traite négrière française commence en 1633, 80 % des voyages négriers eurent lieu au XVIIIe siècle, celui que l'on appelle encore "le siècle des Lumières".

Corps sans sépulture

Miller analyse la logique du commerce triangulaire, que les vents eux-mêmes semblaient favoriser. Il s'agissait de déporter des Africains, pour cultiver les Amériques et enrichir l'Europe. Selon Du Bois, l'un des intellectuels à l'origine du mouvement pour les droits civiques aux Etats-Unis, il fallait tuer cinq individus pour en capturer un vivant. Par ailleurs, le taux de mortalité pendant la traversée se situait entre 10 % et 20 %. En d'autres termes, si l'on considère tous les navires français, anglais, espagnols, portugais, etc., qui ont contribué à la traite, ce sont 1,5 million d'hommes et de femmes environ qui ont trouvé la mort pendant la traversée. Leurs corps sans sépulture furent jetés dans les gouffres amers. Les vaisseaux qui filaient sur les eaux portaient des noms emblématiques : Notre-Dame-de-la-Pitié, Marie-Joseph, ou encore Le Voltaire et Le Contrat social !

Voltaire, Rousseau, et leurs ambiguïtés, Olympe de Gouges, qui prit la défense des femmes et des esclaves, Edouard Corbière, et ses matelots homoérotiques, Aimé Césaire, qui semble parcourir le triangle atlantique à l'envers, dans le Cahier d'un retour au pays natal (Présence africaine), telles sont quelques-unes des figures qui apparaissent au cours de ce voyage littéraire, douloureux et grandiose à la fois."

LE TRIANGLE ATLANTIQUE FRANÇAIS de Christopher Miller. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Thomas Van Ruymbeke. Les Perséides, "Le monde atlantique", 544 p., 29,90 €.

Louis-Georges Tin
Article paru dans l'édition du 09.12.11