Essai
Nouvelle parution
B. Fabre, L'Art de la biographie dans Vies imaginaires de Marcel Schwob

B. Fabre, L'Art de la biographie dans Vies imaginaires de Marcel Schwob

Publié le par Sarah Lacoste (Source : Editions Honoré Champion)

Bruno Fabre, L'Art de la biographie dans Vies imaginaires de Marcel Schwob

Paris : Honoré Champion, coll. "Romantisme et modernités, N°129, 2010

384 p.

80 EUR.

EAN : 9782745320582

Présentation de l'éditeur :  

Vies imaginaires a longtemps souffert de l’image de conteur érudit accolée au nom de Marcel Schwob. La confrontation de ce livre avec ses modèles et les oeuvres des devanciers de l’écrivain montre son importance dans l’histoire de la biographie. Vies imaginaires s’inscrit dans une filiation d’oeuvres anglaises qui ont conduit l’auteur à renoncer à l’exemplarité et à l’exigence de vérité propres au paradigme classique du genre. L’inventaire du matériau intertextuel, le plus souvent en langue anglaise, et l’étude de sa récriture révèlent une appropriation multiple par l’écrivain. Il en résulte un livre radicalement novateur, dont la genèse, les principes d’écriture, la composition et l’imaginaire manifestent une création originale et personnelle qui ouvre la voie aux fictions biographiques du XXe siècle.

Docteur en Littérature Comparée, Bruno Fabre enseigne en lycée et à l’université de Saint-Quentin-en-Yvelines. Fondateur et codirecteur des Cahiers Marcel Schwob, il est l’auteur de plusieurs articles et communications sur cet écrivain et son temps

 

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Ariane Eissen propose, aux lecteurs de fabula, une note de lecture, "A l'origine de la "biofiction"?", à propos de cet ouvrage :

Version remaniée et abrégée d’une thèse soutenue en 2007 à la Sorbonne, l’ouvrage trouve sa place dans une double bibliographie, désormais abondante : celle des ouvrages récents consacrés à Marcel Schwob, parus aux alentours du centenaire de sa mort, en 2005 ; et celle des réflexions critiques de la dernière décennie relatives aux biographies fictionnelles. La première partie situe le recueil dans la durée longue de la biographie, où Vies imaginaires introduit explicitement une rupture, bien étudiée, et tente de cerner les contours de la « biofiction », tout en creusant l’écart entre Marcel Schwob et ses prédécesseurs dans cette pratique d’un récit biographique désormais affranchi de la « quête de la vérité ». Ces prédécesseurs sont à chercher en France (le Flaubert de « La Légende de saint Julien l’Hospitalier », ou l’Huysmans du Drageoir aux épices, ainsi qu’Anatole France et Pierre Louÿs), mais surtout en Angleterre, où les modèles avoués, Aubrey et Boswell, se doublent de modèles plus effectifs encore avec de Quincey et Defoe, tandis que Stevenson et Wilde permettent à Schwob d’affirmer ses goûts esthétiques, puisqu’il est séduit par le réalisme « irréel » du premier et la théorie de la littérature comme mensonge du second. C’est d’ailleurs là un des apports majeurs du livre de Bruno Fabre : on y mesure la variété des sources d’inspiration de Marcel Schwob, et l’originalité indiscutable de ses récritures, qui combinent complexité intertextuelle, densité et profondeur sémantique.

La deuxième partie, « Schwob biographe », met au jour la tentation biographique qui s’exprime, depuis les premiers écrits de Schwob, dans toutes sortes de textes critiques ou fictionnels (conte merveilleux, récit fantastique, dialogue des morts…) que Bruno Fabre présente ici comme des « avant-textes » de Vies imaginaires. On peut déjà y repérer le goût des marginaux complémentaires (l’artiste et le malfrat), des existences obscures voire « minuscules », du détail insolite et saillant. Il consacre tout un chapitre au personnage mystérieux de François Villon, écrivain mauvais garçon qui hanta Schwob de ses premiers à ses derniers écrits sans que celui-ci parvienne à réaliser une biographie accomplie du poète médiéval. La  mise en perspective de Vies imaginaires dans l’oeuvre de l’écrivain se termine par l’étude précise de la genèse du recueil, des prépublications dans Le Journal à l’ordonnancement final.

Conformément au projet initial, la troisième partie vise à établir le palimpseste des vies. Renonçant pour l’édition au démontage systématique de chacune d’elles pour dégager ses multiples constituants intertextuels, puis le travail d’appropriation de l’écrivain à travers différents types de montage, Bruno Fabre a choisi de ne développer qu’une vie représentative de chacune de ces pratiques intertextuelles. Son classement correspond aux types de sources, selon que l’hypotexte principal – car la démarche de l’écrivain Schwob est toujours complexe -, est une biographie du protagoniste, son oeuvre, l'oeuvre ou la vie d'un autre personnage, un document historique ou un amalgame d'hypotextes. Par ailleurs, il a choisi de présenter ici celles des vies qui avaient été moins étudiées jusqu’alors. Aussi découvre-t-on avec intérêt les secrets de fabrication de « William Phips », « Cecco Angiolieri », « Pocahontas » et « Nicolas Loyseleur », mis en évidence par des tableaux comparatifs. La récriture opérée par Schwob est toujours surprenante, amalgame d’hypotextes hétérogènes, souvent secondaires, parfois de langue anglaise. Le titre « Récriture et création » insiste sur l’activité poétique d’un écrivain longtemps considéré à tort comme un érudit imitateur. En effet, l’élaboration du texte est présentée ici comme une pratique diverse, presque individuelle, correspondant aux « existences uniques » qui en sont l’objet, cependant qu’émergent certaines constantes, signes d’une poétique personnelle analysée dans la dernière partie.

Car c’est bien à l’« Invention d’une forme» que s’attache Br. Fabre, aux spécificités formelles de ces « vies imaginaires » « bâti(es) dans les différences », comme le recommandait Monelle. C’est-à-dire tout d’abord que le recueil s’élabore en marge des personnages célèbres, de l’Histoire et du discours docte, volontiers parodié. Ensuite, que sa singularité est accentuée à la fois par un travail sur la brièveté, l’incomplétude, l’ellipse (qui donne lieu à un développement particulièrement intéressant), la concentration et la discontinuité, et par un tissage complexe d’échos et d’inversions qui tend fortement chaque texte, et d’un texte à l’autre, l’ensemble du recueil. Cette synthèse des analyses de Christian Berg, Yves Vadé et d’autres, appliquée avec précision à l’ouvrage étudié, révèle un des principes duels les plus profonds de la poétique schwobienne : la tension entre la tentation centrifuge de l’émiettement disparate et le repli centripète sur la rigueur géométrique et la clôture. L’étude se termine sur un panorama de l’imaginaire en oeuvre dans Vies imaginaires : des thèmes tout ensemble littéraires et intimes comme l’errance, la question onomastique, la filiation, le corps introuvable, déjà présents dans les textes antérieurs, mais aussi une sorte d’autoportrait oblique et éclaté esquissé en filigrane, en vingt-deux masques.

On regrette seulement un certain flou dans l’emploi de la notion de « biographème » (a-t-on affaire à un détail d’ordre narratif ? descriptif ? ce détail est-il révélateur ? énigmatique ? insignifiant ?) et que le raisonnement n’adopte pas clairement une théorie de la fiction, alors qu’un ouvrage comme celui de Dorrit Cohn aurait permis d’éviter certains glissements de sens (entre « référentialité » et « vérité », notamment), voire de penser à nouveaux frais les rapports entre biographie et conte dans les Vies imaginaires.

Extrêmement bien documenté (ce qui n’étonne pas quand l’on sait que Bruno Fabre est l’artisan d’une « bibliographie critique sur Marcel Schwob », qu’il continue régulièrement de mettre à jour sur le net), variant les angles d’approche (de la dissection à la mise en perspective ), L’Art de la biographie dans Vies imaginaires de Marcel Schwob constitue à la fois une somme sur le recueil de Marcel Schwob et une étape importante dans l’histoire de sa réception, histoire que Bruno Fabre entend désormais étudier également à l’étranger, dans le domaine latino-américain en particulier.