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Sports et Masculinités : des sportsmen aux corps olympiques (1820-1924). Représentations littéraires et artistiques

Sports et Masculinités : des sportsmen aux corps olympiques (1820-1924). Représentations littéraires et artistiques

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Sylvain Ledda)

Sports et Masculinités : des sportsmen aux corps olympiques (1820-1924)

Représentations littéraires et artistiques 

Colloque international

Rouen, 13-14 novembre 2024

Comité d’organisation :

Thomas Bauer (Limoges), Christophe Bonnet (Bordeaux), Sylvain Ledda (Rouen-Normandie), Anne-Claire Marpeau (Strasbourg)

Comité scientifique :

Éric Bordas, Alain Cresciusci, Jacques Defrance, Florence Fix, Julie Gaucher, Hélène Laplace-Claverie,

Benoît Marpeau, Magali Sizorn, Marie Sorel, Philippe Tétart, Alexis Tadié.

Le mot sport se rencontre de plus en plus souvent dans la langue sous la Restauration[1]. On en trouve par exemple la trace sous sa forme plurielle dans Le Journal des Haras en 1828 : « activités physiques à buts non utilitaires obéissant à certaines règles et comprenant souvent une part de compétition ». Cette importation linguistique venue d’outre-Manche correspond à une évolution des pratiques, elle-même liée à des modifications d’ordre social et anthropologique, ainsi qu’à de nouveaux modes de représentation du corps masculin.

Si au XIXe siècle, le terme « sport » n’a pas la même acception qu’aujourd’hui, il a tout de même partie liée avec la mise en scène du corps masculin, comme le confirment les nombreuses représentations littéraires et artistiques au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle. En France, sous la monarchie de Juillet, les sportsmen sont avant tout des cavaliers et des dandys, dont beaucoup fréquentent le célèbre Jockey-club. En atteste, par exemple, le Guide du sportsman d’Eugène Gayot (1845), dont le sous-titre réduit la pratique sportive à une activité : « Traité de l’entraînement et des courses de chevaux ». Pour autant, les vertus initiales prêtées aux pratiques sportives (encadrement, endurcissement et entraînement de la jeunesse anglaise victorienne) ainsi que leur diffusion géographique et sociale suscitent de nouveaux modes de représentation du corps masculin. Celles-ci illustrent les qualités physiques qui sont liées à tel sport, ainsi que les codes de représentation qui varient selon les pratiques : anatomies élégantes des cavaliers à veste cintrée, corps plus virils des boxeurs de savate[2]. L’on songe aussi, dans cet orbe, aux pratiques sportives des gymnases civils à Paris. La gymnastique, bien qu’un peu en marge du « sport » anglais, représente en effet une culture physique prisée d’une partie de la haute société parisienne (sous l’impulsion d’Hippolyte Triat, par exemple).  En 1854, dans Le Sport à Paris, l’un des meilleurs spécialistes de la question, Eugène Chapus, associe le sport à des « divertissements aristocratiques », qui mettent à l’épreuve des aptitudes diverses, le courage, l’adresse, l’agilité, la souplesse […] ».  L’apparition au fil du siècle de nouveaux sports (football-rugby dans les années 1830 en Angleterre), tennis dans les années 1850, produisent également de nouveaux archétypes masculins, dont les discours visuels et textuels rendent compte. 

À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la professionnalisation du sport modifie également les modes de perception des masculinités sportives. En Angleterre, le football professionnel est instauré en 1885, tandis qu’aux États-Unis, le championnat de football américain intègre des joueurs professionnels dès 1890. Dans ce contexte international, la France se méfie de la démocratisation des sports, et l’on assiste à la construction de schèmes qui associent certains sports au peuple ; la masculinité sportive devient le lieu d’un potentiel danger. La restauration des Jeux olympiques en 1896 par Pierre de Coubertin infléchit les représentations, dans la mesure où l’objectif de ces concours sportifs est de « propager l’amateurisme » et « contribuer à la paix des peuples ». Dans cet orbe, le corps du sportif devient la combinaison « d’une forte culture musculaire appuyée, d’une part, sur l’esprit chevaleresque, ce que vous appelez ici [en Grande Bretagne] le fair-play, et, de l’autre, sur la notion esthétique, sur le culte de ce qui est beau et gracieux[3] ». Le sport tend dès lors à devenir un idéal de paix autant qu’un espace au sein duquel les rapports sociaux révèlent une euphémisation de la violence[4]. Aux corps masculins s’attachent de nouvelles valeurs éthiques, dont témoigne en particulier la photographie. 

Le sport devient ainsi partie prenante d’une éducation aux rôles de genre : dans cet apprentissage du « devenir homme et femme » à partir du début du XIXe siècle (Deborah Guterman-Jacquet), le sport et ses effets de discipline et d’esthétisation des corps occupent une place essentielle. Si les femmes sont parfois exclues des activités sportives et gagneront bien plus lentement que les hommes le droit de pratiquer ces activités sportives et de participer à des compétitions[5], les hommes sont de plus en plus enclins à s’adonner à un sport à des fins de loisir ou de formation, notamment dans le cadre de la carrière militaire. La pratique sportive produit alors sur les hommes des effets paradoxaux d’émancipation et d’aliénation : libération des mouvements, sculpture et santé physique vont de pair avec l’apparition de nouveaux idéaux physiques masculins, dont les liens avec le néoclassicisme sont sensibles. Ces idéaux sont aussi des instruments du biopouvoir, dont Michel Foucault repère les manifestations dans les institutions et pratiques de l’Europe du XIXe siècle. La discipline des corps masculins sportifs agit comme un marqueur de genre et de classe, et un élément de construction des normes de la virilité (hommes forts dans les cirques, haltérophiles, boxeurs). On pourra donc se demander quel « types » de masculinités (Raewin Connell) construit le XIXe siècle européen par le biais du sport. On s’interrogera aussi sur les « masculinités bricolées » (Beynon (2002), sur les « masculinités flexibles » (Gee, 2014). On pourra aussi se demander comment la spectacularisation des corps sportifs masculins, favorisée par le développement des compétitions sportives et les productions artistiques et médiatiques, produit des effets d’admiration, de désir, d’attirance ou au contraire de rejet pour ce qui serait identifié comme l’incarnation d’une masculinité plus ou moins légitime.

La littérature enregistre ces évolutions. En 1907, Guillaume Apollinaire consacre un long article au sport dans la revue Culture physique. Il y décrit les bienfaits des sports nautiques sur sa propre personne, notamment sur son corps. Avant lui, Maupassant a par exemple décrit dans « Une partie de campagne » les canotiers et leur puissance, provoquant les regards désirants des femmes et les regards jaloux des hommes, dans une scène qui met aussi en relief la différence entre le corps gras du bourgeois oisif et le corps sportif de l’homme du peuple. La littérature du XIXe siècle, notamment la littérature réaliste, développe à cet égard des techniques narratives et descriptives qui permettront de rendre la réalité du corps sportif, la précision du mouvement, ainsi que de développer l’effet de ce spectacle sur la subjectivité qui le contemple. Faut-il alors reprendre à Pierre Charreton l’hypothèse selon laquelle une littérature sportive se développe à partir des années 1870 « comme un mouvement vers la spontanéité instinctive, vers la vie et l’action » pour « porter remède aux maux dont la sensibilité avait été affectée sous l’effet du romantisme, du symbolisme, puis du freudisme et du surréalisme »[6], contribuant ainsi à inscrire dans les mentalités une nouvelle association entre virilité, action et culte du corps en opposition à la sensibilité et à l’intellect ?  Si les ruptures et oppositions sont à analyser, on peut être tout autant attentifs aux effets de continuités et de variations de 1820 à 1924 dans la construction littéraire des masculinités sportives. 

En outre, à la suite de la loi Guizot du 28 juin 1833 sur l’enseignement primaire et des progrès techniques de l’image (apparition de la chromolitogravure en 1845 et de la photogravure au trait en 1872) se développe une littérature pour la jeunesse favorisée par l’essor de collections destinées à la jeunesse (ex. La Bibliothèque rose, La Bibliothèque des écoles et des familles, La Bibliothèque de Melle Lili) et de maisons d’éditions spécialisées, comme Hachette. On pourra alors se demander comment cette littérature pour la jeunesse enregistre l’importance nouvelle du sport dans l’éducation des garçons et jeunes hommes, qu’il s’agisse d’ouvrages scolaires ou d’ouvrages fictifs. Manuels scolaires, livres de prix, livres d’étrennes, albums et périodiques pour enfants mettent en effet en texte et en image les attentes et les modèles d’une bonne éducation, en fonction des sexes et des âges. Quelle place y occupent les sports par rapport au jeu et à l’« exercice physique » ? Comment les corps enfantins en mouvement sont-ils représentés ? Existe-t-il une littérature sportive pour enfants et comment contribue-t-elle à la fabrique des masculinités ?

Dès lors on peut se demander quelle influence la présence de plus en plus significative des activités physiques et sportives dans la société a eu sur la création de nouveaux types masculins. Dans quelle mesure les défis aéronautiques et les prises de risque en automobile, avec l’avènement du futurisme et de la modernité, font-ils évoluer les modèles masculins. Comment la littérature et les arts intègrent-ils de nouveaux critères de masculinité liés au sport ? Ces critères sont-ils, tout ou partie, la résurgence d’anciens canons physiques hérités de l’Antiquité, comme le suggèrent Les Olympiques de Montherlant (1924) ? Ou au contraire témoignent-ils autant qu’ils y participent de l’avènement d’un nouveau modèle de beauté ? On s’attachera dans le cadre de ce colloque à définir les nouvelles masculinités produites par le sport à travers leurs représentations littéraires et artistiques. On insistera en particulier sur la récurrence de systèmes descriptifs qui intègrent des critères de masculinité.

Les points suivants pourront être abordés :

-       Évolution des corps masculins en fonction des pratiques sportives ;

-       Mise en scène du corps sportif dans un contexte littéraire et historique. On pourra notamment s’interroger sur les liens entre genres littéraires et représentations du corps sportif. On pourra aussi se poser la question du regard (gaze) posé par la focalisation narrative sur les corps sportifs masculins : comment le regard masculin (male gaze) représente-t-il ces corps ? Existe-t-il des manifestations littéraires d’un regard féminin (female gaze) sur ces corps et quelles en sont les caractéristiques ? Quels enjeux esthétiques, érotiques et éthiques impliquent ces représentations ?

-       Essor de la littérature pour la jeunesse (scolaire et fictive) : place de ces ouvrages dans l’éducation physique et sportive des jeunes garçons, dimension prescriptive et didactique en lien avec la fabrique des masculinités ;

-       Rôle des guerres (1870, 1914) dans l’émergence de nouveaux corps (Joinvillais, sportifs de haut niveau) ;

-       Création de types de corps sportifs au fil du siècle ; évolution des représentations genrées du sport dans le temps et l’espace sur la période étudiée et ses traductions esthétiques ;

-       Influence de l’olympisme sur les représentations masculines ;

-       Rapports entre masculinité, mode et sport ;

-       Enjeux intersectionnels de la représentation des masculinités sportives : hiérarchies de genre, sociales et ethniques ;

-       Fixation de critères genrés autour de certains sports ;

-       Interroger les notions qui gravitent autour de la construction de la virilité et leurs manifestations linguistiques et littéraires, notamment celles d’exploit, de prouesse, de puissance, d’échec, etc. ;

 -     Beau corps, bonne santé : masculinité et hygiénisme ; appareils pour mesurer la morphologie des muscles comme les appareils de spiromètre pour quantifier les capacités pulmonaires, etc.

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Les propositions de communication devront être adressées au plus tard le 15 juin 2024.

anneclaire.marpeau@gmail.com

sylvain.ledda@univ-rouen.fr

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[1] Sport vient de l’ancien Français « desport », du verbe desporter, qui signifie « s'ébattre » et qui renvoie aux activités d’amusement, de passe-temps et aux pratiques agréables (jeux, conversation , badinage). Dans la première moitié du XVIe siècle, l'on retrouve ce terme dans l’œuvre de Rabelais. Importé en Angleterre par la chevalerie, le terme « desport » se transforme en « disport » avant de prendre la forme définitive de « sport ».
[2] Voir Jean-François Loudcher, Histoire de la savate, du chausson, et de la boxe française. D’une pratique populaire à un sport de compétition, Paris, L’Harmattan, 2000, passim.
[3] Extrait d’un discours de P. de Coubertin prononcé à Londres le 24 juillet 1908.
[4] Nobert Elias, Eric Dunning, Sport et civilisation. La violence maîtrisée, 1994.
[5] Si les femmes de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie ont accès à certaines activités comme l’équitation, la danse, ou encore le tennis (Julie Gaucher), les femmes du XIXe siècle sont exclues des compétitions sportives. À la suite du refus de Pierre de Coubertin d’ouvrir le programme de certaines disciplines aux femmes en 1919, les premiers jeux mondiaux féminins ont lieu en 1922, à l’initiative d’Alice Milliat qui avait fondé en 1917 la Fédération féminine sportive de France.
[6] Pierre Charreton, Les Fêtes du corps : histoire et tendance de la littérature à thème sportif en France (1870-1970), Saint Étienne, Université de Saint Étienne, 1985, p. 12.