Cours de M. Antoine Compagnon

Neuvième leçon : La propriété intellectuelle


L'émergence du droit des auteurs et de la propriété intellectuelle eut lieu au XVIIIe siècle, tels que nous les connaissons toujours en France, car il n'y eut pas de changements essentiels jusqu'aujourd'hui, mais une suite d'adaptations pour tenir compte des nouvelles techniques. Par opposition au système anglo-américain du copyright, qui privilégie le public, le code français, depuis les Lumières et la Révolution, avantage et sacralise  l'auteur. Ce sont là deux conceptions rivales de la culture. Mais c'est au théâtre, où, dès le XVIIe siècle, les conflits s'étaient multipliés entre comédiens-français et dramaturges, qu'est venue l'annonce d'un tournant.

Les Lumières et l'auteur

Au XVIIIe siècle, la question de la propriété littéraire a été peu à peu séparée du régime des privilèges. Le droit d'auteur s'est ainsi affirmé dans sa spécificité.

Ce sont les nombreuses difficultés liées aux renouvellements des privilèges d'imprimeur qui ont provoqué des débats sur les réclamations des auteurs, et celles-ci ont finalement été reconnues par des arrêts du Conseil d'État du Roi en 1777. Les atteintes aux prérogatives des imprimeurs privilégiés avaient entraîné de longues polémiques depuis des décennies. En 1769, les auteurs dramatiques déclarèrent la guerre aux comédiens. Beaumarchais prit leur défense à l'occasion du Barbier de Séville. Le règlement de 1780 de la Comédie-Française, auquel on aboutit alors, ne satisfaisait personne. La Révolution devait enfin abolir les privilèges et consacrer les droits des auteurs, naissant spontanément de la création intellectuelle. Le droit de représentation sera reconnu par décrets de janvier 1791, le droit de reproduction en 1793.

Reproduction

Le Mémoire sur les vexations qu'exercent les libraires de Paris, de 1720, indique l'état d'esprit des auteurs. Les réclamations des libraires de province contre leurs collègues parisiens privilégiés sont également nombreuses. Ironiquement, la notion de propriété intellectuelle est d'abord apparue dans un mémoire de Louis d'Héricourt en 1725, au nom des libraires parisiens, afin de répondre à la contestation de la légalité de la prolongation de privilèges. L'argumentation d'Héricourt reposait pour la première fois sur l'idées de la propriété de l'oeuvre intellectuelle par les auteurs, procédant d'un acte de création. C'était, aux yeux de l'avocat, cette propriété que l'auteur transmettait au libraire, intégralement, c'est-à-dire avec tous ses attributs, dont le principal était la perpétuité. Ainsi le libraire était-il propriétaire à jamais du manuscrit qu'il avait acquis de l'auteur. Quel intérêt aurait cette propriété si quiconque pouvait aussi publier le manuscrit ? Tout l'argumentation en faveur des libraires parisiens privilégiés reposait donc sur le principe d'une cession de la propriété littéraire par l'auteur au libraire, et non plus sur la notion de privilège fondée sur des contraintes économiques (contraintes de moins en moins réelles au demeurant). L'idée d'Héricourt était particulièrement dangereuse à agiter. Or elle fit son chemin, et fut adoptée par les auteurs et par leurs héritiers pour se défendre contre les libraires. Et le Conseil du Roi finit par la consacrer.

Par exemple dans une décision de 1749 dans un conflit entre Crébillon et ses créanciers, qui avaient fait saisie-arrêt de sa part d'auteur de Catilina à la Comédie-Française, de même qu'auprès de l'imprimeur de la pièce. Crébillon demandait la mainlevée. Le Roi jugea que les productions de l'esprit n'étaient pas des effets saisissables, car le source des profits était l'oeuvre elle-même, comme émanation de la personnalité de l'écrivain. Il s'agissait là d'une reconnaissance implicite de la propriété littéraire, plus grande même qu'à l'époque moderne, où la propriété littéraire n'est certes pas saisissable, mais bien les redevances promises dans le cadre d'un contrat.

Un autre conflit opposa vers 1760 les petites-filles de La Fontaine, qui venaient d'obtenir un privilège pour ses oeuvres, et les libraires de Paris, joints au libraire détenteur d'un ancien privilège prolongé. Le Roi jugea que les oeuvres « appartenaient naturellement à ses petites-filles par droit d'hérédité », ce qui mettait en cause la prolongation de l'ancien privilège. Les héritières perdirent toutefois en appel. L'arrêt de 1761, s'il maintient pour l'autorité souveraine le droit des disposer des oeuvres des auteurs en octroyant des privilèges, donne cependant la préférence à l'auteur (et à ses héritiers) sur les libraires non privilégiés.

Autre conflit en 1777 : le neveu de Fénelon avait publié en 1717 des ouvrages inédits de son oncle, dont Télémaque, avec un privilège de quinze ans qu'il avait cédé à un libraire de Paris. Le cessionnaire obtint une prolongation de vingt ans jusqu'en 1752, puis de quatre ans. Mais la famille obtint en 1753 un privilège pour publier les oeuvres complètes de Fénelon et le transmit à un autre libraire. Le premier libraire contesta alors le privilège du second. Le Conseil du Roi maintint cependant en 1777 le privilège obtenu par la famille et cédé au second imprimeur, car l'imprimeur initial avait continué de publier l'oeuvre de Fénelon sans l'agrément des héritiers. Cette fois, les droits d'auteur étaient reconnus de fait.

La lutte était devenue incessante. Suivant la position des libraires, la propriété restait entière et perpétuelle chez l'auteur, s'il l'avait conservée ; mais elle était chez le libraire, si celui-ci l'avait achetée. Curieusement, Diderot, homme des Lumières, se fit l'interprète des libraires parisiens, du monopole et de l'usurpation, dans la « Lettre sur le commerce de la librairie » en 1767. Ses arguments n'étaient pas nouveaux : les privilèges étaient présentés comme des transferts de propriété, et leurs renouvellements étaient donc légitimes. Mais c'était le chant du cygne des libraires parisiens, car les arrêts de 1777 furent en faveur des libraires de province.

De 1750 à 1763, Lamoignon de Malesherbes, directeur général de la librairie, se prononça pour accorder le plus de liberté possible aux écrivains : « Ne doit-on pas regarder les ouvrages d'un auteur, qui sont les fruits de son génie, comme lui appartenant encore à plus juste titre et comme le bien dont il serait convenable qu'il eût la libre disposition ? »  Après son départ, un mémoire de 1764 proposa que les privilèges soient accordés aux auteurs, puis que les oeuvres tombent dans le domaine public à leur mort. Le lien était donc ferme entre l'auteur et l'oeuvre, avec pour conséquence la chute immédiate de l'oeuvre dans le domaine public à la mort de l'auteur. La distinction est faite peu à peu entre l'auteur privilégié, qui doit jouir toute sa vie de la faculté de se faire imprimer par qui bon lui semble, et l'éditeur, qui ne saurait jouir que d'un monopole temporaire, pour recouvrer ses frais.

Les libraires de Paris, suivant leurs adversaires, confondaient le privilège avec un titre de propriété ; contre eux, les libraires de province, défendant le domaine public, servaient la cause des auteurs.

Des arrêts de 1777, sous Necker, menèrent à la refonte du régime de la librairie et de l'imprimerie, dont la durée des privilèges et la contrefaçon. Le privilège est une grâce. À l'égard de l'auteur, il constitute « un droit plus assuré et une grâce plus étendue », car il récompense son travail ; à l'égard du libraire, le privilège assure simplement le remboursement de ses avances, il doit être proportionné, et il ne peut courir au-delà de la mort de l'auteur, sauf à consacrer un monopole. En somme, pour l'auteur la grâce est un droit, il consacre le fait que l'auteur peut éditer et vendre ses ouvrages, tandis que les privilège du libraire a une durée limitée, définit un monopole temporaire accordé dans l'intérêt de la collectivité, qui sacrifie la liberté de publication afin de stimuler les éditeurs par l'exclusivité qu'elle leur donne. Les privilèges des auteurs, fondés sur l'activité créatrice, sont perpétuels, car il existe une différence de nature entre cédant (l'auteur) et le cessionnaire (le libraire). L'exclusivité, qui sera la caractéristique fondamentale du droit d'auteur, est déjà là en puissance.

L'arrêt sur les contrefaçons et sur le colportage prévoit quant à lui des amendes, saisies et déchéances.

Les arrêts de 1777 rencontrèrent l'hostilité des libraires parisiens, mais ceux-ci durent désormais compter avec l'auteur, avec ses droit inhérents à la nature de l'homme. Ainsi la requête des libraires contre les arrêts du Conseil du Roi reconnaissait-elle la « propriété sacrée, évidente, incontestable » des auteurs sur leurs ouvrages, plus inviolable que la propriété matérielle ; elle ne pouvait donc cesser d'être perpétuelle le jour où l'auteur en disposait. L'idée de la transformation de la nature du privilège quand il passait entre les mains du libraire était peu acceptée par les auteurs, et conçue comme une atteinte au droit sacré de la propriété, reconnu d'abord, puis enlevé. Le privilège n'était pas une grâce mais une protection, et réduire la propriété à la durée des privilèges c'était le confondre avec un mode d'acquisition de la propriété.

Suivant les amendements de 1778, l'auteur pouvait traiter avec un imprimeur sans que le traité fût considéré comme une cession de privilège et qu'il perdît ses droits à la perpétuité, et il pouvait ensuite vendre l'ouvrage à son compte ; mais s'il vendait le droit d'exploiter le livre à un libraire, alors il perdait tous ses droits à la propriété de l'oeuvre.

Les libraires engagèrent des procès pour obliger le Parlement à se prononcer sur la légalité des arrêts de 1777. Mais ceux-ci restèrent en vigueur jusqu'à la Révolution, disjoignant la propriété matérielle du manuscrit du privilège exclusif de reproduction.

Représentation

Les litiges entre auteurs et comédiens étaient devenus incessants à propos des frais de représentation. L'insolence des comédiens envers les auteurs, la violation des règlements, la falsification des recettes étaient habituelles. Beaumarchais, le plus riche des dramaturges, qui avait fait présent aux comédiens des ses deux premières pièces, prit la défense des intérêts des auteurs lors du Barbier de Seville. Il réclama un compte exact de ses honoraires après la trente-deuxième représentation. On lui envoya 4506 livres, sans compte. Il refusa et exigea des comptes. On lui adressa enfin un borderau non signé. Il demanda qu'on le certifiât exact ; on refusa. Devant la montée des hostilités, le duc de Duras lui demanda de soumettre un plan de réforme. Beaumarchais convoqua les auteurs par une circulaire du 27 juin 1777 ; les auteurs désignèrent quatre commissaires, Beaumarchais, Sedaine, et deux académiciens, Saurain et Marmontel, qui rédigèrent un projet de règlement. Les comédiens firent traîner l'affaire, qui dura trois ans. Beaumarchais reçut enfin son compte, sans les recettes des abonnements : ce qui était une découverte et signifiait que plus une pièce avait de succès, moins l'assiette des droits était élevée. Suivant l'accord du 17 mars 1780 et l'arrêt du 12 mai 1780, la chute dans les règles fut désormais calculée sans déduction des frais, et l'auteur ne perdait plus son droit de propriété une fois que la sa pièce était au répertoire.

Le règlement de 1780 dispose donc autrement du calcul de la part de l'auteur et de la chute dans les règles, mais la question traînera jusqu'à la Révolution.

Les décrets de la Révolution

Le 4 août 1789, tous les privilèges furent supprimés. Le moment était venu de la reconnaissance des droits d'auteur, non comme concession, mais comme résultant de l'ordre naturel, procédant naturellement de la création intellectuelle.

Représentation : décret des 13-19 janvier 1791

Les auteurs réclamaient la fin du monopole et la liberté des théâtres, et posaient le principe absolu de la propriété littéraire. De nombreux brochures, mémoires et pétitions des auteurs furent adressés à l'Assemblée nationale en août 1790, réclamant l'abolition des privilèges des spectacles, la jouissance pour tous les théâtres des auteurs anciens, la faculté pour tout particulier de faire jouer la comédie dans son théâtre, enfin le droit pour les auteurs vivants de statuer de gré à gré avec les directeurs sur la valeur de leurs ouvrages.

Le 15 novembre 1790, il fut décidé que tout homme pouvait monter un spectacle, et que la police en avait la surveillance.

Le 13 janvier 1791, fut mis à l'ordre du jour le rapport de Le Chapelier. L'abbé Maury et Robespierre prierent par au débat. Suivant Le Chapelier : « La plus sacrée, la plus personnelle de toutes les propriétés, est l'ouvrage fruit de la pensée d'un écrivain [...] il faut que pendant toute une vie et quelques années après leur mort personne ne puisse disposer sans leur consentement du produit de leur génie. »

La décret prononça la liberté du théâtre et définit le domaine public : « Les ouvrages des auteurs morts depuis cinq ans et plus sont une propriété publique. » Le consentement formel et écrit des auteurs vivants était nécessaire pour représenter leurs ouvrages. Enfin, les héritiers ou cessionnaires étaient propriétaires durant les cinq années suivant la mort de l'auteur.

Mais cette législation heurtait trop d'intérêts. Dans la multiplication des théâtres à Paris, la lutte entre entrepreneurs de spectacles et auteurs resta violente. Incessants étaient les abus des directeurs de province, qui continuaient à jouer les ouvrages des auteurs vivants (comme Beaumarchais).

Reproduction : décret  des 19-24 juillet 1793

Les privilèges continuèrent après leur abolition formelle, dans le flou des années 1789-1793. Sous la Convention, un rapport de Lakanal évoqua une « déclaration des doits du génie ». Un texte de loi consacra le droit exclusif et discrétionnaire des auteurs sur leurs oeuvres et la répression de la contrefaçon. La durée des droits d'auteur était portée à dix ans, et le dépôt légal à la Bibliothèque nationale était instituté. Le terme de « propriété » était utilisé pour caractériser les droits de l'auteur sur son oeuvre. Ainsi le droit d'auteur étrait-il reconnu, et sa nature affirmée.      

Les auteurs réclamèrent la perpétuité ; la durée des droits d'auteur fut portée à vingt ans en 1810. Les textes de 1791 et 1793 constituèrent la charte des droits de représentation et d'édition jusqu'en 1957. Le code des droits d'auteur redit alors : « La loi nouvelle respecte et développe les principes traditionnels de la conception française du droit d'auteur. » Le cinéma et radio ont conduit à des adaptations sans changements fondamentaux de l'état de droit.

Kant et le droit d'auteur

La notion de propriété intellectuelle est une métaphore qui ne pose pas moins problème. Qu'est-ce qu'une propriété relative à un bien immatériel, à une oeuvre immatérielle ? La notion de droit d'auteur elle-même est difficile à cerner : ce droit ne relève ni droits personnels (réglant les rapports entre personnes), ni de droits réels (réglant les rapports avec les choses).

Les notions philosophiques de droit d'auteur est de propriété intellectuelle sont liées aux Lumières, à la consécration de l'individu, et à l'individualisation des idées. Nul mieux que Kant n'a défini ces notions.

Dans un essai intitulé « De l'illégitimité de la contrefaçon des livres », Kant distinguait le discours immatériel de son support matériel : « Le livre d'une part est un produit matériel de l'art, qui peut être imité (par celui qui en possède légitimement un exemplaire), et par conséquent il y a un droit réel ; et d'autre part un simple discours de l'éditeur au public, que personne ne peut reproduire publiquement, sans y avoir été autorisé par l'auteur, si bien qu'il s'agit d'un droit personnel. »

Kant soutenait les « discours » n'étaient pas des choses appropriables, à la différence des oeuvres d'art plastique. Éditer une oeuvre « littéraire », c'était « non pas faire le commerce d'une marchandise en son propre nom mais conduire une affaire au nom d'un autre, en l'occurrence celui de l'auteur ». L'aliénation d'un ouvrage au sens d'une propriété matérielle était donc inconcevable. La démonstration de Kant reposait sur la distinction, issue du droit romain, entre les notions d'opus et d'opera, l'opus désignant la chose matérielle, la copie ou le manuscrit dont la possession peut être transférée, tandis qu'opera désigne un discours, c'est-à-dire une « affaire » que l'éditeur ne peut conduire qu'au nom de l'auteur : « L'exemplaire d'après lequel l'éditeur fait imprimer est un ouvrage de l'auteur (opus) et appartient entièrement à l'éditeur après que celui-ci l'a acquis sous forme de manuscrit ou d'imprimé pour en faire tout ce qu'il veut et ce qui peut être fait en son propre nom [...]. Mais l'usage qu'il ne peut en faire qu'au nom d'un autre (c'est-à-dire de l'auteur) est une affaire (opera) que cet autre effectue par le biais du propriétaire de l'exemplaire. » Ainsi, ce que l'éditeur crée « en son propre nom », ce n'est jamais que « l'instrument muet de la transmission d'un discours de l'auteur au public ». Kant précise encore en note : « L'essentiel est ici que c'est non pas une chose qui est transmise mais une opera, à savoir un discours. »

Dans les arts plastiques, la situation est toute différente : « Les oeuvres d'art, en tant que choses, peuvent, en revanche, être imitées d'après un exemplaire dont on a légitimement fait l'acquisition ; on peut en faire des moulages et les copies peuvent circuler publiquement sans qu'il soit besoin du consentement de l'auteur de l'original [...] Un dessin dont quelqu'un a fait l'esquisse ou qu'il a fait graver par un autre [...] peut être reproduit, moulé et être mis publiquement en circulation sous cette forme par celui qui achète ces produits ; de même que tout ce que quelqu'un peut effectuer avec sa chose en son propre nom ne requiert pas le consentement d'un autre [...] Car c'est une oeuvre (opus, et non opera alterius) que quiconque la possède peut aliéner sans même citer le nom de l'auteur, et par suite imiter et utiliser sous son propre nom comme sienne pour la faire circuler publiquement. Mais l'écrit d'un autre est le discours d'une personne (opera) ; et celui qui l'édite ne peut discourir pour le public qu'au nom de cet autre. »

Droit d'auteur et copyright

La tradition française du droit d'auteur s'est maintenue jusqu'au code de la propriété intellectuelle actuellement en vigueur, dont les articles fondamentaux restent conformes aux idées des Lumières.

Suivant l'article premier (L. 111-1) : « L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. »

Suivant l'article 3 (L. 111-3), et conformément à la distinction kantienne : « La propriété incorporelle définie par l'article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l'objet matériel. »

Les droits moraux sont définis par l'aricle L. 121-1 : « L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l'auteur. L'exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires. » Les droits moraux comprennent le droit de divulguer son oeuvre, le droit de repentir ou de retrait.

Quant aux droit patrimoniaux, suivant l'article L. 122-1 : « Le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction. »

La durée de la protection est fixée par l'article L. 123-1 : « L'auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d'exploiter son oeuvre sous quelque forme que ce soit et d'en tirer un profit pécuniaire. Au décès de l'auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l'année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent. »

La contrefaçon est définie à l'article L. 335-2 : « Toute édition d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon ; et toute contrefaçon est un délit. » Il est précisé à l'article L. 335-3 : « Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi. »

Mais l'influence de la tradition du copyright anglo-saxon est de plus en plus perceptible face au droit d'auteur français. Les différences essentielles portent sur les principes : la notion d'auteur, celle d'originalité, l'existence ou non du droit moral.

La conception française est personnaliste et favorise l'intérêt de l'auteur par opposition à celui de la société, tout en permettant la libre circulation des idées dans le public.

En revanche, le copyright privilégie les intérêts de la société, suivant une logique du marché, que les intérêts d'un seul auteur ne peuvent entraver. Le public, les consommateurs sont fonc prioritaires, tandis que le lien entre l'auteur et l'oeuvre est affaibli. L'auteur est vu comme un investisseur : le droit d'auteur comme une rémunération pour investissement. Et l'oeuvre perd son caratère sacré et son monopole.

Le copyright est donc plus un droit d'exploitation qu'un droit d'auteur, et n'implique pas de droit moral. Seuls le droit à la paternité et le droit au respect sont inclus dans la Convention de Berne, qui s'est pourtant rapprochée du droit français en reconnaissant la protection de l'oeuvre « du seul fait de la création ».

Bref, le droit français reste favorable à l'auteur, au détriment de la libre circulation de l'oeuvre, suivant une conception singulière de la culture et de la production intellectuelle. L'auteur est toujours sacré en doit français, alors qu'il tend à devenir un producteur de contenu dans la cyberculture sous le régime du copyright. Mais la globalisation contemporaine des échanges culturels tend à imposer le copyright même en France.

Bibliographie complémentaire

Kant, « De l'illégitimité de la contrefaçon des livres », Vers la paix perpétuelle et autres textes, Flammarion, 1991.

Dock, Marie-Claude, Contribution historique à l'étude des droits d'auteur, LGDJ, 1962.

Gautier, Pierre-Yves, Propriété littéraire et artistique, PUF.

Lucas, André, Propriété littéraire et artistique, Dalloz.

Edelman, Bernard, La Propriété littéraire et artistique, PUF, « Que sais-je ? », 1989.

Szendy, Peter, Écoute, une histoire de nos oreilles, Éd. de Minuit, 2001.


[ Leçon précédente ] [ Leçon suivante ] [ Retour au sommaire ]