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Parler de la langue

F. Rullier-Theuret
 
Le Grand livre de la Langue Française, sous la direction de Marina Yaguello, Paris, Le Seuil, avril 2003. 546 p.


 

L'ouvrage réunit neuf monographies, issues de la collaboration d'universitaires, qui portent un regard critique, non sur la langue, mais sur la façon dont elle est perçue, s'inscrivant ainsi dans le grand débat sur le français qui dure depuis le début du XXe siècle. C'est pourquoi le livre s'adresse moins aux spécialistes, acquis d'avance aux représentations proposées, qu'aux locuteurs passionnés par les questions de langue.

Le public visé conditionne des choix méthodologiques et terminologiques. Les auteurs adoptent un point de vue de spécialistes et ne renoncent pas, au nom de la vulgarisation, à leurs compétences de linguistes, cependant ils s'expriment dans un langage toujours transparent et lisible, définissant les concepts à mesure qu'ils les introduisent (la présentation recourt à des encadrés, ce qui permet des mises au point sans alourdir la démonstration). Ainsi, ces nouvelles remarques sur la langue française se doublent d'une initiation à la linguistique, où les étudiants retrouveront aisément leurs repères et pourront affermir leurs compétences.

Les auteurs veulent en finir avec certains préjugés, véhiculant l'image d'un français pur et homogène, et avec certains discours, prédisant la corruption du beau langage à cause du laisser-aller des sujets parlants, ou l'invasion du français par les langues étrangères. Les articles se situent contre cette doxa appauvrissante et intransigeante, très souvent relayée par les médias, qui est généralement la seule image que le francophone non-spécialiste a pu construire de sa langue à l'issue de l'apprentissage scolaire. Les textes successifs visent à faire comprendre qu'on peut parler d'un idiome d'une autre manière, et tenir des discours sensés sans pour autant s'enfermer dans un rigorisme statique. Ils s'efforcent de susciter une autre vision de la grammaire, de la lexicologie et même de l'enseignement du français, en empruntant leurs outils aux développements récents de la linguistique, particulièrement à la pragmatique et à l'analyse du discours. Dans cette approche sans nostalgie passéiste, la langue parlée n'est pas dévalorisée par rapport au modèle normatif de l'écrit, et la langue contemporaine n'apparaît pas comme un abâtardissement de la langue classique.

 

L'étude de Christiane Marchello-Nizia montre que la langue que nous parlons aujourd'hui s'inscrit dans une succession de mutations, elle est l'aboutissement de douze siècles d'évolution et son histoire se continue au-delà des normes et des prescriptions du XVIIe siècle. Françoise Gadet, choisissant une approche socio-linguistique, s'intéresse davantage à la langue parlée porteuse de diversités qu'à la langue écrite stabilisée. Marina Yaguello, pour sortir d'une image scolaire de la grammaire, propose de remplacer l'analyse normative par une approche descriptive de la langue. Claire Blanche-Benveniste fait de la langue parlée généralement exclue des études l'objet même de sa réflexion, et montre que l'orthographe n'est qu'une solution approximative pour restituer avec un alphabet hérité du latin les sons de notre langue. Jean-Paul Colin dégage les grands principes qui structurent le lexique. Comme il n'y a pas " une " langue ni " une " grammaire, il n'y a pas non plus " un " dictionnaire. Jean Pruvost nous invite à revoir nos idées reçues sur " le " bon vieux dictionnaire tel qu'on le trouve dans chaque famille, car il n'y a pas de dictionnaire unique, mais DES dictionnaires avec les visées lexicographiques qui sont propres à chacun. Émile Genouvrier inscrit la même dimension polémique dans une réflexion sur l'enseignement du français à l'école.

 

*  *  *

 

On donnera, à la suite de cette présentation générale, un résumé de ces différentes contributions.

 

• " Le français dans l'histoire ", Christiane Marchello-Nizia (80 p.)

On apprécie que l'auteur s'appuie sur des exemples commentés pour faire voir concrètement les évolutions linguistiques de l'ancien français à la langue contemporaine. Le propos ne vise pas à être exhaustif, il ne s'agit pas d'un cours de phonétique historique ou d'ancienne syntaxe ; l'enjeu est montrer, en considérant le cas du français, que c'est toujours l'histoire qui crée une langue.

La description de la phrase d'ancien français en termes de structure informationnelle - l'ancienne langue plaçant le thème (déjà connu) en début de phrase, et ensuite seulement l'information nouvelle — mérite toute notre attention, parce qu'elle permet des mises en relation intéressantes avec des tours contemporains, liés à la fonction communicative du langage : les structures interrogatives, ou les constructions disloquées et clivées modernes, considérées comme un trait du français non standard (alors qu'elles existaient déjà en ancien français, même si leur fonctionnement était différent).

 

• " La variation : le français dans l'espace social, régional et international ", Françoise Gadet (60 p.)

Pour Françoise Gadet, l'idée qu'il puisse n'y avoir qu'une seule façon de parler le français va contre l'évidence immédiate, toute langue connaît des variations : on ne s'exprimait pas au XVIIe comme aujourd'hui (variation dans le temps), on ne parle pas au Canada comme en France (diversité de l'espace linguistique français), les jeunes n'emploient pas les mêmes mots que les personnes plus âgées, et les milieux sociaux laissent leur marque sur la parole des locuteurs. Si le français unique est une idéalisation, il faut considérer alors que le " bon français " n'est qu'une variété de français.

Le discours des puristes aurait vite fait de transformer notre langue en langue morte, alors que l'époque contemporaine manifeste une créativité linguistique digne du XVIe siècle. Les langues diversement réalisées s'écartent de la norme écrite, mais appliquer la notion de " faute " à la langue parlée par des locuteurs dont le français est la langue maternelle relève apparemment du paradoxe. Cela tient au fait que le mot " norme " ne désigne pas ici la voie moyenne (ce qui est dit " normalement "), mais le bon usage " normatif ", qui fonctionne comme un processus répressif.

Certes, la contrainte est aussi un facteur de stabilité. La langue écrite normée et surveillée est une transcription uniforme et un moyen de communication pour tous les locuteurs francophones. A ce titre l'école, avec sa grammaire scolaire conçue en fonction de l'enseignement de l'orthographe, joue un rôle essentiel dans la diffusion d'une langue homogène, prenant comme référence l'écrit littéraire. La crise du français est certainement liée à la fragilisation de ce modèle.

 

• " La grammaire ", Marina Yaguello (105 p.)

Marina Yaguello s'inscrit contre la pensée de la grammaire issue du système scolaire, son exposé introduit des points de vue plus modernes sur la langue. A ceux qui n'ont pas suivi l'évolution de la matière depuis le temps de leurs études, elle propose une démarche descriptive et non normative. Il ne faut pas réduire la grammaire à un ensemble de règles prescriptives, visant à imposer la même norme à tous les locuteurs. Le mot " grammaire " a d'autres sens : pour le linguiste, la grammaire est l'élucidation et la description des savoirs inconscients et intériorisés qui permettent à tout locuteur d'organiser les mots. Cette nouvelle définition, on s'en rend compte, ne réduit pas le corpus d'étude à la langue standard écrite.

L'auteur prend en compte le composant pragmatique et examine l'organisation de l'information. Tout acte de langage, outre le sens qu'il transmet, vise à produire un effet sur l'interlocuteur. Tout énoncé gère et hiérarchise l'information connue (thème) et l'information nouvelle. De cette représentation de l'acte de langage comme gestion de l'information découlent des points de vue éclairants sur la détermination des groupes nominaux (le thème étant le plus déterminé), sur les constructions thématisantes qui permettent au locuteur de promouvoir un argument en position initiale, échappant à la syntaxe positionnelle et à son ordre canonique qui caractérise le français depuis la perte des déclinaisons nominales (passif, impersonnel, phrases clivées). L'étude des constructions thématisantes et focalisantes est poursuivie plus loin (syntaxe et pragmatique : les interactions), intégrant des constructions qui relèvent de l'usage oral.

Le composant sémantique permet d'introduire une vision plus complexe du système grammatical, en montrant l'imbrication de la forme et du sens, autrement dit, l'interaction des systèmes morphologiques et des grandes catégories cognitives à travers lesquelles nous percevons le monde. Le temps, l'aspect et la modalité, trois catégories liées au verbe, reçoivent leurs marques des différents tiroirs verbaux. Le genre et le nombre trouvent leurs marques dans le groupe nominal. La détermination concerne à la fois le groupe nominal et le groupe verbal. La prise en compte de la dimension sémantique conduit d'autre part jusqu'à la description grammaticale du sens figuré (syntaxe et sémantique : les interactions).

Au niveau du composant syntaxique la question de la phrase n'est pas posée à travers les catégories peu homogènes et lentement élaborées par la grammaire scolaire (complément, direct, indirect, circonstanciel, d'agent), mais en termes de constituants. L'auteur, au détour d'une présentation simple, ne parle ni de sujet ni de complément, mais d'actants et de valence verbale. La notion de classes syntaxiques (traditionnellement, les parties du discours) appelle de rapides mises au point sur les verbes, les adjectifs et les noms.

L'analyse quitte alors la syntaxe pour la macrosyntaxe et la grammaire de la phrase pour la grammaire du texte, posant les questions de la cohésion et de l'énonciation, à travers les notions de plans de l'énonciation, de deixis, de coréférence et d'anaphore.

 

• " Les sons du français ", Bernard Tranel (57 p.)

La comparaison des graphies du français avec les transcriptions biunivoques que permet l'Alphabet Phonétique International fait ressortir par contraste la complexité des rapports entre le système d'écriture alphabétique et la prononciation. L'orthographe française est un piètre représentant des choses phonétiques.

L'article explore la production et la classification des sons, propose un inventaire des phonèmes du français, démonte l'organisation et la distribution des sons en syllabes, puis s'intéresse aux " sons à éclipse " : les phénomènes très complexes de liaison et d'élision qui interviennent entre deux unités brouillent les frontières des mots.

 

• " La langue parlée ", Claire Blanche-Benveniste (27 p.)

De nombreux préjugés pèsent sur la langue française parlée, régulièrement dépréciée, parce qu'elle ne serait qu'un réservoir de fautes risquant de contaminer la vraie langue, pourtant la langue parlée a sa logique, qui mérite description. Claire Blanche-Benveniste est connue pour avoir fait, depuis longtemps, de cette langue peu considérée son objet d'étude privilégié, contre toutes les habitudes des grammaires normatives françaises qui ont toujours lié les leçons aux exemples tirés des textes littéraires. La révolution copernicienne de la linguistique vient de plus loin, elle date, en Amérique, du début du siècle, et, en France, des travaux des dialectologues (Atlas linguistiques de la France). Les progrès techniques ont joué un rôle plus important ici qu'ailleurs, permettant au chercheur de se donner des corpus authentiques, très différents des représentations littéraires du français parlé.

La grammaire de la langue parlée diffère beaucoup de la grammaire scolaire, conduite par des préoccupations orthographiques qui s'effacent nécessairement à l'oral. Mais dire que les marques orthographiques disparaissent ne signifie pas qu'il n'y a plus de marques grammaticales. Si le genre et le nombre sont moins indiqués à l'oral qu'à l'écrit, c'est qu'ils n'apparaissent pas au niveau du mot, mais de l'ensemble du syntagme. De même les verbes présentent peu de désinences personnelles audibles, mais le système des marques de personne est complètement différent de ce qu'il est à l'écrit et s'appuie davantage sur les pronoms que sur les désinences.

 

• " L'orthographe ", Claire Blanche-Benveniste (45 p.)

En français, on n'écrit pas comme on prononce, la transcription graphique s'est progressivement éloignée de la correspondance des lettres aux sons. Il n'y a pourtant qu'une seule bonne façon d'écrire, les dictionnaires et les décrets ministériels nous le rappellent, tout le reste est faute !

La langue française a reçu en héritage l'alphabet latin qu'elle a peu enrichi, 20 lettres en latin, 26 lettres en français, pas assez pour affecter chaque lettre à un son. Ce déficit en consonnes et surtout en voyelles et semi-voyelles est en partie la source des complications qui vont suivre. Le français a développé différents procédés de compensation qui interfèrent les uns avec les autres. Les accents et les signes diacritiques ont été relativement peu utilisés, le français a souvent choisi de recourir à des consonnes " muettes " : au lieu de l'accent, on ajoute un s diacritique (jusqu'au XVIIIe siècle on écrit desja, desjeuner, meschant...). Certaines de ces lettres sont restées. Notre orthographe a préféré utiliser des groupements de lettres pour combler les vides de l'alphabet latin (ch, an, ou...), solution qui présente, entre autres, l'inconvénient de charger l'écriture d'une orthographe lourde (80 graphèmes pour 26 lettres).

Le français n'a pas adapté sa graphie pour rester proche de la prononciation, mais proche de l'étymologie, on a restitué (avec les erreurs que l'on sait) des consonnes non prononcées renvoyant à l'étymologie latine (pied, nez, aspect, sept...), de sorte que le système permet de marquer les familles de mots et de distinguer les homonymes.

Il y a des raisons historiques à cette complication du système que les interférences des procédés de compensation rendent à jamais irrégulier. La discussion sur les problèmes de l'orthographe a commencé au XVIe siècle, elle n'a jamais abouti à des réformes radicales. L'article prend parti contre les puristes et s'inscrit nettement dans cette polémique.

 

• " Le lexique ", Jean-Paul Colin (65 p.)

Après une réflexion sur la notion de mots et sur les définitions qu'on peut lui appliquer, l'auteur, passionné de mots et de marginalités langagières, évoque les origines (étymologie, emprunt, en passant pas l'étymologie populaire toujours burlesque), le changement lexical (la vie des mots, néologismes, archaïsmes), la morphologie (dérivation, composition et groupes), puis la sémantique (homonymie, synonymie, argot). On retrouve les grandes rubriques de la lexicologie générale, dans une présentation claire et illustrée d'exemples tirés de la langue familière la plus contemporaine (y compris la néologie sur le Web).

 

• " Les dictionnaires français : histoire et méthodes ", Jean Pruvost (45 p.)

Contrairement aux idées reçues et aux manières de dire, un dictionnaire n'est pas un objet unique et total (regarde dans " le dictionnaire "), mais un représentant de la classe des dictionnaires.

A l'origine de nos dictionnaires français monolingues sont les dictionnaires bilingues du latin au français destinés aux clercs qui ne maîtrisaient plus assez le latin. Les gloses en français qui suivent la traduction sont autant d'approches définitoires des mots. Le XVIe siècle qui donne plus d'ampleur aux gloses produit de faux bilingues.

Le XVIIe siècle voit la publication de la trilogie fondatrice, Richelet, Furetière, l'Académie, et la diversification des objectifs. Le premier, le Richelet, est un dictionnaire de langue qui se donne pour but de définir les mots, il tire ses exemples d'auteurs, ouvrant la voie à tous les dictionnaires du bon usage, entés sur la langue littéraire (cf. Littré et Robert). Le deuxième, le Furetière, est un dictionnaire encyclopédique, qui vise à définir les référents. Le troisième, l'Académie, a pour objectif de fixer la langue, il est normatif et puriste, cependant il présente des choix méthodologiques cohérents et modernes. Il est tourné vers la langue en synchronie, il vise un état de langue contemporain et remplace les citations d'auteurs par des exemples forgés à partir de l'usage courant.

Le XVIIIe siècle est marqué par la naissance d'un genre, l'encyclopédie, qui ne vise ni les mots, ni les choses, mais les connaissances.

Le XIXe siècle voit simultanément la naissance des dictionnaires de petit format à usage d'apprentissage (manuels) et la naissance des grandes dictionnaires qui intègrent à leurs descriptions la perspective historique, sous forme des oeuvres monumentales de Émile Littré, Pierre Larousse et Hatzfeld et Darmsteter.

Le XXe siècle conserve à la France cette réputation d'un pays où la lexicographie est dynamique et produit des oeuvres de qualité. Les éditions Larousse se lancent dans une grande encyclopédie et dans un grand dictionnaire de langue, Paul Robert publie un dictionnaire de langue qui intègre la dimension analogique, son successeur, Alain Rey publie le Dictionnaire historique de la langue française.

La lexicographie est aujourd'hui en pleine métamorphose, l'ordinateur et le support électronique renouvellent en profondeur les termes de la recherche et les modes de consultation : La consultation du Trésor de la langue française est offerte gratuitement en ligne.

 

• " Enseigner la langue française maternelle ", Émile Genouvrier (49 p.)

L'école est le lieu où l'on apprend sa langue maternelle alors qu'on la parle déjà. Peut-être faudrait-il revoir la tradition pour intégrer à l'enseignement ces compétences spontanées. Les textes officiels insistent sur l'apprentissage de la parole, qui voudrait qu'on fasse une place plus large à la dimension orale. On devrait enseigner la grammaire à partir des compétences orales.

L'enseignant se trouve pris entre deux postulations : entre la tradition qui enseigne une grammaire qui trouve en elle-même sa propre fin, et la contestation pour laquelle la grammaire ne sert à rien. Dès deux côtés, il y a un malentendu. Mais prendre ses distances par rapport à la grammaire traditionnelle suppose un apprentissage complexe, et les maîtres ou les futurs enseignants n'ont généralement pas une formation linguistique suffisante.

L'école a pour vocation d'apprendre à lire et à écrire aux enfants. Le corpus littéraire ne doit plus être le centre unique de la lecture, l'écriture devrait amener les élèves à produire leurs propres textes et la grammaire devrait être attentive aux difficultés d'écriture. Il faudrait tacher de ne pas réduire les activités scolaires à l'acquisition de la grammaire et de l'orthographe.

F. Rullier-Theuret
Université de Paris-Sorbonne

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