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Que signifie l'insignifiance ?

Le compte-rendu de G. Forestier invitant à la discussion, je voudrais discuter ou plutôt m'interroger sur un point précis : que signifie le terme " insignifiance " qui, au-delà du titre, revient assez régulièrement sous la plume de Florence Dupont ?

Si nous admettons que le terme est employé dans le sens rare de " qui n'a pas de sens " (et non dans celui plus courant de " qui ne présente aucun intérêt " ou " qui n'est pas important "), il convient de préciser ce qui est entendu par cette absence de sens.

Si pour ce faire nous nous replaçons dans le contexte- c'est là un des préceptes de l'auteur - la notion d'insignifiance ne signifie pas exactement " qui n'a pas de sens " mais plus précisément " dont le sens n'est pas éternel ou universel ". En effet, F. Dupont oppose à l'idée d'un sens éternel du texte tragique, le sens produit à chaque représentation dans le cadre du rituel. Ce sens ne va pas au-delà de l'événement.

Quant au texte tiré de son contexte, il est précisément " insignifiant ou peut prendre toutes sortes de significations, ce qui revient au même ".(p. 25)

Reprenons : il y a donc deux significations du texte tragique

1) La " signification signifiante " ou le sens que devait avoir le texte dans son contexte anthropologique

2) La " signification insignifiante " ou plutôt les " significations insignifiantes ", c?est-à-dire toutes les interprétations qu'on peut faire de ce texte hors de son contexte anthropologique.

On s'aperçoit alors que le terme insignifiant revient non pas à dire une absence de sens mais à affirmer, non sans un certain dogmatisme, que seul le sens donné par l'anthropologie possède une validité.

Car c'est une chose de dire, et l'on ne peut être que d'accord, qu'il n'existe pas un éternel tragique (encore que ...Serait-ce si choquant ?) mais c'en est une autre d'affirmer que toutes les significations que l'on peut assigner au texte tragique sont l'équivalent d'un non-sens.

En somme, Florence Dupont n'est pas loin d'affirmer que seul son propos a une signification et que le texte antique n'a qu'un seul sens : celui que lui offre son contexte.

Quatre remarques à ce propos

1) L'opposition permanence/impermanence est un trompe-l'oeil. Car l'idée d'un éternel tragique est en fait associée à la possibilité d'une impermanence herméneutique alors que le sens impermanent de la représentation est donné comme le seul acceptable et en retire donc finalement une certaine permanence (F. D. a elle aussi une idée de l'essence sinon de la tragédie du moins du théâtre tragique). On retrouve, mais transformée, la thèse déjà développée par F. Dupont dans L'invention de la littérature : dans ce livre F.D. disait que seul le texte littéraire est l'objet d'interprétations multiples. Or le texte antique n'ayant de sens qu'anthropologique il n'est pas littéraire.

2) F. Dupont dans ce livre comme dans le précédent n'admet pas un état de fait certes de son point de vue malheureux mais plus incontestable que n'importe quelle reconstitution archéologique : les textes antiques en général et les tragédies en particulier ont été malencontreusement conservés à l'état de textes et font partie d'un ensemble qu'on s'accorde à appeler la littérature. Il faut donc distinguer le texte qui trouvait son sens dans son contexte rituel et le texte qui est parvenue jusqu'à nous comme texte littéraire. De même, le Parthénon était un lieu de culte, mais il est aussi depuis un certain temps nos jours un objet esthétique en tant que ruine, c'est-à-dire en tant qu'il est décontextualisé. Il serait intéressant de savoir si objet littéraire et objet rituel sont les mêmes mais pour cela il faudrait d'abord admettre l'existence de l'objet esthétique

3) En somme, et contrairement à ce que semble dire F. Dupont la situation des textes antiques n'est pas différente de celle de n'importe quel texte : tout texte émane et trouve sens dans un contexte puis, s'il est l'objet d'une notation, il est l'objet d'une décontextualisation qui peut entraîner des interprétations multiples et contradictoires. Le producteur de ce texte peut désirer cette décontextualisation ou ne pas seulement l'envisager, mais cela n'a pas grande importance : devons-nous cesser de trouver que le Parthénon est beau et riche de sens multiples parce que les Grecs qui le construisirent n'y pensaient sans doute pas ?

4) F. Dupont a une forte tendance à présenter comme inébranlables les données dont nous disposons sur la réalité athénienne et sa défiance envers les interprètes n'a d'égale que sa confiance envers les historiens. Mais,, sur quoi se fonde en grande partie notre savoir de la réalité anthropologique de la Grèce ? : Sur l'interprétation de textes. De même pour accéder à la réalité qui expliquerait le sens " signifiant " des tragédies qu'elle présente, F. Dupont explique le sens des mots, établit des réseaux de signification, évoque même " un imaginaire athénien ". Bref il semble qu'elle interprète d'une manière qui n'est pas très différente de celles des littéraires les plus " universitaires ". En ce sens, on peut nuancer l'affirmation de G. Forestier selon laquelle les affirmations de principe " discutables " n'invalident pas les analyses qui se trouvent au centre de l'ouvrage. Car peut-on en même temps refuser le texte et faire ce qui ressemble beaucoup à des explications de texte ?

Un dernier point qu'il faut rappeler à un lecteur mal informé :

Si Aristote n'a jamais assisté à une représentation de théâtre antique à Athènes, Florence Dupont non plus.

Elle répondrait peut-être qu'elle s'emploie par le travail de l'histoire et de l'anthropologie à accéder à cette réalité perdue, à nous faire faire ce voyage vers l'authentique de l'antique. Mais, pour moi, je me méfie des agents de voyage qui promettent de l'authentique.

Car pour nous permettre d'accéder à cette réalité passée, Florence Dupont produit un texte, un beau texte, évocateur, écrit avec fermeté et énergie mais un texte, encore un autre...

À moins qu'il ne faille poser la question autrement : finalement quel intérêt y a t il (idéologique, intellectuel, scientifique, disciplinaire...) à ce que la notion de texte en général, de texte tragique en particulier soit à ce point inacceptable, à ce que la notion de littérature antique soit à ce point refusée, à ce que le travail de l'interprétation soit interdit dès lors qu'il s'agit d'Antiquité ?

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