Parutions Acta Fabula https://www.fabula.org/revue/ Dans l'ensemble des publications consacrées à la littérature, Acta fabula sepropose de recenser les essais présentant de nouveaux objets théoriques,mais aussi les ouvrages collectifs qui, relevant d'un champ disciplinaireplus étroit, recèlent de réels enjeux de poétique générale. fr contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) 60 Copyright © Fabula contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) acta Corps croyants, corps souffrants https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18089 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18089/Sermadiras Croire et souffrir.jpg" width="100px" />L’ouvrage d’Émilie Sermadiras est issu d’une thèse soutenue en 2019 et consacrée aux rapports entre la religion chrétienne et la maladie dans la seconde moitié du xixe siècle. Dans sa recherche sur les modes d’écriture du corps auxquels invitent la physiologie et la phénoménologie de la croyance religieuse, l’approche d’Émilie Sermadiras se distingue par le pari qu’elle fait de ne pas opposer strictement écrivains « catholiques » et écrivains « naturalistes », et de ne pas suivre les délimitations de corpus que ces distinctions appellent. Il s’agit donc de « rassembler autour d’une unité thématique – le spectacle d’un croyant malade – des œuvres qui relèvent d’esthétiques et d’idéologies dissemblables, voire opposées » (p. 13). L’étude couvre ainsi un corpus ample et associe une perspective large à des lectures intensives des œuvres et à des micro-analyses de la représentation du corps dans celles-ci. Parmi les principaux piliers de cette bibliothèque, on peut citer Un prêtre marié de Barbey d’Aurevilly, Le Désespéré de Léon Bloy, Sainte Lydwine de Schiedam de Huysmans, L’Évangéliste d’Alphonse Daudet, Sœur Philomène et Madame Gervaisais des Goncourt, L’Hystérique de Camille Lemonnier, L’Abbé Jules d’Octave Mirbeau et La Faute de l’abbé Mouret, Le Rêve et Lourdes de Zola. Émilie Sermadiras remarque ainsi que tous ces écrivains, par-delà leurs divergences, « ont un langage et un imaginaire analogues et font appel à une même poétique de l’incarnation pour aborder la question religieuse » (p. 13). La suite de l’étude fournit ainsi une cartographie de ce qu’on pourrait appeler, en détournant le concept de son emploi premier dans la sociologie bourdieusienne, le champ des relations entre le corps souffrant et le corps croyant dans l’écriture littéraire. Par ce jeu de focales multiples, l’autrice fait bel et bien apparaître une « dynamique interdiscursive » (p. 70), où la conflictualité des approches engage également une concurrence des regards et des expertises. La plus évidente d’entre elles oppose le prêtre et le médecin, mais aussi parfois plusieurs traditions médicales et plusieurs options dogmatiques entre elles, comme l’illustre exemplairement le conflit des regards sur le corps de Calixte dans Un prêtre marié de Barbey d’Aurevilly. Cette intuition fondatrice est remarquablement problématisée dans un court chapitre inaugural en forme de prologue, intitulé « Le corps du croyant au croisement des discours religieux et savants ». Émilie Sermadiras propose ic Mon, 22 Apr 2024 14:24:31 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18089 acta Enquête sur les origines d’un mal européen à la Renaissance : la vérole https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18084 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18084/Thérin.jpg" width="100px" />La grosse vérole, maladie rendue populaire par les écrivains du xixe siècle et communément nommée syphilis en référence à un poème bucolique rédigé par Fracastor en 1531, a marqué les consciences par son ambivalence, qu’on la vante dans une vision romantique comme mal du génie tourmenté, symbole de l’artiste maudit2, ou qu’on en cache le nom et l’origine honteuse comme l’ont longtemps fait les anthologies littéraires scolaires, qui la désignaient, en toute pudibonderie pédagogique, comme un mal métaphysique3. Maladie agressive, protéiforme, difficile à circonscrire, toujours vivace de nos jours4, et qu’on ne réussit à soigner véritablement qu’à partir des années 1940 avec la pénicilline, son nom, son origine, physiologique ou morale, difficiles à penser5, son mode de transmission et sa signification téléologique sont, depuis son apparition soudaine, au cœur des débats des intellectuels et des explorations génériques des écrivains. L’ouvrage qui se présente au départ comme une enquête historique, se propose à partir du mythe syphilitique de remonter aux origines de cette maladie européenne à la Renaissance, dont la première apparition, impromptue, date de la toute fin du xve siècle lors des guerres d’Italie (1595). Mémoires du corps De l’histoire obscure de cette maladie à la Renaissance ne reste, pour le lecteur, que la figure des « vérolés très précieux », dont Rabelais6, dans les prologues provocateurs de ses romans, affuble ses lecteurs. Il s’agissait donc au départ, comme l’expliquent Ariane Bayle et Dominique Brancher lors d’une rencontre à la Librairie Mollat7, d’interroger cette figure comique récurrente à l’époque afin d’en rétablir la vérité anthropologique, d’où l’inscription du livre dans la collection médicale et sociale « Mémoires du corps » de chez Jérôme Millon. Quelle place occupait donc la vérole au xvie siècle, pour qu’un romancier en fasse une figure récurrente et banale ? La vision synoptique d’un historien français de l’époque comme Louis le Roy (1510-1577) (no 63, p. 219) nous fournit une première réponse étonnante, lui qui la présente à la fin du siècle parmi les « inventions de plusieurs belles choses nouvelles », aux côtés de l’imprimerie, de la boussole, de l’artillerie et enfin du schisme religieux. Réalité quotidienne, inconvenante, source de burlesque et de connivence pour le romancier, nouveauté, « invention », cause d’étonnement et de questionnement philosophique, marqueur historique, pour l’érudit, le statut du mal demanda Mon, 22 Apr 2024 14:18:54 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18084 acta Le corps souffrant en revue https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18080 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18080/Fix Tous malades.jpg" width="100px" />Avec cet ouvrage collectif, Florence Fix souligne l’importance de questionner les représentations du corps souffrant, puisque cet état, plus ou moins passager, nous concerne et nous touche, aux sens haptique et émotionnel, toutes et tous. En 19 chapitres, l’ouvrage envisage ce que les représentations du corps souffrant disent, comment et à travers quels médiums. Il n’y a ici pas d’objectif d’exhaustivité – d’ailleurs un sous-titre de l’avant-propos de Florence Fix nous met en garde, les différentes parties de l’ouvrage se présentent « sans rien en commun » (p. 9). Tout l’intérêt de cette somme académique est dans la mise en exergue de la diversité des perspectives, des situations et des méthodologies. Néanmoins, il nous semble étonnant et regrettable qu’aucun positionnement vis-à-vis des humanités médicales1 ne soit envisagé, car c’est un élément qui aurait beaucoup apporté à l’argumentaire de l’avant-propos et de l’ouvrage de façon globale, notamment en termes bibliographiques. Un second décalage, qui lui n’est pas dommageable et se fait ressentir dans les lectures pré-Covid de tout à chacun dès l’instant qu’il est question d’épidémies (choléra, peste, sida), réside dans la sensation d’un certain manque de savoir expérientiel social. Mais leurs analyses pertinentes ne manquent pas de rappeler au lecteur que la recherche en humanités peut nous prévenir des dangers qui menacent l’espèce humaine. Car comme le montre si bien l’avant-propos, si l’individu est un corps en réseau, cela est d’autant plus vrai dans le cas de la maladie, qui voit la personne concernée soumise aux jugements de la société et aux regards et opinions des soignants. Le lecteur appréciera la référence au concept de « passibilité » de Jacques Ricot qui demande pourquoi ne pas envisager, « une perméabilité aux êtres et aux choses », une « disposition à être touché soudainement comme par surprise2 » ? Ce faisant, l’avant-propos impose une perspective compassionnelle sur les maladies et celles et ceux qui en souffrent. Tous malades cherche donc à savoir comment l’on parle de la maladie et des malades mais aussi comment le faire hors des clichés inhérents à ces expériences. La maladie et le malade De nombreux chapitres montrent justement combien il est difficile d’évoquer la maladie en dehors des clichés largement répandus. La maladie est souvent représentée comme une métaphore, au grand dam de Susan Sontag et d’autres depuis elle. Victoire Feuillebois (« De la musique comme pharmakon. Pat Mon, 22 Apr 2024 13:36:26 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18080 acta La douleur en partage https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18096 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18096/Poulin Douleur.jpg" width="100px" />Publié en 2007, Écritures de la douleur d’Isabelle Poulin est l’un des premiers ouvrages à interroger l’appréhension littéraire de la douleur1 et conserve aujourd’hui encore toute sa pertinence. Il échappe à une approche purement thématique du sujet en examinant simultanément la représentation de la douleur au sein de la fiction, son rôle dans le geste de l’écriture, et ses effets sur les lecteurs. Les jeux d’affinités et de contrepoints entre les trois auteurs choisis sont l’occasion, en accordant une place privilégiée au précurseur Dostoïevski, de mettre en lumière une intertextualité dense et de théoriser la fictionnalisation de la douleur, en croisant les approches médicales, psychanalytiques et critiques. Extraire la douleur du silence : un apanage littéraire ? L’introduction défend l’idée d’une valeur spécifique du discours littéraire qui ne se contente pas de prendre la douleur pour objet mais se laisse innerver par elle, pour en révéler les points saillants et les zones d’ombre. Isabelle Poulin plaide ainsi pour donner à la littérature une place à part entière dans le champ de la douleur, majoritairement occupé par la médecine et la psychanalyse, en montrant qu’elle est non seulement capable d’approfondir notre connaissance de la douleur mais qu’elle peut jouer un rôle pragmatique dans l’évolution des pratiques. Situé dans le sillage des travaux de Gérard Danou, l’ouvrage prend appui sur la conviction que « [l]’écrivain en sait plus que le médecin sur l’homme malade2 » et qu’il « peut prêter sa voix à l’homme souffrant » (p. 49). Si la douleur a tendance à se dérober à l’écriture, elle apparaît comme un point de contact possible avec les lecteurs, fermement ancré dans le réel. C’est donc à partir de la lecture que s’opère le nouage entre les trois auteurs étudiés, jalons d’une filiation littéraire polémique reliés par une « hantise commune de la rupture » : « Dostoïevski est à l’affût de tous les mots à double tranchant, Nabokov de tous les faux amis, Nathalie Sarraute de tout ce qui coupe dans la langue » (p. 25). D’emblée se pose la question du pouvoir de la littérature, qui opère dans l’espace d’un entre-deux restreint pour engager un rapport aux lecteurs : « La parole fuit les corps trop violemment touchés, mais ce qui ne touche pas les corps donne envie de fuir » (p. 31). Des pages éclairantes sont consacrées à l’histoire des représentations de la douleur depuis la fin du xixe siècle jusqu’au tournant du xxie siècle, moment où elle devient Mon, 22 Apr 2024 14:42:41 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18096 acta Baudelaire et l’intensité de la douleur. La poésie comme expérience affective du beau https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18093 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18093/Gross_Agonie extase.jpg" width="100px" />« Savoureuse », « majestueuse », « très simple et non mystérieuse »1, la douleur est omniprésente chez Baudelaire. Elle semble être connotée positivement : elle est fascinante, du moins au singulier ; et les douleurs plurielles sont également « vibrantes », « mornes », « solitaires », « muettes et terribles »2. Comme de nombreux aspects de la poétique baudelairienne, la conception de la douleur est à l’enseigne de l’oxymore. En tant que sensation négative, elle est anthropomorphisée et infantilisée dès l’incipit de « Recueillement » : Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille. […] Ma Douleur, donne-moi la main ; viens par ici,3 Extériorisée pour être mieux maîtrisée, la douleur devient une petite fille que le sujet poétique a peur de perdre dans la foule qui peuple la ville, et qu’il exhorte donc, pour que le recueillement ait lieu, à se recentrer sur elle-même. En revanche, le sujet poétique du « Jeu » ne cherche nullement à canaliser ou redimensionner la sensation : Et mon cœur s’effraya d’envier maint pauvre homme Courant avec ferveur à l’abîme béant, Et qui, soûl de son sang, préférerait en somme La douleur à la mort et l’enfer au néant4 ! Malgré l’épouvante que la sensation provoque, le sujet poétique en vient à envier celui qui, n’étant pas paralysé par la conscience de sa nature et de sa condition, peut percevoir dans l’affection sensible de la douleur la preuve de sa propre existence. Systématiser les douleurs baudelairiennes La douleur est au centre de la poétique baudelairienne, au croisement des dimensions sensible, esthétique, philosophique, mystique et physiologique. Cependant, jusqu’aux dernières décennies du siècle dernier, elle n’a été étudiée qu’indirectement ou partiellement, et surtout à travers les prismes du biographisme, du pessimisme et du dolorisme catholique. L’on dirait que la conception baudelairienne de la douleur a toujours été perçue comme signifiante, bien entendu, par son caractère transversal, mais qu’elle n’a quasi jamais fait l’objet d’une étude systématique5. C’est pourquoi l’ouvrage de Christoph Groß nous paraît indispensable : en s’attachant à creuser l’analyse d’un aspect central, et par là attendu, de la poétique baudelairienne, il construit une étude systématique inédite. Il se propose d’examiner la fonction à la fois poétologique et esthétique de la douleur dans l’œuvre de Baudelaire : c’est-à-dire de retracer les moyens poétiques et les techniques culturelles utilisés pour intégrer la douleur —  Mon, 22 Apr 2024 14:33:34 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18093 acta La « métrique intellectuelle » de la prose https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18064 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18064/Le-Thyrse-de-la-prose.jpg" width="100px" /> En lisant l’essai de Sylvie Thorel, on ne peut s’empêcher de penser à ce qu’écrit dans ses cahiers, en mai-juin 1917, Paul Valéry : Trouver la formule d’un ordre. En général, le discours en prose est sans lois (par définition) – on lui donnerait des règles aussi rigoureuses qu’aux vers – rigoureux. Mais non des règles auditives – des règles de métrique intellectuelle. Règles invisibles. Alors il y aurait un travail de mise en prose. Mais cela ne s’appellerait plus prose1. Bien qu’à aucun moment Sylvie Thorel ne cite ce passage, on y trouve formulé, avec une densité et une clarté admirables, un problème auquel nombre d’écrivains des xixe et xxe siècles se sont confrontés. C’est aux réponses qu’ils lui ont données, mais au nom de la prose, en cherchant à demeurer sous l’étendard de la prose, que s’attache ici le propos, souvent nouveau et éclairant, de l’autrice. Si la question de la prose (et donc, nécessairement, du vers) ne cesse de susciter des travaux d’importance, en particulier en ce qui concerne le xixe siècle, dans lequel se joue une véritable « crise de prose2 », l’ouvrage se signale par une approche de large envergure, qui, contrairement à ce que pourrait laisser entendre le sous-titre, concerne un ample corpus. L’autrice commente en effet de manière détaillée plus d’une vingtaine d’auteurs de langues française, anglaise, allemande et espagnole, du romantisme à la fin du siècle dernier. Outre Poe, Baudelaire et Mallarmé, nommés dans le sous-titre, sont abordés par exemple Mary Shelley, Hugo, Mérimée, Hoffmann, Bertrand, Banville, Melville, L. Carroll, Rimbaud, Laforgue, Jarry, Kafka, Joyce, Gide, Cendrars, Borges, Nabokov, Beckett ou Perec. Mais, sous cette diversité apparente, nulle juxtaposition facile d’études hétérogènes. Tout le livre, bien au contraire, se développe autour d’une thèse fermement tenue, à partir de laquelle se développent de fines analyses d’œuvres majeures ou moins connues, qui, sans être soumises à une perspective unique qui les réduiraient au rang d’illustrations d’une interprétation préétablie, resserrent le propos global et ramènent, après des détours parfois inattendus, à la ligne démonstrative. Ainsi peut-on penser que le thyrse, symbole baudelairien élu en emblème d’une certaine modernité littéraire, a donné à l’essai lui-même sa forme et sa démarche. Le désastre du vers Une première partie se propose comme « Une histoire de la poésie » (p. 21-79) fondée sur la notion de forme symbolique telle que Panofsky (a Sun, 07 Apr 2024 19:02:33 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18064 acta Plutarque et Amyot : au plus près du « moment Renaissance » https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18071 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18071/guerrier_plutarque.jpg" width="100px" />La quête des glissements, des strates, des télescopages ; un horizon qui est celui de l’appropriation singulière et de la différence de culture : la perspective d’Olivier Guerrier n’est résolument pas de traquer les contre-sens des humanistes sur Plutarque. Rappelant tout d’abord que l’œuvre de Plutarque est elle-même composite, le critique n’a de cesse de montrer comment ce phénomène se trouve élevé au carré par les humanistes, à rebours d’une saisie lisse et uniforme de leur part, qui serait immédiatement perceptible à la lecture de leur traduction. Il s’agit donc pour Olivier Guerrier d’étudier tout ce qui manifeste ce travail, conscient ou non, d’appropriation singulière, et surtout, ses symptômes, en évitant toute approche axiologique qui renverrait telle ou telle traduction à une mauvaise compréhension de la pensée de l’auteur. Cette perspective, rigoureuse tout autant que porteuse, est celle, pour reprendre les mots d’Olivier Guerrier, de « l’histoire des textes et la philologie », « mises au service de la traductologie et de l’herméneutique » (p. 17). L’auteur nous invite donc à l’étude d’un Plutarque humaniste qui, au total, ne peut être autre qu’un remarquable palimpseste, tant cet auteur est édité, traduit – en latin et en langues vernaculaires, lu, commenté ; et plus encore, c’est bien la découverte du caractère profondément matriciel de l’œuvre de Plutarque pour les hommes de la Renaissance qui attend le lecteur. Du temps de Plutarque à la Renaissance Dans l’introduction, Olivier Guerrier situe un travail dont il justifie l’ampleur en rappelant l’importance de la fréquentation de la philosophie antique à la Renaissance, qu’il faut resituer dans le cadre du développement de l’imprimé ; à cet égard, il rappelle les principales évolutions du siècle, ce qui est l’occasion d’introduire un thème central, sur lequel nous aurons beaucoup à revenir : celui du christianisme, et plus précisément de la christianisation croissante des auteurs païens tout au long du siècle ; aucun philosophe n’y échappe. De façon générale, Olivier Guerrier montre bien que pour les humanistes, il y avait assurément matière à tirer profit des enseignements de Plutarque, lui pour qui le quotidien est un domaine à déchiffrer et dont la lecture s’avère au plus haut point profitable pour ce qui est de la « Philosophie active », d’après Goulart (p. 16). Le critique invite en préambule à revenir sur la généalogie de la constitution du corpus de Plutarque. Il s’intéresse à ce titre Sun, 07 Apr 2024 19:36:35 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18071 acta Écrire animal https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18067 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18067/Vago_tissage.jpg" width="100px" />Une synthèse sur l’histoire de l’écopoétique Davide Vago inscrit son ouvrage, Le Tissage du vivant, dans le mouvement écopoétique dont il retrace l’histoire dans l’introduction, de façon à la fois claire et documentée. Il rappelle comment l’ecocriticism américain, développé à partir des années 1980 dans une perspective « d’activisme culturel » (p. 15), a été adapté par les chercheurs francophones sous la forme de l’écopoétique. Alors que pour le premier, « l’analyse littéraire est […] considérée comme préliminaire à une injonction pédagogique ou éthique » (p. 15), à savoir changer son rapport à l’environnement, l’écopoétique opère un retour à « la littérarité, comme lieu d’élaboration d’une conscience littéraire de l’environnement » (p. 17). L’auteur rappelle avec raison que les modifications survenues lors de ce transfert ne tiennent pas seulement aux traditions universitaires respectives de la France et des États‑Unis mais aussi aux corpus littéraires analysés. L’ecocriticism est né dans des études d’œuvres représentant la wilderness, « ces milieux naturels non contaminés, intacts, vierges, qui s’étendent souvent sur de vastes superficies » (p. 15). Walden ou la Vie dans les bois (1854) de Henry David Thoreau ou Nature (1836) de Ralph Waldo Emerson sont des œuvres iconiques de ce mouvement. La wilderness y est conçue comme un pôle opposé à l’humanité, comme une sauvagerie irréductible1. Cette représentation est beaucoup moins présente dans la tradition littéraire européenne, à partir de laquelle s’est développée l’écopoétique. C’est pour cette raison que le belge Pierre Schoentjes, propose de substituer à la wilderness le concept d’oïkos, qui « renvoie à l’habitation d’un monde situé » (p. 9) et partagé par les différentes espèces vivantes, dont l’homme2. Dans l’oïkos, l’homme et les autres formes du vivant ne s’opposent pas radicalement mais interagissent. Plus que ces interactions, ce qu’étudie Davide Vago est la compréhension du vivant par l’humain, sous une forme spécifique : la représentation du point de vue animal dans la littérature. Or représenter le point de vue (d’un) animal nécessite de l’empathie envers l’animal, c’est‑à‑dire la projection, « le passage d’un référentiel égocentré à un référentiel allocentré » (p. 25), et donc en même temps, d’un « référentiel » anthropocentré à un « référentiel » zoocentré. On peut regretter l’imprécision fréquente des définitions données, à commencer par celle de l’empathie. Le premier chapitre constitue u Sun, 07 Apr 2024 19:07:28 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18067 acta Rencontre entre le SLAC et le comité de la revue COnTEXTES https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18047 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18047/Rene-Magritte-L-Art-de-la-conversation.jpg" width="100px" />Le Séminaire littéraire des armes de la critique (SLAC) a invité le 27 janvier 2023 les membres de la revue de sociologie de la littérature COnTEXTES à participer à une discussion sur l’histoire et le fonctionnement de la revue, comme sur les approches externalistes à la littérature. SLAC — Pouvez-vous revenir sur le contexte et les éléments qui ont mené à la création de la revue COnTEXTES en 2006 ? De quelle conjoncture intellectuelle et sociale la revue est-elle le produit ? COnTEXTES — COnTEXTES est une revue, mais également, au départ, un groupe de recherche informel issu de deux universités : l’Université Libre de Bruxelles et l’Université de Liège, et plus précisément de deux professeurs, Paul Aron à Bruxelles, Jean-Pierre Bertrand à Liège, qui ont inspiré toute une génération d’étudiant·e·s, devenu·e·s depuis chercheuses et chercheurs (Cécile Vanderpelen, Bibiane Fréché, Björn-Olav Dozo, Daphné de Marneffe, François Provenzano, Anthony Glinoer, Tanguy Habrand, Frédéric Claisse, etc.). Avant cette génération, le contexte était largement dominé, d’une part, par l’histoire de la littérature, d’autre part, par une tradition plus philologique, textualiste. À la faveur de certaines lectures et de certains cours de sociologie de la littérature accessibles en option dans les deux universités, ils et elles ont découvert d’autres manières d’approcher la littérature que les méthodes dominantes, et ont organisé un séminaire informel où ils et elles se retrouvaient pour parler de leurs lectures ainsi que de leurs travaux de mémoires de DEA1. L’enjeu était donc dans un premier temps de se retrouver, de discuter. Il s’agissait d’une sociabilité bricolée, informelle, une manière d’ouvrir des chemins de traverse pour s’aventurer dans une appréhension du littéraire qui n’allait pas de soi. En effet, l’équipe était essentiellement composée de jeunes chercheur·se·s, parmi lesquels seul Anthony Glinoer avait à l’époque défendu sa thèse. Les choses ont bien pris, les rassemblements se sont systématisés, et ils et elles ont été encouragé·e·s à formaliser cela sous la forme, d’abord, d’une journée d’études2, puis de la revue qui a paru d’emblée au format numérique — option assez démocratique et assez pratique. Le groupe de chercheur·se·s à l’origine de COnTEXTES procédait en partie du CIEL (Centre Interuniversitaire d’Études du Littéraire), coanimé par Paul Aron (ULB), d’une part, et Jean-Marie Klinkenberg et Benoît Denis (ULiège), d’autre part. Cécile Vanderpelen, Bibi Sat, 30 Mar 2024 17:44:39 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18047 acta Spectrographie pour un voyeur paranoïaque https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18053 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18053/BayardHitchcock.jpg" width="100px" />« Je n’ai pas permis à la vraisemblance de montrer sa vilaine tête1 ». Creusant un filon brillamment illustré par Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? (2007), Pierre Bayard (se) propose d’investiguer cette fois l’un des plus célèbres thrillers d’Hitchcock : Fenêtre sur cour, une fiction cinématographique qui garde toutes les contraintes d’une dramaturgie scénique, et qui permet de croiser les engrammes de la critique policière classique et de l’analyse filmique, aussi détaillée et précise que possible. Contrairement aux autres livres que j’ai consacrés à la critique policière, celui-ci portera sur le cinéma, ce qui, sur bien des points, devrait changer la donne. (p. 18) On remarquera tout de suite le tour affirmatif donné au titre de ce nouvel essai2, contrairement aux précédents opus qui maintenaient le doute par la forme interrogative : songeons à Aurais-je été résistant ou bourreau ? (2013), ou bien encore à Qui a tué Roger Acroyd ? (1998) ; en 2021 toutefois, le titre Œdipe n’est pas coupable procédait déjà par l’affirmative. On remarquera que la plupart des titres capitulaires voyagent de façon nomade de livre en livre, comme l’illustre ici le sous-titre « Contre-enquête », déjà donné à l’un des chapitres de Qui a tué Roger Acroyd ? comme d’Œdipe n’est pas coupable3. Ces titres-transfuges (par analogie avec les « fictions transfuges » théorisées par Richard Saint-Gelais, qui ne sont pas sans rapports avec les exercices de Pierre Bayard), nous montrent au moins une chose : le caractère auto-commentatif et auto-citatif de ces ouvrages, qui s’amusent à déterritorialiser les grands classiques du polar et de l’énigme, en en proposant — sans trop y croire, mais en est-on bien sûr ? — des exégèses alternatives auxquelles l’auteur ne nous demande nullement d’adhérer, mais qui, par leur habileté et leur ébouriffante fantaisie déguisés en un sérieux immarcescible, nous plongent dans un jubilatoire What if ? « Qu’est-ce qu’un délire » ? Lecture non pas intrinsèquement folle mais sans doute traversée par moment comme les grands délires systématisés par une fêlure invisible. Entreprendre d’édifier un délire présente en tous cas un avantage : permettre de réfléchir autrement sur la nature ou sur les fondements d’une lecture vraie4. Comme tous les volumes de Pierre Bayard, ce livre est charpenté de façon très pédagogique5, puisque les quatre grandes parties sont elles-mêmes subdivisées en quatre sous parties (c’est le cas d’à peu près toutes les enquêt Sat, 30 Mar 2024 20:12:50 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18053 acta Questions à l’équipe de la revue COnTEXTES https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18052 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18052/magritte-mostra-milano-tiziana-leopizzi-min.jpg" width="100px" />Carla Robison — L’appellation « sociologie de la littérature » affichée sur le site de COnTEXTES me laissait toujours un peu perplexe parce que je suis encore dans une manière de voir très franco-française ; pour moi la sociologie de la littérature telle qu’elle est représentée en France est une approche externaliste. Comprendre cette tradition belge ou liégeoise qui mélange l’approche internaliste et l’approche externaliste est très éclairant. Vous n’avez pas mentionné la sociopoétique d’Alain Montandon. Comment est-ce que vous vous situez en fait par rapport à cette approche ? À propos des différentes traditions d’administration de la preuve, la méthodologie de l’approche internaliste se limite-t-elle à la citation comme vous l’avez dit ? Je pense aux protocoles que propose Alain Montandon dans son article sur la sociopoétique dans la revue éponyme1.  Valérie Stienon — Il m’a semblé adéquat de sous-titrer ma thèse Sociopoétique d’un genre panoramique2, et c’était avant même l’existence de la revue Sociopoétique. Chez certain·e·s autres chercheur·se·s aussi, comme dans l’étude de David Vrydaghs sur Henri Michaux, l’idée était vraiment d’étudier des formes dans l’espace des possibles et en particulier de plus petites formes, souvent déconsidérées, en appliquant la même acuité d’analyse qu’on pouvait avoir pour le texte à la sémiose sociale. C’était une sorte de dérivé de sociocritique, mais s’appliquant à des cadres génériques, davantage formels. La preuve n’est donc pas seulement la citation, mais une forme de poétique, plus large donc que de simples citations. On n’a jamais vraiment explicité cette sociopoétique, et le terme a eu d’autres postérités, auxquelles COnTEXTES n’est pas forcément liée.  Clement Dessy — Viala employait aussi le terme de sociopoétique des œuvres pour la science des œuvres. Le terme connaît en effet une pluralité de nuances et de définitions.  Denis Saint-Amand — Jean-Pierre Bertrand, notamment dans son approche des Complaintes de Laforgue, proposait quelque chose qui dialoguait avec cette approche sociopoéticienne. Je sais qu’Alain Vaillant n’aime pas qu’il y ait du « socio » là-dedans, mais ce qui se joue à Nanterre du côté de la poétique historique des textes modernes me semble correspondre aussi, en partie, à l’approche que Valérie et David Vrydaghs développent.  Vincent Berthelier — Vous avez dit que COnTEXTES apparaît à un moment où l’on sacralisait plus la littérature dans les études littéraires qu’on ne le fait aujourd’hu Sat, 30 Mar 2024 18:11:51 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18052 acta Unclaimed Expérience/L’Expérience inappropriable. Une première traduction française d’un des ouvrages fondateurs des trauma studies https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18034 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18034/Laumier_Caruth.jpg" width="100px" /> En 2017, dans Réparer le monde, Alexandre Gefen pointait « le développement accéléré en France ces dernières années de ce que l’on appelle les trauma studies littéraires […] ces “études” culturelles [...] nées aux États-Unis1 ». Malgré ce diagnostic, nourri par l’indéniable récurrence de la question du trauma dans la littérature comme dans les études littéraires françaises, force est de constater que les travaux des trauma studies, issus en grande partie du monde anglophone, restent assez superficiellement connus en France et peu diffusés. C’est ce dont témoigne, il me semble, l’absence de traduction française des livres structurant ce champ d’étude qui s’est peu à peu constitué à partir de la fin des années 1990 et qui depuis lors n’a cessé de croître et de se reconfigurer. Il aura en effet fallu attendre septembre 2023 pour que paraisse aux Éditions Hermann une première traduction d’un des ouvrages à la fois phare et fondateur des trauma studies : Unclaimed Experience : Trauma, Narrative and History de Cathy Caruth – soit L’Expérience inappropriable. Le trauma, le récit et l’histoire – initialement publié en 1996. Dans une écriture dense, le livre présente cinq textes qui théorisent en même temps qu’ils mettent en œuvre un « nouveau mode de lecture et d’écoute » (p. 18) pensé à partir du trauma. Ces textes, pour certains publiés dès 1990 sous forme d’articles, portent sur la pensée psychanalytique, la littérature ou encore la philosophie, tout en montrant une nette préférence pour les zones de rencontre entre ces différents discours et langages. Pour rendre compte de L’Expérience inappropriable il convient de se pencher sur les propositions théoriques et les analyses de Cathy Caruth dans les années 1990 et sur la façon dont elles ont été traduites par Élise Guidoni. Mais cela suppose également de prendre en considération les écarts temporels qui travaillent le texte : liés en premier lieu à la trentaine d’années qui séparent la première publication de la traduction en français et renforcés par le fait que la version publiée chez Hermann comporte une postface de Cathy Caruth ajoutée lors de la réédition américaine d’Unclaimed Experience en 2016. Après coup À l’occasion des vingt ans de Unclaimed Experience, paraît en effet une nouvelle édition augmentée d’une postface intitulée « Addressing life : the literary voice in the theory of trauma » (« S’adresser à la vie : la voix de la littérature dans la théorie du trauma »). Ce texte semble avoir un Sun, 24 Mar 2024 10:57:22 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18034 acta Quelle(s) vérité(s) pour le roman de Proust ? Edward Bizub à contre-pied https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18030 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18030/Bizub_Proust.jpg" width="100px" />Du roman de Marcel Proust, chacun connait l’épisode de la madeleine, l’extase sensorielle du héros face à son passé retrouvé autorisant en même temps, par un habile jeu de structure, la transition entre la première et la deuxième partie de « Combray ». À l’autre extrémité d’À la recherche du temps perdu, soit plus de 3000 pages plus loin (dans l’édition de la Pléiade1), les autres phénomènes de mémoire semblent parfois faire pâle figure : bruit d’une cuiller contre une assiette, sensation du degré de raideur d’une serviette, impression de déséquilibre sur des pavés mal équarris ; les moments d’épiphanie du Temps retrouvé peinent à rivaliser dans l’esprit de nombre de lecteurs avec la pâtisserie ronde et dodue si souvent associée au nom de Proust. À tort, selon Edward Bizub, qui dans Faux pas sur les pavés, Proust controversé2 vise à déplacer le foyer de la signification de la Recherche de la madeleine à la scène des pavés, c’est-à-dire de la bouche de Marcel à ses pieds. Original, stimulant et volontiers provocateur, l’essai d’Edward Bizub est un ouvrage à thèse assumant une forte orientation positiviste. L’œuvre de Proust s’érigerait sur un « socle théorique » (p. 39) dont le romancier aurait eu conscience tôt. Il existerait dans la Recherche un message dissimulé, garant du « véritable contenu du roman » (p. 38), « pierre angulaire » (p. 41) ou encore « clé de voûte » (p. 41) de l’ensemble de l’édifice. On voit d’emblée ce qu’a d’entraînante la démarche d’Edward Bizub : pour caché qu’il soit, le message existe bel et bien. Il faut donc enquêter et rassembler les indices afin de le décrypter. Voilà légitimée la tâche du critique, qui double la figure d’un Proust en quête d’une vérité d’une méticuleuse recherche de la vérité du roman et de la vie de son auteur – la notion de vérité étant pour Bizub rarement plurielle. L’essai de Bizub s’apparente ainsi à une quête des origines. Il s’agit d’une méthode déjà éprouvée par le critique, puisqu’un premier livre portait sur la pratique de traduction de Proust de l’œuvre de John Ruskin3, tandis qu’un second avait pour objet la cure faite par Proust auprès du docteur Paul Sollier4. Faux pas sur les pavés reprend les acquis des études précédentes pour mieux les redéployer à l’intérieur de la scène où le héros trébuche sur les pavés de la cour de Guermantes, à la fois apothéose de l’œuvre et moment révélateur d’une vérité dissimulée. Quelle est cette vérité que la scène des pavés du Temps retrouvé révèlerait ? Il n’y Sun, 24 Mar 2024 10:51:50 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18030 acta Une didactique qui reste encore à dessiner https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18017 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18017/Raux_Bande_dessinée.jpg" width="100px" />S’il ne fallait donner qu’un exemple, le succès auprès des scolaires du festival international d’Angoulême témoigne de la fortune de la bande dessinée auprès des enseignants de français. Peut-on pour autant parler d’un objet disciplinaire identifié et surtout maîtrisé par les professeurs ? Notre propre expérience professionnelle, la lecture des manuels comme les réactions des élèves nous permettent personnellement d’en douter. L’ouvrage d’Hélène Raux apporte de très intéressantes pistes de réflexion sur le malentendu scolaire autour de l’utilisation de ce média ambivalent. L’objet de l’autrice, qui reprend ici ses travaux de doctorat (thèse sous la direction de Brigitte Louichon et de Nicolas Rouvière, soutenue en 2019), n’est donc pas tant la bande dessinée en elle-même que « les discours et pratiques qui lui sont consacrés à l’école » (p. 10). L’introduction revient sur la polarisation du genre depuis les années 1970, entre d’un côté une bande dessinée populaire et de l’autre des romans graphiques qui paraissent plus légitimes. La bande dessinée est-elle de la littérature dessinée ? La critique est déjà revenue sur cette question propre à embarrasser le travail des enseignants. En premier lieu, il convient de renoncer à la question du rapport texte-image ainsi qu’à une grille de lecture du type linguistique, qui seraient toutes deux inopérantes. En réalité, la bande dessinée est un médium indépendant de la littérature classique, quand bien même elle reste en grande partie liée à cette littérature dans les discours officiels et officieux. Littéraire, la bande dessinée l’est du moins par la lecture livresque qu’elle demande, en opposition aux arts du spectacle. Qu’en est-il de l’objet disciplinaire ? S’il est difficile de quantifier l’utilisation de la bande dessinée par les classes, on reconnaîtra néanmoins son caractère pédagogique dans le développement de certaines compétences en lecture. À partir de ces quelques constats, Hélène Raux va apporter dans une première partie des « éclairages historico-didactiques » qui peuvent expliquer cet état des lieux, avant d’analyser avec beaucoup de finesse quelques pratiques enseignantes. Naissance d’un malentendu Ce sont les années 1970 qui voient émerger la possibilité d’une lecture scolaire autour de la bande dessinée, notamment avec la « rédaction à partir d’un support visuel », même si la méfiance semble toujours de mise pour ce médium. En découlent de nombreuses crispations entre des tenants du classicisme l Sun, 17 Mar 2024 11:40:35 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18017 acta Giraudoux, la littérature, la politique https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18011 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18011/Giraudoux_Essais.jpg" width="100px" />« Que reste-t-il de Jean Giraudoux à l’aurore — déjà bien avancée — du xxie siècle ? La question éveille encore une réaction indignée et/ou un sentiment douloureux chez un bon nombre d’amoureux de la littérature, ce qui prouverait si nécessaire que ses œuvres n’ont pas totalement disparu du paysage affectif et culturel de la France contemporaine1. » C’est en ces termes qu’Yves Landerouin commence sa préface au premier volume des Essais de Giraudoux, publié dans la Bibliothèque de littérature du xxe siècle des éditions Classiques Garnier en 2020. Deux ans plus tard, un second volume, encore plus copieux que le premier (1175 pages), rassemble la suite de ces essais, les textes critiques et politiques. Si Giraudoux reste connu et apprécié du grand public pour son œuvre dramatique, il faut reconnaître que ses romans ont aujourd’hui un lectorat des plus réduits. Les amateurs de romans se privent ainsi du plaisir que peut procurer la lecture de Combat avec l’ange, de Choix des élues ou des Aventures de Jérôme Bardini. Que dire du lectorat des essais de Giraudoux ? Curieusement, Littérature, volume publié en 1941 chez Grasset, reste cité et même réédité, d’abord dans la collection « Idées » chez Gallimard en 1967, puis dans la collection « Folio Essais » en 1994. Il prend sa place au milieu de ces essais sur la littérature, écrits par des écrivains, au même titre que les Préférences de Julien Gracq ou le Sous bénéfice d’inventaire de Marguerite Yourcenar, pour ne citer que ces deux exemples. Giraudoux entre de plein droit dans cette grande école de la critique des créateurs. Qu’en est-il des textes politiques ? Dans l’entre-deux-guerres, et surtout dans les années trente, la plupart des grands romanciers français ont publié des essais : c’est le cas de Gide, de Bernanos, de Giono. Henri Godard, à propos de Giono, a bien insisté sur les dérives auxquelles les essais pouvaient conduire ces romanciers2. Pierre Glaudes et Jean-François Louette dans leur synthèse sur l’essai s’interrogent aussi sur ces ouvrages publiés dans les années trente3. Il faut enfin rappeler que le corpus des essais de Giraudoux a fait l’objet d’un colloque à l’Université d’Aix-Marseille, organisé par Mireille Brémond, Annick Jauer et Anne-Marie Prévot. Les actes de ce colloque ont été publiés dans le numéro 44 des Cahiers Jean Giraudoux, publiés par Classiques Garnier en 2016.4 Essais littéraires La première partie de ce second tome, soit environ la moitié du livre, regroupe avec les deux li Sun, 17 Mar 2024 11:38:57 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18011