Parutions Acta Fabula https://www.fabula.org/revue/ Dans l'ensemble des publications consacrées à la littérature, Acta fabula sepropose de recenser les essais présentant de nouveaux objets théoriques,mais aussi les ouvrages collectifs qui, relevant d'un champ disciplinaireplus étroit, recèlent de réels enjeux de poétique générale. fr contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) 60 Copyright © Fabula contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) acta Christine de Pizan, du signe au symbole https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16247 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/16247/pinel_delale.jpg" width="100px" />Christine de Pizan est une des autrices du Moyen Âge les plus connues ; elle fait partie, avec Héloïse, de ces noms féminins qui ont traversé les siècles, entre histoire et légende. Si elle a pu être lue de manière continue entre le xve siècle et aujourd’hui, un tournant dans l’image que l’histoire littéraire s’est faite d’elle est intervenu avec l’édition, à la fin du xixe siècle, de ses œuvres poétiques par Maurice Roy. En mettant l’accent sur ses productions lyriques, l’éditeur faisait oublier son identité d’historienne et d’historiographe qui prévalait jusqu’alors. La tendance académique est aujourd’hui double : tournée vers les gender studies d’une part, centrée sur les manuscrits d’autre part. Car Christine de Pizan a ceci de fascinant qu’elle n’était pas seulement autrice : elle était aussi éditrice de ses œuvres, allant jusqu’à en copier certains exemplaires de sa propre main. C’est ainsi à une plongée dans la production manuscrite des œuvres de Christine de Pizan que nous invite la somme de S. Delale, dans une optique biographique et historique. Examinant la mise en livre de certains textes, principalement les Dits et les Livres de l’autrice, S. Delale se propose d’identifier les principes d’édition de certains genres en confrontant les différentes versions éditoriales d’un même texte. Là où la codicologie et la paléographie s’appliquent plutôt à confronter les variantes d’un même texte pour en déterminer l’édition la plus complète ou une des éditions les plus pertinentes, S. Delale compare les différents manuscrits d’une même œuvre pour en examiner, non pas la matière, mais la forme, selon la distinction aristotélicienne reprise et justifiée en introduction. Cette étude, issue d’une thèse de doctorat soutenue à l’université de la Sorbonne en décembre 2017, prend le parti de considérer l’œuvre comme une création en perpétuelle actualisation et de sonder Christine de Pizan comme une créatrice totale. Le parcours de la chercheuse n’y est pas étranger. Comme indiqué lors de son allocution de soutenance, S. Delale a fait l’expérience de l’écriture avant de consacrer ses efforts à la recherche universitaire. C’est forte de cette attention aux affres de la création artistique, rencontrée tant en littérature qu’en musique, qu’elle aborde l’œuvre, non comme un état figé, mais comme un organisme encore vivant. Sous son étude des manuscrits des Dits et des Livres de Christine de Pizan, c’est la vie de l’autrice dans la précision de ses jours que la chercheu ven., 17 mars 2023 21:52:16 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16247 acta « Là où ça sent la merde, ça sent l’être » https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16253 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/16253/renaud_kim.jpg" width="100px" />Les lecteurs et les critiques ont longtemps sous‑estimé l’importance de la thématique excrémentielle dans le corpus littéraire français des xxe et xxie siècles. Annabel L. Kim s'inscrit en faux contre cette tendance à censurer les écrits stercoraires contemporains par le biais d’exégèses qui leur dénient toute signification profonde. Ce sont donc, ici, des relectures d’auteurs majeurs qui nous sont proposées, érigeant le propos scatologique en parabole égalitaire, objet littéraire en même temps que réflexion sur la littérature elle‑même. On connaît, depuis la copieuse étude que leur a consacrée naguère Gérard Genette1, l’importance et les enjeux des seuils, invites, leurres ou mises en garde liminaires — « voi ch’entrate… » — que le lecteur ne saurait ignorer sans s’exposer à la mystification ou au fourvoiement. Ici, plus qu’ailleurs sans doute, la prudence est de rigueur. Si le propos scatologique est, dans le champ littéraire, moins offusquant que « consubstantiellement ironique », cette ambiguïté affecte du même coup toute exégèse de la prose stercoraire : tout cela est‑il bien sérieux ? Avant même d’entamer la lecture de l’essai d’Annabel L. Kim, c’est en effet sur le sérieux de l’entreprise que l’on s’interroge : le titre en forme de calembour digne d’un ouvrage de la bibliothèque Saint‑Victor, la couverture figurant la porte de « toilettes » — puisque l’on use désormais de cet anglicisme euphémique pour désigner  nos « retraicts » —, la quatrième de couverture, avec les inévitables jugements louangeurs et la référence rabelaisienne, autant de signes ou signaux qui, tout en éveillant sa curiosité, suscitent la méfiance du lecteur. L’introduction, « We have always been fecal », est précédée d’une épigraphe empruntée à Baudelaire, bien faite pour éveiller la suspicion : The Frenchman… is an animal of Latin race ; he has no objection to ordure in his domicile, and in literature he is scatophagous. He delights in excrement. Cette note d’humeur prise dans Mon cœur mis à nu2 suffit‑elle à formuler d’emblée le postulat sur quoi se fonde l’ensemble des lectures qu’on va nous proposer dans les chapitres qui vont suivre : « French literature is full of shit » ? On peut déjà craindre que ne soient allégrement franchies les limites de l’interprétation — et la référence, dans les dernières pages de l’introduction, aux exégèses de Louis Marin et Jacques Derrida n’est pas de nature à nous rassurer, pas plus que le name dropping associant dans une même fascination s ven., 17 mars 2023 22:32:13 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16253 acta Renouveau de la critique sociale dans la littérature française contemporaine https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16257 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/16257/rearmement.jpg" width="100px" />Paru sous la direction de Jean‑Pierre Bertrand, Justine Huppe et Frédéric Claisse, l’ouvrage a pour objet d’étude la tendance qu’a la littérature la plus contemporaine à prendre en charge une forme de critique sociale, après un moment de relatif reflux de celle‑ci dans la seconde moitié des années 1970 et dans la décennie suivante. La stimulante introduction de l’ouvrage inscrit ce renouveau de la critique en littérature dans un paysage intellectuel plus large, en s’appuyant notamment sur les travaux de Razmig Keucheyan1 (p. 8). Celui‑ci montre une multiplication des théories critiques dans de nombreux champs des sciences humaines et sociales à partir des années 1990, sur fond de remobilisation des mouvements sociaux et de « décentralisation des foyers de la pensée critique » (p. 9). De nouvelles pensées s’imposent, tandis que les hiérarchies conceptuelles anciennes se trouvent reconfigurées, au profit de concepts et de théories qui avaient parfois été reléguées au second plan. C’est le cas d’un certain marxisme hétérodoxe — gravitant notamment autour des réflexions de Benjamin ou de Gramsci —, qui connait aujourd’hui un véritable retour en grâce. Un panorama de la critique en littérature Réarmements multiples Les différentes contributions tracent un parcours au sein de ces écrits, parcours qui témoigne d’une diversité dans les modes d’interaction entre littérature et critique sociale. Ce renouveau critique serait, par exemple, aussi bien motivé par un contexte social qui le rendrait nécessaire qu’armé par les théories nouvelles que celui‑ci suscite. Sylvie Servoise illustre cette première tendance, en étudiant des écrits d’Arno Bertina et de Nathalie Quintane marqués par le moment « Nuit Debout ». Dans ces œuvres, il ne s’agit pas seulement de représenter le mouvement du printemps 2016, mais de mettre en place des dispositifs textuels qui cherchent à penser la démocratie (« La littérature contemporaine à l’épreuve de la “démocratie des places” », p. 177‑192). Des luttes nouvelles peuvent donc appeler des réponses littéraires spécifiques. Le texte de Siân Lucca illustre la seconde tendance et montre comment l’émergence d’une théorie — en l’occurrence la théorie queer — fournit un puissant levier analytique à Édouard Louis dans ses récits autobiographiques (« Édouard Louis et le genre. Écritures de soi sous influence Queer », p. 121‑134). À la jonction de ces deux dimensions, l’article de Frédéric Claisse montre comment, dans l’histoire du xxe siècle, les p sam., 18 mars 2023 11:28:38 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16257 acta Tribunal, tribune, métaphores : poétique du procès anarchiste https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16262 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/16262/retat - copie.jpg" width="100px" />Cet ouvrage prend place dans le cadre des travaux que Claude Rétat conduit depuis plusieurs années sur l’œuvre, méconnue, de Louise Michel, dont les écrits sont souvent mal, voire non édités. Après avoir retrouvé et reconstitué le roman La Chasse aux loups (Classiques Garnier, 2015, réédition 2018), Claude Rétat vient de publier la première édition scientifique des Mémoires de 1886 (Gallimard, coll. « Folio histoire », 2021) ; pour sa troisième collaboration avec la maison d’édition provinciale Bleu autour1, dont les livres sont aussi de beaux objets (typographie soignée, papier épais, très riche iconographie), C. Rétat s’est intéressée au procès de Grenoble (8 au 12 août 1890) que Louise Michel présente comme le point d’orgue du second volume de ses Mémoires (1890) 2 : Le premier volume des mémoires se termine à ma sortie de prison après la mort de ma mère.Le second doit se terminer après le procès de Grenoble.Ce sont deux phases terribles de mon existence. (cité p. 129) Déclaration étonnante et paradoxale puisqu’un moment arrêtée, de fait, Louise Michel fut déclarée irresponsable et ne fut pas jugée. Lorsque, dans la prison de Vienne où elle avait été incarcérée, le juge d’instruction lui avait annoncé sa remise en liberté, elle avait été prise d’une crise de désespoir furieux et internée dans une maison de santé, de façon temporaire ; sa crainte d’un internement définitif, réelle, est transposée dans La Chasse aux loups. Louise Michel se trouve à l’origine du nouvel essai de C. Rétat ; le lecteur qui s’intéresse à cette figure emblématique de la Commune y trouvera une mine d’informations et d’analyses mais le sujet du livre se trouve, volontairement, décentré : non pas Louise Michel en 1890, mais les faits, dans une ville de la région lyonnaise, Vienne, qui ont mené au procès de Grenoble, le procès lui‑même et son traitement dans un certain nombre de documents (la presse, officielle ou anarchiste, les brochures et les écrits anarchistes). En tirant le fil, en apparence ténu, d’une affaire provinciale, C. Rétat livre un remarquable essai sur les mouvements anarchistes dans la France de la fin du XIXe siècle, leur mode de fonctionnement et surtout, — et c’est là qu’interviennent la littérature et la poétique, sur leurs langages et les genres qu’ils ont pratiqué (la brochure, la propagande, le tribunal retourné en tribune). Tant et si bien que le lecteur n’est jamais dans l’anecdotique, mais dans le détail significatif et révélateur. Le livre se compose d sam., 18 mars 2023 11:34:30 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16262 acta Comment lit-on les littératures francophones aujourd’hui ? https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16168 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/16168/6929.jpg" width="100px" />De quoi la francophonie littéraire est-elle aujourd’hui le nom ? Telle est la question dont s’empare cet ouvrage. Ce dernier constitue l’aboutissement d’une réflexion commencée quelques années plus tôt, dans le cadre d’un séminaire universitaire qui s’est tenu à Lyon entre 2014 et 2016, intitulé « Concepts et création : un nouvel état des lieux des littératures francophones ». Véronique Corinus et Mireille Hilsum évoquent les nombreux échanges qui s’y sont déroulés autour d’une « discipline jeune » qui « continue à être confrontée à d’inquiétantes remises en question institutionnelles et épistémologiques » (p. 7) – elles mentionnent notamment une forme de mépris persistant à l’égard des littératures francophones ainsi que la permanence d’un spectre colonial pesant. Plus précisément, cet ouvrage paru au premier semestre de l’année 2022 est le deuxième volume qui reprend les échanges du séminaire ; il poursuit ainsi la réflexion amorcée dans le premier opus – publié en 2019 sous le titre Nouvel état des lieux des littératures francophones. Cadres conceptuels et création contemporaine1 – tout en proposant une démarche spécifique de redéfinition et réévaluation du concept de francophonie littéraire. Définition & nouveaux enjeux Ce projet s’impose comme une tentative pleinement justifiée, tant le terme de francophonie s’avère à l’heure actuelle toujours épineux. En 1999, Jean-Marc Moura en proposait une histoire : attestée à la fin du xixe siècle, la francophonie signifie d’abord le fait de parler français, avant de désigner la culture française elle‑même2. Une quinzaine d’années plus tard, Daniel Maggetti rappelle, à l’occasion d’une table ronde conduite dans le cadre des Assises Internationales du Roman et reproduite dans le volume, qu’« on a dit “francophone” pour dire “de langue française mais pas français”, ce qui instaurait une sorte de coupure ou de différence par rapport à laquelle beaucoup d’écrivains ont pu se sentir dans une position d’inconfort » (p. 195). Plus particulièrement, ce deuxième ouvrage questionne la façon dont les littératures francophones se donnent à lire : Aujourd’hui, la lecture des auteurs francophones tient sans doute moins au goût équivoque pour l’exotisme du public qu’à un intérêt accru pour leurs positionnements esthétiques et idéologiques singuliers. Les poétiques qui travaillent leurs textes et les formes d’engagement qui s’y définissent, faisant entrer en résonance postures anciennes et postures contemporaines, contribuent ven., 10 mars 2023 16:40:15 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16168 acta Pour une nouvelle anthologie des femmes-troubadours en Occitanie médiévale https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16176 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/16176/7659.jpg" width="100px" />Frédérique Le Nan propose dans cet ouvrage de compléter un discours fragmentaire sur les autrices du Moyen Âge. Après un large panorama des études consacrées au sujet, elle se propose de synthétiser les recherches au regard de la tradition manuscrite et iconographique, de « capter cette présence si peu sensible que le temps a charriée en pointillé » (p. 10). Il s’agit aussi de mettre en avant la tension entre des écrits féminins dans une « industrie » typiquement masculine. La question du genre se veut déterminante et source de réflexions, Frédérique Le Nan ne se privant pas d’employer les termes « autrice » et « escripvaine »1 d’ailleurs respectivement en usage dès le xive et le xvie siècles. Voix de femmes Une entrée en matière portant sur les attestations du nom trobairitz en usage dès le xixe siècle, mais complètement absent de la période médiévale, souligne que la femme en tant qu’autrice n’est finalement envisagée qu’après l’édition du Roman de Flamenca en 1865 par Pierre Meyer. Pour autant, F. Le Nan mène un état des lieux précis et fourni des vingt manuscrits retenus2. Descriptions des codices et citations choisies mentionnant la présence de l’autrice se succèdent. Certains noms reviennent ; le lecteur se familiarise alors avec eux. Soulignons ici l’intérêt exceptionnel de deux documents : les soixante‑et‑un feuillets du manuscrit H (fin xive siècle ?) dont l’iconographie particulièrement riche ne représente que des poétesses, et dont les mentions textuelles explicites abondent ; le chansonnier de la fin du xiiie siècle issu du manuscrit W comptant 217 feuillets qui contient « l’unique trace mélodique d’un poème attribué à une femme » (p. 33). F. Le Nan complète ce panorama en détaillant le rôle des scribes dans ces manuscrits : certaines marginalia constituent en effet de précieux témoignages. Une lettrine historiée, par exemple, peut révéler le portrait d’une autrice. L’étude de cette production littéraire en Occitanie sous‑tend l’émulation qui semble régner sans distinction de sexe. Le mécénat y est masculin et féminin3, les échanges entre troubadours et trobairitz sont coutumiers, un véritable réseau se dessine. De plus, les femmes ne sont pas présentées de manière singulière dans les manuscrits, leur traitement n’y étant pas expressément distingué de celui des hommes. L’échange et la coopération règnent avant tout. Il convient donc de noter que la présence des trobairitz se veut discrète, peut‑être même l’est‑elle devenue de plus en plus au f ven., 10 mars 2023 16:47:17 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16176 acta Les surréalismes du sud global : une perspective transversale https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16204 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/16204/alholt.png" width="100px" />La vaste et notable étude consacrée par Andrea Gremels aux « Arts mondiaux du Surréalisme » (Die Weltkünste des Surrealismus) annonce avec son sous‑titre, « Réseaux et perspectives venant du sud global » (Netzwerke und Perspektiven aus dem globalen Süden) son point de vue théorique, méthodologique et géocritique. L’auteure déclare, à la fin de son introduction (p. 9‑31), que la perspective « globale » doit « décentrer » le Surréalisme pour (dé)montrer que « les cultures non‑occidentales ont contribué dès le début à l’établissement des poétologies du Surréalisme » (p. 29). Ce qu’elle entreprend ainsi est un décentrage généralisé, pratiqué et réalisé grâce à des concepts présentés de manière claire et convaincante. Ses modèles théoriques présentent l’avantage d’être constamment appliqués et conjugués selon des modalités géo‑culturelles. Et avec une connaissance souveraine de ces modèles, A. Gremels discute dans son introduction les différentes conceptions théoriques qu’elle va pratiquer dans les analyses des quatre parties de son œuvre impressionnante. Elle commence par une conception qui est en même temps une déclaration de foi (philologique et géocritique1) : celle d’un anti‑centrisme multilatéral servant à déconstruire la représentation « centralisée » d’un Surréalisme qui se développe à partir d’un centre (parisien). Dans ce contexte, les « îles » des « succursales » surréalistes traditionnelles et « globales » sont comprises comme des composantes fragmentées d’un réseau d’échanges multicentriques sur un plan global, à la manière des travaux d’Édouard Glissant, d’Ottmar Ette ou de l’exposition « Surrealism Beyond Borders » (2021/2022) d’Alessandro et Gale2. La deuxième conception‑clé est représentée par le paradigme de la transversalité‑transculturalité, se référant à des auteurs comme Félix Guattari, Wolfgang Welsch, Fernando Ortiz et Édouard Glissant3 — autant de noms qui indiquent déjà que l’horizon théorique ne se limite pas à un champ national ou culturel mais qu’il doit devenir « global » grâce à l’intégration de l’Amérique latine. Ces conceptions sont situées aussi bien dans le contexte de la théorie du Minor Transnationalism de Françoise Lionnet et de Shu‑mei Shih que dans celui de la provincialisation de l’Europe proclamée par Dipesh Chakrarbarty. Grâce à la transculturalité, le Surréalisme peut devenir le champ d’expérimentation approprié pour développer des découvertes esthétiques et poétologiques (p. 15) qui sont situées, avec la « trancultur ven., 10 mars 2023 22:17:19 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16204 acta Persistance du domaine médiéval au siècle de Louis XIV https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16197 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/16197/gruber.jpg" width="100px" />Le titre pourrait être provocateur : de quelle réception du Moyen Âge au xviie siècle peut‑il être question ? À l’exception de La Lecture des vieux romans de Jean Chapelain1, où trouver trace d’un quelconque intérêt pour les textes médiévaux entre la fin de la Renaissance et les Lumières ? C’est précisément cette idée de « zone blanche » du Classicisme que l’essai de Sébastien Douchet vient battre en brèche. Les travaux récents de Marine Roussillon2 ou Delphine Denis3 avaient déjà montré que le mouvement galant, à la même période, s’employait à jouer avec la référence médiévale (en créant, par exemple, des ordres fictifs de chevalerie). S. Douchet va ici plus loin en abordant l’épineuse question des sources — et plus précisément des sources manuscrites. On considère, en effet, que l’accès direct aux textes médiévaux ne saurait être que le fait de quelques rares savants et que la connaissance du Moyen Âge ne saurait être qu’indirecte. Or, la découverte, il y a une dizaine d’années, d’un « important gisement de manuscrits médiévaux portant les traces de l’intense travail de lecture et de réflexion d’un homme du xviie siècle » (p. 18‑19) à la bibliothèque Inguimbertine de Carpentras, ouvre un nouveau chapitre dans l’étude de la réception du Moyen Âge, ou plutôt d’« une réception », celle de la famille Gallaup de Chasteuil. Ainsi, « le présent ouvrage […] voudrait rendre [à cette famille] la place, certes modeste, mais réelle, qu’elle a occupée dans l’histoire intellectuelle et culturelle de son temps, dans les années 1670‑1710 » (p. 9). S. Douchet se montre ici, lui‑même, bien modeste : bien plus qu’un récit dynastique (passionnant s’il en est), son essai lève le voile sur la circulation ininterrompue des textes médiévaux et rappelle qu’au xviie siècle la querelle des Anciens et des Modernes ne saurait se penser sans référence à un « long » Moyen Âge. Un ancrage provençal Il est probable que le nom des Gallaup de Chasteuil serait resté dans un relatif anonymat sans la découverte du surprenant manuscrit 405 de Carpentras. S. Douchet répare donc les oublis du temps et consacre une première partie de son ouvrage (« Le crépuscule d’Apollon et le soleil des troubadours ») à cette étonnante famille ancrée dans la Provence. Tout commence avec Louis Gallaup de Chasteuil, poète et historien du xvie siècle, dont la renommée était semblable à celle de Malherbe. S. Douchet insiste sur le rôle politique important de ce personnage, notamment au service des rois de France d ven., 10 mars 2023 22:10:51 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16197 acta Découvertes douces-amères au bureau des objets perdus https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16053 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/16053/Maggetti.jpg" width="100px" />Comment, sans y être né.e et en avoir depuis toujours subi le conditionnement, assimiler la société ultracontemporaine qui a fait de la nouveauté sa valeur cardinale et du changement son mode d’existence ? Docteure ès Lettres et spécialiste de littérature germanique, mais aussi sidérée de « n’habite[r] plus ce monde qu’[elle] ne comprend plus » (p. 9), Arlette Camion entreprend de comprendre les mutations sociétales qu’elle a vécues sans toujours s’en rendre compte, et de s’en amuser. Ceci, en glosant leurs manifestations les plus prosaïques, les plus concrètes : les disparitions de certains objets du quotidien d’autrefois, désormais désuets, dépassés — mais pas oubliés. « Prendre les objets disparus et les interroger, les faire scintiller à la lumière du monde d’aujourd’hui » (p. 11), telle est l’ambition de son ouvrage : dressant l’inventaire d’une trentaine d’objets exhumés par des souvenirs personnels mais génériques, Les temps ont changé s’inscrit dans la lignée du Je me souviens de Perec1, exégèses analytiques et remarques ironiques en sus. L’exercice, « futile sans doute », mais « amusant » (p. 11), se campe ainsi en un croisement décontracté entre socio-histoire et Altagsgeschichte, dans sa double interrogation du façonnement d’un présent social par le passé et de la dialectique entre vie quotidienne et évolutions socio-politiques à large échelle, entre micro- et macro-phénomènes. Miroirs & baromètres du temps, de l’espace & des groupes sociaux À mesure que l’autrice passe en revue les objets-fantômes de sa jeunesse, décortiquant les enjeux sociaux, culturels, politiques, économiques et idéologiques qu’ils soulèvent, se dessine le schéma conceptuel qui lui sert de socle. Produits et conditionnés par les structures sociales, les objets du quotidien les reflètent, les mettent en œuvre et en reconduisent les dynamiques, en véritables outils. Dès lors, les changements de structures opérant nécessairement les modifications des panoplies matérielles, l’histoire des objets, tendue d’un reflet à l’autre, est celle des groupes sociaux, from below. A. Camion s’y attelle avec humour et nostalgie, mais aussi une certaine finesse critique, dans une langue relâchée qui mêle expressions argotiques et familières, archaïsmes et jargon académique, non sans s’autoriser quelques élans poétiques. Si les objets obsolètes collectionnés par l’autrice étayent son constat que les temps ont changé, c’est en premier lieu parce qu’ils témoignent par leur disparition d’une évol ven., 03 mars 2023 10:12:19 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16053 acta La vie littéraire des objets https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16060 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/16060/Toma.jpg" width="100px" />Le système du livre Il a fallu qu’un double mouvement se produise pour que les études littéraires se saisissent de la représentation des objets et en fassent une de leurs préoccupations constantes. D’une part, la littérature elle-même, depuis Reverdy, Cendrars, Prévert, Ponge, Robbe-Grillet, Perec, n’a cessé de revendiquer un nouveau statut pour les artefacts qui peuplent notre quotidien. D’autre part, le développement de la pensée phénoménologique et psychanalytique ainsi que l’intérêt croissant des sciences sociales pour la culture matérielle ont généré un cadre conceptuel et des outils d’analyse qui ont nourri par contrecoup la lecture des textes littéraires. Une prise de conscience semble ainsi avoir eu lieu, non seulement de la fonction (narrative, symbolique, psychologique, référentielle) que peuvent accomplir les objets dans une œuvre, mais aussi de la nécessité d’étudier leur présence en tant que signe d’un certain rapport au réel et d’une certaine pensée des formes matérielles issues de l’activité humaine. Depuis une vingtaine d’années, on voit ainsi se multiplier les travaux consacrés à la vie littéraire des objets. C’est de cette tendance croissante que participe ce numéro de Travaux de littérature (série annuelle publiée par l’Association pour la Diffusion de la Recherche littéraire), numéro qui réunit, sous la direction de Myriam Marrache-Gouraud, vingt-quatre contributions centrées sur l’observation des modalités selon lesquelles les objets et instruments de toutes sortes sont dépeints, évoqués et exploités dans les textes littéraires. Par littéraire, la coordinatrice du volume entend, dans son « Introduction », non pas ce qui appartient stricto sensu à la littérature comme univers des œuvres auxquelles on reconnaît une dimension esthétique, mais la qualité de « tout écrit (litterae) fonctionnant comme une composition qui relie une tradition scripturale et transmet un savoir sur le monde sous la forme d’une représentation » (p. 11). Cette définition du mot littérature s’avère ainsi plus proche de celle qu’ont connue le xvie et le xviie siècles que de l’acception moderne du terme qui l’a supplantée. C’est ce choix stratégique qui explique d’ailleurs la présence dans cet ouvrage collectif de trois textes qui se singularisent en ceci qu’ils portent non pas sur des écrits tenus pour littéraires (dans le sens restreint du terme), mais sur des œuvres à caractère scientifique ou conceptuel : le premier, signé par Violaine Giacomotto-Charra, met en l ven., 03 mars 2023 10:25:55 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16060 acta Les objets : une histoire française https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16093 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/16093/Unknown.jpg" width="100px" />Jean-Claude Daumas propose une étude de la révolution matérielle en France avec un canevas temporel qui s’étend du xixe au xxie siècle. Le livre retrace l’histoire de la consommation, à partir de 1840, en s’intéressant à la fois aux changements de mentalité, aux adoptions de nouvelles habitudes, au renouvellement du paysage architectural et à l’amélioration des moyens de distribution en France. L’historien adopte une « perspective globale » (p. 11) pour présenter la diffusion des biens et services qui facilitent le quotidien des français. Dans une telle recherche, l’histoire formelle et sociale de l’objet est un point d’entrée pour l’appréciation des dynamismes des modes de consommation. À ce titre, Daumas démontre que la société française traditionnelle (xixe), moderne (xxe) et postmoderne (xxie) a évolué « en créant un environnement domestique composé d’objets utiles, pratiques, durables et agréables » (p. 25) ; lesquels ont un impact asymétrique sur les styles de vie des français. Les objets de luxe et de nécessité La première dynamique de la diffusion des objets en France est visible entre 1840-1885. Cette période est marquée par un enrichissement général qui a permis une forte croissance de la consommation française. La prospérité est notamment visible à travers le succès des commerces dans les villages, et on peut observer la mue du monde paysan à travers la modification des intérieurs : « les commerces se multiplient dans les villages : les horloges et les miroirs sont de plus en plus présents dans les intérieurs paysans » (p. 20). L’objet devient par là un indicateur du niveau de vie des populations. Ainsi, le paysan acquiert « des meubles à petits prix » (p. 20) pour embellir son cadre de vie. Il se lance dans l’acquisition des objets de manière timide en fonction de ses revenus modestes et de l’exemple que représente la bourgeoisie. Cette dernière est citée lorsqu’il s’agit d’évoquer la consommation et la distribution des objets en France. Elle trouve dans ces deux actes le moyen de justifier son élévation sociale et sa prospérité économique. Il faut noter avec Hermann Broch que « la bourgeoisie est entrée dans le xixe siècle comme une classe dominante » ([1966] 2016, p. 16). Lorsque la réussite est confirmée chez le bourgeois, il affirme cette posture conquérante par son intérieur : « l’appartement est spacieux et bien meublé » (p. 43). Il utilise « une baignoire » (p. 47) dans ses activités de toilette. Seules les habitations des riches quarti ven., 03 mars 2023 12:46:09 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16093 acta Le luxe au féminin https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16128 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/16128/Vauthey.jpg" width="100px" />L’ouvrage collectif dirigé par Soundouss El Kettani et Isabelle Tremblay, Femmes et luxe, perspectives littéraires (2022), entend pallier une brèche dans le domaine de la culture matérielle : celle d’une étude de la représentation du luxe au sein des textes littéraires d’expression française en rapport avec les questions de genre. La littérature s’étant beaucoup emparée de la question du luxe et la reliant le plus souvent au genre féminin, ni l’intérêt ni la nécessité d’une telle étude ne sont à prouver. Dès lors, S. El Kettani et I. Tremblay se donnent pour objectifs d’examiner la manière dont le luxe et ses objets, « marques de l’histoire culturelle et signes de l’évolution de la sociabilité » (p. 10), sont représentés dans des textes de fiction français qui courent de Mme Benoist au xviiie siècle jusqu’à Françoise Sagan et Annie Ernaux, ainsi que dans des textes maghrébins d’expression française. Ces représentations sont-elles positives ou négatives ? Quelles sont les affinités des personnages féminins avec le luxe, et quels sont les rapports qu’ils entretiennent avec lui (soumission, désir, plaisir, etc.) ? En quoi le luxe est-il révélateur, voire catalyseur, de certaines dynamiques socio-culturelles et, particulièrement, genrées ? L’introduction est représentative de l’ouvrage ; avant tout informative, elle retrace brièvement mais efficacement l’évolution, dans le cadre d’une histoire littéraire allant de l’Ancien Régime à la fin du xxe siècle, du rapport au luxe et de la consommation de biens matériels luxueux, montrant de quelle manière ils passent d’un signe indicateur de distinction sociale à un signe ostentatoire du capital économique, tandis que se creuse la démarcation entre « vrai » et « faux » luxe. Cette évolution s’accompagne d’un facteur genré, puisqu’après avoir revêtu une connotation plus neutre sous l’Ancien Régime, les vêtements et parures luxueux se retrouvent avec l’avènement de l’idéologie bourgeoise de plus en plus spécifiquement associés au genre féminin, entrainant alors une « nouvelle forme de domination » (p. 13). L’ouvrage est divisé en trois parties, à savoir « Les discours dominants sur le luxe », « Les impératifs sociaux du luxe » et « Le luxe et la quête de l’être ». Il réunit douze contributions de chercheuses et d’un chercheur dont les spécialités recouvrent les domaines des études littéraires, culturelles et matérielles, de la sociologie et des études genres. Un résumé très utile de chaque article est disponible en fin ven., 03 mars 2023 17:09:02 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16128 acta Introduction https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16165 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/16165/Icone Vodoz.jpg" width="100px" />On date des années 1980 et on situe dans les départements d'archéologie la naissance d'un material turn qui a donné naissance, dans les universités anglophones, aux material culture studies (Hicks 2010). Rapidement, cet intérêt pour les objets, qui deviennent un centre de focalisation épistémologique, s'étend à un ensemble de disciplines : l'anthropologie, assurément, mais aussi l'histoire, l'histoire de l'art, la sociologie, les lettres, en bref, les sciences humaines. Si l’on peut inscrire le material turn dans un plus large cultural turn, c'est aussi en ce qu'il s'est moins sédimenté en une discipline qu'il n'a infusé dans celles qui lui préexistaient et qui avaient, d'une manière ou d'une autre, un intérêt pour les pratiques socioculturelles et leurs significations. Il serait peut-être imprécis d’entendre la traduction française de « culture matérielle » comme une importation stricte des intérêts anglo-saxons, car elle s’inscrit dans une tradition de recherche différente (Bonnot, 2010). Cela dit, les sciences humaines francophones témoignent elles aussi, dès les années 1990, d’un intérêt croissant pour l’histoire et l’anthropologie des objets dont on trouve, depuis quelque temps déjà, des anthologies (Bartholeyns, Govoroff et Joulian, 2010). Ce que réaffirme avec force le material turn, c'est que les artefacts sont non seulement le produit de pratiques qui permettent leur production et leur diffusion — que l'on ne comprend qu'en surface si on les regarde comme des phénomènes purement économiques — mais sont également eux-mêmes les sédimentations, les vecteurs et les modélisateurs de pratiques signifiantes. Ce dossier témoigne d'une vivacité actuelle de la question en francophonie, mais aussi de son transfert dans les études littéraires, dont l’ouvrage panoramique de Marta Caraion Comment la littérature pense les objets. Théorie littéraire de la culture matérielle (2020) est un jalon récent. Comme il apparaît de plus en plus formellement, la littérature est travaillée par les objets dès lors qu’elle représente les pratiques signifiantes dont ils sont le cœur (parfois révélées ou réinventées en son sein), les inclut dans ses intrigues, en fait parfois de vrais personnages. Qu’il soit de facture « réaliste » ou non, que ce soit en régime descriptif ou non, on peut faire le pari de lire un texte à objets comme un morceau de culture matérielle, au sens où il donne à voir comment les « actions matérielles participent à la cohérence globale des interactions d dim., 05 mars 2023 11:52:27 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16165 acta Cartographie d’une théorie littéraire des objets https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16166 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/16166/98647.jpg" width="100px" />Une première version de ce compte rendu est parue dans la Revue des Sciences Humaines, n° 344, 2021, p. 175-177. Il est ici repris sous une forme plus développée avec l’aimable autorisation de la revue. Spécialiste de la question inépuisable des objets en littérature, Marta Caraion établit un parcours large des interactions entre les mots et les choses au xixe siècle, en intégrant à sa réflexion les acquis des études consacrées à la culture matérielle. Désormais répandue en sciences humaines, cette notion désigne à la fois un objet d’étude (les artefacts) et un champ de recherche transversal né dans le monde académique anglophone : les material culture studies. C’est sur cet appui théorique, et dans un contexte d’intérêt grandissant de la recherche pour les objets en France, que Marta Caraion propose une « lecture matérialiste » de la littérature (en particulier du xixe siècle) : sont convoqués à cet effet des textes canoniques aussi bien que des œuvres moins connues du siècle qui a vu la révolution industrielle transformer la France dans ses pratiques de consommation collectives, quotidiennes et intimes. En revendiquant une lecture matérialiste de la littérature, l’ouvrage s’oppose à une tradition critique bien installée dans les études littéraires — elle-même légitimée par un système de valeurs largement partagé — au sein de laquelle le « vulgaire » de la matière est sublimé à travers des interprétations dématérialisantes : on lit les objets comme des allégories de l’œuvre elle-même (hypothèse autoréflexive), ou on les intègre dans une « justification poétique, structurelle, formelle ou stylistique » (p. 11). C’est cette opposition entre esprit et matière, largement relayée par la critique littéraire, que l’ouvrage se propose de dépasser : lire des objets comme des objets permet de mettre en évidence les nombreuses propositions théoriques que la littérature a elle-même faites sur la culture matérielle capitaliste naissante. À ce titre, l’introduction met en relief les deux dimensions essentielles de cette théorie avant la lettre : d’une part, les objets tiennent une place primordiale dans la façon dont la littérature se définit, depuis le réalisme de Balzac et jusqu’au Nouveau roman en tout cas ; d’autre part, la littérature a pensé les bouleversements idéologiques du monde matériel postrévolutionnaire avant les sciences humaines, les préfigurant souvent. La réflexion se fait alors doublement interdisciplinaire puisque la littérature est envisagée comme mer., 08 mars 2023 18:43:32 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16166 acta Les puissances de l’imagination littéraire (& les choses qui passaient par là) https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16138 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/16138/104138_3a648f63c2ec20822e50b09a808cd1b9.jpg" width="100px" />Partir de la factualité d’un objet concret pour offrir à l’intuition un support sensible afin qu’elle s’élève progressivement au régime de l’abstraction, c’est ce qu’on appelle, dans le domaine de l’éducation, une leçon de choses. Dans l’ouvrage de Pascal Durand, ce principe pédagogique fait l’objet d’une torsion métaphorique pour désigner un rapport entre le texte et le lecteur. Le cœur de la leçon ne réside plus dans le point de départ que représentent les choses elles-mêmes, mais dans la reconfiguration qu’en offre la littérature. En d’autres termes, la positivité des savoirs et des usages représente, pour la pratique littéraire, l’occasion d’un détournement créatif, par lequel les inventions techniques, déviées de leur destination première, sont investies par les forces de l’imagination. C’est par la dissémination spectrale d’un « nimbe » (p. 204) que les objets et autres dispositifs techniques en viendraient alors à signifier à la fois au-delà et/ou en-deçà de leur être strictement technique ou chosique. Or, si les objets peuvent être habités d’une âme, c’est à la pratique littéraire, « vecteur de symbolisation des savoirs et des techniques » (p. 9), de les re-matérialiser dans l’espace du texte. Sur le vaste continent de la littérature, la chose est évidemment déchue de sa matérialité de phénomène sensible. Mais, transmuée en être de langage, elle peut devenir le site d’une cristallisation entre savoirs techniques, discours littéraires, faits historiques, axiologies, visions du monde politiques et idéologiques, etc. C’est donc au point de rencontre entre l’objet et la fantasmagorie de l’imagination que la littérature introduit un écart ouvrant la possibilité d’une leçon qui ne relève plus tant de l’enseignement que d’une forme de déplacement à l’égard du régime des opinions. Si la puissance imaginaire de la littérature investit la technique, cela n’indique pas la localisation ni la délimitation de l’effet de sens propre à la fictionnalisation des choses. Pascal Durand interprète les romans de son corpus épars selon deux lignes de force déterminées : la première relève du schème interprétatif de l’idéologie telle qu’elle a été théorisée dans la tradition marxiste, la seconde se situe dans un horizon interprétatif sociologique convoquant la théorie des champs de Pierre Bourdieu. Dans l’analyse de Robinson Crusoé (chapitre 1), ce sont les motifs d’analyse classiques de la bourgeoisie ascendante et de son idéologie individualiste qui sont au cœur du pr dim., 05 mars 2023 11:18:30 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=16138