Parutions Acta Fabula https://www.fabula.org/revue/ Dans l'ensemble des publications consacrées à la littérature, Acta fabula sepropose de recenser les essais présentant de nouveaux objets théoriques,mais aussi les ouvrages collectifs qui, relevant d'un champ disciplinaireplus étroit, recèlent de réels enjeux de poétique générale. fr contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) 60 Copyright © Fabula contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) acta Poétiques d’une vie https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19734 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19734/Couv_Wahnoun.jpg" width="100px" />« En général, j’écris les premières pages d’un roman, et j’écris la dernière ligne. Je sais déjà comment le roman va se terminer. La dernière phrase ou les deux dernières ou les trois dernières, peu importe, mais la fin littérale, textuelle. Et je poursuis cette fin jusqu’à ce que je l’aie rejointe. Quand je l’ai rejointe, le livre est fini1. » « L’écrivain refuse l’illusion d’une approche transparente de l’histoire, du temps et de l’espace. Il préfère, au contraire, le filtre nuancé de l’opacité, fait de strates et de couches difficiles à démêler2. » Tisser les différents fils d’une pensée en clair-obscur, tel est le programme que s’est donné Aliocha Wald Lasowski dans son dernier texte au titre aussi épuré qu’éloquent pour se pencher à nouveau sur la vie, les combats et la portée de la réflexion d’Édouard Glissant. Lauréat en 2008 du Prix Édouard Glissant, pianiste de formation et batteur, Aliocha Wald Lasowski est Maître de conférences en Littérature à l’Université Catholique de Lille dont il dirige le département des Études Littéraires, et enseigne, entre 2019 et 2024, la pensée post-coloniale à Sciences-Po dans cette même ville. Son Habilitation à Diriger des Recherches porte sur l’esthétique d’Édouard Glissant avec lequel il a connu de nombreux moments d’échanges. Son dernier ouvrage s’inscrit dans le sillage de ses autres travaux de recherche sur cet auteur : Édouard Glissant, penseur des archipels3, qui analyse de manière approfondie l’œuvre et la portée de la pensée de Glissant, Édouard Glissant, déchiffrer le monde4 où sont repris l’apport et l’actualité du poète, et Sur l’épaule des dieux. Les arts d’Édouard Glissant5 où est analysé son rapport à l’art, en termes esthétiques et pratiques. Dans Édouard Glissant, qui se présente sous la forme d’une biographie, Glissant devient la matière du livre. Le chercheur adopte une perspective synthétique et distancée de la personne et de l’ensemble des thématiques du travail de l’auteur. Il reprend la narration de sa vie avant d’analyser son intérêt pour la politique ainsi que ses relations avec l’art et les artistes. Le regard d’Aliocha Wald Lasowski s’attache ainsi à mettre en évidence la pensée monde de Glissant à partir des différentes phases de son parcours. Il examine la façon dont sont enchevêtrés les destins de l’homme, du poète et du penseur. Accueillir la créolisation Aliocha Wald Lasowski indique les deux aspects de la pensée de Glissant, d’abord l’antillanité comme lutte pour l’indépendance et c Tue, 24 Jun 2025 07:13:21 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19734 acta Les perroquets philosophes, des miroirs de l’humanité ? https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19750 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19750/Couv_Victorin.jpg" width="100px" />« Les perroquets, nous leur apprenons à parler : et cette facilité, que nous reconnaissons à nous fournir leur voix et haleine si souple et si maniable, pour la former et l’astreindre à certain nombre de lettres et de syllabes, témoigne qu’ils ont un discours au-dedans, qui les rend ainsi disciplinables et volontaires à apprendre. »Montaigne, Les Essais, II, 12. Dans son ouvrage Le Perroquet. Entre Orient et Occident, paru aux Presses Universitaires de Rennes (2025), Patricia Victorin nous ouvre les portes de son enfance, nous invitant à partager un rêve vert et bavard né sous le ciel guyanais (p. 142). Tel un fil d’Ariane tissé de plumes et de mots, ce livre relie la petite fille qu’elle fut, bercée par la promesse d’un oncle aimant, à la chercheuse passionnée qu’elle est devenue1 — un « je » se déploie avec discrétion tout au long du texte. Si le perroquet tant espéré n’a jamais franchi le seuil de sa réalité d’enfant, il a trouvé refuge dans les pages de cet ouvrage, devenu à la fois madeleine de Proust et toile vivante. Sous le regard bienveillant de Caspar Netscher, dont le tableau Femme nourrissant son perroquet s’étale sur la première de couverture, Patricia Victorin a donné vie à l’oiseau de ses rêves, le parant des plus belles couleurs de son imagination et de son érudition. Ce perroquet littéraire, fruit d’une promesse jadis envolée, se pose désormais avec grâce sur son perchoir de lignes, à mi-chemin entre Orient et Occident, invitant le lecteur à un voyage tendre et savant à travers les cultures2 et les époques, sur les ailes d’un souvenir d’enfance transformé en une œuvre aussi touchante que rigoureuse. Le perroquet à travers les âges : de l’Antiquité au Moyen Âge L’évolution de la perception du perroquet, du psittacus antique au « papegai/au » médiéval3, reflète une fascination croissante de l’Occident pour cet oiseau exotique, qui a le don de « fabloyer. » Introduit par les expéditions d’Alexandre le Grand, il suscita d’abord une fascination teintée d’incompréhension, décrit comme un rapace à voix humaine (p. 11). Cette ambivalence est illustrée par Philon d’Alexandrie (vers 20 av. J.-C. et vers 45 apr. J.-C) qui l’assimilait aux animaux dépourvus de raison (p. 22). Au Moyen Âge, bien qu’absent de la Bible, il fit l’objet d’une interprétation chrétienne dans les bestiaires (p. 23), qui privilégiaient une finalité didactique et morale (p. 25). Sa représentation littéraire évolua, notamment dans Le Chevalier errant de Thomas de Saluces (p. 43) Tue, 24 Jun 2025 15:34:01 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19750 acta Le performatif du sexuel : le cas Violette Leduc https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19745 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19745/Couv_Bovey_Peron.jpg" width="100px" />Prendre Violette Leduc comme « exemple » d’une poétique performative qui déconstruit les effets du genre — sexuel, en passant par le littéraire : c’est le propos de la thèse d’Alison Péron, qui a déjà publié certaines de ses recherches dans plusieurs volumes collectifs1. Violette Leduc suscite enfin, depuis quelques années, un vif intérêt conforme à celui de ses romans dans l’histoire littéraire. L’autrice a pourtant subi un effacement propre à la situation particulière des femmes-auteurs au cours du xixe et du xxe siècle, et plus particulièrement lié à la difficulté de prendre la parole sur des sujets lesbiens à l’époque où Violette Leduc écrit2. En effet, celle-ci publie à l’orée des très conservatrices années 1950 (L’Asphyxie paraît en 1946) jusqu’au lendemain de la « révolution » sexuelle de mai 1968 (Le Taxi, dernière œuvre publiée de son vivant, paraît en 1971 ; La Chasse à l’amour est publiée de manière posthume en 1973 par Simone de Beauvoir). La situation particulière de la censure des œuvres de Violette Leduc a été étudiée par Alexandre Antolin dans son ouvrage consacré aux manuscrits de Ravages3 (1955), œuvre particulièrement amputée puisqu’elle paraît sans Thérèse et Isabelle (publiée de manière censurée et séparée en 1966 seulement). Ce retranchement de la relation exclusivement lesbienne entre la protagoniste et sa camarade de classe Isabelle change fortement l’équilibre bisexuel du roman. Bien que l’absence d’état de l’art permette mal de situer le contexte de son propos, le point de départ de la réflexion d’Alison Péron se situe dans la censure étudiée notamment dans les travaux susmentionnés, en en soulignant la place centrale et en énumérant ses différents avatars. En effet, en plus de celle de Gallimard évoquée plus haut, Simone de Beauvoir, relectrice fidèle, va également « tente[r] de lisser les images osées de l’auteure » (p. 64). Enfin, un silence critique et l’absence d’accueil d’un plus large public avant 1964 la fait tomber dans l’oubli, « qui n’est qu’une autre censure » (p. 64). Un oubli toutefois relatif, puisque l’œuvre de Violette Leduc se transmet effectivement, non pas par le canon littéraire majoritaire du xxe siècle — qui abrite, lui, les œuvres de Jean Genet, célébrant l’homosexualité masculine et la marginalité sociale, à bien des égards une figure de comparaison intéressante est mobilisée ponctuellement dans l’étude — mais bien par la bande, « dans le milieu lesbien et plus largement au sein des gender studies » (p. 64 Tue, 24 Jun 2025 07:20:31 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19745 acta Camille Benoit, un polymathe retrouvé https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19755 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19755/camille_benoit_musicien_cover.jpg" width="100px" />Dans la Gazette des beaux-arts du 1er juillet 1932, Paul Jamot décrit ainsi Camille Benoit : « un musicien philosophe et poète, expert en littérature comme en peinture » (vol. 2, p. 24, note 64). Guillaume Métayer confie l’avoir rencontré grâce à ses travaux sur Anatole France (vol. 2, p. 23). Karol Beffa se rappelle avoir lu son nom lorsqu’il était au Conservatoire, présenté comme l’élève de César Franck. Il ajoute avec humour qu’il craint pourtant « l’avoir un temps confondu avec l’organiste François Benoist, qui eut Franck non pour maître, mais pour disciple » (vol. 3, p. 3). Les deux artisans de ces retrouvailles avec Camille Benoit et son œuvre nous livrent aujourd’hui le fruit de leur recherche enthousiaste, grâce à trois volumes groupés dans un coffret par les éditions La Rumeur libre. Le premier volume, Camille Benoit critique musical, nous donne à lire les textes de Camille Benoit, richement commentés par ses éditeurs scientifiques. Le deuxième volume, À la recherche d’un polymathe oublié, est une monographie écrite par Guillaume Métayer. Sans se priver d’informations biographiques, elle présente l’œuvre de Camille Benoit autour de trois grands axes : « Un grand passeur wagnérien », « Le traducteur de Goethe » et « Camille Benoit compositeur ». Notons que ce volume est accompagné d’annexes judicieusement choisies, composées de productions diverses de Camille Benoit. On y trouve les poèmes en vers publiés dans la presse et recueillis ici pour la première fois ; le livret de La Mort de Cléopâtre ; la traduction en français de La Fiancée de Corinthe de Goethe et un choix de lettres à divers correspondants (dont Camille Saint-Saëns, Paul Dukas, Pierre de Nolhac ou encore Hugues Imbert). Le troisième volume, Camille Benoit compositeur, offre l’analyse musicale des œuvres qui nous sont parvenues, ainsi que les partitions elles-mêmes, reproduites d’après les éditions originales ou bien entièrement recomposées. L’on retrouve dans les commentaires musicaux de Karol Beffa clarté et élégance. Polymathe, Camille Benoit (1851-1923) l’est assurément : élève de César Franck au Conservatoire, traducteur de Wagner et de Goethe, poète. Historien de l’art autodidacte, il renonce à la composition musicale lorsqu’il est nommé en 1894 directeur adjoint du département des peintures au Musée du Louvre. La recherche menée à travers cette édition a plusieurs objectifs. D’abord, de toute évidence, il s’agit de faire découvrir cette œuvre, sous ces aspects les plus divers. E Tue, 24 Jun 2025 18:18:41 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19755 acta Épices et empires : une histoire décoloniale de la catastrophe écologique https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19720 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19720/Couv_Sarfati-Lanter_Ghosh.jpg" width="100px" />Une histoire globale au prisme de la muscade Dans un essai qui a été très commenté, Le Grand Dérangement1, l’écrivain Amitav Ghosh pointait une certaine impuissance de la figuration romanesque à rendre compte de la crise climatique sans la cantonner à la sphère de la science-fiction ni la reléguer à un avenir lointain et dystopique. Cette impuissance, il en identifiait les causes dans certains traits du roman occidental, dominé par le souci de vraisemblance : le récit, focalisé sur l’individu et sur la durée d’une existence humaine, y est astreint à des échelles réduites de temps et de lieu impropres à rendre compte du temps long et diffracté de l’anthropocène ; il est en outre indexé sur une conception probabiliste de l’existence, alors même que l’« intrusion de Gaïa2 » nous confronte déjà à des évènements imprévisibles — autant de traits contribuant à perpétuer l’illusion de maîtrise propre à la modernité. La question de la figuration déborde donc le champ de l’esthétique : Ghosh, et avec lui d’autres figures centrales de la pensée écologique3, postulent que la crise climatique est aussi une crise de la culture qui appelle à déranger nos récits, à élargir l’empan temporel de nos représentations et à figurer de nouveaux actants et de nouvelles agentivités. C’est un mandat adressé à la littérature mais également à toute forme de récits, notamment du côté de l’histoire et de l’anthropologie, où le souci de la méthode est toujours en même temps un souci de la forme. L’essai traduit par Morgane Iserte aux éditions Wildproject sous le titre La Malédiction de la muscade (The Nutmeg’s Curse, 2021), témoigne des mêmes scrupules, marquant la volonté d’associer humains et autres qu’humains dans les aléas du temps long de l’histoire, tout en pluralisant les expériences et en refusant toute visée holistique — loin donc des nouveaux grands récits de la « big history4 ». L’ambition n’est pas mince : à partir de la noix de muscade, dont la commercialisation a été à l’origine de l’une des premières guerres extractivistes mondiales, Amitav Ghosh cherche à retracer une histoire globale du colonialisme et de l’extractivisme. Il reprend ainsi une méthode mise en œuvre par les historiens eux-mêmes, mais en choisissant comme point de départ de son essai un actant non humain, la muscade. Il opère en cela un changement de focale comparable à celui que proposait l’anthropologue américaine Anna L. Tsing dans Le Champignon de la fin du monde, où elle inventait un nouveau type d’enq Mon, 16 Jun 2025 13:43:24 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19720 acta Olivier Cadiot. Comment c’est, commencer ? https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19733 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19733/depart-de-feu.jpg" width="100px" />On doit oublier les livres pour garder seulement leur agitation. Il faut se laisser embarquer. […] Et ça parle de nous ; et c’est étrange que ça parle de nous maintenant, alors que c’est si loin. Je vais vous donner des nouvelles de vous dit le livre. Je vais tellement te rêver que je vais pouvoir te parler de toi. Mais qui parle1 ? Avec Départs de feu2, Olivier Cadiot écrit peut-être le livre d’une vie, celui qui contient simultanément tous les précédents et les graines de ceux à venir, le livre des livres. Dans un work in progress haletant, l’écrivain rebat ses propres cartes et nous offre un nouvel objet littéraire insolite, creusant un sillon à la fois connu et étranger. Ce livre apparaît comme l’aboutissement d’un geste, tout en faisant de la question du départ la matrice de toute possibilité de parole, car ces Départs de feu sont autant de débuts d’histoires, de livres à écrire : celle de l’île de l’enfance et de la sœur disparue, celle de la solitude. C’est un homme, seul, qui parle et qui cherche : comment dire, comment se dire ? Il donne le sentiment de se débattre avec la forme à donner à ce nouveau texte et mène une enquête, tambour battant, pour comprendre le geste que lui-même déploie au présent de l’écriture : est-ce un journal ? un « vade-mecum » ? un manuel de survie ? à moins que ce ne soit un « roman familial » ? En tout cas, ce ne sera pas un « livre à thèse », ni un manuel de développement personnel. Il ne peut être non plus question de devenir « le personnage de [s]a propre histoire ». Pourtant il faudra bien trouver « une sorte de coque », une quelconque matérialité pour tenter de « démêler le vrai du faux sur cette fameuse histoire de solitude » où s’origine la pulsion d’écrire. Le texte fait alors l’expérience d’une vitesse de pensée infernale — phrases brèves, mots repris, relancés, corrigés, retours à la ligne en cadence — dans l’effort de (re)trouver une parole capable de s’incarner. Refuser la forme pour mieux la chercher Seules les vies quotidiennes sont intéressantes, j’aurais dû écrire un journal. Trois lignes par jour, c’est quand même pas la mer à boire. Mais très jeune, j’avais pensé qu’il était déjà trop tard pour commencer. J’avais d’emblée abandonné — comme certaines personnes qui pensent que tout est déjà trop tard. (4e de couverture) L’emploi du conditionnel passé, souligné par la répétition de trop tard, pose d’emblée le cadre paradoxal de l’absence de ce journal. Car, bien plus que d’un simple regret, on est en droi Mon, 16 Jun 2025 17:13:30 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19733 acta Faire ensemble : l’exigence de notre temps https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19710 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19710/Couv_Gabrielli_Fischbach.jpg" width="100px" />Nous sommes collectivement confrontés, rappelle tout d’abord l’auteur, à des périls qui mettent en question l’existence même des sociétés humaines (dérèglement climatique, difficultés économiques, essoufflement des démocraties, montée de l’individualisme et de la violence...). Or des lignes de rupture et de faille entre les acteurs sociaux leur interdisent de partager un diagnostic commun et d’imaginer une vision partagée de l’avenir. Dès lors, comment être capable d’agir collectivement et de faire quoi que ce soit ensemble ? En effet, tant que certaines conditions ne sont pas réunies, le « vivre ensemble » ne relève-t-il pas d’une illusion, d’une forme d’injonction, voire d’une pédagogie superficielle ? C’est pourquoi il devient nécessaire de le fonder dans des pratiques conjointes par lesquelles les individus et les groupes se mettent en situation de pouvoir coopérer : la mise en œuvre de cette société commune résulte de cette coopération. Dans le même temps, il faut que cet objectif soit poursuivi dans la société elle-même et non dans tel ou tel de ses sous-ensembles, comme l’école par exemple : L’école n’est pas cette forteresse isolée dans laquelle on pourrait avec succès former au « vivre ensemble » tandis qu’au-delà de ses murs s’étendrait le champ de bataille sur lequel d’égoïstes forcenés (les « je ») et des communautés retranchées (les « nous ») se livreraient à une lutte sans merci. (p. 37) Tout différent est le « faire ensemble ». Ce qui nous rassemble et nous fait « être ensemble » n’est pas de l’ordre d’une décision ou d’une simple volonté, mais procède de pratiques dont l’illustration la plus exemplaire est fournie par les formes de division du travail social organisées collectivement et consciemment par les acteurs sociaux. Toute vie sociale est essentiellement pratique ou, comme le dit Émile Durkheim : « La société ne peut faire sentir son influence que si les individus qui la composent sont assemblés et agissent en commun1 ». Marx et d’autres après lui Fort de ce constat, Franck Fischbach fait dialoguer différents paradigmes de pensée qui, s’ils comportent chacun une limite, n’en permettent pas moins de construire une théorie du « faire ensemble » et de l’activité collective en général. C’est ainsi qu’il convoque respectivement Hegel, les jeunes hégéliens, Marx, l’École de Francfort, la sociologie de Durkheim, de Weber, de Taylor, et enfin, le philosophe John Searle. Tous ces théoriciens confirment le lien entre démocratie et social, lien Sat, 14 Jun 2025 14:09:50 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19710 acta L’ombre de Nietzsche https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19704 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19704/Couv_Declercq_Foucault.jpg" width="100px" />« Ô mes amis patients, ce livre souhaite seulement des lecteurs et des philologues parfaits : apprenez à me bien lire1 ! » « Ce n’est pas tant l’histoire même de la pensée de Nietzsche qui m’intéresse que cette espèce de défi que j’ai senti le jour, il y a très longtemps, où j’ai lu Nietzsche pour la première fois ; quand on ouvre le Gai savoir ou Aurore alors qu’on est formé à la grande et vieille tradition universitaire, Descartes, Kant, Hegel, Husserl, et qu’on tombe sur ces textes un peu drôles, étranges et désinvoltes, on se dit : eh bien, je ne vais pas faire comme mes camarades, mes collègues et mes professeurs, traiter ça par-dessus la jambe2. » « Si Foucault pensait manifestement ses livres avec Nietzsche, il ne le faisait presque jamais à haute voix. Ce dialogue silencieux se déroule le plus souvent en marge des pages. L’ombre de Nietzsche est pourtant très présente » (p. 344). Les Cours, conférences et travaux présentés dans ce volume établi par Bernard E. Harcourt sont issus de la boîte 65 des archives du fonds Foucault de la Bibliothèque nationale de France. Il s’agit de manuscrits inédits datant « des deux grandes périodes de la vie intellectuelle de Michel Foucault durant lesquelles il travaille les écrits de Nietzsche » (p. 337) : les années 1950 d’une part, et d’autre part, la fin des années 1960 et le début des années 1970. Foucault s’intéresse dans un premier temps au Nietzsche philologue, puis au Nietzsche historien et généalogiste — et, « au cours de ces deux moments, c’est à travers la confrontation avec Nietzsche que Foucault découvre sa propre manière de philosopher » (p. 337). C’est un ouvrage pour l’étude, un instrument de travail exigeant une connaissance préalable des œuvres de Foucault et de celles de Nietzsche. En outre, le tout est loin d’être homogène, les textes devant « être lus chacun pour eux-mêmes » (p. 9). Disons-le sans détours : néophytes, ne commencez pas par là. Cela étant dit, Bernard E. Harcourt démontre que ces manuscrits constituent un « éclairage sur les textes que Foucault a publiés de son vivant sur Nietzsche, sur ses livres et ses cours au Collège de France » (p. 342) : ainsi ces textes inédits prennent-ils place dans un corpus bien plus large, et ont une valeur avant tout génétique, permettant de comprendre la manière dont la pensée de Foucault se transforme des années 1950 aux années 1970. Il faut donc resituer le présent ouvrage dans une série de textes foucaldiens déjà publiés : les cours au Collège de Sat, 14 Jun 2025 14:02:40 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19704 acta Au vif de la langue https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19685 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/Array" width="100px" />C’est sur une notion aussi structurante qu’évanescente des sciences du langage que le numéro 228 de la revue Langages propose de revenir, en interrogeant tout à la fois son cadrage conceptuel et son rendement heuristique. Éric Bordas, auquel on doit cette heureuse initiative, interroge depuis longtemps déjà les présupposés disciplinaires de la stylistique (discipline à laquelle le numéro fait la part belle, en proportion de l’importance qu’y revêt la notion à l’étude) et les réserves que l’on peut formuler à l’endroit de son institutionnalisation académique1. Ce numéro s’inscrit dans la continuité de ce questionnement, mais à la faveur d’un pas de côté qui en élargit la focale : en reprenant l’enquête à partir de l’expressivité2 et en s’employant à pallier ses carences définitionnelles, dont les recherches stylistiques font indirectement les frais, il étend le terrain de l’analyse au reste des sciences du langage et permet de précieux échanges de vues entre les sous-disciplines du champ. Dans le sillage d’une enquête patiemment amorcée par Éric Bordas, au fil de plusieurs articles importants3, ce volume conjoint en effet des réflexions d’ordre divers : l’épistémologie de la notion d’expressivité, en synchronie et en diachronie, se prolonge par des études de cas, elles-mêmes ressaisies dans une nouvelle proposition de cadrage théorique de la notion. On ne peut que saluer la multiplicité des focales convoquées au chevet de l’expressivité, à l’occasion d’un numéro qui révèle combien les sciences du langage et du texte, dans toute leur diversité, sont sollicitées par cette épineuse notion : et si la petite centaine de pages qui recueille ces différentes approches est loin de solder la problématique qui les anime, c’est sans doute aussi sa vertu que de relancer le questionnement sans pour autant prétendre en faire le tour. Repartant de la banalisation du terme dans les analyses de textes ou de discours, corollaire inévitable de son floutage définitionnel, Éric Bordas propose en ouverture un très stimulant tour d’horizon de la notion d’expressivité. Il en rappelle la vocation transsémiotique : ainsi que l’adjectif expressif, dont il dérive, le mot est d’emploi courant en musique ou en peinture — même si c’est dans le champ des productions verbales qu’il s’est spécialisé, à mesure que l’« expressivité » s’est constituée en objet théorique. D’Antoine Meillet à Henri Frei en passant par Charles Bally, qui la place au centre de la « science du sens et de l’expressio Thu, 05 Jun 2025 08:20:47 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19685 acta Penser la bêtise, creuset fécond pour la langue, la littérature et les arts https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19701 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19701/Couv_Roumier_Guérin.jpg" width="100px" />La bêtise, est-ce qu’il y a de mieux partagé au monde : imbécile est celui qui se déplace sans bâton, in-baculum, désarmé, ce que nous sommes tous à un moment donné. Cette universalité du thème a assurément avivé l’intérêt de bien des auteurs dans la peinture de leurs personnages… La bêtise est une source d’inspiration féconde pour la littérature. L’Espagne peut revendiquer une figure centrale, ou plutôt un couple tutélaire, qui innerve le volume, Don Quichotte et Sancho Panza. Par leurs interactions, les deux héros révèlent l’intrication complexe entre génie, folie et bêtise. Qui du maître ou du serviteur est le plus bête ? Celui qui manque de raison en dépit, ou plutôt en raison, de sa culture, ou celui qui allie ignorance et préjugés à un robuste bon sens… ? Comme l’écrit Augustin Redondo, « Le chevalier et son écuyer constituent deux oxymores vivants, un fou-sage d’un côté et un sot-sensé de l’autre » (p. 61). Les frontières de la bêtise sont en effet mouvantes et ambiguës et les subtilités du Quichotte parcourent l’ensemble du volume tel un fil rouge, porteur d’une réflexion sur la bêtise comme sagesse ou comme folie, comme surabondance ou comme manque d’imagination. Sous l’égide de ce couple tutélaire défile une galerie de personnages qui ouvrent une réflexion sur la bêtise et le fait littéraire lui-même, ainsi que sur la relation de l’auteur au lecteur. La bêtise comme outil de différenciation met ainsi à distance un autre dont on souhaite se démarquer pour mieux affirmer une appartenance au camp de la raison. La bêtise n’existe en effet que par rapport à une norme de raison, elle-même variable, et sur laquelle il faut créer un consensus pour définir les frontières de la sagesse. Quand l’esprit vient à manquer ambitionne de faire émerger ce que les trois aires linguistiques concernées (France, Italie, Espagne) ont en commun, ainsi que la part d’intraduisible entre les différentes appréhensions de la bêtise, dans un arc qui va du Moyen Âge à l’époque contemporaine. Vaste programme au vu de la plurivocité du terme : bêtises. Au pluriel, il s’agit d’actions causées par inattention, par accident, mais, au singulier, et précédé de l’article défini, le substantif désigne bien une tare qu’on brocarde chez l’autre. Il s’agit donc ici de cerner le concept de bêtises et ses avatars. L’affaire n’est pas simple, comme l’écrit Nathalie Peyrebonne, « c’est une notion qui doit être redéfinie à chaque changement de perspective, qu’elle soit géographique, temporelle Thu, 05 Jun 2025 08:38:49 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19701 acta Michel Tournier. Le cheminement d’une œuvre https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19695 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19695/Couv_Bataillé_Tournier 3.jpg" width="100px" />Deux ouvrages mettant à l’honneur l’écrivain Michel Tournier ont paru en novembre dernier dans la prestigieuse collection Blanche de Gallimard : un roman inédit de l’auteur, Les Fausses Fenêtres, édité, préfacé et annoté par Jacques Poirier, et des lettres de Tournier à son ami Hellmut Waller, transcrites et présentées par Arlette Bouloumié, sous le titre L’Invention de l’écrivain par lui-même. Lettres écrites à Hellmut Waller. 1962-2012. Ces publications, dont la parution coïncide avec le centenaire de la naissance de l’écrivain (19 décembre 1924), couvrent l’amplitude de sa carrière littéraire, commencée dans l’ombre au début des années 1950, après son échec au concours de l’agrégation de philosophie, et poursuivie jusqu’à sa mort, en 2016, même si ses productions se font rares et plus modestes durant les dix dernières années de sa vie (Journal extime, 2002, Le Bonheur en Allemagne ?, 2004, Les Vertes lectures, 20061). Les Fausses fenêtres : un premier roman inachevé tout juste dévoilé Premier roman de Tournier, resté inachevé et jusqu’à présent caché, Les Fausses Fenêtres nous fait remonter aux sources d’une écriture. L’auteur s’est souvent exprimé sur l’existence de manuscrits avortés, volontairement enfouis au fond d’un tiroir, avant que Vendredi ou les limbes du Pacifique2 (1967) lui offre une visibilité dans le monde des lettres. La référence à Les Plaisirs et les pleurs d’Olivier Cromorne, sorte d’avant-texte non publié du Roi des Aulnes3 datant des années 1958-1962, est ainsi familière au lecteur tourniérien du Vent Paraclet4, l’autobiographie intellectuelle de l’écrivain. Celui-ci ne mentionne nullement, en revanche, le titre Les Fausses Fenêtres, que l’on découvre en 2017 dans le court recensement établi par Arlette Bouloumié des manuscrits de Tournier, à l’occasion de la réédition de ses romans dans la Bibliothèque de la Pléiade5. La chercheuse y indique l’existence, dans le fonds Tournier, d’un dossier intitulé « Les Fausses Fenêtres », signé du pseudonyme de Michel Amercœur et composé de deux projets différents, non datés : l’un, fragmentaire et à ce jour non publié, prend la forme d’un journal écrit quotidiennement par Michel Amercœur, l’autre est le roman inachevé paru en novembre 2024 sous le titre initialement commun aux deux entreprises. Ce roman est un récit initiatique à la première personne constitué de neuf chapitres évoquant, par la voix du narrateur et personnage principal, Nicolas, treize ans, le difficile passage de l’enfance à l Thu, 05 Jun 2025 08:28:06 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19695 acta Borges, à la fois « tout à voir » et « rien à voir » avec le cinéma https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19670 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19670/Couv Jacques Borges.jpg" width="100px" />L’œuvre de Jorge Luis Borges a considérablement « contaminé » le récit filmique contemporain, selon le terme que Vincent Jacques emprunte à Carolina Ferrer pour désigner, dans sa conclusion, tout le versant des liens entre l’écrivain argentin et le septième art qu’il a choisi de ne pas aborder dans son Borges et le cinéma. En effet, l’auteur ambitionne à l’inverse, dans cette petite monographie publiée au sein de la précieuse collection « Le cinéma des poètes » que dirige Carole Aurouet chez Quidam, d’explorer l’influence du cinéma sur les pratiques scripturales concrètes de Borges. Vincent Jacques, spécialiste de la philosophie française contemporaine (Deleuze en particulier) et des théories de l’image, fait donc une incursion dans l’univers borgésien pour évoquer au sein de quatre courts chapitres chronologiques les différents rapports qu’a entretenu le poète avec les films, leurs imaginaires et leurs récits. Borges critique : l’écriture sur le cinéma Après une introduction qui resitue le jeune Borges dans le foisonnement culturel de la Buenos Aires cosmopolite des années 1920, Vincent Jacques rappelle que le premier rapport du futur écrivain au cinéma est « celui de spectateur et de critique cinématographique. Une pratique de spectateur hebdomadaire, souvent collective », suivie de l’écriture de critiques « à chaud » et « sans le modèle d’autres modes d’écriture sur le cinéma » (p. 10). En exploitant notamment les articles de Borges traduits en français et réédités dans le premier volume de ses œuvres complètes (Gallimard, 2010), l’auteur dresse un aperçu des goûts cinématographiques de l’écrivain, qui officia « dans diverses revues, dans Sur, entre 1931 et 1944, et, entre 1936 et 1938, dans Megáfono et Selección Cuadernos de lectura » (p. 15) et plus sporadiquement dans El Hogar, La Prensa et Critica. Si l’ouvrage se contente parfois de faire l’inventaire des longs métrages et des auteurs qui comptèrent pour Borges — Sternberg, Stroheim, King Vidor, le western américain, soit des préférences pour le cinéma classique qui furent déjà mises en lumière ailleurs, dans le champ sud-américain1 comme international2 —, sa tentative d’extraire de ces écrits hétérogènes une ligne critique basée sur des critères discriminants récurrents est louable. L’entreprise se heurte toutefois aux appréciations variables et aux multiples contradictions du jeune Borges, qui semble s’approprier l’exercice critique comme une formation à l’écriture et ne s’intéresse que peu à la Sun, 25 May 2025 21:26:20 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19670 acta L’ombre et la marge https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19654 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19654/CahierMondesInvisibles.jpg" width="100px" />La publication d’un cahier entièrement consacré aux Mondes invisibles — ensemble syncrétique de croyances et d’usages explorant des pans de l’existence inaccessibles à la compréhension rationnelle ou à l’observation empirique — participe d’un changement de paradigme au sein de la recherche académique francophone. Ne scellerait-elle pas, avec la récente traduction d’essais tels que Le Monde magique1 d’Ernesto De Martino (2022) et Matières spectrales. Sociologie des fantômes2 d’Avery F. Gordon (2024), le lien établi entre contextes d’incertitude généralisée et regain d’intérêt pour l’érudition ésotérique ou occulte, qui précisément les réfléchit au sens plein du terme ? Le volume, symptomatique d’une crise à multiples détentes, noue un dialogue interdisciplinaire autour des savoirs hermétiques dont l’influence s’exerce bien au-delà des sphères de la spiritualité et de l’imaginaire auxquelles ils sont habituellement réduits. L’approche s’y fait résolument heuristique, explorant les mutations des systèmes de pensée et des modes de représentation occidentaux sur une période de deux siècles, tout en se montrant consciente de ne poser que les jalons d’un plus vaste chantier : « Contempler l’obscur, l’inconnu, l’invisible », ce n’est pas prétendre l’éclairer, le connaître, le voir, ce qui équivaudrait à le nier. Mais ce n’est pas non plus se résigner à l’ignorance et à la cécité. C’est oser un mouvement nécessairement infini, c’est chercher à déceler et à suivre le rayonnement des zones d’ombres de nos cultures. (p. 13) Révulser le regard L’une des clefs de voûte de l’argumentation réside dans la mise en lumière du caractère subversif des mondes invisibles, assimilés à « une contre-culture qui n’en finit pas de se réinventer » (p. 10) et abondamment investis par certains groupes marginalisés. De la dynamique transgressive qu’ils déploient procèdent notamment les interprétations queer et féministes de diverses figures magiques ou mythologiques, ainsi que d’arts divinatoires dont Anne-Claire Marpeau propose une analyse au chapitre « Une voix de l’au-delà : savoirs “féminins”, médiumnité et pratiques de soin dans la littérature d’Antoinette Bourdin » (p. 55-59). Contre une conception mâtinée de classisme et d’ethnocentrisme, l’ouvrage signale que les voies de l’irrationnel ont été empruntées par des sommités de la littérature peu ou prou attendues — telles que Hugo, Balzac, Musset, Conan Doyle ou encore Dostoïevski — mais également de la science : « Ce vaste domaine Sun, 25 May 2025 21:10:12 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19654 acta La littérature peut-elle se faire aquarium ? https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19648 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19648/Nau-Aquarium.jpg" width="100px" />L’on pourrait a priori douter de l’intérêt que constitue pour les études littéraires l’ouvrage que Clélia Nau consacre à l’influence de l’aquarium, en tant que dispositif spectaculaire, sur le célèbre cycle des Nymphéas et son mode d’exposition. L’autrice, maîtresse de conférences à l’Université Paris Cité, dissipe ce scepticisme à mesure qu’elle développe sa pensée. Intéressée par les dynamiques constitutives d’un imaginaire de l’aquarium, chez Claude Monet en particulier mais avec une ambition généralisante, elle recourt à de nombreuses illustrations littéraires. Ainsi, les œuvres d’Octave Mirbeau, Joris-Karl Huysmans, Émile Zola et Marcel Proust, notamment, sont mobilisées pour certains de leurs passages qui témoignent du potentiel tour à tour fantasmagorique, hypnagogique ou mémoriel de l’aquarium — et de certains dispositifs avec lesquels il ferait système : le kaléidoscope, la cathédrale, la serre. La production littéraire garde trace, donc, de la fascination pour le paradigme visuel et expérientiel que constituent l’aquarium et ses avatars. Mais si elle décrit les dynamiques qui sous-tendent ce régime de vision spécifique, elle ne se cantonne pas au seul rôle de témoin. En effet, en plus de commenter de l’extérieur une expérience dont l’enjeu principal, comme le démontre Clélia Nau, est d’être immersive, les écrivains ont pu s’essayer à sa reproduction, c’est-à-dire à l’élaboration d’une espèce de texte-aquarium. Les occurrences de ce phénomène, qu’elles soient délibérées ou involontaires, sont autant d’occasions d’interroger les synergies effectives et possibles entre les dispositifs de vision et la littérature. « Une architectonique de la fluidité » La planification minutieuse de la disposition des Nymphéas au musée de l’Orangerie, à laquelle Monet s’est affairé « en décorateur d’intérieur » (p. 35), met au jour la dialectique à nos yeux nodale du constat de Clélia Nau que « la peinture […] s’est, en vérité, au contact du dispositif-aquarium, profondément transformée », dans « sa spatialité, son système d’accrochage, son mode d’éclairage, ses couleurs mêmes » (p. 18). Cette dialectique, c’est celle de l’organisation et de la désorganisation, de l’ordre et du désordre. La tension est frappante, en effet, entre la mise en place d’une machine à voir réglée dans ses moindres détails d’une part et le spectacle qu’elle offre d’autre part, fluide et vague, dont les contours s’effacent et les éléments se confondent : Car si Monet s’est bien servi de l’esp Sun, 25 May 2025 21:08:21 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19648 acta Substance du féminin : le corps dénudé https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19676 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19676/couvert_nudites-feminines.jpg" width="100px" />Il s’agit pour Laurence Pelletier, dans ce livre adapté de sa thèse de doctorat, d’entreprendre l’étude d’une absence : celle de la femme en philosophie. Non que les femmes n’apparaissent pas dans le discours philosophique : l’autrice rappelle, dans les premiers chapitres de son œuvre, l’omniprésence des femmes, ou plutôt des images de femmes dénudées, dans des projets philosophiques aussi différents que ceux de Friedrich Nietzsche, Georges Didi-Hubermann, Jacques Lacan et Giorgio Agamben. Mais, avance-t-elle, les femmes en tant que telles, au sens d’une réalité matérielle, d’une ontologie, n’existent pas en philosophie, qui ne veut surtout pas s’embarrasser du corps des femmes nues. Ainsi, la réification des femmes par leur image est un tour de passe-passe qui permet aux hommes philosophes de les congédier une bonne fois pour toute de leur domaine : La nudité féminine fait ainsi œuvre de diversion, de détournement. Son apparition dans les discours et les représentations institutionnalisées fait croire à la « Femme », à cet idéal, alors que les femmes n’y sont pas. En ce sens, elle réitère et reconduit une division sexuelle à même les instances de pouvoir. (p. 13) Cette critique, qui concerne la philosophie antique jusqu’à Nietzsche, possède une longue généalogie dans laquelle Laurence Pelletier s’inscrit, à l’exemple de Luce Irigaray qui a bâti toute son œuvre sur l’étude critique de la différence sexuelle au sein de la langue philosophique (voir notamment Ce sexe qui n’en est pas un, 1977 ; Amante marine, 1980.) Mais l’autrice de Nudités féminines prend acte d’une histoire plus récente de la philosophie, par rapport à laquelle elle se positionne ; elle prend en compte les riches entreprises philosophiques des quarante dernières années et articule ainsi ces enjeux ontologiques avec des préoccupations encore marginales au moment où Irigaray écrit, comme la transidentité et la race1. Ce qui différencie également cet ouvrage de beaucoup d’autres écrits féministes, c’est sa volonté de réfléchir selon les catégories d’une éthique de la différence, s’inscrivant dans la lignée de la philosophe Catherine Malabou. Le projet est le suivant : penser le « féminin » comme une catégorie ontologique possible, en respectant « la double contrainte qui incombe à la théorie féministe de refuser l’essentialisme (plus précisément le déterminisme biologique) de la femme en même temps que de refuser la neutralisation du féminin » (p. 39). Par « neutralisation » du féminin, elle Thu, 29 May 2025 15:42:31 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19676