Parutions Acta Fabula https://www.fabula.org/revue/ Dans l'ensemble des publications consacrées à la littérature, Acta fabula sepropose de recenser les essais présentant de nouveaux objets théoriques,mais aussi les ouvrages collectifs qui, relevant d'un champ disciplinaireplus étroit, recèlent de réels enjeux de poétique générale. fr contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) 60 Copyright © Fabula contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) acta Arrachements, attachements https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18846 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18846/couv_Zambrano_Tourte.jpg" width="100px" />Cela pourra paraître un peu arbitraire, mais il semble exister une profonde corrélation entre angoisse et système, comme si le système était la forme de l’angoisse quand elle cherche à sortir d’elle-même, la forme adoptée par une pensée angoissée quand elle veut s’affirmer et tout dominer (p. 87). Celle qui signe ces mots dans Philosophie et poésie est une jeune philosophe de 35 ans vivant au Mexique, en exil : María Zambrano. Sa pensée, plus nostalgique qu’angoissée, suit le fil d’une vie de déplacements et de déracinements. Cette existence a commencé à Vélez-Málaga en 1907, se poursuit à Ségovie et Madrid. Son premier essai, Por qué se escribe ? (« Pourquoi écrit-on ? »), paraît en 1933 dans la Revista de Occidente. Dès 1939, Zambrano part pour le Mexique, puis vit à Porto Rico, mais surtout à La Havane (1940-1953). À son retour en Europe, elle réside à Rome avec sa sœur Araceli. Les deux possèdent 13 chats, ce qui leur vaut la dénonciation d’un voisin et leur expulsion du pays, où elles sont considérées comme « personnes dangereuses ». Araceli et María s’installent alors dans un hameau du Jura français, La Pièce. María Zambrano meurt en 1991 à Madrid, où elle est enfin revenue depuis les années 1980. En 1939, María Zambrano n’imagine sans doute pas que son texte pourra faire l’objet d’un compte rendu dans une revue française en 2024. La probabilité d’être lue est très faible, elle constitue presque un rêve : celui du « toujours invraisemblable lecteur » mentionné dans le prologue de 1987 (p. 7). Ce préambule tardif place Philosophie et poésie sous le signe de la chimère. Écrire de la philosophie, enseigner cette discipline : ces deux destinées se sont présentées comme utopiques. Dans le même prologue, María Zambrano le confesse : J’entends par Utopie la beauté irrésistible, et aussi l’épée d’un ange qui nous pousse vers ce que nous savons impossible, comme l’auteur de ces lignes a toujours su qu’elle ne pourrait jamais faire de Philosophie, et pas seulement parce qu’elle est une femme. (p. 9) Ici masquée derrière le masculin générique d’« auteur », la condition de femme ne disparaît jamais tout à fait du livre. Dans sa forme, Philosophie et poésie est composé de cinq chapitres : « Pensée et Poésie », « Poésie et Éthique », « Mystique et Poésie », « Poésie et Métaphysique », puis tout simplement « Poésie ». Le premier fut publié indépendamment comme article dans la revue Taller, dirigée par Octavio Paz. La construction d’ensemble paraît guidée par une in Mon, 16 Dec 2024 10:04:40 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18846 acta Pour une stylistique du tiraillement https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19014 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19014/Couv Philippe Cini.jpg" width="100px" />« Ériger la perplexité en méthode » (p. 8) ; telle est l’ambition affichée du dernier ouvrage de Gilles Philippe, Une certaine gêne à l’égard du style, livre-somme rassemblant et prolongeant les perspectives esquissées au cours de presque vingt ans de recherche (p. 239). Dans le sillage de ses plus récentes publications1, l’auteur applique le principe déconstructionniste cher à ses travaux qu’il explicite dès l’introduction : « il s’agit simplement de ramener l’analyse stylistique à ce bon sens, bref de lui demander de suspendre le principe de cohérence qui lui sert si souvent à la fois de fondement et d’horizon » (p. 7-8). Suivant donc sa manière habituelle de procéder2, Gilles Philippe s’attache à révoquer dans le même geste les réflexes sclérosés de la stylistique auteuriste (p. 166) et la définition même du style comme idiolecte radical, afin d’examiner cet objet selon ses logiques collectives, et, plus précisément ici, comme une réponse plus ou moins instable, une négociation sans cesse renouvelée d’un auteur, ou plutôt d’une génération d’auteurs, face aux « injonctions stylistiques contradictoires » (p. 6 et p. 13) de son temps. Dès lors, le postulat de départ de cet ouvrage est aussi limpide que fécond : « la tension stylistique est le mode d’existence naturel des œuvres littéraires » (p. 18). Face à ce constat, et sous l’égide du personnage proustien de Bergotte, « mour[ant] d’une crise de désespoir stylistique » (p. 5), il s’agit de déplier les différents niveaux de discordances qui traversent toute œuvre, selon une véritable traque à l’incohérence et au désaveu, aussi bien dans le texte lui-même que dans le discours qui l’accompagne ou la théorie qui le fonde et le justifie. Afin de « démêler l’écheveau des tensions et des contradictions », et puisqu’« on est rarement contradictoire tout seul » (p. 8), Gilles Philippe expose une série de portraits d’écrivains qui résonnent les uns avec les autres dans leurs apories stylistiques, cherchant à y déceler ce qui parasite, ce qui ne fonctionne pas dans le système stylistique qu’un auteur se construit et se raconte — ou que la critique construit et raconte à partir des textes d’un auteur. Dans un souci constant d’exhaustivité et d’illustration, Gilles Philippe présente dès l’introduction quelques cas de figure variés de cette « gêne à l’égard du style » qu’ont rencontrée jusqu’aux auteurs du canon littéraire du xixe siècle : Stendhal, selon une image devenue célèbre, affirmant s’inspirer du « ton » du C Mon, 06 Jan 2025 06:49:16 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19014 acta Origines, transmissions et écriture de la légende arthurienne aux XIIe et XIIIe siècles https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19005 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19005/couv Blacker-Delusier.jpg" width="100px" />Une question de méthode Parmi les travaux de recherche de son autrice, cette somme paraît à la suite d’une traduction anglaise du Roman de Brut de Wace parue en 20231 et pour laquelle Jean Blacker a écrit l’introduction et réalisé les notes. Aussi, Wace est un poète médiéval sur lequel la chercheuse américaine a écrit un certain nombre d’articles et prononcé plusieurs interventions, dont la plus récente portait sur les écritures hagiographiques de la Vierge Marie et du roi Arthur dans la Conception Nostre Dame (env. 1130-1153)2 et le Brut (env. 1155)3. Ce dernier poème peut être vu, avec sa source latine, comme la pierre angulaire de l’écriture de la légende arthurienne au milieu du xiie siècle, car il n’est pas qu’un texte historiographique, mais « un canal central de la tradition latine vers les traditions historiques vernaculaires françaises et anglaises4 ». Le Roman de Brut est à la fois un récit fondateur et une extension de la mythographie latine de Geoffroy de Monmouth (1137) : [...] he tries to reconcile Galfridian chronological structures with those found in Bede and the Anglo-Saxon Chronicles, and to what extent, and in what ways — including his emphasis on the evolution of language — Wace invents his own particular blend of historiographical traditions. (p 240) [...] il tente de réconcilier les structures chronologiques galfridiennes avec celles trouvées chez Bède et les Chroniques Anglo-saxonnes, et de comprendre dans quelle mesure et de quelles manières — y compris en mettant l’accent sur l’évolution du langage — Wace invente son propre mélange particulier de traditions historiographiques. Dans une perspective historique et d’analyse précise sur les textes, à l’instar de l’étude conjointe publiée par W.R.J. Barron et Glyn S. Burgess sur Le Voyage de Saint Brendan5, l’autrice démontre les différents liens existants entre l’Historia de Geoffroy, sa Variant Version, le Brut de Wace, et les autres Brut versifiés, en vieil anglais et en gallois, restituant à chacun des différents textes médiévaux la façon dont les figures, les épisodes, les thèmes et les motifs ont été transmis au courant du xiie et du xiiie siècle. L’introduction établit les singularités du corpus principal : Jean Blacker indique de façon précise les textes « fondateurs », s’il en est, et entremêle les différents modèles de réécritures celtiques, bibliques, latines, ou historiographiques. La méthode utilisée est celle de la comparaison avec les mythographes de la tradition arthur Mon, 06 Jan 2025 06:46:42 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19005 acta L’œuvre et la réception camusienne au regard de la colonisation https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19021 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19021/Couv Vallée Chaulet Achour.jpg" width="100px" />En pleine polémique sur la lecture de l’œuvre d’Albert Camus, Christiane Chaulet Achour, professeure émérite des universités d’Alger et de Cergy-Pontoise, propose la somme de ses analyses de l’œuvre camusienne et des lectures qui en ont été faites, travail entamé dans les années 1980 et toujours actualisé. Spécialiste des littératures francophones des périphéries Suds, elle affirme une nouvelle fois que le lieu de l’écriture n’est pas anodin et qu’il est donc nécessaire de contextualiser les œuvres et leurs auteurs pour en comprendre la complexité. Cela semble d’autant plus évident en ce qui concerne Albert Camus puisqu’il revendique son appartenance au sol algérien et se présente comme un écrivain engagé. De même, il semble difficile de dissocier les lectures qui sont faites de son œuvre de ce contexte colonial et postcolonial. Christiane Chaulet Achour définit ainsi sa « manière de lire Camus » : « de façon admirative et critique, révélant la capacité de certains textes, au-delà du discours d’exclusion, de racisme, de compassion, de paternalisme par rapport à l’autre de faire prendre conscience d’une situation et de la rendre significative au moment où elle se publie et dont la signification n’apparaît que dans des lectures ultérieures. » Comme elle le précise bien dans son introduction, dans le sillage d’Alain Ruscio et d’Yves Ansel, il ne s’agit de dénigrer ni l’écrivain, ni son œuvre mais d’en saisir la complexité grâce à un éclairage riche, éclairage complétant les lectures qui effacent sa part algérienne. Le premier chapitre est consacré à l’analyse des œuvres dans lesquelles Camus fait référence à l’Algérie et la lecture qui en a été faite, celles des Suds et celle de sa patrimonialisation. Le deuxième chapitre propose un éclairage de sa position à travers des comparaisons avec des écrivains qui lui sont contemporains. Enfin, le troisième chapitre aborde l’analyse de l’appropriation de l’œuvre camusienne dans le discours politique, médiatique et littéraire. Le premier chapitre, « Albert Camus, du “colonial” à “l’international” » révèle, tout d’abord, à travers l’analyse des œuvres ancrées en Algérie, la posture complexe de l’auteur par rapport à son appartenance à ce pays. Elle commence par Noces, cet essai dans lequel le jeune auteur cherche son identité. Il se crée un rapport mythique à cette terre dont il efface l’histoire et en occulte les autochtones pour mieux se l’approprier, y trouver sa légitimité. Christiane Chaulet Achour reprend le lie Mon, 06 Jan 2025 06:57:11 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19021 acta Dévoiler le désir féminin https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18842 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18842/couv_Thiriot_Nizard.jpg" width="100px" />L’ouvrage de Lucie Nizard, issu de sa thèse de doctorat, est l’aboutissement de plusieurs années de recherche sur les représentations littéraires des femmes au xixe siècle. S’inscrivant dans la lignée des travaux d’Éléonore Reverzy et de Christine Planté, Les Voiles du désir féminin porte plus particulièrement sur l’écriture du désir sexuel féminin dans les romans de mœurs publiés entre 1857 et 1914. La réflexion de l’autrice se fonde en premier lieu sur le constat d’un paradoxe structurant : le roman de mœurs, qui nourrit l’ambition de « tout voir et tout peindre1 », à l’image du personnage-artiste de L’Œuvre de Zola, se met lui-même en échec lorsqu’il s’agit du désir sexuel des femmes. L’idéal d’objectivité et de clarté se heurte non seulement à un devoir de décence, mais aussi à la subjectivité des auteurs masculins, qui projettent dans la fiction leurs préjugés, leurs fantasmes et leurs angoisses liés à la sexualité féminine. Ainsi les « voiles » mentionnés dans le titre de l’ouvrage ne renvoient-ils pas uniquement au caractère insaisissable que l’on prête d’ordinaire au désir féminin, mais bien aux mots des auteurs pour le décrire et aux imaginaires sur lesquels ils se fondent pour construire leurs personnages de femmes désirantes. Lucie Nizard entend démontrer que la poétique du désir féminin dans ces textes, marqués par les discours de leur époque et par la subjectivité de leurs auteurs, renseigne sur la construction des identités de genre. La principale originalité de ce travail réside dans la double approche méthodologique choisie par l’autrice. En adoptant une perspective sociocritique, définie comme une « herméneutique sociale des textes2 », elle parvient à saisir avec finesse les interactions des œuvres littéraires qu’elle étudie avec les discours médicaux, moraux et religieux de leur temps. Néanmoins, loin de faire du roman un simple document historique qui informerait le lecteur sur les règles érotiques du second xixe siècle, Lucie Nizard cherche à saisir la spécificité de l’écriture romanesque et désire montrer comment « la littérature permet la multiplication des points de vue et des voix, l’équivocité et l’ambiguïté, et entretient un rapport dynamique avec les préjugés de son époque » (p. 20). Choisir les études de genre comme cadre théorique principal apporte par ailleurs une subtilité considérable à sa réflexion : tandis qu’elle refuse, au seuil de son ouvrage, de « juger les écrivains du second xixe siècle » ou de « leur intenter un pro Mon, 16 Dec 2024 09:53:00 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18842 acta Les Vacillements du secret ou « le drame du comme tel » https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18849 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18849/couv_derrida_thibaud.jpg" width="100px" />Ce cours consacré au secret est placé sous le signe d’un double scandale : faire un séminaire — et Derrida le souligne, un séminaire ouvert, public, plutôt qu’un rassemblement ésotérique ou initiatique — sur ce qui pourtant suppose la plus grande fermeture et la plus grande discrétion. On tient bien le scandale de ce qui devrait rester couvert mais qui paraît au grand jour. L’autre scandale tient à la tentative de porter un discours philosophique sur ce qui défie toute prise de parole, et de déterminer, d’arrêter les contours de ce qui se définit par son caractère insaisissable. Toute prise sur le secret risque en même temps de le trahir ; même les mécanismes (linguistiques et techniques) visant à le protéger menacent toujours de l’exposer. Ainsi selon Derrida, « pour garder un secret, il faut savoir le perdre » (p. 73), car il n’est secret qu’en tant qu’il est révélable. C’est en cela que le secret vacille : il ne tient pas en place, ne se laisse pas attraper, flanche et fléchit mais par là même échappe. Autant dire que par sa vulnérabilité même le secret se dérobe. Or ce vacillement correspond aussi au « drame du “comme tel” » : dès qu’un secret apparaît comme tel, c’est la perte du secret comme tel. Cette impasse infernale — et le « démonique », de Baudelaire à Patočka puis Freud, sera l’un des fils de la réflexion — place pour ainsi dire dès le départ l’ambition du séminaire dans une situation d’échec. Derrida le met d’ailleurs en scène à plusieurs reprises, donnant ainsi corps à ce « drame du “comme tel” [qui] est évidemment le drame du secret » (p. 522). Pour cela il joue dès la première séance un dialogue fictif, entre un « autre » et un « autre », le premier tendant à poser des définitions, à répondre, et le second à questionner. Or si le secret vacille ce n’est pas un hasard : c’est lié à la situation de question-réponse, ou plutôt, de réponse-question. Le vacillement du secret est comme une réaction à nos tentatives d’interrogation et de définition. La question du répondre est ainsi placée d’emblée dans une situation aporétique, puisque Derrida, en se donnant le secret pour thème, et en le définissant comme « ce qui ne répond pas » choisit de penser la réponse à partir de la non-réponse. C’est sous cette injonction paradoxale que Derrida donne le coup d’envoi d’un troisième cycle de séminaires dispensés à l’EHESS, entre 1991 et 2003, portant sur les « Questions de responsabilités ». Cette introduction sur le secret entremêle des thèmes qui ont ir Mon, 16 Dec 2024 22:52:47 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18849 acta « Ce sont œuvres de jeunesse » : questionner un impensé des études littéraires https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18855 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18855/Juvenilia_Vidotto.jpg" width="100px" />« Qui dira le charme, le jaillissement des œuvres de jeunesse1 ? », se demandait il y a quelques années Jean-Yves Tadié, dans sa préface à l’édition « Quarto » de Jean Santeuil — prototype, à bien des égards, de l’œuvre de jeunesse (ou plutôt : de l’idée qu’on s’en fait), mais que, curieusement, les spécialistes de Marcel Proust rechignent à désigner comme telle. Le verbe au futur se teint ici d’une nuance modale et fait planer sur cette interrogation, lancée à la postérité comme un défi, un soupçon de prétérition : est-il vraiment possible d’appréhender le « charme » ambivalent, la fascination quelque peu mêlée de réticence que suscitent les débuts littéraires des auteurs et autrices canonisés ? Comment cerner les spécificités, les implications et les enjeux d’une catégorie appartenant depuis toujours à l’arsenal conceptuel de l’histoire littéraire et culturelle, mais jamais véritablement « théorisée, ni sans doute théorisable2 » ? Si les œuvres de jeunesse ne semblent guère offrir de prise à une conceptualisation plus affûtée, c’est parce que tout effort dans cette direction peine à dépasser les représentations consensuelles, et volontiers dépréciatives, transmises par les discours critiques et les traditions littéraires. D’ordre tautologique et téléologique, celles-ci rabotent la complexité des œuvres de jeunesse en les considérant, d’une part, comme la simple émanation d’une tranche d’âge (soit : les œuvres écrites pendant la jeunesse) et en les ravalant, d’autre part, au rang de balbutiements, étape liminaire, et souvent négligeable, au sein d’un parcours de création ascendant, culminant tout naturellement dans le chef-d’œuvre. En plus de simplifier grossièrement les contours de son objet, ces deux perspectives aplatissent, voire ignorent l’historicisation inhérente à la notion d’œuvre de jeunesse. Tout évident que cela puisse paraître, les mots mêmes d’« œuvre » et de « jeunesse » sont polysémiques et ne désignent pas les mêmes réalités biologiques et sociales à toutes les époques3. Ce ne sont là que quelques aspects de l’impensé généralisé qui entoure la catégorie des Juvenilia, et auquel s’attaquent les contributions réunies par Déborah Knopp, Florence Lotterie et Jean Vignes dans le collectif Juvenilia. Poétique et rhétorique de l’œuvre de jeunesse (XVIe-XVIIIe siècles). Issu d’un colloque pionnier qui s’était tenu à l’Université Paris Cité, ce volume doit être d’autant plus salué qu’il vient rééquilibrer la donne au sein d’un panorama critique où Mon, 16 Dec 2024 23:00:15 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18855 acta Les fantômes de Maxime Du Camp enfin réincarnés https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18831 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18831/couv_du camp_ménager.jpg" width="100px" />Une saine tendance de la critique littéraire et de certaines maisons d’édition consiste à rendre justice aux voix qui se sont injustement tues ou à celles qui n’ont pas pu se faire entendre. Ainsi s’élargit le monde devenu étriqué des « grands écrivains », parfois rétrospectivement élus. Dans cette perspective, Maxime Du Camp, « vedette » du xixe siècle, anathémisé au cours du siècle suivant, ressuscite discrètement, progressivement, partiellement. En 1996, Gérard de Senneville a publié une biographie de l’écrivain1. Daniel Oster2, Marta Caraion3 et Thierry Poyet4 ont proposé de nouvelles éditions commentées de quelques-uns des quarante-six volumes parus du vivant de l’auteur. Plus récemment, Thomas Loué a rassemblé, sous le titre Les Académiciens de mon temps, une autobiographie manuscrite ainsi que divers textes et lettres inédits5. Enfin, grâce aux éditions du 26 octobre, nous pouvons désormais lire, sans recourir aux précieuses ressources de la Bibliothèque nationale de France, le deuxième recueil de nouvelles ducampiennes, Le Chevalier du cœur saignant, initialement paru en 1862. De surcroît, ces récits sont précédés d’une préface rédigée par Marie-France de Palacio, remarquable par son érudition, évitant le bavardage, les extrapolations, les envolées lyriques, constituant en soi une nouvelle et précieuse ressource, solidement étayée par des références précises au sujet d’un écrivain dont l’œuvre mérite effectivement d’être reconsidérée. Ces quelque quarante pages, liminaires et préliminaires, permettent, à l’appui constant du texte et du lexique, parfaitement maîtrisé, de l’analyse littéraire, un décryptage savant des fictions qu’elles introduisent. De la sorte sont mis en évidence la cohérence du recueil, sa réception, le contexte littéraire de sa parution, quelques-uns de ses hypotextes et surtout son originalité, autrement dit, sa valeur, laquelle réside principalement dans son traitement singulier du registre fantastique et dans son dialogue avec le saint-simonisme de Prosper Enfantin. S’y ajoute, nous semble-t-il, un enjeu éthique et médical plus déterminant que ne le suggère Marie-France de Palacio. Le fantastique ducampien Redéfinir le registre fantastique Dès la première phrase de sa préface, Marie-France de Palacio prend la peine de déterminer la matrice de ce recueil oublié. « Ces nouvelles peuvent, écrit-elle, être considérées comme des nouvelles fantastiques » (p. 5). Après sa théorisation par Todorov6, le registre fantastique semble deve Mon, 16 Dec 2024 09:35:59 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18831 acta Lire la peinture https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18757 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18757/Queneau.jpg" width="100px" />Au chapitre XVII des Fleurs bleues de Raymond Queneau, le duc d’Auge crie à Cidrolin la célèbre phrase du Corrège s’exclamant devant une toile de Raphaël : « Et moi aussi, je suis peintre1 ». Les deux héros queniens n’ont pourtant rien à voir avec les deux grands maîtres de la Renaissance italienne : Auge barbouille des « dessins d’enfants2 » sur les parois des grottes préhistoriques tandis que Cidrolin souille sa barrière de graffitis injurieux et la repeint continuellement. Par l’entremise de ces deux peintres du dimanche, Queneau semble revenir avec un sourire amusé et ironique sur les velléités artistiques qui l’ont, un temps, animé et lui ont laissé penser qu’il pourrait suivre une autre voie que l’écriture. Le « jardin secret3 » qu’a constitué la peinture pour Queneau s’éclaire un peu plus avec la parution de ses Écrits sur la peinture. Cette édition établie par Stéphane Massonet reprend l’ensemble des articles et poèmes que Queneau a consacrés à la peinture et, plus généralement, à l’art. Ces textes, publiés le plus souvent dans des catalogues d’expositions, étaient dispersés et restaient à ce jour confidentiels — à l’exception notoire de « Joan Miró ou le poète préhistorique » (1949, p. 65 sq.) qui avait été repris dans le recueil Bâtons, chiffres et lettres (1965). À la lecture d’Allez-y voir, on est frappé par la diversité des peintres et sculpteurs défendus par Queneau, non seulement en termes de notoriété mais aussi en termes de styles. Pour cette édition, Stéphane Massonet fait le choix de présenter ces écrits dans un ordre strictement chronologique, qui s’étend des débuts surréalistes de l’auteur (un premier texte polémique en 1928 sur Chirico) jusqu’en 1975, un an avant sa mort. L’approche chronologique permet, comme l’explique Stéphane Massonet, de « mettre en évidence la durée et l’intensité avec lesquelles [Queneau] écrit sur les artistes » (p. 19). L’exemple le plus parlant de ce point de vue est celui de Miró auquel Queneau consacre dix textes. La fidélité de Queneau est également manifeste avec des artistes tels que Jean Hélion, Élie Lascaux, Mario Prassinos, Jean Dubuffet ou encore Enrico Baj. Cette écriture suivie dans le temps — véritable work in progress — est l’un des intérêts du recueil : on voit ainsi comment, pour ses artistes de prédilection, Queneau reprend ses écrits antérieurs, les remodèle, les complète4. L’ouvrage comprend également un avant-propos éclairant de Stéphane Massonet qui s’attache à décrire les enjeux de la Mon, 18 Nov 2024 20:30:43 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18757 acta Stylistique de l’intime https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18796 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18796/Capture d’écran 2024-11-19 à 15.31.38.png" width="100px" />Dès la couverture, À proportion. Eugène Delacroix et la mesure de l’homme s’affiche autrement que comme une étude critique : la juxtaposition des noms de l’artiste — Delacroix — et du critique — Zanetta — fait plutôt du livre un terrain de jeu, voire un terrain de duel et de confrontation. Delacroix versus Zanetta ? L’intérêt de la question réside dans la logique de l’étude : déployer le réseau du sens qui se dégage d’une page choisie du Journal de Delacroix, et cela à travers la patience de l’analyse stylistique. Nous ne sommes pas loin d’un commentaire de texte. Mais quel commentaire ! Et surtout, quel texte ! Le texte et le commentaire, finalement. Delacroix et Zanetta : le microcosme de la page, matière résistante, est rendu progressivement intelligible par l’observation et l’interprétation. Ainsi le texte est-il aussi bien le prétexte et l’annexe du commentaire, son origine et sa justification. Cent pages — à peine — où Julien Zanetta revendique sa posture de lecteur, dit « je » (« si je n’avais lu le Journal », p. 85), afin de tirer de sa réception singulière du texte une beauté critique plus ample. Avant de débuter son analyse, l’auteur présente les enjeux d’un dispositif littéraire à maints égards assez étrange : le journal intime — est-ce de la littérature ? — d’un peintre — est-ce un auteur ? Julien Zanetta met en avant le système esthétique qui légitime ses choix : « l’écriture de Delacroix possède un style propre, un rythme sien, parfois brusque et heurté, parfois lyrique, sardonique, sinon désabusé » (p. 11). Cela annonce le parti pris de l’étude, son « ambition » : « lire Delacroix comme un peintre-écrivain à proprement parler » (p. 12), en raison d’un souci formel sous-jacent et, notamment, de la présence d’une méditation permanente sur l’art qui, bien qu’elle se présente sous une forme oscillante et décousue, permet de faire de la parole écrite le viatique de la mise en œuvre picturale future. Puis, comme toute explication littéraire l’impose, Zanetta « expose » l’extrait — simple et nu — pour que le lecteur l’ait sous les yeux, pour qu’il puisse revenir à la lettre et la fréquenter. En effet, le commentaire qui se déploie à partir de la page de Delacroix demande une attention précise à la structure du texte. Pourtant, l’intérêt de la présence du texte dépourvu du commentaire ne peut pas se réduire à une raison fonctionnelle : la lecture naïve, simplement accompagnée par les pages de l’avant-propos, permet au lecteur de s’approprier un text Mon, 18 Nov 2024 22:23:18 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18796 acta Sur la peinture de Deleuze : une nouvelle lecture du « diagramme » https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18786 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18786/Capture d’écran 2024-11-19 à 15.20.58.png" width="100px" />Publié à l’automne 2023, Sur la peinture retranscrit les huit séances du cours que Deleuze a dispensées en 1981 à l’université expérimentale de Vincennes. L’université de Vincennes avait été transférée à Saint-Denis en 1980, mais les cours qui y étaient donnés conservaient leur aspect « pragmatique » et « expérimental » (p. 9). Dans ces cours, comme l’expliquait Deleuze, un professeur s’adressait à un public hétérogène, pas nécessairement spécialiste de la discipline. Cette interdisciplinarité était ce qui intéressait particulièrement Deleuze : la philosophie pouvait se confronter et dialoguer avec divers domaines et savoirs, au contact d’étudiants venant d’horizons variés (mathématiques, arts, psychologie, histoire, architecture). La transcription et l’appareil critique de l’édition de David Lapoujade apportent de nombreuses précisions sur la manière dont la réflexion deleuzienne sur la peinture se lie parfois à des thèmes développés à d’autres moments de sa pensée. La transcription du cours en un ouvrage organisé permet également au lecteur de mieux saisir la pensée en acte de Deleuze, en s’attardant sur les références mobilisées, qui couvrent un vaste champ allant de l’histoire de l’art à l’anthropologie américaine, en passant par la critique d’art, les sciences dures et la logique. Le lecteur voit plus clairement les torsions apportées par Deleuze à ces matériaux, la façon dont elles nourrissent ses concepts et catégories picturales. Ces aspects formels et méthodologiques étaient moins visibles dans le format audio et les transcriptions libres du cours, accessibles avant la parution de l’ouvrage. Il n’est pas nouveau que Deleuze envisage la philosophie comme le lieu des concepts et le philosophe comme celui qui pense et invente des concepts1. L’originalité du cours de 1981 réside surtout dans la méthode employée : partir de la réflexion sur la peinture pour élaborer un concept philosophique. Dès le début du cours, Deleuze s’interroge sur ce que la peinture pourrait apporter à la philosophie, et cette contribution serait, peut-être, sous forme de concepts. Au fil des différentes analyses, Deleuze met en lumière des notions fécondes qu’il s’efforce de définir de manière très personnelle, telles que la couleur, la catastrophe-germe, le chaos-germe, le diagramme, l’espace-signal. Il agit comme un orpailleur, puisant des matériaux dans les œuvres d’art et les écrits d’artistes, qu’il associe à des éléments issus de la critique et de l’histoire de l’art, de Mon, 18 Nov 2024 22:13:01 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18786 acta Voir, dire, écrire et peindre https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18781 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18781/Stael_Voyage_Maroc.jpg" width="100px" /> * Rassemblant l’essai rédigé par Nicolas de Staël « Les Gueux de l’Atlas », publié en partie dans la revue Bloc en 19371, ainsi que quinze lettres adressées par de Staël à ses parents adoptifs et un journal qu’il a rédigé dans un cahier d’écolier à la couverture verte et intitulé depuis « Cahier du Maroc », Le Voyage au Maroc fournit un document des plus intéressants pour évoquer l’importance du voyage effectué entre juin 1936 et octobre 1937 par le peintre Nicolas de Staël au Maroc — alors placé sous protectorat français depuis 1912 — dans sa formation de peintre et celle de son regard. Ce voyage de Rabat à Marrakech, en passant par le Moyen- et le Haut-Atlas, succède à deux précédents voyages, l’un dans le Sud de la France (1934) et l’autre en Espagne (1935) ; il est financé par le baron Jean de Brouwer, un collectionneur bruxellois, qui attend en retour de ce périple une production picturale qui pourra faire l’objet d’une vente. Dans un tel contexte, les trois ensembles de textes réunis dans le volume disent aussi les rebondissements, les interrogations et les affres d’une recherche artistique naissante qui ne cessera d’animer l’artiste pendant sa carrière artistique de quinze ans, qui s’est étendue de 1940 à 1950. Un roman de l’artiste-peintre L’introduction accompagnant l’ouvrage et signée Marie du Bouchet, petite-fille du peintre, est à très juste titre intitulée « Un voyage initiatique ». Les trois ensembles de textes, « Les Gueux de l’Atlas », les lettres envoyées pendant le voyage à sa famille, et en particulier à ses parents adoptifs, Monsieur et Madame Fricero, et le « Cahier du Maroc », font du voyage une expérience à la fois existentielle et esthétique, et surtout nécessaire à la naissance et au développement de sa vocation de peintre, faisant de l’ouvrage Le Voyage au Maroc, une variation du roman de l’artiste. On y retrouve en effet deux variantes des topoï centraux du Künstlerroman : le voyage et la rencontre avec une figure de mentor. Dans les deux traditions qui justifient la naissance de ce roman de l’artiste, celle qui voit l’acte de naissance du genre en 1787 dans l’Ardinghello und die glückseligen Inseln de Wilhelm Heinse et celle dans la réponse formulée par le jeune Novalis dans Heinrich von Ofterdingen au modèle de formation goethéen de l’artiste, Wilhelm Meister, le voyage permet à l’aspirant-artiste de voir naître sa vocation artistique, depuis longtemps à la source d’une sensibilité particulière qui le pousse depuis son enfance Mon, 18 Nov 2024 21:01:06 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18781 acta Destructions créatrices. Écrire ce qui ne peut être vu https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18768 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18768/Kremer_Tableaux fantômes.jpg" width="100px" />Dans Tableaux fantômes. Quand la fiction montre les œuvres disparues, Nathalie Kremer prolonge une réflexion engagée dès 2014 dans un article intitulé « Diderot, Balzac, Michon : la création par la destruction1 » et accueilli dans « La Bibliothèque des textes fantômes » de Fabula-LhT. Élargissant le propos et le corpus à d’autres auteurs et d’autres œuvres, elle propose un panorama d’ensemble d’un phénomène récurrent dans la littérature : tous ces moments, plus nombreux qu’on ne croit, où « la fiction narrative fait œuvre de la disparition des œuvres d’art » (p. 16). Nathalie Kremer souligne la singularité du rapport entre le texte et l’image dans le cas de la littérature iconoclaste — des récits de tableaux fantômes : les mots se substituent à l’image qui brille par son absence, ou plutôt par sa disparition. Le texte prend peu à peu la place de l’image, la recouvre et la fait disparaître. Quand la littérature se saisit de l’œuvre d’art Les exemples de descriptions de tableaux réels ou fictifs ne manquent pas dans la littérature — que l’on songe par exemple au fameux tableau qui représente Dorian Gray dans le récit d’Oscar Wilde. Dans Le Portrait de Dorian Gray, l’auteur irlandais accorde en effet une place centrale à l’objet d’art qu’est le tableau peint par l’ami du personnage, et qui devient le ressort à la fois du suspense et du fantastique au fur et à mesure que les excès de débauche de Dorian Gray laissent des traces indélébiles sur son portrait, alter ego devenant l’image de son âme : Il l’avait nettoyé́ bien des fois, jusqu’à ce qu’il ne fût plus taché. Il brillait... Comme il avait tué le peintre, il tuerait l’œuvre du peintre, et tout ce qu’elle signifiait... Il tuerait le passé, et quand ce passé serait mort, il serait libre !... Il tuerait le monstrueux portrait de son âme, et privé de ses hideux avertissements, il recouvrerait la paix. Il saisit le couteau, et en frappa le tableau !... Il y eut un grand cri, et une chute2… Quelques lignes plus loin, après une ellipse qui dissimule au lectorat les conséquences directes de l’accès de violence de Dorian Gray, le portrait réapparaît aux yeux du lecteurs, vu par le regard des domestiques : Quand ils entrèrent, ils trouvèrent, pendu au mur, un splendide portrait de leur maître tel qu’ils l’avaient toujours connu, dans toute la splendeur de son exquise jeunesse et de sa beauté́3. Dans le cas du roman de Wilde, l’œuvre d’art disparaît lentement, ensevelie progressivement par les stigmates des e Mon, 18 Nov 2024 20:35:21 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18768 acta Écrire Cézanne. Entretien avec Marie-Hélène Lafon https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18749 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/Array" width="100px" />À l’occasion de la parution de son Cézanne. Des toits rouges sur la mer bleue [Flammarion, 2023], nous sommes allées rencontrer Marie-Hélène Lafon1. Récipiendaire du prix Renaudot pour Histoire du fils en 2020, auteure d’une vingtaine de romans et de recueils de nouvelles, la professeure de lettres classiques nous a reçues chez elle, à Paris — un lieu chaleureux, baigné de lumière jaune, un lieu saturé de peintures et d’images. Craignant de n’être « ni spécialiste ni conceptuelle », c’est en écrivaine qu’elle aborde Cézanne, en arpenteuse de territoires, en géographe des humanités, en conteuse des histoires intérieures. C’est par l’un de ses tableaux, les Sous-bois, conservé au musée du Louvre, et à travers le flux de conscience de cinq personnages qui ont gravité autour du peintre — le docteur Gachet ; son père ; sa mère ; Hortense, sa femme ; le jardinier Vallier — que Marie-Hélène Lafon va à Cézanne, au plus près de son paysage et de sa solitude. Lucie Garrigues et Zoé Monti — Quel est votre rapport premier, de cœur, avec la peinture ? Marie-Hélène Lafon — Je vis dans la peinture. Les murs de cette pièce en sont saturés : peintures, photographies, reproductions. Mais mon histoire avec la peinture a commencé tardivement. Dans mon enfance et dans mon adolescence, on avait très peu accès aux reproductions et à la peinture. Ça n’avait pas de rapport avec ma seule famille, c’était lié au milieu dans lequel je vivais, dans les années 1970. On voyait des reproductions sur les couvercles des boîtes de chocolats, sur les canevas aux murs : l’Angélus de Millet — donc le registre agricole et paysan —, des jeunes filles au piano — Renoir —, quelques impressionnistes. La première fois où j’ai vu un tableau en vrai, où j’ai éprouvé la matérialité d’un tableau, j’avais dix-huit ans ; je venais d’arriver à Paris pour mes études et j’ai eu l’occasion d’aller à l’exposition Brueghel, qui se tenait à côté de Bruxelles. Imaginez ! Voir les grands Brueghel en vrai… Ce n’est pas rien, c’est totalement vertigineux, c’est une aventure émotionnelle autant qu’esthétique ! En tout cas, c’est aussi la première fois que j’ai eu accès à ce que j’identifierai plus tard comme « un cérémonial », c’est-à-dire, à l’exposition. J’irai pour la première fois dans un musée plus tard encore. Et en réalité, je ne commencerai vraiment à visiter des expositions qu’entre vingt-cinq et trente ans. Depuis, ça ne m’a jamais lâchée. Je vis à Paris, je suis professeure en région parisienne donc évidem Mon, 18 Nov 2024 20:23:18 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18749 acta Baudelaire critique d’art : les mots des Salons https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18762 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/18762/Zanetta_Baudelaire.jpg" width="100px" />L’inscription des Salons de Baudelaire au programme des agrégations de Lettres en 2023 témoigne de l’intérêt accordé depuis de nombreuses années déjà non plus au seul Baudelaire poète, mais à celui qui le précéda, de critique d’art, témoin et commentateur des productions artistiques de son temps. L’ouvrage de Julien Zanetta, qui regroupe plusieurs articles déjà parus par ailleurs et remaniés pour la présente édition, s’inscrit dans une bibliographie déjà foisonnante dont il comble cependant une lacune majeure. Comme l’annonce en effet son introduction, c’est la question spécifique du lexique qui est ici abordée : dans sa recherche d’une critique nouvelle, soucieuse d’épouser les mouvements d’un objet qui échappe à la réduction et par là même rétive à toute forme de système, il s’agit pour Baudelaire d’ajuster, de redéfinir et de modifier sans cesse le lexique de son discours, dans un effort permanent dont les mots « deviennent alors le meilleur des baromètres » (p. 12). Or si l’« on ne peut penser la bonne peinture qu’au miroir de la mauvaise », conviction sur laquelle se fonde toute la réflexion de Julien Zanetta, si « le Beau s’élève, se manifeste ou s’affirme, en fonction des époques, à partir de ce qu’il n’est pas » (p. 12), c’est tout le lexique appliqué aux œuvres reléguées dans « l’hôpital de la peinture », pour reprendre l’expression de Baudelaire lui-même, qu’il s’agit d’envisager pour en souligner l’origine et la remotivation par le critique. Remarquablement illustré, l’ouvrage se présente ainsi comme un parcours de mots, afin « de déterminer en quoi le "culte des images" si cher à Baudelaire est un art transitif qui accorde » au lexique « le premier rôle », partant du principe que l’on « comprend mieux […] ce que l’on a vu en mesurant la réussite ou l’échec d’une œuvre d’art à l’aune du langage qui a pris soin de la restituer » (p. 20). Par-delà « les mots de la tribu » : à la recherche d’un registre adéquat Le repérage des « mots de la tribu », selon l’expression de Julien Zanetta, celle des salonniers, offre la matière du premier chapitre de l’ouvrage. Baudelaire se réattribue ces mots en les redéfinissant, dans le sillage de Diderot ou de Stendhal, deux de ses maitres revendiqués, mais aussi de contemporains tels que Théophile Gautier ou Champfleury, ou d’auteurs moins connus tels que Philippe-Auguste Jeanron ou Philippe de Chennevières, qui « offrent une voie d’accès nouvelle dans l’atelier lexical de Baudelaire critique d’art » (p. 25). Jea Mon, 18 Nov 2024 20:33:06 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=18762