éditoriaux

Sur la carte

Sur la carte

La collection Libre cours des Presses Universitaires de Vincennes consacre un volume aux relations entre Cartographie et littérature, signé par Laurence Dahan-Gaida. L’ouvrage interroge l’impulsion cartographique qui nous conduit à dessiner des cartes pour nous orienter dans l’espace et y projeter nos déplacements virtuels. Toute carte est une sorte de diagramme qui modélise l’espace grâce à une présentation spatiale et iconique de ses relations. Or le texte littéraire est aussi un dispositif de modélisation qui exploite les ressources du langage pour faire émerger un temps, un espace, un monde. Plutôt que d’opposer la cartographie des géographes à celle des écrivains, L. Dahan-Gaida propose de les aborder comme des dispositifs cognitifs qui génèrent à la fois un espace et un savoir sur cet espace. Fabula vous invite à lire un extrait de l'introduction sur le site de l'éditeur…  Signalons au passage que le dernier en date des essais de Roger Chartier, Cartes et fictions (XVIe-XVIIIe siècles), déjà salué par Fabula, est désormais accessible en ligne via OpenEdition… 

Matthieu Noucher se penche de son côté sur les Blancs des cartes et boîtes noires algorithmiques (CNRS éd.). Les blancs que présente chaque carte, lacunes ou oublis ont joué un rôle déterminant dans l’histoire, en particulier coloniale. Hier privilège des États, ce pouvoir de blanchir ou de noircir la carte est aujourd’hui celui des données numériques. Car le déluge d’informations géographiques, produit par une multitude d’acteurs, n’est pas uniformément réparti sur l’ensemble des territoires, laissant des zones entières vides. S’inscrivant dans le champ émergent des critical data studies, cette recherche singulière revient sur les enjeux politiques des cartes et nous invite à explorer les rouages les plus profonds de la cartographie contemporaine. Fabula vous propose d'en découvrir un extrait… ou de voir la vidéo de présentation…

La revue en ligne Phantasia donne à lire les textes du colloque bruxellois de janvier 2023 consacré à "L'ekphrasis cartographique", à l'initiative d'Isabelle Ost et Aurélien d'Avout, que viendront rejoindre aux éditions Mimèsis les actes du colloque "Cartes invisibles" qui s’est tenu en mai dernier, à l'Université Saint-Louis également, et en attendant la prochaine venue, en juin prochain et toujours à Bruxelles, du congrès "Littérature et cartographie numérique : gestes d’écriture contemporains".

On pourra dans l'intervalle retrouver dans les sommaires d'Acta fabula le compte rendu par Violaine White de l'essai de Karen O’Rourke, Walking and Mapping : Artists as Cartographers : "Ce que la carte dit dans l’art", la recension par Emmanuelle Peraldo du collectif Géocritique : État des lieux / Geocriticism: A Survey, d'Élise Haddad : "La géocritique à ciel ouvert", ou encore la lecture proposée par Aurélien d'Avout de l'ouvrage fondateur de Bertrand Westphal, Atlas des égarements. Études géocritiques : "La géocritique en situation : dans les détours de la carte".

(Illustr. : [Swift,] Voyages du capitaine L. Gulliver…, La Haye, Gosse & Neaulme, 1727, source : UtPictura18, ©Stéphane Lojkine)

Les rêves de Jean Genet

Les rêves de Jean Genet

Juin 1942. Jean Genet est incarcéré à la prison de Fresnes, condamné à huit mois de réclusion pour vol de livres. À trente et un ans, le détenu n’a encore rien publié ; mais la cellule est un lieu propice à l’éclosion de son talent littéraire. Il y écrit son premier roman, Notre-Dame-des-Fleurs, et le long poème Le Condamné à mort. L’attrait du théâtre se fait déjà sentir, comme en témoigne Héliogabale, ce drame à l’antique dont un manuscrit a été retrouvé à la Houghton Library. L’existence de cette pièce était attestée, Genet l’ayant fait lire à quelques proches et ayant exprimé le souhait qu’elle soit publiée et créée — avec Jean Marais dans le rôle-titre. Rien de cela n’eut lieu et l’écrivain n’y revint plus. Francois Rouget donne chez Gallimard une édition de ce drame en quatre actes, qui met en scène les dernières heures d’Héliogabale, jeune prince romain assassiné, telles que Genet les a rêvées et méditées. Fabula vous invite à feuilleter l'ouvrage… 

La Nouvelle Revue française consacre à l'histoire de cet inédit une section de son sommaire de mars. La collection L'Imaginaire (Gallimard encore) donne de son côté à lire le scénario inédit de Mademoiselle préfacé par Yves Pagès et Patric Chiha. D’abord présenté à Anouk Aimée durant l’été 1951, ce script éveilla la curiosité de plusieurs réalisateurs – Louis Malle, Georges Franju ou Joseph Losey –, avant d’être adapté par Tony Richardson en 1966, avec Jeanne Moreau dans le rôle-titre. Mademoiselle permet de sonder l’intime envie de cinéma chez Genet et jette une lumière nouvelle sur son œuvre : lueur noire, crue et traîtresse.

(Illustr. : Mademoiselle (1966), de Tony Richardson, scénario de Jean Genet & Marguerite Duras)

Les poètes de métier

Les poètes de métier

Du menuisier Adam Billaut, dont Dinah Ribard a récemment tracé le portrait, au boucher Joseph Ponthus, du dentiste Marmont au docteur Camuset, du cordonnier Magu à Cochon de Lapparent, nombreux sont les poètes qui ont évoqué leur profession dans leurs vers. Certains en ont fait des ouvrages didactiques, comme les enseignants de géographie, d’histoire ou de grammaire, d’autres de simples moments de plaisir partagé, comme le pharmacien Pascalon. Leurs œuvres sont tantôt ambitieuses, comme celle de l’avocat qui réécrit le Code civil en vers, tantôt émouvantes, comme les poèmes pacifistes d’un ancien officier. Tous ces écrivains, amateurs ou confirmés, ont cependant en commun d’être ceux qu'on pourrait désigner comme des "poètes de métier". En quatre chapitres, Paul Aron esquisse dans Les Poètes de métier. Une brève histoire des métromanies professionnelles (Éd. de l'Université de Bruxelles).

Le silence de la mer

Le silence de la mer

Acte de résistance civile sous l'Occupation, la création des Éditions de Minuit par Pierre de Lescure et Jean Bruller a permis notamment la publication clandestine du Silence de la mer signé "Vercors", le pseudonyme de Jean Bruller. Une aventure risquée pour tous ceux qui ont participé à la fabrication et la distribution du livre, imprimeurs, brocheuses, intermédiaires nécessaires à la circulation du livre, dans un pays sous surveillance. Le documentaire Le Silence de la mer, une édition dans la Résistance signé par Nadine Lermite, diffusé sur France 5 le 22 mars, est accessible sur la plateforme France.tv : une "traversée de Paris" qui dresse un tableau peu connu du monde littéraire sous l'Occupation.

La poétique de García Márquez

La poétique de García Márquez

Roman inédit de Gabriel García Márquez, Nous nous verrons en août paraît chez Grasset, une dizaine d’années après la disparition en 2014 de l’écrivain colombien, prix Nobel de littérature en 1982. Chaque seize août, Ana Magdalena Bach prend un ferry pour se rendre sur une île des Caraïbes où est enterrée sa mère. Malgré la splendeur d’une lagune peuplée de hérons bleus, elle se contente de déposer un bouquet de glaïeuls sur sa tombe, ne passe qu’une nuit dans le vieil Hotel del Senador et retourne chez elle avec le bac du lendemain. Mais l’été de ses quarante-six ans, ses habitudes sont bouleversées. Le soir du seize août, Ana Magdalena remarque un homme qui finit par lui offrir un verre sur un fond de boléro. Lorsqu’elle se retrouve avec lui dans sa chambre, elle réalise que c’est la première fois qu’elle trompe son mari Domenico… Avec la découverte de la passion à l’âge mur, Gabriel García Márquez déploie tout son humour pour brosser le portrait d’une femme libre. Fabula vous invite à feuilleter le livre…

Les éditions Seghers nous font entrer de leur côté dans L'Atelier d'écriture de Gabriel García Márquez, avec une préface d'Alexandre Lacroix et dans une traduction de Bernard Cohen : dans les années 1980, le romancier dirigeait à Cuba un atelier au sein de l’École internationale de cinéma et de télévision pour former une nouvelle génération d’auteurs de fiction. À ses étudiants, García Márquez voulait donner les clefs de ce qu’il appelle l’esprit de création : le processus à l’œuvre lorsque l’on écrit, ce moment indéfinissable où tout devient possible, ce mystérieux déclic qui toujours échappe.

Retrouver Éluard

Retrouver Éluard

Paul Éluard fait son entrée dans la GF-Flammarion, avec une édition établie et documentée par Olivier Belin de Capitale de la douleur suivi de Les Dessous d'une vie. Fruit de cinq années de production poétique, Capitale de la douleur (1926) est l’un des recueils les plus célèbres de Paul Éluard. S’y trouve retracé le parcours initiatique d’un jeune poète, qui exorcise son désespoir par la recherche d’un verbe pur, simple et enchanteur. La poésie qui en résulte est, pour André Breton, un "miracle", un "secret qui prend les couleurs de l’éternité". Publié la même année, Les Dessous d’une vie ou la Pyramide humaine achève de consacrer le poète comme étendard des avant-gardes littéraires du siècle. Rassemblant poèmes en prose, récits de rêves et textes surréalistes, ce second recueil révèle en creux la part onirique de Capitale de la douleur et réaffirme la recherche, par Éluard, d’une forme verbale capable de réparer la discontinuité du monde.

Rappelons au passage la publication à l'automne derniers des Souvenirs de la maison des fous (Seghers), avec des dessins de Gérard Vulliamy, peintre graveur proche du surréalisme et futur gendre du poète. Novembre 1943. Menacé par ses activités clandestines, Paul Eluard doit quitter Paris et disparaître. Il trouve refuge chez Lucien Bonnafé, psychiatre résistant et visionnaire, directeur de l’asile des fous de Saint-Alban, et passera des mois caché parmi les aliénés. Face aux aliénés atteints de débilité mentale, de manie aiguë, de paralysie générale, de délire d’interprétation ou de démence précoce, Eluard se fait confident, interlocuteur. Le poète du lyrisme amoureux est aussi le poète de l’indignation face aux injustices et de la compassion envers les malades des sanatoriums, comme des soldats du front, des femmes tondues de l’après-guerre et de toutes les misères du monde. Ce long poème constitué de sept portraits de malades est aussi l'occasion de se souvenir que Saint-Alban, berceau de la psychiatrie institutionnelle, fut le premier lieu en France à offrir une prise en charge thérapeutique aux fous devenus des patients – à une époque de restrictions qui allait voir mourir de faim la moitié de la population des asiles, soit quarante mille personnes.

(Photo. : Nusch & Paul Eluard, Impasse des Deux-Anges, Man Ray)

L'Oulipo par la bande

L'Oulipo par la bande

Itération iconique, algorithme de Mathews, zeugmes et acrostiches… Bienvenue dans l’univers aussi rigoureux que décalé, tant mathématique que littéraire de l’Oubapo, l’Ouvroir de bande dessinée potentielle, pendant dessiné de l’illustre Oulipo. Et cette fois-ci, c’est Étienne Lécroart, membre de l’Oulipo et de l’Oubapo, roi de la contrainte à double-sens et virtuose des exercices de style décapants, qui est de retour pour un nouvel o(u)pus. Du comptoir de bar à la plage en passant par le confessionnal, les personnages du dessinateur palabrent avec franchise dans des logo-rallyes alphabétiques ou les mots défilent à toute berzingue. Dans L'Oulipo par la bande (L'Association), es schémas succèdent aux cases tandis que Jacques Roubaud ou Georges Perec – pour ne citer qu’eux – se font tailler le portrait en creux. Fabula donne à voir quelques planches sur le site de l'éditeur…

Signalons au passage le volume L'OuLiPo et la Seconde guerre mondiale supervisé par Dominic Glynn, Jean-Michel Gouvard aux Presses Universitaires de Bordeaux. Première synthèse portant sur l’influence de la Seconde Guerre mondiale sur la naissance de l’Oulipo et la création littéraire de ses principaux acteurs, l'ouvrage apporte des éclairages nouveaux sur l’histoire de ce groupe littéraire, et tout particulièrement sur les œuvres de Perec et Roubaud. Il comporte également un important entretien avec Jacques Roubaud et Olivier Salon, à propos de la préhistoire et de la genèse du mouvement, sous l’Occupation et à la Libération.

Et rappelons l'essai d'Alexis Rime, Les Feintes d’une fin. Boris Vian continué par l’Oulipo, déjà salué par Fabula, qui se penchait sur la continuation donnée par l'Oulipo à un roman inachevé de Boris Vian sous le titre On n'y échappe, pour se demander comment pasticher un pastiche.

Lire aussi les éditos de la rubrique Questions de société…

Et les éditos de la rubrique Web littéraire…

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