Les usages du style reposent sur une postulation généralisée d'unité : unité du style, unité du texte, unité de l'auteur, unité du lecteur ; la conception unitaire de l'auteur et du lecteur commande hiérarchiquement celle du texte. Cette idéologie du texte – il s'agit bien ici de croyance, une croyance qu'il serait évidemment intéressant d'aborder comme telle, c'est-à-dire d'un point de vue anthropologique – définit méthodologiquement un curieux positivisme (en fait évidemment inaccessible aux sciences humaines). On constate aisément que l'unité postulée doit rester illusoire en pratique : l'interprétation laisse toujours un reste. Face à cette expérience du «supplément», une pensée de l'économie est probablement plus appropriée que celle de la totalité : elle rendrait possible une lecture attentive aux dysfonctionnements des textes (Michel Charles) – ou plutôt capable de les repérer, dans la mesure où toute lecture construit son objet – à leurs singularités (Terence Cave), jusqu'aux lectures soupçonneuses de Derrida ou de De Man.
Il ne s'agit pas d'inviter les études littéraires à renoncer à la notion de style, mais de formuler l'exigence d'un travail de l'interprétation plus réflexif, qui sache prendre en compte de manière explicite sa propre distance – son inévitable anachronisme – par rapport à son objet. L'interprétation en effet ne peut que se fonder sur la langue, qui est la matière (la cause matérielle, en termes aristotéliciens) et la manière des oeuvres qu'elle prend pour objets, dans la conscience critique – tâche évidemment infinie – de ses démarches et de ses catégories : un mouvement définissant la réflexivité qui est l'élément même dans lequel se meuvent les sciences de l'interprétation. S'il s'agit ainsi de passer de la croyance idéologique à la réflexion théorique, c'est dire que la théorie littéraire ne saurait être considérée comme une discipline distincte mais fait nécessairement partie intégrante de l'«étude des textes».