Atelier


On trouvera ici présentées et résumées les communications prévues pour les journées d'études co-organisées par Fabula et le Clam (Paris 7), en préparation du numéro de Fabula LHT n°5 «Poétiques de la philologie».


Lire l'appel à contribution


Poétiques de la philologie


Dans le travail philologique, la seule instauration possible semble bien être une restauration. Restauration du texte interpolé ou lacunaire, du contexte oublié, de l'intention de l'auteur, que la dégradation du manuscrit a déformée ou trahie, du fragment, auquel il faut redonner le texte perdu qui l'accompagnait. Le philologue ne crée rien et ne peut avoir d'autres poétique que celle de l'auteur qu'il entend respecter, conserver et restaurer, en réparant les dégradations ce que le temps ou les accidents de la transmission textuelle ont pu faire subir à l'œuvre. Il ne serait poète qu'en tant qu'il refait le texte et non pas en tant qu'il fait œuvre. Pourtant, d'Apollonios de Rhodes ou Lycophron à Lachmann en passant par J. Dorat, les noms ne manquent pas de philologues qui furent aussi poètes, comme ne manquent pas les voix qui ont identifié la création poétique et la philologie.

Quelle poétique alors pour une pratique qui se présente pourtant comme une réfection et non comme un faire ?


I/ Un même geste?

De manière générale, faire l'hypothèse d'une poétique de la philologie c'est simplement faire le constat que poètes et philologues possèdent en commun l'amour et le travail des mots, et que l'un comme l'autre appréhendent le monde à travers l'écran des langues. Il n'est donc pas à s'étonner que de cette matière commune puisse naître une manière commune.


Callimaque, (ré)inventeur de Pindare : entre archivage et performance, un philologue - poète, par Michel Briand, Université de Poitiers, EA 3816 FORELL.

Callimaque, en tant que philologue (auteur des Pinakes, fiches bio-bibliographiques, et grammatikos) et poète (auteur de plusieurs recueils, Hymnes, Iambes, Aitia, et d'Épigrammes), entretient une double relation avec Pindare, dont il participe à l'archivage archéologique et critique, tout en fondant une part de son propre art poétique sur une imitation novatrice et réfléchie de ce qui est désormais, pour lui, une poésie classique de l'éloge.

Afin d'observer ce cas exemplaire d'une tension à la fois scientifique et artistique entre un poète bibliothécaire, et son inspirateur mélique, on propose d'insister sur trois points :

- Callimaque, antiquaire et philologue, à la fois dans les scholies anciennes à Pindare (p. ex. sur les Pythiques IV et V) et dans les scholies aux Hymnes du poète alexandrin et ses recherches étiologiques / critiques (p. ex. Fragmenta grammatica et Hymne à Apollon).

- la dialectique entre rite et littérature, et la quête (impossible ?) de l'occasion pragmatique, en particulier dans les poèmes à visée épinicique (p. ex. Victoire de Bérénice, Éloge de Sosibios) ou dans les Hymnes dits mimétiques (p. ex. Hymne à Délos), et dans l'invention concomitante d'une nouvelle typologie des genres et de leur hybridation.

- les troubles du "je" et des harmonies poétiques, dans les usages callimachéens de l'aposiopèse, de l'allusion (quasi)-autobiographique, de l'ironie, pratiques pindariques, imitées mais radicalement réorientées, par une autre évaluation de leurs enjeux.

Cet aller-retour continu d'une époque, d'un contexte social et religieux, d'une pragmatique à l'autre, permettra de nuancer l'opposition traditionnelle entre une littérature philologique, en fait plus vive, neuve et circonstancielle, voire orale, qu'on ne le veut parfois, et une poésie archaïque, de même plus réflexive, polyphonique, et savante, voire moins contextualisée. Tout en construisant une fiction complexe, la poésie dite "lyrique" qu'elle archive et critique, en l'éditant et en la commentant, cette littérature hellénistique, réputée tardive et seconde, invente, avec succès, ce qu'elle peut : des modèles conjoints d'analyse critique et de pratique poétique, en même temps que des textes, à la fois poétiques et réflexifs, en quête constante d'énonciation et d'interprétation, toujours inachevées.


Poésie, commentaire et philologie dans In librum psalmorum brevis explanatio ad Alexandrum Farnesium, par John Nassichuk.

En 1545, l'humaniste et Réformateur italien Marc-Antoine Flaminio fait paraître la première édition de son commentaire des Psaumes, dans lequel il produit le texte latin accompagné de savantes gloses philologiques et théologiques. Travaillant dans le sillage des humanistes italiens et nordiques, tels Lorenzo Valla et Erasme, Flaminio reproduit essentiellement, avec de nombreuses précisions, le texte de la Vulgate juxta linguam hebraicam. Il s'éloigne toutefois de la pratique humaniste du commentaire (et de l'édition) en insérant dans son texte de ses propres vers dans une variété de mètres (hexamètres, distiques élégiaques, hendécasyllabes, saphiques). Ces poésies du propre cru de l'éditeur constituent des «paraphrases» de psaumes individuels, inspirées à la fois du texte lui-même et du commentaire. Alors qu'Erasme produisait séparément ses commentaires bibliques et ses Paraphrases des Evangiles, Flaminio s'efforce de faire converger ces deux pratiques de l'écriture humaniste au sein d'une seule édition des Psaumes.

L'intérêt de cette pratique d'éditeur et de commentateur réside, pour partie, dans le fait que Flaminio figure parmi les poètes latins les plus distingués au XVIe siècle. Connu pour l'élégance de son lyrisme, Flaminio fut, avec Giovanni Pontano et Jacopo Sannazaro, l'un des poètes préférés et imités à la cour royale de France, notamment des membres de la jeune Pléiade et de Ronsard en particulier. Il publia en 1549 le célèbre recueil collectif Carmina quinque illustrium poetarum, dans lequel ses propres vers occupent une place significative. En effet, la réédition augmentée de cet ouvrage en 1552, souvent pillé par les poètes de la cour en France (et à Venise, à Ferrare…), comporte cinq livres de poésies lyriques du seul Flaminio. Cette prouesse de poète, largement reconnue à l'époque, donne une puissance particulière à l'apport des fragments poétiques qu'il insère librement dans l'édition des Psaumes. Enfin, il faut souligner le parallèle remarquable, chez Flaminio, des activités de philologue, de poète et de paraphraste.

La présente étude examinera le lien fort qui transparaît, au sein d'une même édition, entre le travail de l'éditeur et commentateur, et celui du poète. Il conviendra d'étudier, d'une part, le rapport entre le texte des psaumes qui apparaît dans l'édition et la langue des paraphrases; l'analyse considérera également, d'autre part, le lien qui subsiste entre les paraphrases des psaumes et la langue des commentaires qui constituent dès lors une sorte de chantier transitionnel entre le texte biblique et l'invention poétique. L'hypothèse centrale de mon étude est que le travail philologique de Flaminio constitue un épicentre important de son invention poétique. (Ainsi, la version écrite traitera aussi du rapport entre la récriture des psaume qui procède de l'édition, et la constitution de la dernière œuvre de Flaminio, les De rebus divinis carmina.)


Sur une philologie anagrammatique: rencontre d'un linguiste (Saussure) et d'un poète (Tzara), par Pierre-Yves Testenoire.

Les recherches anagrammatiques menées par Ferdinand de Saussure de 1906 à 1909 et par Tristan Tzara à la fin de sa vie ont toutes deux été découvertes au début des années 60.[i] En dépit de leur homonymie, ni le corpus examiné - Villon et la littérature de la Renaissance pour l'un; la poésie antique pour l'autre -, ni la méthode employée - une stricte observance d'un principe de symétrie chez Tzara, tandis que les règles de l'anagramme saussurienne sont bien plus souples et fluctuantes - ne permet de les rapprocher. Surtout, l'objet de chacune de ces enquêtes les distingue radicalement et laisse apparaître de curieuses situations de contre-emploi. Pour le poète dadaïste, en effet, l'anagramme est l'instrument d'une lecture cryptographique des textes, du déchiffrement d'«un rommant de Villon». Elle révèle des informations biographiques relatives à l'auteur et contribue à la datation des œuvres, s'inscrivant pleinement de ce fait dans une démarche de type philologique.[ii] L'hypothèse anagrammatique formulée par Saussure résulte, quant à elle, d'un travail sur la métrique des vers saturniens latins. Le linguiste en vient à se demander si les poètes ne disséminaient pas dans leurs vers, selon une règle de versification occulte, des syllabes identiques à celles d'un nom caché. Ce ne sont donc pas les textes en eux-mêmes qui intéressent Saussure, mais les indices de ce principe de composition poétique dans l'antiquité.

Il ne s'agit pas ici de discuter de la validité de ces théories mais d'analyser les enjeux épistémologiques qui leur sont communs. Ces deux entreprises de restauration d'un texte sous-jacent aux poèmes se heurtent aux mêmes difficultés: l'impossibilité de prouver positivement l'existence d'une pratique poétique occulte et le doute quant au rôle du hasard dans la découverte du phénomène. Nous nous proposons de démontrer aussi que pour originales que soit chacune des grilles de lecture proposées par Saussure et Tzara, elles développent, à un demi-siècle d'écart et en s'ignorant mutuellement, une herméneutique des textes fondée sur le même primat accordé au nom propre.

En étudiant les textes de Tzara et ceux, en grande partie inédits, de Saussure, nous analyserons comment s'y crée l'illusion d'une philologie anagrammatique. Elle est si bien affirmée et revendiquée chez Tzara qu'Aragon, par exemple, n'hésitera pas à titrer dans les Lettres françaises: «Tristan Tzara découvre une nouvelle de Rabelais.»[iii] Chez Saussure aussi, bien que plus discrètement, l'anagramme est invoquée pour l'établissement des textes. On s'étonne ainsi de voir ce savant, pourtant formé aux méthodes de la philologie classique, écrire au sujet d'une variante rencontrée dans le texte homérique: «il me semble plutôt légitime de laisser ouverte cette question où la syntaxe, l'anagramme, et la lettre des manuscrits ont leur triple mot à dire.»[iv]

Ces considérations s'accompagnent, dans les deux cas, d'une spéculation sur l'origine de la pratique anagrammatique qu'ils croient découvrir. L'anagramme témoigne de l'influence des théories pythagoriciennes et cabalistique sur la poésie française pour l'un, elle relève, pour l'autre, des pratiques magico-poétiques des premiers indo-européens. Cette quête des origines s'avère nous renseigner moins sur l'objet étudié que sur les motivations des chercheurs. Nous montrerons enfin que les deux discours anagrammatiques placent le nom propre au cœur de leur dispositif à la fois comme principe de genèse des textes et comme clef de leur analyse.


II/ De la philologie à la poétique

Mais au-delà d'un travail commun sur les mots, c'est au seul philologue dans son activité modeste et apparemment neutre d'établissement du texte d'un autre que l'on peut prêter une poétique. On se demandera si l'apparence d'une restitution ne cache pas en fait l'institution d'un nouveau texte. Et parce que le travail de l'édition critique opère un certain nombre d'opérations lourdes – découpage, comblement de la lacune, choix entre les variantes ou combinaisons de ces variantes, intervention graphiques sur la matérialité même du texte – on tentera d'y voir une opération qui engage non seulement les choix herméneutiques d'un sujet mais bien plus encore la création d'un texte qui, pour appartenir au passé, est chaque fois créé au présent.


Interprétation, restitution et réécriture du texte médiéval, par Gabriele Giannini.

L'édition de textes médiévaux se heurte à des difficultés reconnues depuis longtemps comme spécifiques. D'une part, elle se démarque de la philologie des textes modernes du fait qu'elle vise, dans la plupart des cas, la restitution critique d'un texte que l'on connaît seulement par le biais de copies plus ou moins éloignées de l'original et en tout cas successives, alors que les philologues s'occupant de textes modernes travaillent d'habitude sur des œuvres dont on possède la version imprimée autorisée par l'auteur. Par conséquent leur intérêt porte plutôt sur les étapes qui précèdent la version finale, quand elles sont attestées. D'autre part, l'édition de textes médiévaux partage la même tâche de restitution critique dont sa sœur aînée, la philologie des textes classiques, se charge aussi, mais les formes de transmission des deux séries de textes demeurent fort divergentes: face à la tradition des textes classiques que l'on peut qualifier de “passive”, c'est-à-dire caractérisée par une attitude respectueuse de la part des copistes, une fréquence plutôt faible de variantes et une oscillation linguistique presque nulle, celle des textes médiévaux est généralement “active”, à savoir troublée par les interventions souvent massives des copistes, qui conduit à la floraison abondante de variantes et à un flottement linguistique certain.

C'est donc la mobilité extrême, qui certes tient de l'affirmation lente et contrastée de la figure de l'auteur au Moyen Age, qui caractérise tout d'abord le texte médiéval, et c'est de ce point de vue que l'on peut lire toute l'histoire des débats d'idées autour de la pratique éditoriale, depuis l'adoption de la méthode de Lachmann à nos jours. Il est pourtant vrai que durant les trente dernières années on a pu constater, dans ce domaine, une évolution remarquable dans la pratique des opérateurs les plus avisés, évolution déterminée entre autres par la nouvelle attention portée aux manuscrits, considérés comme des entités à part entière, des produits socio-historiques normalement doués de cohérence, plutôt que dépôts aseptiques de variantes. Il me semble que cette nouvelle sensibilité est le résultat d'un long procès d'enrichissement méthodologique, nourri des échanges avec des disciplines telles que la codicologie, la linguistique et l'histoire. Les débats théoriques, comme celui déclenché par la parution du livre de B. Cerquiglini (1989) ou celui alimenté par les partisans de la New Philology, n'en sont qu'un reflet.

Cela dit, ce sont les éditions récentes et les critiques dont elles ont fait l'objet qui peuvent nous aider à comprendre dans quelle mesure et par quels chemins les convictions herméneutiques de l'éditeur arrivent aujourd'hui à peser sur l'établissement du texte. La neutralité du philologue étant bien sûr un mythe vieilli, il n'est pourtant pas toujours aisé de déceler les raisons qui sont à l'origine de nombre de choix éditoriaux: la meilleure connaissance de la spécificité de chaque manuscrit n'est en effet nullement un gage d'équilibre et d'objectivité en elle-même; au contraire, il s'avère que dans la détermination de la physionomie du manuscrit les convictions de l'opérateur jouent souvent un rôle et que son appréciation varie sensiblement d'un éditeur à l'autre. Ce qu'on peut observer aisément dans la nouvelle édition de la Vie de Saint Alexis par M. Perugi (2000), qui, en rattachant le poème au maniérisme médiolatin et en caractérisant d'une façon audacieuse les manuscrits les plus anciens, finit par en réécrire en profondeur le texte. Réécriture qui peut d'ailleurs affecter les structures mêmes du texte, comme c'est le cas de la nouvelle édition de l'œuvre de Marcabru (2000), où l'équipe éditoriale semble par endroits pencher pour une interprétation “primitiviste” du troubadour, ce qui entraîne des choix prosodiques et rimiques fort inattendus, qui ont mené les spécialistes à critiquer l'attitude conservatrice des éditeurs vis-à-vis des leçons des manuscrits et à dénoncer l'utilisation partiale de ceux-là même.


Travail d'édition, travail d'invention: la representation de l'auteur au fil des notes , par Christine Noille-Clauzade.

(Résumé en préparation)


L'éloquence romantique ou la greffe philologique, par Dominique Dupart.

Je propose de définir une sorte de poétique historique de la philologie, ou encore une réflexion approfondie sur une certaine philologie romantique à l'œuvre dans le deuxième tiers du siècle. Cette philologie-là nécessite de réfléchir aux implications politiques d'un choix lexical, de l'isolement d'une amplification ou d'un exemplum plutôt qu'un autre ou une autre dans un compte-rendu de discours qui est à proprement parler le discours même (puisque le texte n'existe pas séparé, coupé de son interprétation philologique spontanée et/ou réfléchie). Les variations d'un discours, d'un journal à un autre, mènent le lecteur d'aujourd'hui à réfléchir sur l'ancrage politique d'un choix philologique qui consiste à choisir un mot et sa répercussion publique plutôt qu'un autre. L'actualité politique, l'engagement, conservateur ou progressiste, républicain ou doctrinaire, menait à établir un caviardage du texte chaque fois singulier et donc menait à repenser différemment, chaque fois, le geste philologique, pour être au plus prés du texte rêvé, fantasmé par l'auditeur de tribune à l'écoute de l'orateur. Mais ce n'est pas tout. En retour (par anticipation surtout), l'orateur romantique pensait toujours «philologiquement» son discours. Pour survivre, son éloquence devait être philologique. Elle devait se construire en préparant au sein du discours des béances dans lesquelles le délire philologique de la presse était programmé pour s'engouffrer. Une poétique de la philologie est donc lisible dans les textes d'accompagnements des discours, dans la correspondance de Lamartine, dans les paragraphes d'introduction qui les précèdent,et même dans les réécritures, dans la composition des discours mêmes. L'orateur romantique précédait la quête herméneutique de l'auditoire au cœur de son discours en inventant à la surface de son texte des crêtes formulaires et singulières qui cristallisaient l'attention, au détriment, parfois, de sa position parlementaire. La tribune philologique prépare poétiquement la restauration du texte au-delà ou en dépit, des fermetures induites par des lectures forcément partielles et partiales. La réception philologique obligatoire du discours induit une généalogie poétique de la parole tout à fait spécifique. Il faut donc réfléchir sur l'ancrage idéologique du geste philologique à l'œuvre dans la tribune romantique sans cesser de penser, chaque fois, la construction poétique, la construction littéraire qui surgit en face pour l'établir ou le contourner. Autonome, autotélique même, parfois, le discours philologique fait sauter les verrous de la littérature persuasive. Cette poétique historique, socialisatrice a en effet de besoin d'exister au-delà de l'intention de conviction initiale, en prouvant que le sublime d'une formule, d'un mot ne dépend pas de son contexte de création mais doit transcender les intentions/opinions de tous en ravissant esthétiquement chacun à soi-même, au-delà d'une appartenance originelle. En ce sens, la philologie romantique est toujours pertinente aujourd'hui. Avec elle, il s'agit d'être au plus prés de soi au moment même où on se découvre en partance, où on est bouleversé en profondeur, justement métamorphosé esthétiquement par le mot qu'on choisit plutôt qu'un autre, qu'on retient pour le répéter à d'autres, pour en faire l'éloge et pour se définir existentiellement. Lamartine était un champion de la note, du rajout, de la modification versatile, du tirage à la ligne. Un champion de la greffe, en somme


III/ De la poétique à la philologie


Si les opérations philologiques renouvellent en effet les textes, ne peuvent-elle pas en elles-mêmes être considérées comme des opérations d'écriture inédites qui existent en puissance dans le travail du savant et que l'écrivain peut mettre en acte, soit qu'il en livre la représentation dans sa fiction – ainsi des fictions du commentaire, mais aussi de la fiction de l'interpolation, de la lacune ou de la note de bas de page, soit qu'il s'en empare et se les approprie : qu'en est-il, par exemple, d'une poétique de l'interpolation ou d'une écriture qui mettrait en œuvre une conservation des variantes En outre, le travail l'écrivain n'est-il pas déjà philologie de son propre texte ou du moins anticipation du travail philologique? Serait-il possible de définir une intention philologique à l'œuvre dans la création littéraire : écrire un texte qui appelle la note, qui ne pourrait se lire qu'éclairé par un autre, insérer dans son texte les signes graphiques de la lacune ou de l'obélisation, écrire un fragment semblable à ceux que le philologue répare, seraient autant de moyens d'être déjà philologue alors que l'on écrit, autre manière de fonder une poétique philologique.


Quand les poètes latins se faisaient philologues, par Jean-Christophe Jolivet.

Il s'agit d'examiner sur une série d'exemples l'intégration, dans le discours poétique latin de l'époque tardo-républicaine et de la période augustéenne, d'une série de motifs empruntés à la philologie. Les poètes romains, qui lisent les textes grecs à l'école des grammatici Graeci et selon les préoccupations philologiques du temps, s'inspirent des démarches d'interprétation canoniques pour résoudre, voire poser des quaestiones, ou problèmes philologiques, au sein même de la fiction poétique. Ils reprennent ainsi, en l'élargissant, le modèle du poiètès hama kai kritikos (poète et en même temps critique) de la tradition alexandrine.


Fictions philologiques: une poétique de la matérialité du livre, par Claire Maussion

Fiction et philologie: deux notions apparemment peu conciliables puisque la prétention scientifique de l'étude des textes semble interdire le recours à l'imaginaire qu'implique la fiction. Pourtant le travail d'édition du texte suppose souvent l'élaboration d'hypothèses de lecture où le travail du philologue rejoint celui de l'écrivain. A l'inverse, certaines fictions s'emparent des possibilités créatrices qu'offrent les pratiques philologiques pour inventer de nouvelles formes d'écriture. C'est cet imaginaire philologique que l'on se propose d'envisager à partir de deux romans récents que l'on qualifiera de «fictions philologiques»: La Caverne des idées[v] et La Maison des feuilles[vi], textes ouvertement romanesques qui se présentent comme l'édition critique d'un texte fictif et commenté par une figure de philologue. On se propose d'analyser ces romans en combinant deux approches complémentaires, l'une thématique, l'autre poétique, qui engagent chacune la prise en compte des théories de la fiction.

D'une part, on montrera comment ces «romans philologiques» transposent sur le plan fictionnel des problématiques propres à l'étude des textes. La dimension subjective et interprétative de toute opération philologique est thématisée par les multiples liens que nos romans établissent entre le texte à éditer et son commentateur. Dans La Caverne des idées, le traducteur du manuscrit a l'illusion que le texte lui adresse des messages à déchiffrer et se révèle finalement être un personnage du texte qu'il est en train de traduire, tandis que dans La Maison des feuilles, Johnny Errand, le commentateur, sombre progressivement dans la folie sous l'effet de sa lecture. La forme même des notes et leur mise en page semble affectée par le thème abordé par le texte, particulièrement au chapitre IX où le désordre des notes est tel qu'il rend difficile leur repérage pour le lecteur et s'accorde parfaitement au mythe du labyrinthe traité dans le chapitre.

D'autre part, on tentera de cerner la nature de ces textes hybrides qui empruntent aux rhétoriques apparemment différentes de la fiction et de l'érudition, en convoquant les réflexions de Genette[vii] et Dorrit Cohn[viii] sur la distinction entre fictionnel et non fictionnel et sur les phénomènes d'emprunt entre les deux champs. Il s'agira alors d'étudier comment ces romans mettent en fiction les opérations propres au travail philologique et dans quelle mesure on peut parler d'une poétique de la matérialité du livre. Quel jeu s'instaure-t-il entre l'imaginaire du livre et l'édition du texte quand le traducteur, mis en scène dans La caverne des idées, retranscrit les notes d'un philologue érudit qui commente l'état du manuscrit qu'il édite en le qualifiant de «sale, truffé de corrections et de taches, phrases illisibles ou tronquées[ix]», alors que le lecteur n'a accès qu'à un texte imprimé, parfaitement lisible et sans rature? Au contraire, comment lire les passages reproduits en caractères barrés dont Johnny, le commentateur du manuscrit du Navidson Record dans La maison des feuilles[x], nous apprend qu'ils proviennent de son propre travail de déchiffrement de passages biffés par leur auteur: quel est le statut de ces passages à la fois lisibles et marqués par une autocensure? On montrera comment le dialogue que ces romans instaurent entre le texte commenté et son appareil critique permet l'invention de nouvelles formes d'écriture qui modifient le rapport du lecteur au texte, par l'inscription du commentaire, de la lacune, de l'interpolation ou de la variante au cœur de leur poétique.


IV/ Poétique et philologie en question

D'un amour commun des mots unissant la création littéraire et la science du texte à une écriture qui ferait du travail savant le principe de sa mise en œuvre en passant par l'examen de la productivité littéraire des opérations philologiques, on aimerait donc esquisser les fondements d'une poétique de la philologie pour débusquer sous la description la construction, sous la conservation la proposition, sous la neutralité l'engagement d'un sujet créateur. Mais dans l'opération c'est l'idée même de l'écriture littéraire et surtout la définition de la philologie qui se trouvent interrogées et modifiées.


L'étoile, la stèle, la dague et la montre – (Dé)figurer l'oeuvre inachevée (Pessoa/Valéry), par Julia Peslier.

Toute œuvre ne trouve pas pour fin la finition et la finitude du bon à tirer, qui fixerait pour les siècles et les siècles son monument public. L'œuvre est parfois – longtemps – chantier: rêves et plans d'architecte,configuration constellaire de textes et dissémination de pensées. Elle est alors force plutôt que forme, mouvement en lieu et place du monument, elle est faite de lignes et de fractures, de liaisons et de lacunes. Livrée à l'état d'inédit, sa difficulté s'accroît: le désordre où l'auteur s'est complu devient charge de lecture pour le philologue qui voudra la donner à lire. Ce dernier défriche l'œuvre en chantier. Il l'annote en passeur. Il ajoute à la lacune les balises de son déchiffrement lent et patient, renseigné et savant. Peu à peu, des signes infimes ajoutent, ça et là, au texte. Visibles, ils énoncent le cheminement de ce qui reste une piste lisible. Ils sont étoiles ou obèles – l'astérisque et la dague, ils illuminent ou poignardent le texte à l'encre noire. Ils sont encore ligne pointillée, qui sépare et relie, ou espace blanc suspendu sur la page qui rapproche l'un de l'autre, comme un silence au théâtre accroît la qualité de ce qui vient d'être dit, de ce qui est à venir. Le texte ouvragé est le fruit de la philologie et de l'orphelinage de l'œuvre, de son usure par le temps, de son interdiction et de ses destructions locales par la censure. Il est chaque fois singulier, le propre d'une œuvre et non la convention d'une édition pour tout auteur. Tel est du moins ce que l'on voudrait ici défendre.

Pessoa et Valéry ont beaucoup trop œuvré à l'inachèvement de leurs œuvres pour ne pas offrir au lecteur curieux une grande manne paradigmatique des modalités et des prodigalités du typographe, des libertés du philologue. L'auteur en défaut, son œuvre devient l'espace d'une expérimentation tierce, elle est lue au miroir contrefait d'un autre lecteur, un copiste qui prend à cœur de transmettre fidèlement (c'est ce qu'il asserte en tout cas) l'original où sa révélation a eu lieu. On interrogera cette scénographie du manuscrit original comme prodigue et unique, cette fidélité qu'on réclame à tout prix, cette part infime du signe qui est en excès dans l'œuvre inachevée et qui la met en tension vers une finitude possible, parce qu'elle la parachève, indubitablement. L'exploration de leurs chantiers de pensée respectifs n'ira pas sans une redéfinition de la lacune – la philologie aurait-elle horreur du vide, au point de le combler encore et toujours? Elle permettra aussi de dégager des seuils philologiques, des conflits d'auctorialité, des figures de l'auteur comme le propre témoin de son œuvre éditée à titre posthume, des effets de lecture imprévisibles et comiquement anachroniques, des dramaturgies de l'inachèvement. Elle sera enfin proposition de paradigmes philologiques possibles pour les œuvres questionnées, selon les trajectoires suivantes:

1. L'élégance du pointillé: est-ce «accroc» ou «décor» de la trame?

L'imperfection accrue et l'élégance de l'anachronisme. Le texte comme un leg très ancien, plus encore fragmentaire qu'on le brise de nouveau grandement, apaisé dans son bris. Digne des Anciens, il recueille à la manière de – des cailloux de pensée socratiques et des formules d'Héraclite.

· Le Livre de l'Inquiétude (Ines Oseki-Depré); Le Livre de l'Intranquillité (édition française et portugaise), Il est nécessaire de naviguer, vivre n'est pas nécessaire (édition établie par Robert Bréchon)

2. L'art de l'obèle ou le texte poignardé

Monument démantelé, champ de stèles, ce qui par retour fait du texte un monument littéraire, classique au même titre que des fragments d'Héraclite (dramatisation de la disparition et de la lacune). Le paradigme de Feu pâle (polar)?

· Edition portugaise critique des poèmes en anglais de Pessoa

3. Le texte constellaire: ce qui s'étiole s'étoile

Fragmentation, fulguration, sidération, naissance, implosion, luminescence, rayonnement et disparition des pensées. Le paradigme cosmogonique.

· Fausto de Pessoa (Faust)

· Perì tôn toû theoû ou des choses divines de Valéry

4. Le cadran solaire: la montre de la lecture

Dynamique, mise en mouvement, rythme. Lecture solaire et cyclique. Les Heures et les saisons. Les Travaux et les Jours de l'écrivain: le paradigme cosmique.

· Alphabet de Valéry

· A Hora do Diabo de Pessoa (L'Heure du Diable)


Pour une poétique de l'interpolation ? Par Sophie Rabau.

L'interpolation dans le langage de l'édition textuelle désigne un défaut du texte, en l'occurrence l'insertion par un tiers d'un passage hétérogène qui défigure le texte et qu'il convient donc de repérer pour le supprimer. Pourtant le même terme est aussi utilisé, notamment par la critique anglo-saxonne, pour caractériser un procédé d'écriture. On voudrait mettre en perspective ces deux usages, philologiques et poétiques, du terme, les présupposés et conceptions esthétiques qu'ils recouvrent, pour essayer de définir ce que pourrait être une poétique de l'interpolation fondée sur une valorisation de l'hétérogène dans l'écriture, sur l'intention d'être autre ou d'être l'autre, voire de lui laisser la parole, et non d'être seulement soi-même dans la création du texte. Il s'agira alors de se demander, en retour, quelle pratique philologique appelle cette poétique.


Poétique de l'anti-philologie dans Sur Racine, par Florian Pennanech

On envisage dans cet article de fournir un contrepoint au thème proposé; il va sans dire, cependant, que caractériser quelques éléments d'une poétique de l'anti-philologie permet d'esquisser en creux une véritable poétique de la philologie. À partir de l'essai de Roland Barthes Sur Racine,

on s'intéressera, comme y invite la démarche proprement poéticienne ici visée, à quatre grands aspects de la transtextualité (les termes s'y rapportant étant ici employés dans leur acception strictement genettienne) répartis en trois ensembles d'observations:

Métatextualité. On pourra observer le caractère particulièrement discontinu de l'analyse, aspect a priori déroutant, puisque l'ouvrage semble relever de la critique thématique, laquelle, proche en cela de la philologie, s'efforce de reconstruire un système latent dont le texte manifeste ne serait qu'une suite de fragments épars. Si l'écriture philologique peut apparaître comme une fabrique du continu - la continuité n'étant qu'un des aspects de l'unité et la cohérence, postulats fondateurs de l'«idéologie du texte» (M. Charles) -, on peut estimer que la critique telle qu'elle se pratique dans Sur Racine est au contraire une fabrique du discontinu; et l'on pourra aller jusqu'à proposer de parler de «contre-interpolation» pour caractériser ce geste.

Inter- et paratextualité. On retrouvera cet éclatement en étudiant le rôle des notes. On remarque rapidement que les notes sont majoritairement des citations d'alexandrins dépourvus de toute glose. Ce dispositif citationnel opère un renversement du dispositif philologique. Il met en évidence le principe de la fragmentation en renvoyant le texte de Racine dans les marges et en augmentant dans l'espace de la page son statut d'élément détaché. Alors que le philologue est supposé émailler le texte pris dans sa continuité de quelques notes, de fait autonomes, c'est ici le texte de Barthes qui est émaillé de notes de Racine, pour leur part autonomisées, ce qui accentue le «dépiéçage» du texte de Racine (qui s'oppose naturellement au «rapiéçage» que la philologie est censée opérer).

Hypertextualité. Or si le commentaire philologique vient éclairer sporadiquement le texte, la pratique décontextualisante de la citation dans Sur Racine semble devoir l'obscurcir globalement. C'est cette obscurité qu'on voudra étudier dans un troisième temps: la poétique de la philologie est en effet fondamentalement liée à une métaphore fondatrice, celle de la lumière: dans la tâche d'établissement d'un «sens» de l'œuvre, les procédés de récriture se ramènent essentiellement à l'élaboration d'un ensemble d'énoncés équivalents aux énoncés de l'auteur, et réputés plus intelligibles. Sur Racine paraît à l'inverse proposer des énoncés plus difficiles à saisir que le texte initial. C'est que, d'emblée, l'interprétation philologique est comme vidée de toute substance, en raison même de la «transparence» prêtée à Racine. Ainsi, peut-être faut-il voir dans Sur Racine un commentaire qui, loin de réduire la distance entre le texte ancien et le lecteur moderne (ainsi qu'on le dit couramment dans une vision très «gadamérienne» de l'herméneutique mise en œuvre dans cet essai), s'efforce de l'augmenter. On étaiera cette lecture à l'aide de textes parmi les plus anciens de Barthes qui attestent que cette question de l'«obscurité» et de la «clarté» travaille en profondeur son imaginaire et sa lecture des classiques.

On sera à même de conclure en montrant (à l'aide de textes issus des Essais critiques et de Critique et vérité) combien le point de vue de la poétique de la philologie fournit un fil conducteur particulièrement fécond pour rendre compte des oppositions manifestées lors de la querelle entre Barthes et Picard. On montrera notamment que c'est à partir de ce point de vue que Barthes peut voir en tout philologue un herméneute, c'est-à-dire un écrivain. L'anti-philologie est bien une manière de constituer la philologie en création.


Philologie ou pseudologie, entre extension terminologique et dérive épistémologique, par Pascale Hummel.

Pour les philologues puristes il n'existe qu'une seule et unique façon de pratiquer la philologie : celle, traditionnelle, rigoureuse et parfois austère, de l'étude (multiforme) des textes transmis par l'Antiquité. Ce labeur ne s'embarrasse d'aucun verbiage et se méfie des entreprises de théorisation extérieures à la philologie. Depuis quelques décennies pourtant (sous l'impulsion de Michel Foucault notamment), une orientation parallèle se dessine, qui confère au terme philologie une acception large, plus ou moins gauchie par rapport au sens postulé originel et puriste. Cette tendance est particulièrement vivace aujourd'hui dans le monde anglo-saxon et germanique, à côté de la philologie traditionnelle qui maintient ses pratiques et ses droits. À y regarder de près, cette piste herméneutique (entendue au sens le plus large, parfois fourre-tout) plonge ses racines dans la genèse même de la philologie. Sa généalogie fait apparaître une double tradition : philosophico-poétique (de Platon à Heidegger, de Foucault aux néo-herméneutes d'aujourd'hui) d'une part, exégético-grammaticale de l'autre (avec pour premiers représentants les grammairiens grecs). Si l'une met en avant le sens au croisement de la sémiologie, de la philosophie et de la poésie, autrement dit l'esprit, l'autre privilégie la lettre, donc la matérialité des textes et des mots. Pour les puristes la première orientation serait une pseudologie (pour employer un terme rare, dont je compte faire le titre d'un prochain livre ; une autre façon de nommer ce que Jacques Bouveresse appelle « les prodiges et vertiges de l'analogie »), la seconde seule étant admise comme orthodoxe et praticable. Chronologiquement, les deux sont concomitantes, et selon le cas, l'époque ou l'individu, c'est l'une ou l'autre qui se trouve privilégiée. Chacune est poétique par excès et par défaut : créatrice de sens, d'interprétation, de diverses possibilités épistémiques surtout, reposant sur une interprétation variable de la lettre et de l'esprit. L'idée d'une "poétique de la philologie" demande donc à être abordée avec circonspection. Notre exposé propose une synthèse des risques, des pièges et des non-dits d'une pratique Janus dont les partis pris ne sont pas toujours innocents.


Pages associées: Philologie, Discours scientifique, Interprétation, Intertextualité, Intertextualité et métatextualité.




[i] C'est Charles Dobzynski qui le premier fait mention de ce travail, alors inédit, de Tzara dans un article intitulé «Le secret de Villon», Lettres Françaises 803, Paris, 1959. La totalité de la recherche n'a été éditée que récemment par Henri Béhar: Tzara Tristan. Le Secret de Villon, Flammarion, Paris, 1991. Les travaux anagrammatiques de Ferdinand de Saussure ont, quant à eux, été rendus publics dans les années 60 par les études de Jean Starobinski que l'on trouve réunis dans Les mots sous les mots.

Les Anagrammes de Ferdinand de Saussure. Gallimard, Paris, 1971. Signalons que si les extraits publiés par Starobinski ont depuis lors été abondamment glosés, l'immense majorité des textes saussuriens relatifs aux anagrammes demeurent, aujourd'hui encore, inédits.

[ii] Tzara préparait d'ailleurs une édition critique des œuvres de Villon.

[iii] Lettres Françaises, 1000, Paris, 1963.

[iv] Bibliothèque de Genève, Ms. fr. 3963/9, fol. 17.

[v] Carlos Somoza, La Caverne des idées, trad. de l'espagnol, Arles, Actes sud, Babel, 2002

[vi] Mark Z. Danielewski, La Maison des feuilles, trad. de l'américain, Paris, Denoël, 2007

[vii] Gérard Genette, Fiction et diction, Paris, Seuil, 1991

[viii] Dorrit Cohn, Le Propre de la fiction, trad. de l'anglais, 2001

[ix] Carlos Somoza, op. cité, p.149

[x] Mark Z. Danielewski, op. cité, p.111-13



Sophie Rabau

Sommaire | Nouveautés | Index | Plan général | En chantier

Dernière mise à jour de cette page le 2 Septembre 2017 à 20h45.