Atelier

  • (Quelques remarques, à partir de la lecture d'un collectif sur la question: Le Temps des Lettres. Quelles périodisations pour l'histoire de la littérature française au 20e siècle ? Actes du colloque tenu à l'Université de Rennes 2 en mai 2000. Sous la direction de Michèle Touret et Francine Dugast-Portes, Presses Universitaires de Rennes, 2001)

Le découpage de la temporalité littéraire en périodes pose une série de problèmes directement liés à la définition de l'objet-littérature: quelle chronologie considère-t-on (celle des oeuvres, des groupes, des successions biographiques...), quels rapports cette chronologie entretient-elle avec une histoire générale, une histoire sociale, etc.? Met-on l'accent sur les ruptures, introduites en particulier par les chefs-d'oeuvre, ou sur le temps long, celui des lieux communs du littéraire? Le geste même de périodisation ne va pas de soi. C'est le paradoxe de Zénon, commenté par E. Bouju: découper le mouvement interdit de prendre la mesure du mouvement. Et en effet on peut lui préférer d'autres saisies du temps: détermination de pôles plutôt que de bornes, modulations, chevauchements chronologiques, anticipations, réversions...

Longtemps l'histoire littéraire a emprunté ses coupures à l'histoire générale et à ses événements, sans se poser le problème de la pertinence d'une traduction du temps social pour la chronologie littéraire ; elle s'est aussi imposé des unités de mesure "arbitraires mais peut-être heuristiques" (E. Bouju) : le siècle, la décennie, la génération. L'introduction des études quantitatives l'informatique (la BDHL en l'occurrence) peut substitue la chronologie à la périodisation, et met en évidence des lacunes (la négligence des auteurs à cheval sur deux siècles, le remodelage d'une « naissance littéraire ») : on fait au mieux l'histoire de l'histoire littéraire, de son système de valeurs. Avec les théories formalistes, la périodisation a changé de base ; au lieu d'être politique, sociale ou philosophique, elle devient phénoménalement littéraire, propre à son objet. Les processus de changement viennent du système de normes lui-même. C'est par exemple l'idée de la transformation générique.

La périodisation a d'abord pour fonction de rendre les faits pensables ; tout découpage suppose une certaine représentation du littéraire et de sa valeur; M. Touret montre par exemple que la considération des périodes de guerre comme parenthèse du mouvement littéraire, survalorisant les ruptures esthétiques, empêche de considérer ce moment homogène d'une littérature de témoignage comme une période.

Une réflexion sur la périodisation implique aussi que l'on s'interroge sur ce que notre histoire littéraire a d'historique, sur le rapport au temps et à ses événements qu'elle nous permets de mettre au jour dans les textes, et cette prise en compte d'un rapport au temps dans l'histoire littéraire n'a rien d'évident. J.-F. Massol, dans une lecture de manuels scolaires récents montre que le retour d'un souci du contexte ne pousse pas pour autant à considérer l'inscription historique des textes comme un élément de leur signification ; l'histoire reste en l'air, non pas évacuée, mais pire : inoffensive, sans portée.

Marielle Macé

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Dernière mise à jour de cette page le 6 Avril 2007 à 23h02.