Atelier

Les apparences inadressées. Usages de Portmann

(doutes sur le spectateur)

par Bertrand Prévost

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Cet article est à paraître dans: L'Adresse. XVIe colloque du Cicada, éd. B. Prévost et B. Rougé, Pau, Presses Universitaire de Pau, 2011. Il est mis en ligne avec l'aimable autorisation de l'éditeur.

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Qu'une image soit faite pour être vue, voilà une évidence qui ne souffre aucune contestation. Comment imaginer un instant une œuvre visible qui ne s'offre au regard? Qui plus est, les modernes conditions de visibilité des images de l'art, dans les musées et expositions, nous prédisposent à l'idée que ces images attendent sagement le regard qui viendra les accomplir: ces images nous attendent pour être pleinement images, elles attendent leur espèce de consécration perceptuelle, intellectuelle, critique.

L'historien de l'art souscrit sans peine à cette vision des choses. Mieux, à la question «générale» de savoir à qui s'adresse une œuvre, il préférera la question, apparemment plus modeste, de sa destination : pour qui cette peinture a-t-elle été conçue? Le problème de l'adresse semble donc connaître, dans le champ de l'histoire de l'art une solution simple et rapide, et qui se range sous l'étiquette commune de «sociologie de l'art», à savoir: l'identification du commanditaire. C'est d'abord au commanditaire ou au mécène (qu'il s'agisse d'un individu particulier ou d'une collectivité) que l'œuvre d'art s'adresse, puisqu'elle a été faite «pour lui». Situation empirique et historique, dira-t-on, et qui ne correspond plus du tout au cadre de la création artistique moderne et contemporaine. Il y a bien longtemps que les images savent se passer de commanditaire pour exister, et c'est d'abord pour lui-même qu'œuvre un artiste, c'est d'abord à son propre regard que s'adressent ses images. Il n'empêche que toujours l'adresse se pense comme visée subjective – que ce sujet soit identifiable, nommable ou non, peu importe.

Ce sujet porte un nom bien connu: il s'agit bien entendu du spectateur. Qu'une image soit faite pour être vue signifie communément qu'elle s'adresse à un spectateur. Le spectateur, ici, n'est plus une personne empirique; c'est la forme transcendantale de l'adresse: sa forme subjective, sa visée intentionnelle. Il n'est pas très difficile de repérer dans l'histoire de la pensée artistique occidentale l'acte de naissance théorique du spectateur. On le trouvera dans le De pictura que Leon Battista Alberti rédige en 1435. Bien évidemment,les images, artistiques ou non, n'ont pas attendu l'humanisme renaissant pour s'adresser à un spectateur. Qui plus est, le terme spectateur (spectator) n'apparaît qu'une fois dans le texte[i]. Il n'empêche que si le spectateur s'invente dans le traité, c'est bien parce qu'Alberti procède à une radicale substantialisation de l'adresse picturale, une substantialisation qui en passerait elle-même par une géométrisation, en conférant à toute position devant la peinture une nature punctiforme. Il suffit de parcourir très rapidement l'ensemble du système pour constater à quel point cette substantialisation s'effectue de toutes parts, à commencer, bien sûr, par le dispositif perspectif et la corrélation du point de vue et du point de fuite qu'il instaure: le rapport entre la peinture et son extériorité devient une relation entre deux points. Mieux: la particularité de la construction albertienne sera d'y inscrire mathématiquement la position du spectateur, dans le calcul de la diminution des quantités sur le pavement[ii]. L'art moderne et contemporain aura eu beau se jouer de cette géométrie du regard pour travailler ses véritables conditions phénoménologiques – je vois avec mes deux yeux, voire avec tout mon corps, je me déplace… – il n'empêche que se perpétue une visée, une intentionnalité qui dépasse sans aucun doute les limites de ma conscience, mais qui me concerne fondamentalement en tant que sujet.

On ne comprendrait pas l'enjeu des propositions albertiennes si l'on ne tenait pas compte du renversement qu'elles opéraient du point de vue d'une adresse proprement chrétienne de l'image transformant la position subjective en subjugation: des images faites non pour être vues, mais pour voir. La grande image de culte, le grand retable ou encore l'image de dévotion…: ces images ne sont vues qu'en tant qu'elles nous regardent d'abord. Et c'est tout l'art chrétien qui s'ouvre à cette négativité du regard: on verra d'autant mieux qu'on ne regardera pas, qu'on se laissera être-regardé par l'image[iii].

Il faut se déplacer plus largement dans l'histoire et la géographie pour voir une telle relation se critiquer ou se mettre en crise, sans toutefois jamais disparaître totalement. Qu'en est-il en effet de la visibilité des peintures rupestres préhistoriques, plongées dans le noir total sitôt les torches éteintes? Ou encore de toute peinture funéraire, dans des tombes définitivement scellées? Considérons les vastes ensembles sculptés de nos cathédrales, dont tel détail voire la forme même, perchée à plusieurs mètres de hauteur, demeurait invisible au fidèle; ou encore les vastes programmes politiques chantant la gloire royale ou impériale, mais dont le détail de la frise – à la colonne Trajane par exemple – est inaccessible au passant. Tous ces cas ne sont pas à penser au titre d'une économie du voir, du caché et du montré. Ils renvoient toujours à des images qui ne sont pas faites pour être vues – du moins pour ne pas être vues dans les conditions de visibilité qui constituent la position théorique de spectateur. En ne supposant pas de spectateur, c'est bien la condition d'image-spectacle qu'elles mettent en crise. Ad majorem dei gloriam– pour la plus grande gloire de Dieu. C'est ainsi que l'on a coutume de qualifier la destination de ces images monumentales, quand elles sont chrétiennes. Mais chrétiennes ou païennes, elles n'ont jamais de destination subjective ou de visée intentionnelle. Paul Veyne, dans ses études sur la colonne Trajane, n'a de cesse de rappeler que ce type d'image n'a strictement rien à voir avec quelque propagande impériale, comme s'il devait délivrer une information, nécessairement visible et lisible, mais qu'il est plutôt le fait de l'expression d'une gloire ou d'un faste princier. En sorte que, si ce n'est à Dieu, c'est «à la face du monde» ou encore «à l'éternité» qu'il s'adresse[iv].

Ces remarques ne relèvent pourtant pas du seul pragmatisme dont se revendique si souvent Paul Veyne. C'est qu'il en va, au minimum d'un concept renouvelé de l'adresse artistique, au maximum d'une véritable théorie de l'image. Faire intervenirle monde,Dieu, ou l'éternité, c'est sans doute la meilleure façon de dépersonnaliser l'adresse. L'adresse, de ce point de vue, ne décrit plus une relation de destination entre un sujet et un objet, elle ne dessine plus un vecteur entre un spectateuret un spectacle. Elle renvoie à une plus fondamentale fonction d'ouverture de l'œuvre d'art. L'adresse nommerait ce rapport à l'extériorité, en tant que rapport tout à fait déterminé, cette ex-position de l'image, non pas du tout au sens benjaminien de la valeur d'exposition à l'ère de la reproductibilité technique, des musées et des galeries, autrement dit à l'époque de la spécificité artistique, mais en un sens presque physique où l'on expose un corps à une action extérieure, où un objet se pose du point de vue du monde. Si l'adresse désigne davantage une puissance d'expansion, la question ne sera donc pas tant celle de sa cible (où?) que de sa portée (jusqu'où?). Tout cela, dans le fond, n'est qu'une manière de tourner autour d'un vieux concept, tout à la fois philosophique et esthétique et aujourd'hui un peu désuet: l'expression – non pas l'expression logique ou psychologique, mais bien l'expression entendue comme principe métaphysique et qui court de Spinoza à Leibniz, de Nietzsche à Deleuze.

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La théorie de l'art n'est sans doute pas le meilleur lieu d'où partir, dans la mesure, notamment, où son concept d'expression a toujours été plus ou moins entaché par celui de représentation. Il faudra le chercher ailleurs, et plus particulièrement dans les sciences du vivant. Nous remettons à plus tard la question de savoir comment penser cette articulation, et demandons au lecteur de mettre momentanément entre parenthèses le domaine artistique[v]. Il revient à un zoologue suisse, Adolf Portmann[vi], d'avoir placé au cœur de son questionnement l'expressivité animale. Que faire de toutes ces matières d'expression qui parcourent le règne animal de manière si prégnante: taches, zébrures, ocelles, couleurs chatoyantes, irisations…? On connaît le réflexe néo-darwinien de toute science naturelle digne de ce nom: «utilité! ». Les formes se doivent d'être utiles à la conservation de l'espèce ou de l'individu. Elles s'expliquent par leur fonction dans les rituels de séduction, pour séduire les femelles, dans les combats entre mâles se disputant les femelles, pour impressionner l'adversaire et éviter au maximum l'affrontement physique; elles s'expliquent encore par tous les stratagèmes de camouflage et de mimétisme, etc. Ces interprétations utilitaristes ou fonctionnalistes sont parfaitement fondées, mais elles ne répondent justement pas à la question que posait Portmann. Outre le fait qu'elles ne sont qu'extrêmement partielles au regard du foisonnement presque infini des formes animales (pour ne pas parler des formes vivantes en général), elles ne permettent pas de penser ce foisonnement pour lui-même, la profusion, la richesse d'invention des formes animales. Autrement dit, reste en suspens la question de la singularité. Parallèlement aux interprétations fonctionnalistes, on aura beau expliquer chimiquement la formation de telle couleur de plumage, on aura beau construire des modèles morphogénétiques mathématiques pour comprendre la genèse de tel motif, toujours se posera la question de savoir pourquoi on a affaire à cette couleur plutôt qu'à une autre, pourquoi à ce motif plutôt qu'à un autre. Autrement dit, le problème de la singularité, de la différence individuelle et spécifique, restera entier.

En sorte que ce n'est pas tant la forme animale comme état de choses, explicable en termes de formation et de fonction, qui intéressait Portmann que son irréductible expressivité, que ce qui dans ces formes, contribue à les transfigurer en de véritables «apparences authentiques» (eigentliche Erscheinungen). La première réponse du zoologue aura donc été d'établir une véritable morphologie de l'être pour la vue: certains organes, certaines parties du corps sont destinées à apparaître, et obéissent de ce point de vue à des règles qui n'ont plus rien à voir avec le métabolisme ou la conservation de l'espèce. Chez de très nombreux animaux, par exemple, la peau n'est pas seulement une membrane venant clore un organisme de façon imperméable. C'est aussi un organe – un organe dont s'est doté l'individu pour apparaître. Il est ainsi tout à fait significatif que les animaux transparents (qui n'ont pas de peau) – crevettes, méduses, certains calamars – voient leurs organes internes suivre les même régularités qui régissent la disposition et le chromatisme des organes à peau (clarté des motifs, distinction chromatique, symétrie…): parce qu'ils ont incorporé organiquement leur destination à l'apparaître, à la différence des «apparences inauthentiques» (uneigentlichen Erscheinungen), qui ont bien une forme singulière, mais qui demeure inexpressive puisque non adressée. C'est ainsi que Portmann en arrivait à faire de la présentation de soi (Selbstdarstellung) une fonction organique à part entière, au même titre que le métabolisme ou la conservation de l'espèce[vii].

Mais très vite il est apparu que la notion d'apparence authentique était trop limitée, et surtout, risquait de contrevenir à l'exigence d'une pensée de l'expression dès lors qu'on la faisait dépendre d'une destination au regard, d'un être-pour-la-vue, dans une opposition des formes visibles (extérieures) aux formes invisibles (intérieures). Car si l'on veut donner toute sa validité à un concept d'expression, il faut bien que cette dernière soit antérieure à la visibilité, ou du moins que la visibilité ne la recouvre que partiellement, et secondairement. Autrement dit, si les apparences animales sont expressives, souverainement expressives, c'est qu'elles portent en elles le paradoxe de ne pas (nécessairement) être faites pour être vues, quand bien même elles seraient extrêmement visibles. Elles ne visent pas une réception, une représentation perceptive; elles ne sont pas adressées ou destinées: «apparences sans destinataire(unadressierte Erscheinungen)» dit admirablement Portmann.

«Nous regardons en spectateurs étrangers le spectacle des formes et des couleurs des êtres vivants, le spectacle de configurations qui dépassent ce qui serait nécessaire à la pure et simple conservation de la vie. Il y a là d'innombrables envois optiques qui sont envoyés ‘dans le vide', sans être destinés à arriver. C'est une autoprésentation qui n'est rapportée à aucun sens récepteur et qui, tout simplement, ‘apparaît'»[viii].

Une compréhension étriquée du concept de présentation de soi (Selbstdarstellung) faisait en effet courir le risque d'une contradiction: comment justifier cette présentation, autrement dit un phénomène sensible, au minimum visuel, chez des animaux qui ne voient pas ou dont le degré de distinction formelle et chromatique est quasi nul? Si les mollusques sont presque aveugles, à qui ou pour qui sont destinés les admirables dessins sur leur coquille? Si les serpents voient en noir et blanc (comme de nombreux animaux à vision nocturne), à qui sont destinés les riches motifs colorés qui ornent souvent leur livrée? A quoi bon les formes extravagantes et les couleurs sublimes des êtres des abysses, puisqu'à ces profondeurs océaniques, l'obscurité est totale? C'est que cette question de la destination ou de l'adresse ne prend un sens que dans le cadre d'une perception subjective ou intentionnelle. Il faut au contraire affirmer avec Portmann que les couleurs du plumage des perroquets, les motifs sur les coquillages, la couleur des anémones de mer, toutes ces formes sont apparaissantes, mais elles ne constituent en rien un spectacle; du moins s'affranchissent-elles de tout spectateur. Elles ne sont «pour personne», car le sens de la présentation de soi, c'est de se présenter et non de se représenter dans la perception d'un sujet. Cette antériorité du spectacle sur le spectateur, de l'expression sur la perception (du moins la perception subjective) se repère à même l'histoire naturelle du développement des formes vivantes, puisque Portmann rappelle justement que les apparences authentiques «ont dû exister avant l'émergence du premier œil, et étaient déjà des exemples d'autoprésentation»[ix], et que, «pour autant que la sélection des formes et des motifs par l'œil, générateur d'images, joue un rôle primordial, il n'empêche que la phase initiale de la création des motifs a lieu avant toute possibilité de sélection visuelle!».

On comprend pourquoi l'invention de ce concept fantastique d'«apparence inadressée» était rendue nécessaire, car il fallait donner toute son amplitude à l'idée de présentation de soi, autrement dit penser la possibilité d'une apparence en droit. Cette possibilité n'est en rien une vue de l'esprit, et il revient à Portmann d'avoir eu le courage philosophique de poser quelques jalons pour penser l'existence réelle (et non pas seulement possible) d'une telle apparence. C'est qu'il fallait lui reconnaître le corollaire d'une imperceptibilité de fait.

«Nous contemplons des figures qui, pour notre œil, présentent tout à fait des caractères structuraux de la sphère optique, mais qui, dans la vie normale, n'apparaissent certainement jamais à aucun œil spectateur selon un rôle nécessaire à la vie. Nous devons donc rechercher pour les phanères un horizon plus large susceptible de les intégrer. Il y a de l'‘apparence véritable' dans un champ qui plus vaste que celui du jeu mutuel des caractères morphologiques et des organes sensoriels des animaux supérieurs»[x].

Les apparences animales offrent bien un sentendum, un à-sentir qui ne préjuge en rien de la possibilité empirique de leur perception. Qu'est-ce à dire sinon que les apparences inadressées dépendent d'une perception en droit qui ne peut se décalquer sur les limites sensitives propres à chaque espèce ou à chaque individu?

Telle est la raison, selon nous, de l'inadéquation totale de tout cadre phénoménologique pour concevoir l'expression animale. Car si la phénoménologie s'est donnée pour tâche de penser un pur apparaître, elle butera toujours sur la question de l'intentionnalité. On s'étonnera par exemple de ce que Hannah Arendt, au début de La vie de l'esprit – et alors même que les pages qui suivent sont précisément consacrées à un commentaire de Portmann! – en reste à cette conception spectaculaire de l'apparence, ou, ce qui revient au même, à une conception subjectiviste de la perception:

«Rien ne paraîtrait, le mot «apparence» n'aurait aucun sens s'il n'existait pas (des) récepteurs des apparences – être vivants susceptibles de relever, de reconnaître, de répondre par la fuite ou le désir, l'approbation ou la désapprobation, la louange ou le blâme à ce qui n'est pas tout bonnement là mais leur apparaît et est destiné à être perçu par eux»[xi],

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On ne sortira du système spectacle-spectateur qu'en extrayant la perception du sujet pour la mettre dans les apparences mêmes. Ce qui ne signifie rien moins que de poser l'existence d'une perception inorganique, ou du moins pour l'instant, d'une perception antérieure aux organes de la sensation. Il y a bien là quelque chose de Plotin, qui a produit l'équation nature = contemplation («la nature est dans la perception d'elle-même»[xii]). Mais c'est plutôt dans l'œuvre géniale d'un contemporain de Portmann que l'on trouvera les meilleures armes pour montrer la réalité biologique de ce qui pourrait apparaître comme une thèse métaphysique tournant en roue libre. Ce contemporain, qui lisait Portmann et que Portmann lui-même lisait, c'est Raymond Ruyer. Toute la philosophie biologique de Ruyer est tendue vers la critique du modèle théâtral qui présiderait à la genèse des formes. Comme si les formes vivantes tenaient leur unité vitale, leur cohésion organique, leur «adestance»[xiii], du fait d'être perçues comme des touts par un spectateur extérieur. Il s'agissait dans le fond pour Ruyer d'en finir avec le fameux principe de Berkley («être, c'est être perçu») pour concevoir un «spectacle sans spectateur», un «voir sans yeux»[xiv].

Ruyer n'a de cesse de montrer que la forme organique possède en elle-même son unité formelle, «indépendamment des regards posés sur elle»:

«les embryons jeunes, les végétaux, les unicellulaires, n'ont pas d'yeux, et peuvent n'être vus par aucun œil; ils n'en sont pas moins des unités actives, fort différentes de la fausse unité toute conventionnelle des décors de théâtre non regardés»[xv].

Cette distinction entre une unité trompeuse ou illusoire et une unité active ou vivante, montre bien qu'à l'instar de Portmann, Ruyer n'entend pas la forme comme un état de chose, comme un agrégat de parties, partes extra partes, mais plutôt comme une unité intensive ou expressive qui tient en elle sa cohérence propre, son individuation souveraine. A l'inverse, la forme simplement extensive ne tient son unité que par une espèce de synthèse visuelle extérieure, à la manière dont la disposition illusionniste des éléments d'un décor de théâtre n'est efficace qu'en fonction de la position du spectateur.

Il faut revenir à un certain réalisme, tout à fait assumé: les choses existent en-dehors de ma perception. Voir, c'est bien recevoir des impressions lumineuses sur la rétine, autrement dit sur un tissu vivant. Mais ce tissu, en tant que vivant, possède déjà une forme, une certaine cohérence propre, une unité organique. Soient trois objets a, b, c se projetantsur ma rétine:

«Il faut bien que l'ensemble abc existe absolument dans l'aire visuelle (de mon cerveau) comme une unité formelle qui n'a pas besoin d'un nouveau scanning, d'un nouveau balayage cérébral, pour se saisir elle-même.Cet exister-ensemble est donné à la sensation visuelle par le tissu vivant qui, lui, se définit ainsi primitivement. Il est donc absurde d'expliquer l'existence par la perception, la forme par l'image, alors que c'est la perception, et l'image consciente, qui ne sont explicables que par le mode d'existence, comme forme absolue et primaire, de l'organisme. L'image perceptive, comme les ‘caractères à être vus', suppose la forme vivante et les caractères organiques primaires. C'est tout l'organisme qui est capable de ‘percevoir', c'est-à-dire de rendre conscient de lui-même n'importe quel ensemble de stimuli extérieurs, parce que tout l'organisme est une surface ou un volume absolu, une forme existant par elle-même, qui n'a qu'à se prêter à cet ensemble pour le faire participer à son mode d'être une vraie forme»[xvi].

Les organes des sens n'ont donc pas le monopole de la perception. C'est tout tissu organique qui est capable de percevoir, et c'est pour cela justement, écrit Ruyer, «qu'il est naturellement capable aussi, de se disposer de lui-même en spectacle à être vu». «Toute cellule ou tout tissu est [donc] capable de perception. La forme d'un protozoaire, aussi bien que la forme d'un embryon humain, ou d'un homme adulte, dans la mesure où il n'est pas entièrement devenu machine fonctionnante, se comporte et se perçoit»: selfenjoyment.

Ruyer prend l'exemple des plumes somptueuses du faisan Argus. Elles s'ornent d'un motif très complexe fait de lignes et d'ocelles composées uniquement de lignes parallèles. Cemotif est à proprement parler un «thème», au sens d'une forme unitaire en soi, qui se possède, «qui existe absolument et domine les phénomènes chimiques qui le réalisent le long de chaque barbule». Exactement de la même manière, Portmann ne cessait de clamer que l'explication du processus chimique qui préside à la coloration d'une plume ne dit rien du sens de cette couleur, autrement dit de son apparence singulière[xvii]. Autant la couleur de la plume que son motif doivent être tenus non pour un résultat mécanique mais bien pour une formation thématique: une forme expressive. Car il faut bien reconnaître l'existence, dans la formation du motif, d'une espèce d'auto-vision ou d'auto-perception (il faut savoir où va le motif), sans que cette formation soit obligée «de prendre du recul, comme le peintre d'un décor de théâtre se mettant de temps en temps à la place du spectateur futur pour juger de l'effet ». Il y a là comme une perception immanente, à même le motif: une perception première, sans œil. Ruyer appelle celaune «surface absolue».

Mais Ruyer montre que la formation du dessin sur la plume est de la même nature, mieux: constitue «le même phénomène» que la perception extérieure du dessin par la femelle ou n'importe quel autre congénère: tous deux sont en position de «surface absolue», tous deux sont une seule et même apparence expressive. L'une a lieu sur une plume, l'autre sur une rétine ou son correspondant cortical, mais toutes les deux consistent en un thème formel qui se perçoit avant d'être perçu, qui «est, perçu», comme l'écrit souvent Ruyer.

«C'est la preuve que la plume, ou n'importe quel tissu vivant, ne diffère pas essentiellement d'une rétine ou d'un cortex, la preuve que tout organisme en développement est un champ de thèmes formels qui se réalisent, se dessinent en lui directement, qu'il est modulé par des thèmes formels, les aires sensorielles ayant simplement la propriété particulière d'être modulées par des structures déjà réalisées dans le monde extérieur par d'autres organismes ou d'autres complexes naturels»[xviii]

ce que Ruyer nomme «perception ou conscience secondaire»[xix]. Une telle surface (autrement appelée «domaine absolu»[xx]) n'est pas une simple étendue ou un corps physique réductible à la somme de ses parties; c'est un centre actif, qui possède sa propre unité immanente, qui s'auto-positionne. «Une forme n'a pas besoin pour se posséder elle-même de se poser en dehors d'elle-même comme une sorte d'image et d'être sa propre représentation. Elle n'a qu'à être elle-même». Il est tout à fait significatif que le philosophe en vienne très souvent à parler de «tableau»: car il faut l'aspect phénoménal mais non le spectateur, en sorte qu'il faudrait parler d'un «tableau en soi», sans aucun sujet spectateur ponctuel qui en produirait l'unité expressive.

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Invoquer avec Raymond Ruyer une espèce de selfenjoyment des apparences animales pourrait néanmoins nous exposer à un contresens fâcheux, qui prêterait aux apparences animales quelque chose comme un pur fonctionnement interne et qui ferait disparaître purement et simplement toute extériorité. Qui plus est, l'ipséité que porte en lui le concept de présentation de soi, d'auto-présentation (Selbstdarstellung), pouvait porter à comprendre le mouvement expressif comme expression d'un sujet, sans considération pour la destination de cette expression. Les apparences, pour reprendre les mots de Portmann, ne sont peut-être pas «destinées à arriver», mais elles sont bel et bien «envoyées». Le concept d'apparence inadressée n'est pourtant pas un concept ultime qui viendrait parachever presque mystiquement un raisonnement théorique, mais bien plutôt un élément éminemment opératoire qui permet de poser de nouveaux problèmes. Et c'est la pensée portmannienne qui porte en elle les nombreux germes pour dépasser l'idée sans doute un peu courte d'«envois dans le vide». C'est que Portmann a parfaitement saisi qu'un concept d'expression ne pouvait s'entendre rigoureusement sans faire intervenir le monde, ou un certain concept de mondanité. Là où le sens commun comme les sciences du vivant veulent voir un rapport de priorité organique entre le métabolisme et le fonctionnement organique d'une part, et les apparences d'autre part, le zoologue suisse osait inverser une telle préséance, précisément au titre d'une exposition au monde:

«Et si (les caractères de l'autoprésentation) étaient l'essentiel? Si les êtres vivants n'étaient pas là afin que soit pratiqué le métabolisme, mais pratiquaient le métabolisme afin que la particularité qui se réalise dans le rapport au monde et l'autoprésentation ait pendant un certain temps une durée (Bestand) dans le monde?»[xxi]

Ce monde n'a rien d'un contenant ou d'un espace vide qui accueillerait des expressions animales. Ce n'est pas dans le monde que ces dernières ont lieu; ce n'est pas un monde qui s'exprime en elles, mais plutôt l'expression qui devient monde, qui fait monde. Parler ici de monde c'est donner à cette expression une extension, une dimensionnalité irréductible à tout milieu ou tout espace vital. Se constitue un monde précisément quand les apparences opèrent un changement d'échelle, se déploient dans ce que Portmann nomme tour à tour un «horizon plus large», un «système de référence plus large»:

«Les motifs de la crevette transparente Periclimenes et les dessins multiformes des opisthobranches ne sont pas des ornements qui seraient surimposés à une forme fonctionnelle. Ils sont tout aussi peu des ornements que ne le sont les aplats de couleur et les lignes rigoureuses de Piet Mondrian ou les hiéroglyphes énigmatiques des dernières œuvres de Paul Klee. Ce sont des élaborations dans lesquelles un être plasmatique de structure submicroscopique spécifique se présente selon sa particularité

dans un ordre de grandeur plus élevé. Cet ordre de grandeur plus élevé est le royaume où les organismes élaborent, selon des lois particulières, des configurations destinées à ‘apparaître', le domaine dans lequel a lieu, en correspondance avec cette autoprésentation optique, la merveille de la vision en images»[xxii].

Cet «ordre de grandeur plus élevé» nomme précisément ce pur plan expressif, cette Expression qui n'est plus fonctionnelle, territoriale ou même élémentaire[xxiii], mais cosmique ou mondaine. Seul le monde, seul le cosmos peut donner l'échelle de cet «horizon plus vaste» que ne cesse d'invoquer Portmann pour comprendre les formes animales. C'est par leurs parures (cosmétique) que les animaux s'étendent aux dimensions du monde (cosmique). C'est comme devenir-monde que les formes animales donneront consistance à un champ de l'apparaître en soi.

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Dès lors, quand Portmann parle d'un «royaume» ou d'un «domaine dans lequel a lieu (…) la merveille de la vision en images»[xxiv], les apparences se sont définitivement constituées en un plan expressif autonome, qui n'a plus rien à voir avec une relation de sujet à objet, mais qui n'a plus rien à voir non plus avec un substrat organique. C'est bien cette expressivité qui permet d'aller au-delà des démonstrations de Ruyer qui, pour autant qu'elles se déprenaient de toute idée d'organe de la perception («perception seconde») n'en restaient pas moins attachées à une inscription organique de la perception, fût-elle «primaire». Mais si l'apparaître dessine un champ expressif, un «apparaître en soi»[xxv], imperceptible en droit, alors l'apparence inadressée n'est plus seulement un concept biologique mais bien un principe transcendantal. Il n'en devient pas pour autant inconsistant, perdu dans les brumes de l'idéalité[xxvi]. De fait, le plan qu'il trace ne peut être pensé que comme champ de lumière:

«Dans un horizon élargi, le non-fonctionnel peut également trouver place; il appartient au domaine lumineux: c'est une ‘apparence dans la lumière'. L'étude physique des particules et des processus élémentaires nous rappelle que ce domaine lumineux, où les choses peuvent tout simplement ‘apparaître' au sens originaire du mot, pose aussi constamment des questions nouvelles au physicien»[xxvii].

L'expression «dans la lumière» pourrait prêter à confusion, puisque cette dernière ne saurait être considérée comme une condition des apparences, mais bien comme leur consistance même: une apparence en lumière. Philosophiquement, il revient à Bergson – plus exactement un Bergson relu par Deleuze et largement teinté par Spinoza – d'avoir instauré un tel plan de lumière en soi[xxviii]. Nous faisons évidemment allusion à l'étonnante ouverture du premier chapitre de Matière et mémoire. Bergson part de l'hypothèse, ou plutôt de la fiction («supposons») d'un monde entièrement fait «d'images en soi». «Image» nomme ici l'ensemble de ce qui apparaît. Toute chose est image. «Mais, commente Deleuze, comment parler d'images en soi qui ne sont pour personne et qui ne s'adressent à personne? comment parler d'un Apparaître, puisqu'il n'y a même pas d'œil?[…] Nous n'avons pour le moment que des mouvements, appelés images pour les distinguer de tout ce qu'ils ne sont pas encore. Pourtant, cette raison négative n'est pas suffisante. La raison positive est que le plan d'immanence est tout entier Lumière»[xxix]. Si les images, poursuit Deleuze, «n'apparaissent pas à quelqu'un, c'est-à-dire à un œil, c'est parce que la lumière n'est pas encore réfléchie ni arrêtée et, ‘se propageant toujours, [n'est] jamais révélée'. En d'autres termes, l'œil est dans les choses, dans les images lumineuses en elles-mêmes»[xxx]. Deleuze a parfaitement saisi la nature non transcendante de cette lumière, dans une opposition avec le platonisme latent propre à toute l'histoire de la philosophie aussi bien qu'avec la phénoménologie:

«Il y là une rupture avec toute la tradition philosophique, qui mettait plutôt la lumière du côté de l'esprit, et faisait de la conscience un faisceau lumineux qui tirait les choses de leur obscurité native. La phénoménologie participait encore pleinement de cette tradition antique; simplement, au lieu de faire de la lumière une lumière d'intérieur, elle l'ouvrait sur l'extérieur, un peu comme si l'intentionnalité de la conscience était le rayon d'une lampe électrique («toute conscience est conscience de quelque chose»). Pour Bergson, c'est tout le contraire. Ce sont les choses qui sont lumineuses par elles-mêmes, sans rien qui les éclaire: toute conscience est quelque chose, elle se confond avec la chose, c'est-à-dire avec l'image de lumière. Mais il s'agit d'une conscience en droit, partout diffuse et qui ne se révèle pas. […] Ce n'est pas la conscience qui est lumière, c'est l'ensemble des images, ou la lumière, qui est conscience, immanente à la matière»[xxxi].

Une lumière non révélée. Cette lumière n'est pas plus théologique qu'elle n'est physique: ni lumière divine, ni lumière naturelle conçue comme élément. Le concept est proprement paradoxal, puisqu'il faut bien la lumière du phénomène mais il ne faut pas que cette lumière précède le phénomène; penser une lumière qui ne soit plus une condition (de visibilité physique aussi bien que d'intelligence métaphysique) mais une Expression: lumière de l'apparence et non lumière dans laquelle les apparences auraient lieu.

L'invocation de tous les phénomènes de bioluminescence ne saurait être un contre-argument. Ce phénomène fascinant, extrêmement courant chez les êtres des grands fonds – poissons, méduses, poulpes… –, semblerait précisément contrevenir à la perception de droit qu'implique toute apparence inadressée, et au-delà à toute lumière non révélée puisqu'il paraît réintroduire de la lumière comme condition d'une apparence visible. Il appert pourtant que la bioluminescence ne sert en rien l'apparaître des formes vivantes. Les êtres des profondeurs passent le plus clair de leur temps dans l'obscurité totale, et ce n'est le plus souvent que par une stimulation externe qu'ils s'illuminent. Cette stimulation correspond à des fonctions tout à fait déterminées: l'attraction de proie, la protection contre des prédateurs, l'éclairage enfin. Mais jamais la bioluminescence ne sert l'apparence comme condition de perception d'un individu[xxxii].

*

Un tel plan expressif de lumière n'a plus aucun substrat. Le risque déjà dénoncé plus haut serait de croire à un substrat organique des apparences expressives; ce qui ne signifie pas pour autant que ce plan expressif est davantage physique, puisque sa lumière ne relève pas d'une condition naturelle de visibilité, mais sans rien avoir d'unelumière transcendante. Autant dire qu'il ne sert à rien de vouloir expliquer positivement les apparences par leur inscription sur une strate supposée plus profonde – comme si leur inscription consciente s'expliquait par leur inscription organique qui elle-même s'expliquait en dynamismes physico-chimiques – si l'on ne cherche pas à les impliquer dans toute l'épaisseur de la stratification cosmique. Le plan expressif est toujours une coupe transversale dans cette stratification et sa classique différenciation en couches physico-chimique (la matière), organique (le vivant) et psychique (le symbolique). Tel est bien le cadeau inouï que nous fait Portmann avec le concept d'apparence inadressée, un cadeau qui est tout autant une exigence proprement philosophique: la possibilité de renaturer les phénomènes expressifs, de rendre à la nature leur puissance expressive, à condition, bien entendu, que cette «nature» ne s'entende plus au sens moderne, post-kantien, d'une réductibilité à l'organique et au physico-chimique, sans pour autant retomber dans les affres d'une philosophie naturelle méconnaissant toute science positive, ou pire, dans l'illusion d'une transcendance qui viendrait l'habiter[xxxiii].

Bertrand Prévost

Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3 - EHESS



[i] L. B. Alberti, La peinture (De pictura), II, 40, trad. T. Golsenne et B. Prévost, revue par Y. Hersant, Paris, Le Seuil, 2004, p. 141: «La représentation que tu pourras légitiment louer et admirer sera celle que ses attraits rendront si agréable et si ornée qu'elle pourra retenir un peu plus d'un instant les yeux d'un spectateur (spectatoris) savant ou ignorant, par un certain plaisir et un mouvement de l'âme».

[ii] Allusion à la complexe construction albertienne de la scène perspective à l'aide d'un dessin auxiliaire. Cf. La peinture, I, 20, op. cit., p. 89.

[iii] Georges Didi-Huberman a magistralement développé tous ces points dans ses études sur l'image chrétienne, regroupées notamment dans L'image ouverte. Motifs de l'incarnation, Paris, Gallimard, 2007 et dans Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Minuit, 1992 (pour un développement sécularisé de cette idée).

[iv] Voir P. Veyne, «Propagande, expression, roi, image idole oracle» in id., La société Romaine, Paris, Le Seuil, 1991, et id. «Buts de l'art, propagande et faste monarchique», in id. L'Empire gréco-romain, Paris, Le Seuil, 2005, p. 379-418. L'auteur cite très judicieusement (p. 395) une remarque des Questions de méthode en histoire de l'art d'Otto Pächt énonçant que «la communication et l'enseignement ne font pas partie des fonctions essentielles de l'œuvre d'art».

[v] Une telle mise au point ne pourra s'entendre sans une discussion critique avec les travaux de Jean-Marie Schaeffer, notamment dans Théorie des signaux coûteux, esthétique et art, Rimouski (Québec), Tangence Ed., 2009.

[vi] Né en 1897, mort en 1982, Portmann était professeur de zoologie à l'Université de Bâle.

[vii] Tel est le problème général posé par l'ouvrage majeur d'Adolf Portmann en matière de morphologie zoologique: Die Tiergestalt, Bâle, F. Reinhardt, 2e éd. 1960 (trad. fr. G. Remy, La forme animale, Paris, Payot, 1962).

[viii]

Id., «Selbstdarstellung als Motiv der lebendigen Formbildung», in Geist und Werk. Aus der Werkstatt unserer Autoren. Zum 75, Geburtstag von Dr. Daniel Brody, Rhein Verlag, Zurich, 1958 (« L'autoprésentation, motif de l'élaboration des formes vivantes », trad. J. Dewitte, Etudes phénoménologiques, n° 23-24, 1996, p. 161). Passage presque identique dans id., Die Tiergestalt, op. cit

La forme animale, trad. cit., p. 217. Voir également id., Neue Wege der Biologie, Munich, Piper, 1961 (trad. angl., New Paths in Biology, Harper and Row, New York, 1964, p. 154) : « Quand on parle d'apparences, on tient pour évident qu'il doit y avoir un spectateur à qui elles apparaissent. Ce n'est pas seulement une conséquence inévitable de notre langage mais encore de la condition humaine en général. On ne peut parler du monde, de la conscience, de réponses internes, ou d'apparences, sans devenir nous-mêmes et notre propre expérience la présupposition de toute proposition que nous faisons. Bref, nous ne pouvons imaginer des apparences qui s'excluent d'un œil voyant».

[ix]

Id., «Selbstdarstellung als Motiv der lebendigen Formbildung», art. cit. (trad. cit., p. 154). Voir également id., La vie des formes, (Préface), Paris, Bordas, 1968, p. 13: «pour autant que la sélection des formes et des motifs par l'œil, générateur d'images, joue un rôle primordial, il n'empêche que la phase initiale de la création des motifs a lieu avant toute possibilité de sélection visuelle!».

[x]

Id., «Selbstdarstellung als Motiv der lebendigen Formbildung», art. cit. (trad. cit., p. 154, nous soulignons).

[xi] H. Arendt, La vie de l'esprit, trad. L. Lotringer, Paris, Puf, 2005, p. 37

[xii] Voir le fameux Traité 30, «Sur la contemplation» (Ennéades, III, 8) de Plotin.

[xiii] Pour parler comme R. Chambon, qui a produit l'un des meilleurs commentaires de Ruyer. Voir R. Chambon, Le monde comme perception et réalité, Paris, Vrin, 1974, p. 33.

[xiv] R. Ruyer, Paradoxes de la conscience et limites de l'automatisme, Paris, Albin Michel, 1966, p. 15.

[xv] Id., La genèse des formes vivantes, Paris, Flammarion, 1958, p. 207.

[xvi]

Ibid., p. 208-209.

[xvii] Voir par exemple A. Portmann, Die Tiergestalt, op. cit. (trad. cit., p. 200-201).

[xviii] R. Ruyer, La genèse des formes vivantes, op. cit., p. 211.

[xix] Voir entre autres Eléments de psycho-biologie, Paris, Puf, 1946, p. 21-51 et passim.

[xx] Comme parle Raymond Ruyer à partir de son ouvrage: Néo-finalisme, Paris, Puf, 1952, p. 95-131.

[xxi] A. Portmann, «Selbstdarstellung als Motiv der lebendigen Formbildung», art. cit. («L'autoprésentation, motif de l'élaboration des formes vivantes», trad. cit., p. 157).

[xxii]

Ibid. (trad. cit., p. 164, nous soulignons).

[xxiii] «Elémentaire» au sens des quatre éléments: les poissons vivent dans l'eau, les oiseaux dans l'air, les mammifères sur terre, etc.

[xxiv]

Id., «Selbstdarstellung als Motiv der lebendigen Formbildung», art. cit. («L'autoprésentation, motif de l'élaboration des formes vivantes», trad. cit., p. 164).

[xxv] Pour rependre le très beau concept de Pierre Montebello à propos de Deleuze: voir son Deleuze, Paris, Vrin, 2009, p. 213-242: «Le paradoxe de l'apparaître en soi»). L'auteur tournait déjà autour de cette notion, mais sans la penser aussi distinctement dans Nature et subjectivité, Grenoble, Jérôme Millon, 2007.

[xxvi] On revendique un sens explicitement deleuzien du concept de transcendantal. Deleuze n'a cessé d'affirmer la réalité de ce champ transcendantal impersonnel.

[xxvii] A. Portmann, «Selbstdarstellung als Motiv der lebendigen Formbildung», art. cit. («L'autoprésentation, motif de l'élaboration des formes vivantes», trad. cit., p. 162). La conférence Eranos de Portmann de 1956 était tout entière consacrée à ce thème de la lumière. Voir Id., Aufbruch der Lebensforschung, Franckfort, Suhrkamp Verlag, 1965 (trad. it., Le forme viventi, Milan, Adelphi, 1969, p. 45-73).

[xxviii] Tel est, du point de vue de l'histoire de la philosophie, le parcours que reprend P. Montebello, dans Deleuze, op. cit, p. 220-232.

[xxix] G. Deleuze, Cinéma I. L'image-mouvement, Paris, Minuit, 1983, p. 88.

[xxx]

Ibid., p. 89, citant Bergson, Matière et mémoire, Paris, Puf-Ed. du Centenaire, 1959, p. 186.

[xxxi] G. Deleuze, Cinéma 1, op. cit., p. 89-90.

[xxxii] Voir par exemple Anne-Marie Bautz, «La bioluminescence chez les animaux», Bulletin de l'Académie Lorraine des Sciences 2005, 44 (1-4).

[xxxiii] Dans un livre récent, La manifestation de soi. Eléments d'une critique philosophique de l'utilitarisme, Paris, La Découverte, 2010, Jacques Dewitte se sert de la pensée portmanienne (dont il est un des rares spécialistes, sinon le seul) pour jeter quelques hypothèses en faveur d'une esthétique générale voire d'une théorie de la culture (au travers, notamment, des questions de la guerre, de l'ornement, de l'œuvre architecturale – tirant parti, au passage, du dossier des œuvres conçues «ad majorem Dei gloriam»…). Mais il nous semble que le point de vue économique et pragmatique qui donne forme au questionnement, sous l'alternative coût/gratuité, utilité/inutilité ne permet pas de bien poser le problème, puisqu'il en rate la dimension proprement métaphysique – mais une métaphysique à entendre comme philosophie naturelle (méta-physique, précisément). Les choses se compliquent davantage encore quand il appert que le point de vue économique dépend lui-même d'un horizon phénoménologique (tout à fait revendiqué par l'auteur, au demeurant), et qui trouve tout son sens dans l'idée d'une gratuité originaire, d'un don ontologiquement premier, dans l'esprit bien phénoménologique d'un Es gibt. Le problème est que c'est cela même qui doit être expliqué, et qui n'a en soi aucune valeur explicative.



Bertrand Prévost

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Dernière mise à jour de cette page le 28 Octobre 2010 à 16h50.