Atelier

Le jeu de l'île déserte:

histoire et mémoire, lecture et relecture

Christophe Pradeau

Université de Paris 13


Le jeu de l'île déserte invite à renfrogner la littérature aux dimensions d'une bibliothèque de voyage. Condamné à passer le restant de vos jours sur une île déserte, quels sont les dix livres que vous souhaiteriez emporter? La formulation est soumise à variations: le nombre de livres accordé à l'exilé est plus ou moins grand, le choix orienté par des critères de genre, de période, de langue... Ces variations ne sont pas sans incidence sur la portée et les enjeux de l'exercice: la question n'a pas les mêmes implications selon qu'elle porte sur un livre, dix livres, vingt ou cent. Quoi qu'il en soit, il faut choisir. En raison même de son côté un peu rudimentaire, un peu «bête» dira Valery Larbaud[i], le jeu de l'île déserte a le mérite de manifester une fonction première de l'histoire littéraire : cette fonction canonique qui implique de faire le départ entre les oeuvres, peu nombreuses, forcément peu nombreuses, que l'on sauve et celles, innombrables, que l'on exclut du champ de l'attention. Se prêter au jeu de l'île déserte, c'est ressentir en soi quelque chose de l'âcreté, de l'odeur des grandes flambées de l'oubli.

Tout un chacun, bien sûr, peut y jouer : c'est un jeu de société dont la vogue ne s'est pas démentie depuis le début du xxe siècle, un jeu qui fait partie du répertoire de tests des magazines et, désormais, des forums de discussion sur l'Internet. Mon intention n'est pas de l'envisager dans la multiplicité de ses usages sociaux.Je me contenterai de montrer, à travers quelques exemples, en quoi il apparaît, chez certains écrivains, comme un recours, une arme que l'on fait jouer pour saper l'emprise des histoires littéraires universitaires ou scolaires. On le sait, la linéarité chronologique du récit historique, aussi attentif soit-il à la coexistence de temporalités multiples, s'accorde mal avec la plasticité dyschronique de la mémoire. Une histoire littéraire digne de ce nom se doit pourtant de composer avec la mémoire si elle ne veut pas méconnaître la nature de son objet puisque la littérature est bien, entre autres choses, cette «mémoire des oeuvres» dont parle Judith Schlanger[ii], le nom que l'on donne au processus qui donne une forme et une lisibilité à la masse des oeuvres, qui en fait une mémoire, un grand texte, avec ses hiérarchies, ses classements, ses scénarios paradigmatiques. La littérature est une mémoire, parce qu'elle est vivante, parce qu'elle s'accroît chaque jour, les oeuvres du passé nourrissant, préformant les oeuvres du présent, mais aussi parce que, selon un mouvement symétrique, les oeuvres nouvelles modifient les contours et les hiérarchies du lisible, certains livres glissant dans l'ombre tandis que d'autres se trouvent brutalement placés sous le plein soleil de l'attention. Tout cela est désormais bien connu: c'est l'un des acquis des théories de la réception et aucune histoire littéraire ne saurait s'écrire aujourd'hui sans prendre en considération la vie interne de la littérature. Il n'en demeure pas moins, en raison de leurs positions respectives, que les écrivains sont plus attentifs et accordent plus d'importance que ne le font les historiens de la littérature à l'action du présent sur la profondeur du déjà-écrit. Recourir au jeu de l'île déserte, c'est mettre au jour ce conflit entre histoire et mémoire qui sous-tend toute mise en intrigue des passés-présents de la littérature.

Histoire et Mémoire

En mai 1960, Julien Gracq a consacré une conférence, «Pourquoi la littérature respire mal», aux difficultés des historiens de la littérature à appréhender le présent. Gracq y insiste, il n'en a pas été toujours ainsi : «Pendant des siècles, et jusqu'à 1840 à peu près, les grands écrivains de chaque époque, et presque tous, ont été reconnus sur-le-champ. [...] depuis 1840, comme les manuels de physique, les manuels de littérature meurent jeunes, décimés dans leur fleur.»[iii] Cet embarras inédit à déterminer celles d'entre les oeuvres contemporaines susceptibles de traverser l'épreuve du temps, s'explique, selon Gracq, par la coexistence, tout aussi inédite, et qui caractérise le régime moderne de la littérature, entre une «littérature de créateurs» (ou de «rupture») et une «littérature de monnayeurs» (ou de «continuité»). Rimbaud, Lautréamont, Mallarmé, Jarry, Claudel, les écrivains surréalistes seraient des représentants de la «littérature de rupture», ignorés par les auteurs de manuel qui furent leurs contemporains; tandis que Flaubert, Anatole France, Barrès, Gide, Mauriac ou Montherlantrelèveraient de cette littérature «de continuité» qui trouve bien plus aisément et bien plus rapidement sa place dans les histoires littéraires. Le moment historique dans lequel nous sommes entrés, selon Gracq, dans les années 1830-1840, trouverait sa spécificité dans la cohabitation de ces deux littératures, qui sont toutes deux des littératures de qualité, la première ne déclassant pas la seconde comme les peintres impressionnistes avaient pu déclasser les peintres d'histoire ou comme, pour s'en tenir à la littérature, Hernani avait pu déclasser la tragédie classique. Cette coexistence, sans précédent dans l'histoire, de deux littératures, Gracq propose d'en voir la cause dans une distension du lien canonique, ce «terreau commun», «ce fonds de culture commune», de références partagées qui naît de la fréquentation des mêmes livres. Avec les grandes découvertes philologiques du xixe siècle, dont la principale conséquence est la multiplication exponentielle des livres disponibles, la coexistence vertigineuse dans nos bibliothèques de livres de toutes les époques et de toutes les cultures, la littérature devient polycentrique, faite d'attentions multiples, souvent inconciliables. Ce bouleversement des fondements mêmes de la mémoire lettrée, les récits de l'histoire littéraire des années 1950 n'en rendent pas encore compte, du moins si l'on s'en tient aux manuels et au tout venant des histoires universitaires: les articles d'Auerbach, pour ne citer que lui, témoignent, en effet, dès les premières années de l'après-guerre, et avec une très grande lucidité, d'un affaiblissement de la dynamique canonique, qu'il décrit comme la conséquence d'une diversification des lectures, désormais ouvertes à toutes les suggestions de la synchronie, et, dans le même temps, d'un appauvrissement de ces lectures, enfermées qu'elles sont désormais dans les strates superficielles de la profondeur historique[iv]. Quoi qu'il en soit, Gracq attribue sa prise de conscience tardive des mutations culturelles à l'illusion de continuité que véhiculeraient, selon lui, les manuels. Le texte mérite d'être cité un peu longuement:

Pour nous tous, qui sommes passés dans cette vieille maison [la conférence est prononcée à l'École normale supérieure], il nous faut faire effort pour nous en rendre compte. Nous vivons encore sur l'idée, entretenue par les programmes universitaires et par les sommaires des manuels, que notre culture pousse toujours sur cette racine, à la fois très longue et très étroite, qui plonge à travers trois mille ans de tradition gréco-romaine jusque dans l'époque homérique. Nous gardons cette idée en nous sans la vérifier; mais prenons garde qu'une rupture brutale est en train de se produire dans ces temps mêmes que nous traversons. Comme si l'esprit ne pouvait plus porter cette surcharge de trente siècles de littérature morte [...] l'iceberg se casse, et il se casse sous nos yeux, sans qu'on le remarque toujours bien clairement, tout près de la surface. Je me souviens d'en avoir pris conscience pour la première fois à la suite d'un petit jeu auquel nous nous livrions en 1940 dans un camp d'Allemagne: c'était le jeu de l'île déserte, qui consiste à désigner les vingt livres qu'on voudrait avoir dans un tel séjour entre les mains. L'île déserte, en fait de livres, nous y étions réellement, et cela donnait à notre choix un caractère plus autorisé. Ils étaient bien variés, ces choix, mais ce qui frappait, presque comme une règle, c'est qu'à part la Bible, les ouvrages désignés antérieurs à 1750 étaient presque une exception. Si nous regardons autour de nous d'un oeil non prévenu, nous verrons partout les traces de cette rupture en profondeur qui largue presque d'un coup vingt-cinq siècles de littérature. L'art de la citation latine a été pendant des siècles pour l'écrivain une seconde nature: un seul écrivain la pratique encore de nos jours, Montherlant, et cette pratique commence à paraître au lecteur saugrenue, comme de quelqu'un qui citerait du chinois[v].

Ce que le jeu de l'île déserte manifeste, dans l'exemple de Gracq, c'est le hiatus entre la littérature canonique et la littérature vivante, entre les oeuvres disponibles et celles qui trouvent à s'actualiser par la lecture, qu'elles soient répertoriées ou non par les histoires de la littérature, qu'elles y occupent une place marginale ou centrale. La question du choix, c'est une évidence, se fait d'autant plus pressante que la réponse est incertaine. Aussi ne se pose-t-elle que dans le cadre d'une société sécularisée. C'est l'affaiblissement de la dynamique canonique qui donne sa pertinence au jeu. Aussi bien est-ce une question de Modernes plutôt que d'Anciens. De fait, le jeu de l'île désertes'inscrit dans le cadre d'une République des Lettres non seulement sécularisée mais décentralisée, coexistence d'attentions concurrentes dessinant des paysages multiples et instables. Quand les classiques deviennent si nombreux qu'ils excèdent, et de très loin, le temps d'une vie, l'idée s'impose de faire la part du feu: des dramaturgies s'inventent qui imposent de choisir dans la masse des oeuvres les quelques-unes qui réchapperont de l'oubli. Il s'agit de lutter contre l'«affreux encombrement» des bibliothèques en expansion dont Gide se plaint de loin en loin dans son Journal, allant jusqu'à prétendre un jour qu'il «bénirai[t] l'incendie qui [l'en] délivrerait.»[vi] C'est ainsi que Queneau semble comprendre les enjeux de l'exercice, si l'on en croit du moins certaines réflexions de son journal, qui postulent, de façon rien moins qu'abrupte, la fonction régulatrice de l'oubli dans la transmission des textes:

Si toute la littérature ancienne - en sa totalité - grecque et romaine, avait survécu, on n'en lirait plus une seule ligne. Platon, Eschyle, Aristophane ne seraient pas plus lus que Thomas d'Aquin, Jean de Meung, Rutebeuf . Le fait est qu'ils le sont plus.

Si l'on avait brûlé 5 ou 600 000 m[anu]scrits fatras médiéval [sic] vers 1550, on lirait encore avec intérêt la Ch[anson] de Roland. On a tout conservé du M[oyen]-Â[ge] alors qui lit la Ch[anson] de R[oland] et le R[oman] de la R[ose], une dizaine de personnes dans toute la France[vii].

Le «Jeu de l'île déserte» exprime un réflexe de défense vis-à-vis de la profusion des livres, l'idée, comme l'écrit Tiphaine Samoyault, que la perte est aussi un «soulagement», un appel d'air, la liberté retrouvée d'une «nécessaire recomposition», une victoire de l'écrivain sur le philologue, de «l'homme sur l'idée de l'homme»[viii].

Un ouvrage récent témoigne de cette fonction du jeu de l'île déserte. Il s'agit du Bréviaire de littérature à l'usage des vivants que Pierre Bergounioux a fait paraître en 2004[ix]. Chaque mot du titre a son importance: il s'agit d'un «bréviaire de littérature» et non un «bréviaire de littérature française»; c'est pourtant de celle-ci dont il est question mais si l'ouvrage de Bergounioux est composé depuis la littérature française, il accorde une place importante aux figures de la littérature occidentale qui ont contribué à configurer la littérature écrite en français: Cervantès, Shakespeare, Faulkner, pour s'en tenir à ces quelques noms. Ce «bréviaire de littérature» est écrit «à l'usage des vivants»: l'expression dit bien l'ambition d'écrire une histoire littéraire en prise avec le présent, qui vous accompagne au quotidien, mobilisant tout ce qui de la littérature est vivant, pour nous, aujourd'hui. C'est en ce sens qu'il faut comprendre l'usage du mot bréviaire, que la quatrième de couverture décharge de son origine liturgique: «Bréviaire: n. m. du lat. breviarum, abrégé, de brevis, bref. Litt. Livre auquel on se réfère souvent et que l'on considère comme un guide.» L'ouvrage, en dépit de son caractère didactique, panorama de la littérature française des cinq derniers siècles, qui prend la forme traditionnelle d'un enchaînement de monographies et de morceaux choisis, présente ainsi tous les caractères d'une histoire littéraire idiosyncrasique. Le lecteur de Bergounioux n'a aucun mal à y reconnaître une mise en récit des propositions théoriques exposées dans La Cécité d'Homère ou dans Jusqu'à Faulkner[x]; une célébration des principales admirations de l'écrivain Bergounioux. Celles-ci sont bien connues de ses lecteurs: elles jouent leur rôle dans l'oeuvre romanesque, dans les récits, et ont été l'objet de plusieurs livres d'entretien qui mobilisent volontiers le jeu de l'île déserte[xi]. Le préambule expose de façon très nette le principe qui a présidé à la composition de ce Bréviaire:

Les textes retenus l'ont été pour leur universalité. Après avoir expliqué les mondes qui les engendrèrent, ils éclairent notre profondeur présente, c'est-à-dire le passé qui supporte et oriente le moment actuel, nos vies mêmes. Certains choix, certaines omissions, surtout, surprendront peut-être. C'est que [...] bien des manuels parlent moins de littérature que de la quiétude, de l'air tiède, légèrement confiné du bureau, du temps étale où on l'étudie. Les oeuvres majeures, c'est-à-dire durables, y voisinent avec des textes dont rien ne justifie la présence, à leurs côtés, sinon la neutralité affective, la posture scolaire du commentateur. Et alors, c'est la posture inséparablement révélatrice et libératrice de la littérature qui s'en trouve diminuée, ternie.[xii]

La radicalité des partis pris s'inscrit dans la logique d'une démarche militante. Bergounioux ne se dissimule pas les résistances que ses choix risquent de rencontrer chez le lecteur. Il s'agit de bousculer les scénarios des manuels scolaires, de façon à désorienter le regard et remettre en question les certitudes établies. Quelques exemples: si Alain-Fournier est présent, rien sur Gide, Roger Martin du Gard, Romain Rolland, François Mauriac ou Jules Romains; La Fontaine est relégué dans les marges, de même que Racine et Corneille, représentants d'une «littérature domestiquée»[xiii], tandis que Descartes, à l'inverse, est disputé à la philosophie pour être promu et placé au centre du canon.

Jouer avec les résistances du lecteur, l'«émoustiller un peu» en prenant des libertés avec le canon, comme il l'écrit à Schlumberger le 16 mars 1913, c'est l'ambition avouée de Gide, lorsqu'il publie dans la NRF du 1er avril 1913, «Les dix romans français que...», article dans lequel on peut voir, commodément, le lieu d'invention du jeu de l'île déserte[xiv]. Ce texte assez célèbre se présente comme la réponse à une enquête: «On est venu me demander, de la part d'un grand quotidien, d'indiquer les dix romans français que je préfère.»[xv] L'enquête est sans doute inventée par Gide pour les besoins de la cause mais, quoi qu'il en soit, la question du choix est dans l'air du temps. Ainsi Pierre Masson, dans son édition des Essais critiques de Gide, peut-il renvoyer, à titre d'exemple, à l'hebdomadaire Les Annales, qui adressa, en 1913, à une centaine de personnalités du monde littéraire et artistique, un questionnaire invitant à épouser l'état d'esprit de l'exilé : « S'il vous fallait vous contenter de cinq livres en quelque exil, lesquels emporteriez-vous comme inséparables amis?»[xvi] Dans les premières lignes de son article, Gide fait mine d'esquisser une espèce d'archéologie du jeu de l'île déserte: «Jules Lemaitre, je crois, avait mis à la mode ce petit jeu à quoi nous jouions, Pierre Loüys et moi, du temps que nous étions en rhétorique: Devant passer le restant de vos jours dans une île déserte, quels sont les vingt livres que vous souhaiteriez emporter?»[xvii] Si Gide invite à voir dans le chroniqueur littéraire du Temps l'inventeur du jeu de l'île déserte, celui du moins qui l'aurait mis à la mode, force est de constater, si l'on se reporte au texte, un «Billet du matin» de mai 1889, que Lemaitre n'inscrit pas la question du choix dans un cadre circonstancié: il est tout juste question, sans autre précision, d'indiquer «les vingt volumes que vous choisiriez si vous étiez obligé de passer le reste de votre vie avec une bibliothèque réduite à ce nombre de volumes.»[xviii] Aussi serais-je tenté d'attribuer à Gide l'invention du jeu, dans la mesure où c'est à partir de son article de 1913, et en référence à celui-ci, que la question du choix s'est durablement installée dans la vie littéraire.[xix]

Quelle que soit l'identité de l'inventeur, il est important, me semble-t-il, d'avoir à l'esprit que la question du choix trouve son décor d'île déserte dans les premières années du xxe siècle, à un moment où l'affaiblissement de la dynamique canonique commence à lui donner une acuité qu'elle n'avait pas avant. Il aura fallu pour qu'elle puisse être ainsi posée que le changement de configuration de la mémoire littéraire lui donne résonance et profondeur. Il y faut, bien sûr, toute la littérature romanesque issue du Robinson Crusoé de Defoe, que Gide cite d'ailleurs dans son article de 1913; mais l'importance des îles désertes dans le roman d'aventures n'est qu'un aspect du feuilleté mémoriel qui sous-tend la formulation: on peut penser à la bibliothèque et aux errances insulaires du docteur Faustroll, dont les aventures paraissent en 1911, deux ans avant l'article de Gide[xx]; mais aussi, bien sûr, à La Tempête de Shakespeare, dans laquelle la question du choix des livres que l'on emporte en exil revêt une importance toute particulière. D'une part, parce que ces quelques livres que Prospero a pu emporter avec lui, ces grimoires auxquels, de son propre aveu, il «attache plus de prix qu'à son duché», seront l'instrument magique de sa vengeance, d'autre part parce qu'ils sont la figure, sur le mode du merveilleux, des vertus mimétiques de la littérature, ce pouvoir qui est le sien de transformer l'ici et le maintenant en une fenêtre ouverte sur tous les temps et tous les lieux[xxi].

Il est également intéressant de remarquer que, du moment où la dramaturgie est fixée, selon un phénomène bien connu d'illusion rétrospective, toutes les occurrences antérieures de la question du choix sont considérées comme autant d'exemples du jeu nouvellement nommé. On se rappelle, peut-être, cette anecdote rapportée par Jacques Amyot dans l'«épître au lecteur» de sa traduction des Vies parallèles de Plutarque. À ses amis qui lui demandaient «quel autheur il choisiroit entre tous, s'il estoit reduit à ce poinct de n'en pouvoir retenir qu'un tout seul», lui «si fort affectionné à l'estude, qu'il en oublioit toute autre chose», Théodore Gaza aurait répondu «;qu'il esliroit Plutarque, pource que tout compris, il n'y en a pas un qui soit si profitable et si delectable ensemble à lire, que luy.»[xxii] De façon significative, dans son introduction à la nouvelle traduction des Vies parallèles récemment parue chez Gallimard, François Hartog reprend l'anecdote en y introduisant l'île déserte gidienne: «Chacun connaît le jeu Quel livre emporteriez-vous sur une île déserte?; Apparemment, on y jouait au xve siècle, puisque Théodore Gaza, "personnage grec d'érudition singulière" pour reprendre les paroles de Jacques Amyot, répondit qu'il "élirait Plutarque" [...]. Je doute qu'il vienne aujourd'hui à l'idée de quiconque de répondre à la même question: "Plutarque!" Notre ambition a donc été plus modeste: non pas un Plutarque pour une île déserte, mais réunir toutes les Vies en un seul volume, suffisamment autonome pour qu'on puisse les lire sans avoir toute une bibliothèque à portée de main.»[xxiii]

Lecture et Relecture

Le jeu que Gide réinvente en 1913 lui évoque des souvenirs d'adolescence, du temps où il y jouait, pendant son année de rhétorique, en compagnie de Pierre Louÿs. Les exemples sont nombreux dans la littérature de la première moitié du siècle qui font du jeu de l'île déserte un rituel des amitiés juvéniles: de Jallez à Jerphanion, dans Les Hommes de bonne volonté[xxiv], à Valery Larbaud évoquant, à la première page de «Le gouverneur de Kerguelen», «la cour des récréations du Lycée Henry-IV et la Tour Clovis à l'ombre de laquelle nous avons grandi» [xxv]. Consultant, du moins le prétend-il, des listes jaunies, conservées comme un témoignage de ses engouements de jeune homme, Gide vérifie ce qu'il soupçonnait: aucun romancier parmi les noms cités. Les explications proposées pour rendre compte de cette apparente anomalie sont d'ordre historique: le roman, s'il appelle à lui désormais toute l'attention du public, est un genre tard venu, qui tient peu de place dans la littérature et particulièrement dans la littérature française, qui vaut surtout par ses moralistes. Aussi bien les termes de la question, qui lui demande de désigner «dix romans français», lui semblent-ils particulièrement malheureux: le roman n'est pas le genre auquel va sa préférence et, quitte à choisir des romans il aurait préféré avoir la latitude de choisir des romans anglais ou russes. Les Français n'ont pas davantage la tête romanesque qu'ils n'ont eu, jadis, la tête épique: ce que Gide préfère chez Stendhal et Flaubert, ce sont les écrits intimes. Et de conclure que s'il avait à choisir dix romans sans contrainte d'origine, il n'y aurait de français que La Chartreuse de Parme et Les Liaisons dangereuses. Il y a bien Balzac mais «comment ne préférer qu'un roman de Balzac»? «La Comédie humaine forme un tout; c'est l'admirer mal que de n'en admirer qu'un morceau. » Il faut «avoir lu Balzac, tout Balzac» quitte à passer outre le «fatras» qui embarrasse ici ou là la lecture. Seulement voilà, comment penser emporter les vingt volumes de la Comédie humaine sur une île déserte ? Et comment trouver le courage d'isoler un roman de l'ensemble où il se trouve enveloppé ? Gide, en désespoir de cause, soucieux malgré tout de se plier à la règle du jeu, finit par opter pour La Cousine Bette[xxvi].

Il faut voir dans ce texte de 1913 une manière de «Victor Hugo, hélas!» étendu à la dimension d'un article. Il participe, en effet, d'une logique du choix par défaut qui est bien dans l'esprit de l'auteur des Faux-monnayeurs: voici donc, si vous y tenez, dix titres - neuf seulement si l'on fait le compte d'ailleurs, inadvertance qui n'est pas sans malice - mais notez bien qu'aucun roman ne s'impose auquel l'on confierait tout un avenir de lecture et a fortiori aucun roman français («À défaut de Moll Flanders, indiquerai-je à présent Manon Lescaut[xxvii]). Balzac manifeste de façon hyperbolique la logique qui préside au mouvement de l'article. Si pour Flaubert ou pour Zola un titre s'impose aussitôt- Madame

Bovary et Germinal - autour duquel l'oeuvre entier s'enroule comme le village se resserre autour de son église, l'oeuvre de Balzac excède l'idée même de choix. L'effet d'ensemble de La Comédie humaine est si puissant qu'il empêche que l'on en extraie une «scène» (alors que Germinal se détache comme un fruit mûr des Rougon‑Macquart). Aussi le roman balzacien apparaît-il comme la négation même du portatif et c'est comme en écho à Gide que Tiphaine Samoyault a pu souligner «la difficulté qu'il y aurait à l'emporter sur une île déserte, à se le réserver, à le tenir dans les mains. »[xxviii] En résumé, Gide recourt au jeu de l'île déserte pour qualifier, à la façon oblique qui est la sienne, une manière d'infirmité du roman français, si ce n'est du genre romanesque tout entier, l'incapacité dans laquelle il serait d'affronter l'épreuve du temps. Pour le dire autrement, Gide met en doute la légitimité du roman à participer d'une logique canonique.

L'enquête «Pour une bibliothèque idéale», diligentée par Raymond Queneau pour le compte de l'«Encyclopédie de la Pléiade», et présentée par lui comme une «extension» du «Jeu de l'île déserte», propose une interprétation résolument normative de l'exercice qui doit servir, selon lui, à un examen et à une révision des canons institués[xxix]. Le questionnaire convie à faire «la liste des cent ouvrages qui formeraient la bibliothèque idéale», «celle, par exemple, qu'on aimerait trouver sur une île déserte». Caillois, dans sa réponse à l'enquête, s'oppose à cette interprétation d'un jeu dans lequel il voit, quant à lui, une invitation à «laisser parlerle plaisir personnel et mille accidents de la vie» car, écrit-il à Queneau, «ce sont bien des accidents qui font chérir un livre plutôt qu'un autre», qui «le rendent presque indispensable pour des raisons qui ne dépendent nullement de sa valeur». Si l'on souscrit volontiers à la critique formulée par Caillois, qui stigmatise l'aveuglement de celui qui prend le cercle de ses lectures pour la littérature universelle, il semble toutefois que son interprétation respecte moins l'esprit du jeu que ne le fait celle de Queneau. Le cadre insulaire oriente le choix, en le solennisant, vers ceux d'entre nos livres de chevet qui méritent le qualificatif de classiques. La question incite, en effet, à ne retenir d'autres ouvrages que ceux dont la valeur est telle qu'ils pourraient nourrir toute une vie de solitude. Aussi doivent-ils être des bréviaires, pour reprendre le mot de Bergounioux, des livres auxquels l'on revient toujours, qui peuvent tenir lieu de tout, deslivres, en somme, susceptibles de pallier l'absence de tous les autres. De fait, le jeu s'adresse moins à des lecteurs qu'à des relecteurs. L'attitude qui consisterait à choisir moins des livres que l'on a lus que des livres qui vous restent à lire, ne permettrait d'échapper qu'un temps à cette logique de relecture que l'île déserte implique. Le jeu se révèle ainsi très défavorable au genre romanesque. Le roman, comme l'article de Gide le suggère, n'offrirait pas une nourriture spirituelle assez consistante pour qu'on lui confie tout un avenir de lectures. De fait, si, comme le veut certaine idée commune, un roman ne se relit pas, alors il apparaît tout à fait déraisonnable d'en emporter un sur une île déserte. Ainsi de Caillois: «Je n'en ai presque pas conservés de ceux que j'ai lus, simplement parce que je ne ressens pas trop le désir de les relire.»

Il est des circonstances dans une vie qui font que le Jeu de l'île déserte cesse de vous apparaître comme une hypothèse artificielle, une fiction improbable pour s'imposer à vous avec l'intensité onirique des catastrophes. Toute une génération se sera prêtée à la question du choix qui voit le jeu devenir réalité un certain 2 août 1914. C'est du moins ce que suggère le témoignage d'Albert Thibaudet dans La Campagne avec Thucydide. À l'instant de la mobilisation générale, à celui qui vit dans les livres la question se pose, impérieuse, quelque angoisse que l'on éprouve par ailleurs, pour soi, pour ses proches, de celui que l'on emportera dans son bagage. Il ne devra pas être trop lourd pour ne pas embarrasser la marche et pourtant donner l'assurance de l'inépuisable. Le choix serait trop douloureux qui s'en tiendrait à un seul. C'est un triptyque savamment composé, équilibrant les langues, les genres et les siècles, que Thibaudet emporte avec lui - un Thucydide, où puiser «l'eau de l'histoire», un Virgile où puiser «l'eau de la poésie» et un Montaigne où puiser «l'eau de la vie»:

les trois formes, Naïades, Nymphes ou Parques, française, latine et grecque, s'enchaînaient comme un choeur parfait autour de mon sac, et une sibylle ingénieuse m'enseignait que, reste et témoin de milliers d'autres, cette bibliothèque de trois livres était strictement d'un prix plus haut que les six et les neuf, les dix et les cent, les mille et les dix mille, aujourd'hui lointains, inexistants, brûlés.[xxx]

Le roman, on le voit, n'est pas représenté, ou alors, indirectement, en puissance, à la façon dont Thibaudet discerne «des lignes de roman en puissance, des liaisons avec le roman, des disponibilités de roman, [...] des parcelles de roman en suspension dans ce monologue, dans cet éternel Je» de Montaigne[xxxi]; il échoue à accéder de plein droit au temps recommençant des relectures. Dans La Campagne avec Thucydide, Thibaudet décrit les longs ennuis qui caractérisent, selon lui, le temps de la guerre, «vie par explosions brusques», faite de «grands efforts locaux et momentanés» suivis de longues périodes d'inactivité[xxxii]; ces longues périodes de vacance, Thibaudet les occupe à lire et à écrire, dans la marge de ses livres ou sur des feuilles auxquelles il donne «la figure extérieure de lettres», afin de donner le change à des compagnons d'infortune peu susceptibles de sympathie envers les préoccupations littéraires: «lettres à Montaigne ou à Thucydide» donc, «correspondances entre un front de guerre et un arrière de paix, entre l'aujourd'hui et l'hier, entre le moment et la chose de toujours» [xxxiii]. De fait, La Campagne avec Thucydide aurait été écrite, dans sa majeure partie, pendant l'hiver de 1917, alors que Thibaudet avait la garde d'un camp militaire provisoirement déserté dans le pays de Morcourt. Il resta là deux mois, «dans une solitude complète», si complète qu'il se compare à Robinsonsur son île ou à Descartes dans son poêle[xxxiv]. C'est le souvenir de cette expérience de naufragé, loin des villes, des bibliothèques, loin de cette «plénitude coutumière de vie continuée» qu'on appelle le quotidien[xxxv], le souvenir aussi du poids que pesaient les quatre volumes de son Montaigne qui déterminèrent Thibaudet à se faire le maître d'oeuvre d'une «édition-bréviaire» des Essais, qu'il publia en 1933, dans la «Bibliothèque de la Pléiade», collection créée, moins de deux ans auparavant, comme en réponse aux angoisses qui se font jour dans le jeu de l'île déserte: rêve de livres inépuisables, à double, triple fonds, dans lesquels s'enroulent comme magiquement les grandes oeuvres cornucopiennes dont serait enfin corrigé ce grand défaut qu'elles ont d'être intransportables.[xxxvi]

La réponse de Georges Dumézil à l'enquête de Queneau suggère que le jeu de l'île déserte entretisse les rêveries de l'enfant (Robinson) et les cauchemars de l'adulte (le havresac des mobilisations générales). L'«étrange question de la Pléiade», source d'«insomnies diurnes», ravive, en effet, chez Dumézil le souvenir de pratiques oubliées, d'un temps où il jouait à savoir quel livre il aurait sauvé des flammes lors du sac d'Alexandrie. Les mêmes fantasmagories alexandrines s'imposent à Ernst Jünger, dans son Second Journal parisien, en cette année 1943 où il n'est pas une semaine sans qu'il n'apprenne la destruction d'une bibliothèque. Tout en se promenant dans les rues de Paris, hanté par les visions dantesques de bombes au phosphore tombant sur Hanovre, Jünger joue au jeu de l'île déserte : s'il ne devait emporter que deux livres ce serait la

Bible et Les Mille et Une Nuits, «deux oeuvres de l'Orient »[xxxvii]. Deux oeuvres, ajouterions-nous, qui sont des livres de livres, quelque chose comme des littératures en raccourci, et, à ce titre, inépuisables: des livres qui prodiguent l'espace et le temps. Telle est précisément l'ambition de La Comédie humaine et il n'est pas indifférent que Les Mille et Une Nuits soient l'un des modèles que se reconnaît Balzac. Lorsque Félix Davin introduit les «Études philosophiques» il a une formule restée célèbre: un jour viendra où les romans et nouvelles de Balzac se réuniront pour former «un speculum mundi», rien moins que «Les Mille et Une Nuits de l'Occident»[xxxviii]. Aussi bien ce sera «l'une des plus immenses entreprises qu'un seul homme ait osé concevoir». Quelques années plus tard, dans la préface d'Une Fille d'Ève Balzac réaffirme sa volonté de concurrencer cette «oeuvre de tout un monde» que sont Les Contes arabes[xxxix]. Mais nulle part cette ambition n'est dite aussi explicitement que dans l'une des toutes premières lettres à Mme

Hanska, dans laquelle Balzac se dédouane auprès de l'Étrangère de certain reproche d'immoralité au nom de la visée totalisante de son oeuvre : «Ayant entrepris, témérairement sans doute de représenter l'ensemble de la littérature par l'ensemble de mes oeuvres; voulant construire un monument, durable plus par la masse et par l'amas des matériaux que par la beauté de l'édifice, je suis obligé de tout aborder pour ne pas être accusé d'impuissance.»[xl] C'est une intention de cette sorte que Northrop Frye entend nommer lorsqu'il forge l'expression de One Man Bible[xli], formule qui lui vient à propos de l'oeuvre de Platon, dont certains aspects lui font penser à «un effort gigantesque de composition », emboîtement de livres autonomes qui transforme des livres épars en un monument qui n'est pas sans présenter certaines ressemblances avec ceux, anonymes, que l'on attribue à la tradition. «Plus que l'oeuvre d'un seul homme, Ulysse semble être celle de nombreuses générations», dira Borges du maître roman de Joyce[xlii].

La Comédie humaine veut une fréquentation assidue qui est celle que l'on accorde aux grands textes fondateurs. C'est un livre susceptible d'être relu indéfiniment, qui corrigerait ainsi le principal défaut du genre romanesque qui serait de ne pouvoir souffrir une seconde lecture. «D'ailleurs, comme l'écrit Balzac dans la préface à Une Fille d'Ève,

pourquoi l'auteur n'avouerait-il pas sa prétention de faire une oeuvre digne d'être relue et qui offre de tels attraits à ceux qui voudront la pénétrer, que cette seconde lecture devienne pour lui l'occasion d'une victoire remportée sur l'indifférence de son époque en matière de haute et grave littérature?»[xliii]

La Comédie humaine aurait, de l'aveu même de Balzac, «un vice capital», qui serait de présenter «le milieu d'une vie avant son commencement, le commencement après sa fin, l'histoire de la mort avant celle de la naissance»[xliv]. Que l'ordre chronologique soit bouleversé fait de La Comédie humaine «un immense labyrinthe», où l'on se perd, qu'il faudrait baliser d'articles biographiques réunis en un dictionnaire des personnages, à l'image de cette notice sur Rastignac que Balzac rédige à titre d'exemple, mi-plaisamment, mi-sérieusement. Seul un tel désordre rend possible la représentation d'«un présent qui marche», ce xixe siècle que Balzac s'est donné pour «modèle» et qui se révèle «extrêmement remuant et difficile à faire tenir en place». C'est ce désordre fondamental de la mimèsis balzacienne qui oblige le lecteur de Balzac à se faire relecteur, qui fait de La Comédie humaine une oeuvre invitant à une fréquentation perpétuelle. Il en résulte que faire un choix, réduire La Comédie humaine à l'un quelconque de ses «fragments»[xlv], fût-il un chef-d'oeuvre, c'est refuser la prétention de Balzac à écrire une oeuvre qui échappe au sort commun. Si La Comédie humaine peut défier l'oubli, c'est précisément parce qu'elle fait masse et que, ce faisant, elle exige de ses lecteurs une imprégnation mémorielle qui est celle que l'on réserve aux livres que l'on emporte avec soi sur les îles désertes, ces oeuvres qui sont des bibles, ou, si l'on préfère, d'un mot que Barthes affectionnait, des mathesis universalis[xlvi]. Aussi bien, dans une telle perspective, la question de la longueur, qui semblait un obstacle irréductible à l'ambition de Balzac, devient-elle, au prix d'un complet renversement de perspective, une qualité nécessaire. De fait, deux destins apparaissent envisageables pour une oeuvre comme La Comédie humaine: devenir une bible ou l'un de ces monuments infréquentés qui gisent dans les limbes de l'histoire littéraire, quelque chose comme L'Astrée ou Le Grand Cyrus. Il n'est pas de moyen terme pour des entreprises qui veulent autant de temps pour être lues: soit elles disparaissent dans l'oubli, soit elles prennent place au centre du canon. Proust en est conscient qui, dans les dernières pages du Temps retrouvé, prête au narrateur la réflexion suivante, alors que viennent de paraître les premières esquisses de l'oeuvre, qui n'ont rencontré partout qu'indifférence ou incompréhension : «Je ne savais pas si [mon livre] serait une église où des fidèles sauraient peu à peu apprendre des vérités et découvrir des harmonies, le grand plan d'ensemble, ou si cela resterait - comme un monument druidique au sommet d'une île - quelque chose d'infréquenté à jamais.»[xlvii] À l'église, lieu de communion des fidèles, qui exprime l'ambition fédératrice de l'oeuvre, s'oppose le mégalithe insulaire, vestige indéchiffrable d'une foi morte. C'est avec l'île de Robinson pour horizon que le roman affronte l'épreuve du temps, qu'il se découvre une ambition canonique, qu'il s'invente des relecteurs, se fait une place dans les scénarios de l'histoire littéraire et dans la mémoire des oeuvres[xlviii].



[i] V. Larbaud, «Le gouverneur de Kerguelen» (NRF, 1er mai 1933), in Aux couleurs de Rome (1938), in Oeuvres, éd. G. Jean-Aubry et R. Mallet, Paris, Gallimard, coll. «Bibl. de la Pléiade», 1958, p. 1056.

[ii] J. Schlanger, La Mémoire des oeuvres, Paris, Nathan, coll. «Le texte à l'oeuvre», 1992.

[iii] J. Gracq, « Pourquoi la littérature respire mal» (1960) , in Préférences (1961), in Oeuvres complètes, éd. B. Boie, Paris, Gallimard, coll. «Bibl. de la Pléiade», 1989, t. I, p. 858.

[iv] E. Auerbach, «Philologie de la littérature mondiale» (1952), trad. de l'allemand par D. Meur, in Où est la littérature mondiale? (dir. C. Pradeau et T. Samoyault), Saint-Denis, P. U. de Vincennes, coll. «Essais et Savoirs», 2005, pp. 26-37.

[v] J. Gracq, « Pourquoi la littérature respire mal», art. cit., pp. 865-866.

[vi] «L'exquise Marie-Thérèse m'aide à mettre quelque ordre dans ma bibliothèque. Que de livres dont je ne me sers et ne me servirai jamais! Je bénirais l'incendie qui me délivrerait de leur affreux encombrement. / Il est bien peu de choses, vraiment, à quoi je tiens. Seulement je ne sais comment décemment m'en défaire; et c'est parfois simplement pour les quitter que je pars en voyage» (A. Gide, Journal, 23 décembre 1931).

[vii] R. Queneau, Journaux. 1914-1965, éd. A. I. Queneau, Paris, Gallimard, 1996, p. 574. Voir une amorce de «liste d'île déserte» p. 727.

[viii] T. Samoyault, «Dans la bibliothèque en ruines», La Mémoire en ruines. Le modèle archéologique dans l'imaginaire moderne et contemporain, V.-A. Deshoulières et P. Vacher (éd.), Clermont-Ferrand, P.U. Blaise Pascal, 2000, pp. 228-229.

[ix] P. Bergounioux, Bréviaire de littérature à l'usage des vivants, Rosny-sous-Bois, Éd. Bréal, 2004.

[x] P. Bergounioux, La Cécité d'Homère. Cinq leçons de poétique rédigées pour être lues à la Villa Gillet durant l'automne 1994, Strasbourg, Circé, 1995; Jusqu'à Faulkner, Paris, Gallimard, coll. «L'un et l'autre», 2002.

[xi] Voir notamment Pierre et Gabriel Bergounioux, Pierre Bergounioux, l'héritage, Paris, Les Flohic éditeurs, coll. «Les singuliers», 2002.

[xii] P. Bergounioux, Bréviaire de littérature à l'usage des vivants, op. cit., pp. 10-11.

[xiii]

Ibid., p. 95.

[xiv] A. Gide, «Les dix romans français que...», in Essais critiques, éd. P. Masson, Paris, Gallimard, coll. «Bibl. de la Pléiade», 1999, pp. 268-273. La lettre de Gide à Schlumberger est citée dans la notice de Masson (ibid., p. 1056).

[xv]

Ibid., p. 268.

[xvi]

Ibid., p. 1057.

[xvii]

Ibid., p. 268.

[xviii] «Billet du matin» (Revue bleue, 30 mai 1889), Les Contemporains, 5e série, Paris, Société française d'imprimerie et de librairie, 1895, pp. 191-193.

[xix] Les entreprises qui investissent la forme du jeu de l'île déserte ne manquent jamais de se référer à Gide. Voir, par exemple, V. Larbaud, «Le Gouverneur de Kerguelen», art. cit., p. 1053; A. Jaubert, «La bibliothèque comme un monde», postface à La Bibliothèque idéale, P. Boncenne (dir.), Paris, Albin Michel-La Pochothèque, 1992, p. 909. Il est à noter que le jeu de l'île désertecontinue à inspirer de nombreuses entreprises éditoriales. Citons, parmi bien d'autres, Les Romans et les jours, Cadeilhan, Zulma, 1999; Bibliothèques idéales, Cognac, Lettres sur cour & Le Temps qu'il fait, 2002.

[xx] A. Jarry, Gestes et Opinions du docteur Faustroll, pataphysicien. Roman néo-scientifique, Paris, Fasquelle, 1911. Des fragments de l'ouvrage avaient paru dans Le Mercure de France (mai 1898) et dans La Plume (15 novembre 1900).

[xxi]

La Tempête, I, 2, v. 159-168.

[xxii] «Aux lecteurs», in Plutarque, Vies parallèles, éd. J. Massin, Paris, Club français du livre, «Les Portiques», 1967, épître liminaire non paginée.

[xxiii] F. Hartog, «Avertissement», in Plutarque, Vies parallèles, trad. A.-M. Ozanam, Paris, Gallimard, coll. «Quarto», p. 7.

[xxiv] J. Romains, Recherche d'une Église, in Les Hommes de bonne volonté, éd. O. Rony, Paris, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1988, t. I, pp. 1100-1102. Le «Jeu des préférences», cousin germain du «Jeu de l'île déserte» et du «Questionnaire de Proust», deviendra l'un des signes de reconnaissance des deux amis. Il y est fait allusion, à ce titre, dans les volumes ultérieurs du cycle. Voir Recours à l'abîme, op. cit., t.

II, p. 605 et Comparutions, op. cit., t. IV, p. 467. Sur les questionnaires de personnalité à la Belle Époque voir F. Touttavoult, Confessions. Marx, Engels, Proust, Mallarmé, Cézanne, Paris, Belin, 1988.

[xxv] V. Larbaud, «Le Gouverneur de Kerguelen», art. cit., p. 1053.

[xxvi] A. Gide, «Les dix romans français que...», art. cit., p. 272.

[xxvii]

Ibid.

[xxviii] T. Samoyault, Excès du roman, Paris, Maurice Nadeau, 1999, p. 21.

[xxix]

Pour une bibliothèque idéale, enquête présentée par R. Queneau, Paris, Gallimard, 1956, p. 80.

[xxx]A. Thibaudet, La Campagne avec Thucydide, in Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, trad. J. de Romilly, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1990, p. 7.

[xxxi] A. Thibaudet, «Le roman de Montaigne», La Revue Universelle, LX, 15 mars 1935, p. 663.

[xxxii]

La Campagne avec Thucydide, op. cit., p. 74.

[xxxiii]

Ibid., p. 7.

[xxxiv]

Ibid., p. 3.

[xxxv]

Ibid., p. 74.

[xxxvi] «Cette édition est la première édition de poche des Essais en un volume. On a appelé plusieurs centaines de fois les Essais un bréviaire. S'ils ont en effet l'âme d'un bréviaire, il restait à leur en donner le corps. " Et nobiscum rusticantur " pourra désormais, avec Cicéron, dire d'eux le promeneur.» (Montaigne, Essais, éd. avec trad. des citations par A. Thibaudet, Paris, Gallimard, «Bibl. de la Pléiade», 1933, p. 1). Voir A. Kaplan et P. Roussin, «A Changing Idea of Literature: the Bibliothèque de la Pléiade», Yale French Studies, n° 89, 1996, pp. 237-262. C'est la vue d'un missel qui aurait donné à Jacques Schiffrin, à son arrivée à Paris, l'idée d'allier papier bible et format de poche. On cite encore, parmi les antécédents de la «Pléiade», ce qui confime qu'il faudrait y voir une laïcisation du bréviaire, ces anthologies spirituelles que les soldats britanniques lisaient dans les tranchées lors de la Première Guerr e mondiale. Sur le substrat théorique de la collection voir H. Godard, L'Autre face de la littérature. Essai sur André Malraux et la littérature, Paris, Gallimard, coll. «L'Infini», pp. 74-80.

[xxxvii] E. Jünger, Second Journal parisien, trad. F. de Towarnicki et H. Plard, Paris, Ch. Bourgois, 1980, p. 198.

[xxxviii] «Introduction par Félix Davin aux Études philosophiques», La Comédie humaine [désormais abrégée en CH], éd. P.-G. Castex, Paris, Gallimard, coll. «Bibl. de la Pléiade», 1979, t. X, p. 1217-1218.

[xxxix]

CH, t. II, p. 262.

[xl]

Lettres à Madame Hanska, éd. R. Pierrot, Paris, Robert Laffont, coll. «Bouquins», 1990, t. I, p. 11 (mai 1832).

[xli]

Le Grand Code. La Bible et la Littérature, trad. C. Malamoud, Paris, Éd. du Seuil, coll. «Poétique», 1984, p. 132.

[xlii] J. L. Borges, «Biographie synthétique. James Joyce.» (El Hogar, 5 février 1937), in Oeuvres complètes, éd. J. P. Bernès, Paris, Gallimard, coll. «Bibl. de la Pléiade», 1993, t. I, pp. 1038-1039.

[xliii] «Préface à Une Fille d'Ève», CH, t. II, p. 266.

[xliv]

Ibid., p. 264-265.

[xlv] «Dédicace du Cabinet des Antiques à M. le baron de Hammer-Purgstall», CH, t. IV, p. 965.

[xlvi]

Le Plaisir du texte, in Oeuvres complètes, nouvelle éd. É. Marty, Paris, Éd. du Seuil, 2002, t. IV, pp. 240-241.

[xlvii]

Le Temps retrouvé, in À la recherche du temps perdu, éd. J.-Y. Tadié, Paris, Gallimard, «Bibl. de la Pléiade», 1989, t. IV, p. 618.

[xlviii] Je suis revenu sur la question du jeu de l'île déserte dans «Le panier de cerises», un récit biographique consacré à Albert Thibaudet, publié dans le numéro 10 (automne 2006) de la revue électronique Chaoïd(http://chaoid.com ).



Christophe Pradeau

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Dernière mise à jour de cette page le 12 Octobre 2006 à 15h15.