Atelier



Posture d'auteur

Par Jérôme Meizoz, Université de Lausanne


Dossier Posture




Posture d'auteur


Une «posture» d'auteur renvoie au dispositif de présentation de soi en public. Du point de vue méthodologique, elle participe simultanément d'un fait linguistique et d'un fait institutionnel et se situe donc à l'interface entre un sujet et le cadrage institutionnel qui pèse sur ses pratiques. Une posture se présente inséparablement comme une conduite et un discours. C'est d'une part la présentation de soi, les conduites publiques en situation littéraire (prix, discours, banquets, entretiens en public, etc.). C'est, d'autre part, l'image de soi donnée dans et par le discours, ce que la rhétorique nomme l'ethos (image de l'énonciateur construite dans et par les textes et tout le monde de valeurs associées).


Une «posture» d'auteur met en scène, de manière singularisante, une «position» et une trajectoire dans le champ littéraire[1]. On peut alors observer comment une posture rejoue ou déjoue une position. L'image publique de l'auteur peut s'autonomiser de ses coordonnées civiles, comment en atteste le choix du pseudonyme (Céline, Cendrars, Ajar). Si fréquent dans tous les arts, le pseudonyme n'est pas seulement une précaution contre la censure, ou un appel à la curiosité publique, mais il marque une nouvelle identité sur la scène d'énonciation littéraire. Son élaboration est interactive: suscitée par l'auteur, elle se nourrit ensuite de tous les médiateurs de la vie littéraire qui dessinent une manière d'être auteur (critiques, lecteurs, journalistes, etc.)[2].



Posture et poétique.


Une posture s'articule à une esthétique littéraire: l'image de soi donnée par un auteur est à mettre en relation avec sa conception de l'écriture. La figure de l'orateur, sa manière de prendre la parole, les ressources rhétoriques, stylistiques ou génériques qu'il mobilise sont à penser d'un même tenant comme une façon d'imposer un ton inséparable des contenus discursifs. Prenons l'exemple du ton dénonciatoire de Céline dans ses pamphlets antisémites. Il se présente comme «seul contre tous», parrhéiaste courageux dans une société en décadence, unique détenteur d'une parole violente mais vraie: «Je vous le dis tel quel»[3]. L'ethos de Céline constitue le masque formel qui embraye sa position énonciative et la réfère à l'ensemble du discours social (reprises de formules de la presse fasciste, de tracts antisémites, etc).



Posture et mémoire littéraire.


Une posture se réalise à la cheville de l'individuel et du collectif: variation singulière sur une position, elle ne se rattache pas moins à un répertoire présent dans la mémoire des pratiques littéraires. Les écrivains sont socialisés à la pratique littéraire par référence à de grands ancêtres (récits fondateurs, biographies exemplaires) auxquels ils empruntent des croyances, des motifs, des formes et des postures. La mémoire incorporée du champ propose une série de postures qui ont fait face à de graves crises littéraires. Par exemple, la posture de l'écrivain-citoyen, qui en appelle au profane (le grand public) pour légitimer sa prise de position bien au-delà du milieu littéraire, comprend un certain nombre de traits récurrents de Voltaire (L'Affaire Calas, 1762) à Zola («J'accuse», 1898) puis de Barbusse à Nizan et à Sartre. De même la posture du génie malheureux, chez les Romantiques, ou la posture potache des Zutistes ont-elles des ancrages très anciens dans l'imaginaire social européen.



Posture et public.


C'est par rapport à un auditoire donné que la posture fait sens. Lorsque Louis Destouches, alias Louis-Ferdinand Céline, accorde un entretien à la presse ou à la radio, c'est l'écrivain qui s'exprime, c'est-à-dire la fonction et le personnage, et non seulement la personne civile. Il faut signaler ici un effet rétroactif de la posture: la posture adoptée, comme mise en scène publique du soi-auteur, peut avoir un effet en retour sur celui-ci, lui dictant alors des propos et des conduites générées tout d'abord par le choix postural. La vie de Rousseau s'apparente ainsi à une «fiction vécue»[4]: Rousseau a créé dès son premier Discours (1750) un ethos énonciatif (sincérité, vérité, audace) auquel il s'est ensuite conformé dans ses conduites publiques et dans ses œuvres (les Confessions).


Loin de reproduire simplement les contraintes objectives pesant sur l'auteur, la posture rejoue sa position et son statut dans une performance (discours et conduite) qui se veut souvent un re-positionnement dans le champ littéraire. Ainsi, tout le récit de voyage de Blaise Cendrars intitulé Bourlinguer (1949) met en scène une figure d'auteur en baroudeur, voyageur autodidacte aux valeurs anarcho-individualistes, et ceci en contre-pied explicite à la littérature existentialiste en vogue. Cendrars écrivain se positionne ainsi aux antipodes de Sartre, ce «professeur» (selon son mot) qu'il méprise pour des raisons politiques et littéraires (Meizoz 2007).



Jérôme Meizoz (Université de Lausanne)
automne 2017

Pages associées: Posture, Auteur, Ethos, Scénographie?



Bibliographie


Meizoz Jérôme, L'Âge du roman parlant 1919-1939, préface de P. Bourdieu, Librairie Droz, 2001.

Idem, Le Gueux philosophe. Jean-Jacques Rousseau, Antipodes, 2003.

Idem, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l'auteur, Slatkine, «Erudition», 2007.

Idem, La Fabrique des singularités. Postures II, idem, 2011.

Idem, La Littérature “en personne”. Scène médiatique et formes d'incarnation, idem, 2016.

Saint-Amand Denis & Vrydaghs David (dir), Posture. Genèse, usages et limites d'un concept, numéro de la revue COnTEXTES, no.8, 2011, en ligne: https://contextes.revues.org/4692.



[1] Je m'inspire de l'usage qu'en fait Alain Viala dans «Eléments de sociopoétique», in Alain Viala & Georges Molinié, Approches de la réception, Paris, PUF, 1993, p.216.

[2] Philippe Roussin, Misère de la littérature, terreur de l'histoire. Céline et la littérature contemporaine, Paris, Gallimard, 2005, p.24.

[3] Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre, Paris, Denoël, 1937, p.81.

[4] Jean Starobinski, Jean-Jacques Rousseau. La Transparence et l'obstacle, Paris, Gallimard, 1971 [1957], p.9.



Jérôme Meizoz

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Dernière mise à jour de cette page le 15 Novembre 2017 à 16h47.