Atelier

Florilège du Perfectionneur I

L'Imperfection essentielle de l'œuvre - Une condition de notre amour pour elle

Les textes sont extraits de la nouvelle édition Christian Bourgois du Livre de l'Intranquillité de Bernardo Soares, traduit du portugais par Françoise Laye, présenté par Robert Bréchon et Eduardo Lourenço, publiée en 1999. La numérotation des textes correspond à celle de cette édition.

Préambule : Nous savons bien que toute œuvre ne peut qu'être imparfaite… (texte 1)

Nous savons bien que toute œuvre ne peut qu'être imparfaite, et que la moins assurée de nos contemplations esthétiques concernera précisément ce que nous écrivons. Mais tout est imparfait, et il n'est pas de si beau couchant qui ne puisse l'être davantage, ou de brise légère, nous apportant le sommeil, qui ne puisse nous en donner un plus calme encore. Ainsi, contemplant avec une même sérénité montagnes et statues, jouissant des jours et des livres, et surtout rêvant tout, pour tout convertir en note substance la plus intime, nous ferons aussi descriptions et des analyses qui, une fois réalisées, deviendront des choses étrangères à nous-mêmes, que nous pourrons savourer comme si elles nous arrivaient avec le déclin du jour.

Où l'on apprendra que les œuvres impossibles sont plus mauvaises que celles possibles, et même réelles (Texte 14) Savoir que sera mauvaise l'œuvre que nous ne réaliserons jamais. Plus mauvaise encore, malgré tout, serait celle que nous ne réaliserions jamais. Celle que nous réalisons a au moins le mérite d'exister. Elle ne vaut pas grand chose, mais elle existe, comme la plante rabougrie du seul et unique pot de fleurs de ma voisine. Cette plante fait sa joie, et la mienne parfois aussi. Ce que j'écris et qui est mauvais, je le sais bien, peut néanmoins apporter à son tour quelques instants de distraction, qui le détournent de quelque chose de pire, à tel ou tel esprit triste ou malheureux. Cela me suffit ou ne me suffit pas, mais cela a toujours son utilité, et il en est ainsi de la vie tout entière.

Où l'on apprend que seules des œuvres imparfaites peuvent être créées, et que c'est de leur imperfection même que découle notre amour pour elles. Je pleure sur ces pages imparfaites… (texte 64) Je pleure sur ces pages imparfaites, mais les générations futures, si jamais elles les lisent, seront plus sensibles à mes larmes qu'elles ne le seraient à leur perfection – si je pouvais la réaliser -, car elle m'empêcherait de pleurer, et par conséquent m'empêcherait même d'écrire. Ce qui est parfait ne se manifeste pas. Le saint pleure, et il est humain. Dieu se tait. C'est pourquoi nous pouvons aimer le saint, mais non pas Dieu.

Que l'imperfection nécessaire de l'œuvre fait le désespoir de l'écrivain… et que l'œuvre rêvée fait sa grandeur ! (texte 289) (…) Nous n'avons la certitude de mal écrire qu'au moment où nous écrivons ; la seule œuvre sublime est celle que nous ne rêverions pas même de réaliser. Ecoute-moi encore, et compatis avec moi. Ecoute bien tout cela, et dis-moi si le rêve ne vaut pas mieux que la vie. Le travail n'aboutit jamais à rien. Nos efforts n'aboutissent jamais nulle part. s'abstenir – voilà la seule attitude noble autant qu'élevée, car elle reconnaît que la réalisation se révèle toujours inférieure [à notre projet], et que l'œuvre accomplie n'est jamais que l'ombre grotesque de l'œuvre qu'on a rêvée. Si je pouvais écrire – en mots jetés sur le papier qu'on puisse ensuite lire et entendre – les dialogues des drames que j'imagine ! Ces pièces possèdent une action parfaite et sans faille, des dialogues impeccables, mais le déroulement de l'action ne s'esquisse pas en moi avec une netteté suffisante pour que je puisse le projeter concrètement ; et les mots formant la substance de ces dialogues intimes ne possèdent jamais assez de force pour que, les écoutant attentivement, je puisse les traduire par écrit.

(…) Nous n'avons la certitude de mal écrire qu'au moment où nous écrivons ; la seule œuvre sublime est celle que nous ne rêverions pas même de réaliser. Ecoute-moi encore, et compatis avec moi. Ecoute bien tout cela, et dis-moi si le rêve ne vaut pas mieux que la vie. Le travail n'aboutit jamais à rien. Nos efforts n'aboutissent jamais nulle part. s'abstenir – voilà la seule attitude noble autant qu'élevée, car elle reconnaît que la réalisation se révèle toujours inférieure [à notre projet], et que l'œuvre accomplie n'est jamais que l'ombre grotesque de l'œuvre qu'on a rêvée. Si je pouvais écrire – en mots jetés sur le papier qu'on puisse ensuite lire et entendre – les dialogues des drames que j'imagine ! Ces pièces possèdent une action parfaite et sans faille, des dialogues impeccables, mais le déroulement de l'action ne s'esquisse pas en moi avec une netteté suffisante pour que je puisse le projeter concrètement ; et les mots formant la substance de ces dialogues intimes ne possèdent jamais assez de force pour que, les écoutant attentivement, je puisse les traduire par écrit.

Je pleure sur ces pages imparfaites, mais les générations futures, si jamais elles les lisent, seront plus sensibles à mes larmes qu'elles ne le seraient à leur perfection – si je pouvais la réaliser -, car elle m'empêcherait de pleurer, et par conséquent m'empêcherait même d'écrire. Ce qui est parfait ne se manifeste pas. Le saint pleure, et il est humain. Dieu se tait. C'est pourquoi nous pouvons aimer le saint, mais non pas Dieu.

Que l'imperfection nécessaire de l'œuvre fait le désespoir de l'écrivain… et que l'œuvre rêvée fait sa grandeur ! (texte 289) (…) Nous n'avons la certitude de mal écrire qu'au moment où nous écrivons ; la seule œuvre sublime est celle que nous ne rêverions pas même de réaliser. Ecoute-moi encore, et compatis avec moi. Ecoute bien tout cela, et dis-moi si le rêve ne vaut pas mieux que la vie. Le travail n'aboutit jamais à rien. Nos efforts n'aboutissent jamais nulle part. s'abstenir – voilà la seule attitude noble autant qu'élevée, car elle reconnaît que la réalisation se révèle toujours inférieure [à notre projet], et que l'œuvre accomplie n'est jamais que l'ombre grotesque de l'œuvre qu'on a rêvée. Si je pouvais écrire – en mots jetés sur le papier qu'on puisse ensuite lire et entendre – les dialogues des drames que j'imagine ! Ces pièces possèdent une action parfaite et sans faille, des dialogues impeccables, mais le déroulement de l'action ne s'esquisse pas en moi avec une netteté suffisante pour que je puisse le projeter concrètement ; et les mots formant la substance de ces dialogues intimes ne possèdent jamais assez de force pour que, les écoutant attentivement, je puisse les traduire par écrit.



Julia Peslier

Sommaire | Nouveautés | Index | Plan général | En chantier

Dernière mise à jour de cette page le 24 Janvier 2005 à 21h52.