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Une lecture de Fiction et diction: généricité et/ou littérarité

Fiction et diction, de Genette, a fourni des instruments très féconds pour l'étude des genres conditionnellement littéraires, au prix d'un cependant déplacement très net de l'analyse ;c'est sur ce déplacement qu'il me semble intéressant de s'interroger. La réception et les usages de cette proposition théorique de Genette posent plus de questions que cette proposition elle-même, qui, elle, se donne avec la force de l'évidence. Désormais, étudier un genre conditionnellement littéraire, c'est justement étudier les mécanismes de décision de sa littérarité. Il s'agit d'un recentrement massif de la question générique sur le phénomène de bascule esthétique qu'est le décret de littérarité de la prose non fictionnelle. Et bien souvent, cette décision de littérarité repose sur le fait de déterminer la présence de traits fictionnels, ou l'analogue de traits fictionnels, dans le texte de prose non fictionnelle. La diction comme de la fiction. Le problème de la généricité en tant que telle s'efface; on transforme par exemple la question de l'essai? comme genre en question de l'essai comme genre littéraire : au lieu se de s'interroger sur la détermination de traits génériques, on s'interroge sur la détermination de traits textuels ou contextuels en tant qu'ils permettent la bascule d'un texte dans le domaine littéraire. On pourrait dire que la généricité? est le point aveugle du système; ni le couple fiction-diction, ni le couple condition-constitution, ne sont d'ailleurs forgés pour rendre compte de problèmes de genres, mais de modes de littérarité. La place du genre est bien assignée; il semble, d'après les définitions posées par Genette, que la généricité soit de toute façon du côté du constitutif, puisque la conditionnalité est rejouée chaque texte ; pourtant il existe bien des genres non fictionnels en prose qui sont perçus comme genres au long de l'histoire, et dont le classement dans le domaine de la littérature ne semble pas être dû à une question de perception individuelle : mémoires, autobiographie, essai, entre autres genres assez clairement perçus. La conditionalité concerne des textes plutôt que des genres ; et le repli des études génériques sur la décision de littérarité conditionnelle entre peut-être en pratique en contradiction avec la définition de traits de genre. On pourrait proposer, face à cette distrbution embarassante, que problème puisse se résoudre historiquement, si l'on songe qu'à un moment de l'histoire d'un genre la reconnaissance générique et la reconnaissance littéraire s'imposent comme une évidence, si l'on accepte de penser, en poussant un peu loin la simplification, que généricité et littérarité vont de pair, s'inscrivent dans les faits dans un même processus d'institution. On pourrait décider que, tant que le genre est soumis à une appréciation conditionnée (pas juste les textes, mais bien le genre), c'est qu'il ne fonctionne pas comme genre. L'institution d'un genre aurait précisment lieu quand tout cela devient synonyme. Le genre fonctionne comme genre quand il devient impertinent, ou improductif, de s'attacher à sa littérarité conditionnelle. Il me semble que la conditionalité ne peut pas être le tout de la théorisation des genres non fictionnels, l'interrogation sur la littérarité conditionnelle bloque en quelque sortel'interrogation sur la généricité ; elle l'implique pourtant en sous-main - parlant d'un genre -, elle résoud en quelque sortela question sans la poser ; c'est une aporie forte.

C'est là qu'intervient le profit de l'histoire littéraire : peut-être que dans la généralité d'une catégorie générique, le mieux que l'on puise dire est qule genre est « conditionnellement littéraire ». Mais dans le parcours de son histoire, un genre peut passer d'un terrain à un autre. A un moment de son développement, un genre conditionnellement littéraire en théorie peut se mettre à fonctionner comme s'il était constitutivement littéraire ; ce n'est qu'à ce prix, penserais-je volontiers, qu'il fonctionne comme genre. L'exigence de style qui a touché le journal intime au XXe siècle par exemple, est à la fois le lieu où se déterminerait sa littérarité conditionnelle, et ce qui lui a permis de basculer (comme genre, et non pas seulement au plan de l'évaluation de chacun des textes), dans le domaine littéraire, dans le domaine des genres constitutivement littéraires.

N'y aurait-il alors de genres que déjà littéraires?



Marielle Macé

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Dernière mise à jour de cette page le 31 Mars 2002 à 10h45.