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Les formes de l'art et l'histoire des hommes

Par Guido Mazzoni


Ces pages constituent le chapitre introductif de l'essai Sulla poesia moderna (2005), qui a suscité un débat important en Italie.

Traduction française par Céline Frigau Manning: Sur la poésie moderne, Classiques Garnier, coll. "Etudes romantiques et dix-neuviemistes", 2014.


Compte rendu dans Acta Fabula: Le chant du moi est haïssable, par Pierre Vinclair.


Dossiers Histoire, Genres.






Les formes de l'art et l'histoire des hommes



Littérature et longue durée


Dans les œuvres complètes de Leopardi, figurent quatorze séries de notes préparatoires composées en plusieurs temps entre 1819 et 1834, et publiées à titre posthume sous le titre choisi par le premier éditeur, Disegni letterari[1]. Hétérogènes et difficilement comparables entre elles, ces notes s'étendent, pour certaines, sur de longues pages décrivant par le menu les textes auxquels Leopardi entendait se consacrer, tandis que d'autres se bornent à formuler de vagues hypothèses rarement explorées et presque toujours abandonnées, comme le laisse penser le nombre imposant des projets – plus de cent soixante dans les seuls feuillets à notre disposition. Mais s'il est évident qu'une partie de la liste a été dressée à la hâte et sans grande réflexion, c'est bien ce qui en fait un document extraordinaire. Parce qu'ils rendent compte des textes sur lesquels Leopardi travaillait depuis longtemps, aussi bien que de ses désirs passagers, parce qu'ils gardent trace de projets réels et de velléités confuses, les Disegni reflètent, en somme, toute l'étendue des possibilités qui s'offraient à un écrivain italien de cette période et de cette classe sociale, la topographie même de son espace littéraire.


J'entends par espace littéraire l'ensemble des œuvres que les auteurs d'une époque donnée jugent raisonnable d'écrire et qu'ils envisagent, pour employer la métaphore sur laquelle se fonde toute forme d'historicisme, à la hauteur de leur temps. L'espace littéraire actuel comprend les genres encore vivants, les œuvres auxquelles il est raisonnable de se consacrer au début du xxie siècle si l'on espère aller au-devant du goût d'un public de masse ou d'élite: romans et poésie de types variés, quelques formes résiduelles de théâtre, scénarios de cinéma et de télévision, journalisme ou critique littéraire. Entre 1819 et 1834, Leopardi considérait à la hauteur de son époque des œuvres très différentes les unes des autres. On trouve de tout dans la liste de ses projets: un roman racontant l'histoire d'une femme forcée d'entrer au couvent, sur le modèle de La Religieuse de Diderot; la vie du général polonais Kosciuszko, «à la manière de celle d'Agricola écrite par Tacite»; un «roman historique dans le goût de la Cyropédie» qui devait retracer le destin d'une grande nation déchue retrouvant par la suite sa dignité perdue; un poème didactique visant à faire entendre «l'infinie matière poétique qu'offrent les bois et les forêts»; «les vies des plus illustres capitaines et citoyens italiens, à l'imitation de Cornélius Népos et Plutarque»; une tragédie sur Iphigénie; quelques nouvelles dans l'esprit de l'Arioste en octaves rimées «tirées d'auteurs de nouvelles en prose, ou bien originales»; un «Poème ou Roman» sur le modèle de The Rape of the Lock; une épopée en prose à l'imitation de Télémaque de Fénelon; quelques «idylles pour exprimer les situations, les affections, les aventures historiques de mon esprit», c'est-à-dire de brefs poèmes à caractère autobiographique; un roman, Eugenio, à  la manière de Werther; une série d'odes philosophiques à l'instar de William Collins, et ainsi de suite[2]. Ces rapprochements peuvent faire sur le lecteur contemporain l'effet de dissonances: il semble de nos jours inconcevable qu'un roman sur une religieuse côtoie des biographies imitées de Cornélius Népos, Plutarque et Tacite, ou qu'un projet de roman de formation dans le goût de Werther date de la même époque qu'un projet d'épopée en prose sur le modèle de Télémaque. À deux siècles de distance, nous savons que les œuvres mentionnées par Leopardi appartiennent à deux mondes historiques distincts et inconciliables. Mais pour lui, ce n'était manifestement pas le cas.


Dans sa brièveté dissonante, cette liste hétérogène condense en quelques pages les effets de la grande métamorphose que la littérature européenne subit entre la seconde moitié du xviiie siècle et le début du xixe siècle. Elle nous donne l'impression vive du changement et l'image de sa violence. Tel un vestige dont on n'arrive à déchiffrer le sens qu'avec le recul des siècles, les Disegni enregistrent le moment où un nouvel espace littéraire émerge aux abords d'un espace littéraire issu d'une tradition millénaire. Pour Leopardi, il était encore possible d'investir les deux espaces; mais quiconque observe ces circulations à la lumière des catégories du présent reste surpris par un conflit entre l'ancien et le nouveau, entre l'archéologie et la modernité, que les écrivains du temps n'identifiaient pas. Si de même, Goethe pouvait encore concevoir de s'atteler à son Iphigénie en Tauride et à Hermann und Dorothea après avoir écrit Werther, et si Manzoni travaillait au même moment sur l'Adelchi et sur Fermo e Lucia, nous reconnaissons aujourd'hui la proto-modernité de Werther et des Promessi sposi, mais nous portons la tragédie ou l'idylle en vers réguliers au nombre des disparus. Autrement dit, nous voyons dans les uns l'anticipation du temps présent, et nous étudions les autres comme on étudie des vestiges culturels qui se sont effacés de notre horizon, des fossiles oubliés. Ce qui est frappant dans les Disegni letterari, c'est l'absence d'une telle démarcation: quelques décennies après la rédaction de cette liste, rares sont les écrivains qui veulent imiter Cornélius Népos, Tacite, Plutarque, Fénelon, Pope, ou composer des nouvelles en octaves à l'instar de l'Arioste, alors que des genres récents auxquels Leopardi s'intéressait au même moment, comme le poème lyrique bref ou le roman de formation, vont connaître une immense fortune. De cette métamorphose sans précédent, sans doute la plus soudaine et la plus profonde que la littérature occidentale ait jamais connue, les histoires traditionnelles ne nous renvoient souvent qu'une image fragmentaire, attentive aux légers changements mais incapable de percevoir la longue durée. Les Disegni letterari nous en donnent au contraire une vision confuse mais synthétique, qui en saisit le sens de l'intérieur, et d'où l'on gagne à repartir.


Dans l'un de ses plus célèbres essais, Walter Benjamin s'attache à montrer que les transformations littéraires sont pour la plupart extrêmement lentes et n'avancent que de manière imperceptible. Il compare alors la mutation des formes épiques à l'évolution que subit la surface de la terre au fil des ères géologiques[3], un parallèle qui mérite d'être développé bien au-delà des intentions de son inventeur. Car s'il est vrai que les métamorphoses sont presque toujours progressives, il est également vrai que les mouvements de longue durée procèdent parfois avec lenteur, pendant des siècles, avant que ne surviennent soudain des bouleversements. Quand nous lisons les Disegni à près de deux siècles de distance, nous décelons d'emblée la faille qui se loge au cœur de la liste hétérogène des projets; nous comprenons que les œuvres en jeu relèvent de deux conceptions inconciliables de la littérature, moderne et pré-moderne, comme si la distance chronologique nous faisait entrevoir, condensée en quelques pages, un instantané du temps historique, l'image cristallisée du passage d'une époque à l'autre.


Mais la comparaison géologique de Benjamin recouvre également un sens plus profond. Elle renvoie à une autre caractéristique des matériaux esthétiques, que les histoires traditionnelles, en privilégiant le récit des petits changements plutôt que la réflexion sur les longues permanences, finissent souvent par occulter: les grandes formes artistiques ont une grande longévité. Il faut des siècles pour que s'effrite l'espace pictural inauguré par la perspective, pour que la musique européenne s'affranchisse du système tonal, pour que le roman l'emporte sur le récit, pour que la littérature occidentale parvienne à représenter, de façon sérieuse et problématique, la vie quotidienne des gens ordinaires. L'observation peut paraître des plus banales, mais il en faut peu pour ériger la banalité en philosophie de l'art. Car en traitant des formes épiques et en usant de l'histoire des genres comme d'un sismographe, Benjamin voulait montrer les changements que subirent l'approche et l'expérience de la réalité dans le passage d'un monde pré-moderne, clos et communautaire, à un monde moderne, individualiste et fragmenté. Dans cette perspective, la comparaison avec les ères de la surface terrestre prend une véritable signification philosophique: Benjamin semble en effet proposer que les structures du récit – et par synecdoque les matériaux esthétiques – évoluent avec lenteur en ce qu'elles expriment les transformations profondes de l'histoire humaine, leur longue durée. C'est par sa force plastique que l'art traduit la continuité idéale d'une époque dans la continuité visible d'un système de signes, en donnant un aspect sensible aux permanences et aux ruptures radicales, exactement comme le fait la surface de la terre avec le temps géologique. Telle est la philosophie de l'histoire à laquelle se réfère Benjamin et qui sous-tend, dans des formes toujours différentes, ses récits de longue durée, de son ouvrage sur le drame baroque allemand jusqu'aux Passages. Les matériaux esthétiques nous donnent une version primordiale de ce phénomène, à croire qu'ils sont prédisposés par leur caractère imagé à devenir le pivot d'une philosophie de l'histoire, comme le dit Adorno de l'art qui m'occupera ici, la poésie moderne[4]. Ainsi, la pérennité millénaire d'une échelle hiérarchique des styles, des genres, des actions et des personnages raconte, de façon remarquablement synthétique, la pérennité d'une vision hiérarchique de la vie dans la société européenne[5]; l'évolution du drame aux xixe et xxe siècles illustre l'appauvrissement des rapports humains à une époque où l'action publique ne paraît plus renfermer le sens de la vie[6]; et l'histoire de l'architecture contemporaine annonce, avant même l'histoire des mentalités, l'avènement de la condition post-moderne[7]. Les formes de l'art enregistrent l'histoire de l'humanité avec plus d'exactitude que les documents.



Modèles pour une histoire de la culture


Cette compréhension du devenir de l'art et de la culture a une illustre généalogie. Elle découle d'une longue tradition historiographique qui remonte aux leçons hégéliennes d'esthétique et de philosophie de l'histoire, et se diffuse dans deux versions. De la première, la plus fidèle aux textes-sources, témoignent les ouvrages qui se réclament plus ou moins directement de Hegel. Ce sont, par exemple, ceux que Szondi cite à la fin de Théorie du drame moderne lorsqu'il indique ses textes de référence et mentionne, juste après l'Esthétique de Hegel, la Sociologie du drame moderne de Lukács et la Philosophie de la nouvelle musique d'Adorno. La seconde version, plus élargie, correspond à la tradition de la Kulturgeschichte dans toutes ses variantes, de l'histoire de la mentalité de Lamprecht à la Geistesgeschichte de Dilthey[8]. Bien que variés, ces ouvrages ne se fondent pas moins sur des présupposés communs, facilement critiquables de nos jours: la confiance en l'unité culturelle d'une époque; la conviction qu'existent des discontinuités significatives entre différentes périodes historiques; la foi en la valeur représentative des œuvres qui ont échappé à l'oubli en rejoignant les monuments ou documents érigés en canons; l'idée que l'on peut regrouper des œuvres différentes par leurs origines, leurs objectifs, leurs fonctions dans des ensembles unitaires tels que les styles, les périodes, les genres; et enfin, pour l'histoire des arts, la croyance en la valeur représentative des expériences esthétiques. User de l'histoire des formes épiques comme d'un sismographe, c'est considérer comme acquises des convictions qui ne le sont en rien: par exemple, que l'on peut oublier les différences entre les textes et parler d'un genre littéraire, d'un style et d'une époque au singulier; que les œuvres canoniques à partir desquelles nous formons notre idée du genre sont universellement représentatives; que les formes de l'art peuvent vraiment raconter l'histoire des hommes; que l'histoire des hommes procède par étapes unitaires. Tous ces présupposés sont aujourd'hui devenus problématiques. Nous avons pris l'habitude, depuis le post-structuralisme, de nous méfier de l'objectivité des partitions historiographiques, des monuments canoniques, des collectes de documents; les cultural studies contestent la distinction entre œuvres nobles et moins nobles, en attaquant le primat théorétique que les histoires de la culture traditionnelles conféraient aux textes canoniques et aux arts majeurs; les recherches positives et la sociologie de la culture insistent sur la dispersion des systèmes, remettent en cause l'unité des époques ou des genres et ébranlent l'«hégélianisme ramolli» sur lequel se fonderaient, d'après Bourdieu, bon nombre de philosophies de la culture, de Hegel à Foucault[9]


Puisque le livre dont je suis l'auteur se réclame précisément de l'hégélianisme ramolli dont parle Bourdieu, et parce que je partage certaines des critiques formulées à l'encontre de cette tradition, j'ai voulu éviter de reproduire la réticence qui touche généralement une large part des constructions intellectuelles, pour mettre à jour les fondements de mon discours. Je n'entends certes pas redonner de la légitimité à l'approche dont je me réclame (je n'en aurais pas la force, et quand bien même je la trouverais, il me faudrait écrire un autre livre). Mais je voudrais du moins expliquer quels aspects de cette philosophie de l'histoire me semblent encore défendables, pour que le lecteur sache où il se trouve et ce qu'il est en train de lire. J'essaierai donc maintenant d'énoncer quelques-unes de ces «dignités», pour reprendre un terme cher à Vico, en exposant sous forme apodictique les présupposés qui sont au fondement de cet essai.


1. S'il est vrai que la société et la culture se composent de champs relativement autonomes, chacun doté d'une logique et d'une temporalité interne qui leur sont propres, il est également vrai que dans un espace géographique formé d'échanges réels et symboliques, les systèmes culturels contemporains tendent à se recouper, à subir l'influence des grands systèmes matériels qui les sous-tendent (la politique, l'économie, la hiérarchie sociale) et à produire une sorte de synthèse aussi fluctuante qu'objective. Comme l'écrivit celui qui sut mieux que tout autre raconter les clivages symboliques qui traversent une époque, et les différences si grandes qui peuvent séparer des personnes et des milieux pourtant voisins, les hommes d'une même génération, vus avec un certain recul, finissent par se ressembler tous, et des distinctions en apparence insurmontables se fondent dans la couleur du temps[10]. Pour recourir au langage de la physique, nous pourrions comparer tout système à un champ de forces, et l'unité culturelle d'une période à leur résultante. Il n'est pas nécessaire pour cela de mobiliser l'ontologie de l'hégélianisme et de représenter cette unité comme l'effet d'un principe organique, d'un Zeitgeist ou d'une épistémè qui laisserait sur toute œuvre son empreinte. Il suffit de se figurer un phénomène purement mécanique, une superposition de divers systèmes, logiques et temporalités qui produisent, de façon tout à fait accidentelle et en générant une dialectique instable entre différence et identité, une sorte de sens commun.


Tous les systèmes partageant un même espace créent une forme d'unité qui se mêle étroitement à leur dispersion. Bien que toute littérature nationale européenne ait sa propre histoire interne, il est certain que les plus importantes littératures européennes, si l'on en juge à la bonne distance, semblent traversées par les mêmes phénomènes de longue durée, des plus vastes (comme la révolution des genres littéraires advenue entre le xviiie et le xixe siècles) aux moins vastes (telle la diffusion, entre la seconde moitié du xixe siècle et l'avènement des avant-gardes historiques, de techniques nouvelles qui enrichissent le récit, la poésie et le théâtre de possibilités auparavant impensables: le monologue intérieur, le vers libre, le principe du montage). De même, et bien que les genres de la littérature moderne aient chacun une logique propre, le roman, la poésie et le théâtre des derniers siècles forment un système relativement homogène qui se distingue par des caractéristiques communes, comme la capacité de raconter, de façon sérieuse et problématique, l'expérience quotidienne des gens ordinaires.


De cet historicisme mécanique et sans sujet, de cette histoire de l'esprit sans Esprit, relève aussi la foi en la possibilité de discerner, dans le flux constant des phénomènes, dans la poussière des conflits locaux et des assemblages éphémères, des époques et des espaces culturels distincts. Bien que toute frontière historique reste toujours le fruit d'une interprétation, l'exégète doit tenir compte dans son libre arbitre de la clarté avec laquelle émergent certaines discontinuités dans la dimension de la longue durée. À l'échelle des millénaires, et à la lumière d'une autre logique culturelle, la représentation de la réalité dans la littérature antique et dans les littératures classiques européennes présente des traits communs dont le plus important tient à une poétique fondée sur la séparation des styles. C'est pour la même raison que nous pouvons percevoir la brèche qui sépare deux espaces littéraires distincts, lorsque nous confrontons le système des genres léopardien au nôtre. Là encore, il n'est pas nécessaire de recourir à quelque principe organique pour reconnaître aux continuités de longue durée leur légitimité. Il suffit de penser au phénomène optique élémentaire en vertu duquel la distance amoindrit les petites différences et souligne les grandes. Quand l'avion décolle, les champs qui semblaient se distinguer les uns des autres, vus de la terre, par tant de nuances, prennent une seule couleur uniforme, mais les limites qui les séparent, presque invisibles à la hauteur du sol, apparaissent tout à coup plus clairement; quand l'avion trouve ensuite son rythme de croisière, les démarcations disparaissent à leur tour, et il ne reste plus que les grandes frontières géographiques – les fleuves, les montagnes, les agglomérats urbains. La longue durée applique le principe de la distance au flux temporel.


2. Les histoires de la culture souffrent habituellement de fétichisme. Même les essais les plus attentifs, même les études fidèles aux plus rigoureux critères quantitatifs ne prennent en considération qu'un pourcentage minime des ouvrages composés dans un espace culturel et à une époque donnés. Ce pourcentage apparaît d'autant plus faible que l'époque et l'espace sont plus étendus. Car les histoires traditionnelles se fondent sur une sorte d'illusion synecdotique, sur le présupposé que quelques textes choisis ont le pouvoir de représenter une période entière. Mais si l'on adopte une attitude moins impressionniste, on démontre aisément que la reconstruction systématique d'un espace littéraire circonscrit offre un panorama bien plus complexe que ceux que nous lisons habituellement[11]. Les histoires traditionnelles ont souvent une approche naïve de leur objet, en ce qu'elles présupposent un canon préexistant, et proclament l'issue d'un combat mené pour la mémoire et pour l'oubli sans engager la moindre réflexion sur la généalogie des victoires. Ainsi flotte sur leur fond philosophique l'un des idéologèmes les plus discrédités de notre époque, en théorie indéfendable mais en pratique très usité: la conviction que les verdicts de l'histoire reflètent la valeur objective des œuvres, vouée à émerger au fil des ans grâce au «jugement du temps». Bien entendu, le généalogiste prouve sans peine que le jugement du temps n'est rien d'autre que la sanctification posthume d'un pouvoir, la tentative de conférer une valeur universelle, injustifiée, à des textes, à des images du monde, à des valeurs qui ont emporté une bataille menée au nom de la seule volonté de puissance: la lutte d'un auteur pour triompher sur des auteurs rivaux; la lutte d'une cordée littéraire pour gagner en visibilité aux dépens des autres cordées; la lutte d'un groupe social contre des groupes concurrents, dans le but de faire de son propre goût le goût de tous. Cette force ne renvoyant qu'au sujet qui l'exprime, et n'ayant ainsi d'autre signification qu'elle-même, les résultats du conflit opposant des volontés ennemies n'ont pas la valeur objective que les histoires traditionnelles accordent en général aux œuvres consacrées. Dans cette optique, le vainqueur de la bataille pour la mémoire n'incarne pas le Zeitgeist, mais le triomphe d'intérêts contingents sur d'autres intérêts contingents, d'un égoïsme sur d'autres égoïsmes. Si l'on admet une position de ce type, il est alors arbitraire de considérer les textes canoniques comme représentatifs d'une époque, alors qu'il serait juste de s'attacher à rechercher le maillage des causes immédiates que recouvre la consécration d'un auteur, d'un mouvement, d'une mode, d'un genre, en remontant le cours de l'histoire à contre-courant, et en reconstruisant le champ de bataille tel qu'il se présentait avant que les vainqueurs y aient planté leurs drapeaux. En somme, pour retrouver l'image authentique d'une époque, il faut s'affranchir de l'illusion synecdotique qui légitime les canons consacrés, renoncer à l'idée qu'un petit nombre d'écrivains peut exprimer tout l'esprit d'une époque, insister en revanche sur les ruptures, les dispersions, les frictions qui bouleversent l'unité apparente d'une période historique.


Nul doute que la myopie du généalogiste, attentif aux causes immédiates et aux motivations humaines, trop humaines, qui sous-tendent la formation d'une culture, n'enrichisse et ne débride notre vision du passé. Cette approche se décline en deux versions, naïve, ou sentimentale. La première est bien plus répandue que la seconde. Elle est la norme pour les études qui se disent «sérieuses» ou «scientifiques», et correspond de fait à la critique de type positiviste qui perpétue en Italie l'héritage de l'école historique et prolifère dans les revues académiques. En se réclamant d'une conception mécanique de la causalité que notre sens commun juge toute naturelle, les membres de cette famille herméneutique ignorent l'existence de l'ensemble. Forts d'une dose de bon sens proportionnelle à la myopie dont ils font preuve, ils reconstruisent les généalogies élémentaires qui forment la matière première de tout récit historique: l'influence d'un auteur sur un autre auteur, d'un événement culturel sur un cercle culturel, d'un milieu sur une forme artistique. Quant à la version sentimentale de la généalogie, elle est plus récente et correspond aux tentatives d'appliquer à l'écriture de l'histoire les conclusions des philosophies que Paul Ricœur, reprenant une formule de Nietzsche, a réunies sous le nom d'«exercice du soupçon»[12]. La fortune immense dont a joui la pensée de Marx, Nietzsche et Freud au xxe siècle a fini par concentrer toute l'attention d'un grand nombre d'historiens de la culture sur la découverte des intérêts matériels sous-tendant la création des œuvres spirituelles, comme l'ont fait les histoires de l'art de type marxiste, ou plus récemment, les représentants du New Historicism et plus rigoureusement encore, Pierre Bourdieu. Ces tendances en apparence hétérogènes partagent en fait un même refus, plus ou moins conscient, des présupposés qui sont au fondement d'une philosophie de l'histoire organique. Car en soulignant la différence aux dépens de l'unité, la fragmentation aux dépens de la cohésion, leur approche conduit à interpréter les œuvres à la lumière des causes immédiates, comme le résultat d'intérêts particuliers et de combats circonscrits, et non comme l'émanation d'un Zeitgeist ou d'une épistémè. Derrière la myopie prudente et irréprochable du généalogiste, perce une métaphysique désenchantée qui voit dans la réalité un entrelacs d'affrontements ponctuels entre volontés de puissance opposées, et dont l'issue, loin de refléter un dessin téléologique, exprime la victoire contingente d'un individu ou d'un groupe sur un autre. En ce sens, la sagesse généalogique paraît saper les bases d'une philosophie de l'histoire qui se targue de penser par époques sans tenir compte de la foule de luttes, de ruptures et de discontinuités internes aux phases culturelles. Mais si nous replaçons les petits conflits dans la perspective de la longue durée, les soubassements qu'une analyse minutieuse semble dégager d'un entremêlement d'égoïsmes tautologiques, apparaissent sous un jour nouveau. Car si les victoires, considérées isolément, sont l'effet du hasard ou d'un rapport de force, les victoires et les défaites plus vastes, importantes et durables ont bien une signification. Même le plus rigoureux des généalogistes, une fois critiquées les réécritures déguisées de Hegel, réintroduit subrepticement une forme d'historicisme quand il soutient que les luttes internes au champ culturel ont beau suivre une logique qui leur est propre, le facteur le plus décisif pour juger de la fortune d'une œuvre ou d'une idée reste la correspondance entre les positions victorieuses et les changements des rapports de force dans le champ du pouvoir:

Les luttes internes sont en quelque sorte arbitrées par les sanctions externes. En effet, bien qu'elles en soient grandement indépendantes dans leur principe (c'est-à-dire dans les causes et les raisons qui les déterminent), les luttes qui se déroulent à l'intérieur du champ littéraire (etc.) dépendent toujours, dans leur issue, heureuse ou malheureuse, de la correspondance qu'elles peuvent entretenir avec les luttes externes (celles qui se déroulent au sein du champ du pouvoir ou du champ social dans son ensemble)[13].

Autrement dit, les œuvres et les idées dominantes ne s'imposent pas seulement parce qu'elles l'emportent dans la lutte interne au système littéraire, mais parce qu'elles s'adaptent mieux au grand changement historique; l'issue du conflit immanent à tout système procède ainsi de la transformation de l'horizon du temps.


Rien ne peut mieux décrire cette mêlée de luttes contingentes et de nécessités historiques que le concept d'hégémonie que Gramsci emprunte aux écrits politiques de Lénine, et qu'il emploie pour décrire l'inextricable nœud de force et de consentement par lequel une classe dominante ou un groupe social font de ses idées les idées de tous. En critiquant le machiavélisme naïf de ceux qui ne voient que violence dans le pouvoir, Gramsci soutenait que tout gouvernement établi se fonde sur un mélange de «domination» et de «direction intellectuelle et morale», de force et de persuasion[14]. Cette conception peut légitimement s'étendre à la sphère de la culture et servir à expliquer la formation des canons. Autrement dit, la mémoire de longue durée ne découlerait ni de la pure coercition ni du jugement du temps, mais bien plutôt de la capacité à transformer le goût d'un groupe en goût partagé, en alliant le pouvoir d'imposer certaines idées à la capacité de répondre aux attentes du corps social. Les œuvres, les auteurs, les formes de culture s'adaptant le mieux aux grands changements historiques trouvent une énergie politique qui s'avère précieuse dans le combat pour l'hégémonie; l'issue de la lutte modifie à son tour l'état des choses. Avec le temps, le résultat des grandes batailles internes au système de la culture est toujours déterminé par le rapport qu'entretiennent ces conflits avec le changement d'époque, surtout si les phénomènes considérés sont larges. Un auteur peut entrer dans les programmes scolaires pour des raisons contingentes, mais un genre ou un style ne s'imposent jamais par hasard. C'est pour toutes ces raisons que le concept d'hégémonie légitime la synecdoque au fondement des histoires de la culture. Il n'est pas nécessaire de recourir à la mystique des chefs-d'œuvre pour soutenir que les canons, bien que nés de la pure volonté de puissance, signifient davantage que la victoire accidentelle d'une faction sur une autre.


3. Gombrich a affirmé de façon polémique que les historiens de la culture sont souvent les premiers à concevoir les époques comme des organismes unitaires, et à préjuger, plus ou moins consciemment, de l'existence d'un esprit du temps. Les historiens de l'économie ou de la politique renoncent sereinement à un tel postulat:

L'historien de la culture était en bien plus mauvaise posture que tout autre de ses collègues. Les spécialistes d'histoire politique ou économique […] pouvaient faire l'histoire de la réforme du Parlement, ou des relations anglo-irlandaises, sans se référer explicitement à une philosophie globale de l'histoire.
Mais l'histoire de la culture en tant que telle […] ne pouvait en aucun cas être entreprise sans principe ordonnateur, sans un centre autour duquel […] puisse tourner la roue du diagramme hégélien. C'est ainsi que l'histoire de l'historiographie de la culture peut être mieux interprétée, sans doute, comme une succession de tentatives visant à sauver les thèses hégéliennes, sans pour autant accepter la métaphysique hégélienne[15].

De fait, la fréquence avec laquelle les historiens de la culture – les historiens de l'art les premiers – ont recours à une forme équivalente de Zeitgeist est tout à fait impressionnante. Aux noms cités par Gombrich (Marx, Burckhardt, Lamprecht, Dilthey, Dvorák, Panofsky, Huizinga), nous pourrions aisément ajouter ceux d'Auerbach, Lukács, Benjamin, Adorno, Bakhtine, Szondi, Gehlen (je pense à Zeit-Bilder), Foucault, et plus récemment, Bell, Lasch, Jameson et bien d'autres encore. Mais il serait réducteur de se borner à montrer que tous ces interprètes restent prisonniers de ce qui n'est pour Gombrich qu'une erreur de perspective, sans étudier les raisons qui ont amené des personnes aussi différentes par leurs formations, leur idéologie et leurs intérêts à redécouvrir des principes unificateurs identiques en tous points au Zeitgeist, quitte à les rebaptiser «mentalité», épistémè ou «logique culturelle du capitalisme tardif». S'il y a là cécité collective, d'où vient-elle?


La tendance à penser par époques n'est pas pour moi le simple reflet d'un hégélianisme non avoué. Elle tient à la nature de l'objet considéré. Si les historiens de la culture pensent par époques, c'est que le vaste territoire que nous pourrions appeler champ du symbolisme expressif, pour reprendre l'expression de Cassirer, est l'espace imaginaire où s'expriment le mieux le sens commun et l'inconscient collectif d'un groupe social, et plus encore, le sens commun et l'inconscient collectif qui, forts de leur victoire dans la lutte pour l'hégémonie, se transforment en capital culturel reconnu, en esprit du temps. De toutes les parties de ce territoire, allant des arts majeurs aux rituels religieux, la plus expressive est sans nul doute la partie esthétique, pour au moins trois raisons. Tout d'abord, aucune autre composante de la culture n'exprime avec tant d'immédiateté la façon dont une personne, une classe ou une époque interprètent les grandes constantes anthropologiques qui forment le monde concret et humain de la vie: l'existence interne et externe de l'homme, les premiers stades des relations personnelles, le mode de perception de l'espace et du temps, les rapports avec les corps et les choses. Les formes de l'art enregistrent l'histoire de l'humanité avec plus d'exactitude que les documents, parce qu'ils donnent une consistance plastique à la manière d'appréhender les structures primaires de la vie; c'est ce que l'on constate en observant leur évolution dans la perspective de la longue durée. À la capacité d'exprimer une image du monde s'ajoute ensuite une force de représentation que n'ont pas d'autres formes de connaissance. Alors que le savoir de la philosophie, de l'historiographie ou des sciences humaines est toujours spécialisé, la culture esthétique fonctionne en principe comme un ensemble d'images et de mythes que tout le monde peut comprendre, comme s'il s'agissait d'une sorte de nouvelle religion populaire. Ce qui contribue, enfin, à renforcer le pouvoir de représentation des formes artistiques, c'est leur innocence apparente, aux siècles derniers du moins. L'histoire de la culture moderne est une série de neutralisations et de dépolitisations progressives, au fil desquelles une culture unitaire, théocratique, hiérarchique et censoriale finit par assouplir ses tables de la loi, pour en théorie laisser à chacun le droit de décider de ses goûts, de ses valeurs et de ses styles de vie sans avoir de comptes à rendre à personne. Si le temps n'est pas loin où l'on pouvait donner sa vie pour une croyance religieuse, un comportement immoral ou une idée politique, la tolérance nihiliste investit de nos jours les lois écrites et non écrites qui règlent notre vie dans les sociétés occidentales, et les divergences qui donnaient lieu il y a quelques siècles à des affrontements physiques ou du moins à des discussions enflammées sont désormais sans intérêt pour le domaine public, elles ne sont plus que l'objet d'un choix privé et sans appel. Or le premier stade de la neutralisation culturelle touche la sphère esthétique, et peut se résumer au prudent dicton de gustibus non est disputandum, contre lequel émerge la critique d'art de la modernité, dans sa tentative – et première raison d'être – de discuter de goûts en principe indiscutables. Ce primat de la sphère esthétique, qui reste pendant des siècles, dans une culture centripète et intolérante, le seul terrain partiellement dépolitisé, donne une importance significative aux œuvres dont elle se compose, puisque les arts majeurs et mineurs ont longtemps donné droit de cité à des contenus que d'autres champs de la culture auraient exclus soigneusement. Tels sont, en résumé, les fondements de mon discours.



Théorie des genres


Les formes de l'art éclaireraient donc les structures profondes d'une civilisation, puisqu'un seul indice, même le plus infime, suffirait à révéler une culture entière – comme nous l'apprennent la critique descriptive ou la thick description des anthropologues. Mais en considérant la règle plus que l'exception, on se rend compte que les structures les plus complexes et les plus durables sont aussi les plus significatives. Quand Benjamin comparait la morphologie des formes narratives à la morphologie de la surface de la terre, il pensait à des regroupements d'œuvres aussi complexes qu'indéfinissables: les genres. Pour filer encore la métaphore géologique, nous pourrions dire que si l'espace littéraire d'une époque correspond à la surface du globe, les genres sont les mottes de terre qui informent, avec leurs mouvements, la croûte terrestre.


Mais si les histoires littéraires de longue durée se traduisent bien souvent en histoires des genres, reste à savoir ce que sont les genres littéraires. Dans l'incertitude sémantique qui caractérise toujours les débats sur la question, on reconnaît vite l'une des constantes de toute discussion culturelle. En vertu d'un processus primaire de diffusion du sens dont l'origine est presque physique, à chaque fois qu'un débat prend une dimension de masse, les universels en jeu finissent par se diluer dans des acceptions de plus en plus galvaudées, jusqu'à perdre leur signification spécifique. Que la réflexion sur les genres ait subi le même sort n'a donc rien d'étonnant. Pour éclairer les fondements de mon discours, il me semble cependant opportun de bien définir l'objet de ce livre. Qu'entend-on par poésie moderne? Et avant tout, que signifie parler de poésie moderne comme d'un «genre littéraire»? Que sont les genres littéraires?


Il me semble que ces questions regroupent trois problèmes distincts auxquels il convient de répondre séparément. Le premier concerne les critères requis pour tracer les frontières de nos objets; le second tient à la nature des ressemblances entre des textes réunis sous un même nom; le troisième touche à la signification de telles familles. Le problème des frontières se trouve efficacement formulé par Goethe dans l'une des notes qui accompagnent le Divan occidental-oriental (1819). Réfléchir sur les genres, c'est pour lui faire d'emblée l'expérience des limites et de l'hétérogénéité des catégories employées pour les définir:

Allégorie, ballade, cantate, drame, élégie, épigramme, épître, épopée, fable, héroïde, idylle, narration, ode, parodie, poème didactique, roman, romance, satire.
Si l'on voulait essayer de grouper de façon méthodique tous ces genres poétiques que nous venons d'énumérer dans l'ordre alphabétique et d'autres encore, on se heurterait à de grosses difficultés qu'on n'écarterait pas si aisément. Si l'on considère ces rubriques de plus près on trouvera qu'elles sont dénommées, les unes d'après des caractères extérieurs, d'autres d'après le contenu, mais bien peu d'après une forme essentielle. On observera bien vite que certaines se coordonnent, que d'autres peuvent se subordonner à d'autres[16].

Dans l'usage courant, le concept de genre réunit des familles de textes tout à fait disparates. En effet, l'allégorie, la ballade, la cantate, le drame, l'élégie, l'épigramme, l'épître, l'épopée, l'héroïde, le conte, l'idylle, l'ode, la parodie, le poème didactique, le récit, la romance, le roman, la satire sont des regroupements incommensurables entre eux, tantôt nés d'analogies de forme ou de contenu, tantôt nés de combinaisons toujours variées de formes et de contenus. Ces catégories hétéroclites nous conduisent, dans la pratique critique courante, à donner le même nom abstrait de «genre littéraire» à des entités complètement distinctes: le sonnet, la poésie d'amour médiévale ou la poésie lyrique en général; le roman de science-fiction, le romance ou le roman; la tragédie grecque, la tragédie sans adjectif ou le corpus des textes écrits pour le théâtre, et ainsi de suite. Pour éviter de telles confusions, Goethe proposait d'établir une hiérarchie respectant un ordre plus rationnel. Il fallait tirer de la logique de la littérature quelques grandes catégories idéales auxquelles reporter la foule confuse des catégories historiques, en distinguant la masse des genres poétiques (Dichtarten) des trois grandes formes naturelles (Naturformen) de la poésie – épique, lyrique et dramatique – avec lesquelles les genres poétiques auraient entretenu le même rapport que le particulier avec l'universel. La tentative connaîtra fortune. Un siècle et demi plus tard, Szondi reprend le raisonnement de Goethe, en opposant la poétique empirique des genres, qui ne repose que sur la «surface du positif», à la poétique spéculative, «qui ose passer des données aux idées, de l'histoire à la philosophie», tandis que Todorov distingue les «genres historiques» fondés sur l'observation de la réalité littéraire des «genres théoriques» nés par déduction, et que Genette différencie les «petites formes» historiques des grandes formes archétypiques qu'il appellera archigenres[17]. Au fond, il s'agit de la version moderne d'une dialectique déjà connue de Platon, qui mentionne dans un extrait des Lois les catégories auxquelles les écrivains et le public avaient recours pour classifier la poésie mélique (hymnes, threnoi, péans, dithyrambes ou chants citharodiques), et qui établit dans la République une tripartition idéale de tous les textes, en ramenant «ce que disent les poètes ou les mythographes» aux grandes formes du récit simple (aple diégésis), du récit mimétique (mimésis) et du récit mixte, d'après une taxinomie philosophique subsumant les petits genres empiriques sous des catégories abstraites[18]. Aujourd'hui, nous désignons encore sous le même nom les formes naturelles de Goethe, complexes mais pour l'essentiel anhistoriques, et la masse des formes historiques, concrètes mais limitées. Des premières relèvent ainsi les notions de récit, théâtre et poésie qui structurent l'architecture de nos histoires littéraires. Des secondes, la liste potentiellement infinie des catégories dont les diverses cultures ont usé pour regrouper les œuvres: les hymnes, threnoi, péans, dithyrambes ou chants citharodiques de la poésie lyrique grecque archaïque; le roman chevaleresque, historique, réaliste, fantastique, de formation ou de famille du récit moderne; la comédie à l'italienne, classique, réformée, larmoyante ou tragicomique du théâtre du xviiie siècle; et ainsi de suite. Ces frontières établies, il serait possible de disposer les différentes familles suivant un ordre rationnel où trôneraient quelques grands genres théoriques, et qui arriverait jusqu'aux genres empiriques par degrés de généralité décroissants. C'est notamment le cas de la chaîne hiérarchique qui relie le récit en général au roman de science-fiction en particulier, en passant par les formes intermédiaires du roman et du romance. La foule des noms trouverait ainsi une logique qui lui serait propre.


Si les plus empiriques de ces catégories semblent présenter un degré de réalité incontestable, un interlocuteur sceptique et nominaliste contesterait l'existence des ensembles les plus abstraits et la possibilité d'incorporer les genres au moyen de rapports logiques cohérents. En effet, les Naturformen n'ont la valeur à laquelle elles prétendent qu'à condition de vraiment découler, par déduction, de la logique de la littérature. Genette a pourtant avancé des arguments irréfutables pour démontrer que les notions de diégésis, de mimésis et de récit mixte sont les seuls véritables archigenres, et que ces catégories, déjà connues de Platon et d'Aristote, sont de toute façon trop pauvres pour fonder un système articulé. À cela s'ajoute le fait que les catégories de récit, de théâtre et de poésie sur lesquelles reposent la plupart des systèmes modernes n'ont aucun fondement logique absolu, mais uniquement une origine historique relative[19]. Et pourtant la distinction hiérarchique entre ces formes diverses apparaît toujours d'une évidence absolue, car les familles des textes que nous appelons genres restent indiscutablement sur des plans de réalité hétérogènes, les unes pouvant être placées dans un rapport d'égalité, comme le dit Goethe, les autres dans un rapport de subordination. Le roman de science-fiction, le romance, le roman et le récit semblent ainsi entretenir une relation de généralité croissante, le premier étant un sous-ensemble du second, le second un sous-ensemble du troisième, le troisième un sous-ensemble du quatrième. Si nous ne pouvons donc défendre les Naturformen et l'idée d'une hiérarchie déduite de la logique de la littérature, il paraît raisonnable de conserver le sens d'une progression du particulier à l'universel, des formes les plus petites, les plus contingentes aux formes les plus vastes et les plus abstraites: l'epos, le romance, le novel, la comédie, la tragédie, et ainsi de suite. La poésie moderne serait l'un de ces grands genres étendus.


Mais comment donner une assise solide à une telle chaîne déductive? Quand on soumet les catégories de genre à une analyse rigoureuse, on s'aperçoit qu'il est très difficile de justifier un passage comme celui que Goethe tente de légitimer, la différence entre petites et grandes formes n'ayant aucune prise véritable dans la réflexion. Car si nous nous en tenions fermement aux données de l'histoire littéraire, nous devrions non seulement renier tout fondement à des genres théoriques comme le récit, la poésie lyrique et le théâtre, mais encore remettre en cause jusqu'à l'existence de genres étendus comme l'epos, le romance, le roman moderne, le drame moderne ou la poésie moderne. D'autant que le statut de ces ensembles étendus a changé depuis la crise du classicisme européen et la fin de l'esthétique normative. Alors que la poétique antique reconnaissait l'existence de quelques grandes formes synthétiques (l'épopée sérieuse, l'épopée comique, la tragédie et la comédie), l'esthétique littéraire moderne peine à défendre la valeur de ces regroupements face aux critiques d'un positivisme qui reconnaît les particuliers mais se méfie des universels. Ne faisons-nous pas violence aux faits chaque fois que nous oublions les différences profondes qui séparent les poèmes lyriques du romantisme anglais des textes du symbolisme français, du modernisme espagnol, de l'expressionisme allemand ou de la néo-avant-garde italienne, pour parler de «poésie moderne» en général? Si nous voulions mener une réflexion de fond, nous devrions nous interroger sur le degré de réalité que présentent les données de fait de l'histoire littéraire, sur ce qui marque le passage d'un genre historique à un genre théorique. La seule pierre de touche permettant de fixer les données et de légitimer la différence résiderait alors dans une disctinction entre les noms endogènes, employés par les auteurs et par le public, et les noms exogènes, employés par les théoriciens de la littérature. Mais tenter d'appliquer cette opposition à la réalité, c'est se rendre compte que les deux catégories se confondent sans cesse[20]. Pour les auteurs comme pour le public, genres théoriques et historiques cohabitent dans la plus grande confusion, comme en témoignent les rayons des librairies, où les grands ensembles abstraits du «roman en langue étrangère», du «théâtre» et de la «poésie» côtoient les petits ensembles concrets du «roman policier», des «romans de fantasy» ou des «romans d'amour», le tout sans ordre ni hiérarchie. En réalité, si l'hypothèse d'une chaîne déductive qui permettrait de passer des petites formes aux grandes formes étendues soulève tant de difficultés, comme l'observe Schaeffer, c'est qu'elle renvoie à une comparaison plus ou moins consciente entre les familles littéraires et les espèces animales, qui n'est guère capable de saisir la logique d'ensemble de nos catégories[21]. Pour bien comprendre le sens des genres, il faut affronter le second problème que pose implicitement la question du statut de notre objet: celui de sa nature.



Topographie des genres


Quel type de ressemblance évoquent les ensembles dont nous parlons? À supposer que les genres ne sont pas des regroupements organiques comparables aux espèces animales, de quoi s'agit-il alors? Dans la première partie d'un essai sur la question, Jauss reprend les termes des disputationes de la philosophie médiévale sur les universels et distingue trois positions. Pour certains interprètes, les genres constituent des essences ante rem, autrement dit des structures transcendantales précédant idéalement l'existence empirique des textes. Pour d'autres, ils représentent des grilles taxinomiques post rem que les lecteurs appliquent à une réalité littéraire magmatique et dispersée. Pour d'autres enfin, ils enregistrent la continuité historique objective qui unit des œuvres d'une même famille, et sont ainsi les traces d'un lien objectif entre les différents textes, des universels in re. C'est cette dernière approche que défend Jauss. Pour construire une théorie à la hauteur de notre époque, il faudrait, d'après lui, se frayer un passage «entre le scepticisme nominaliste […] et un repli sur des typologies intemporelles, comme entre Charybde et Scylla»[22], entre la myopie de ceux qui ne voient que la dispersion des petites formes et la naïveté de ceux qui diluent trop prestement les particuliers dans l'universel. Les genres ne reflètent pas l'existence de la littérature, comme le soutenait la théorie des formes naturelles, pas plus qu'ils ne se laissent réduire à un pur flatus vocis, comme le voudraient les sceptiques. Ils désignent plutôt des ensembles de textes que l'on peut par analogie affilier historiquement entre eux. Mais qui décide des relations de parenté? Qui décide qu'une palette de ressemblances plus ou moins manifestes suffit à réunir une masse de textes dans une catégorie commune?


Alors même qu'on en appelle à des similitudes incontestables, à la perception de la parenté, et surtout à l'idée qu'un rapport de parenté est assez significatif pour justifier l'existence d'un genre, ce qui impose en somme une idée précise de l'espace littéraire n'est autre que l'un des enjeux du conflit opposant les acteurs sociaux– écrivains, critiques, institutions. L'activité cartographique est continue et polycentrique, de sorte qu'à chaque époque se superposent des propositions différentes qui s'ignorent ou s'affrontent, chacune avec sa nature imprévisible et ses origines confuses, ses pratiques d'écriture bien enracinées, ses positions poétiques, ses taxinomies éditoriales, ses stratégies scolaires, ses essais critiques. On a beaucoup à apprendre de l'étude de ce champ qu'agitent d'incommensurables catégories – par exemple, que les géographies littéraires déversées à l'état brut par les maisons d'édition ou les programmes scolaires comptent bien plus que les cartographies raffinées qu'élabore la critique officielle. De toutes ces partitions, seules quelques-unes l'emportent et gagnent le droit à une existence sociale stable. Nous pouvons contester aujourd'hui l'utilité de catégories théoriques telles que Entwicklungsroman ou greater Romantic lyric, mais en pratique personne ne peut remettre en cause l'existence d'ensembles appelés roman moderne ou poésie moderne. Un réseau de ressemblances stylistiques reconnues, un ensemble d'attentes désormais ancrées dans l'inconscient des écrivains et des lecteurs, plusieurs milliers d'essais critiques et la ratification des programmes scolaires rendent ces universels in re absolument inattaquables.


Quel que soit le degré de consensus qu'ils peuvent susciter, deux éléments distincts rapprochent les genres: une ressemblance objective de style et de sujet entre les textes qui les composent, et les schémas mentaux permettant aux lecteurs de percevoir la continuité entre les œuvres. En d'autres termes, la parenté vient tant d'une persistance réelle de formes et de contenus que d'un système plus ou moins chaotique de théories, d'habitudes, de paroles et d'attentes en vertu desquelles un groupe de personnes finit par donner le même nom à des œuvres qui apparaîtraient pourtant, à la lumière d'autres théories, très différentes les unes des autres[23]. Les deux facteurs de proximité, le facteur objectif et le facteur culturel, se rejoignent dans la plupart des cas, bien qu'en des quantités variables. Quand nous appréhendons le sonnet comme un genre, nous nous référons à une continuité métrique objective, mais lorsque nous parlons du roman au singulier, nous percevons une ressemblance que nous suggère surtout notre sens commun, qui use désormais d'un terme général pour désigner tout type de narration moderne d'une certaine longueur, réaliste ou fantastique, plausible ou non, de fiction ou de témoignage, en prose ou en vers. Une théorie des genres solide devrait éclairer ce double lien généalogique. Une lecture unitaire du roman devrait, par exemple, souligner les points communs entre les Éthiopiques, Pamela ou Guerre et paix, et reconstruire le système de concepts qui nous fait saisir les affinités et négliger les différences. Le fait que la perception du récit n'est pas la même que la nôtre dans les littératures où le terme unitaire de «roman» n'existe pas pourrait apporter un élément d'explication; c'est le cas dans la tradition culturelle de langue anglaise, qui répartit presque toujours en deux familles distinctes, novel et romance, des œuvres que nous ne classons que sous un seul nom.


Dans son Discours sur la poésie lyrique et la société, Adorno veut désigner l'idée de poésie telle qu'elle se trouve sédimentée dans l'imaginaire collectif des lecteurs modernes en se réclamant de «l'esprit spécifiquement lyrique des époques anciennes, tel que nous le connaissons bien», et de «notre idée primaire de la poésie lyrique»[24]. Il renvoie ici à la perception d'une affinité entre des textes qui ne découle pas de la somme mécanique des traits communs à toutes les poésies lyriques modernes, mais d'un concept synthétique, sélectif et mouvant. Quand nous parlons de poésie moderne au singulier, nous pensons à deux continuités parallèles et distinctes. La première nous vient des ressemblances entre les œuvres versifiées de ces deux derniers siècles, la seconde de l'idée de poésie que nous a transmise la culture romantique, des expectatives inconscientes qui nous habitent lorsque nous feuilletons des recueils de poésie, ou de la notion même de poésie moderne.


Cette transformation de l'horizon implique aussi un changement des schémas mentaux que nous employons pour penser nos objets. Les historiens de la culture définissent rarement la nature des sujets qu'ils abordent. Mais de façon presque inévitable, lorsqu'ils les traitent comme des universels (le Romantisme, le Postmoderne, le Roman), ils se réfèrent plus ou moins consciemment à un modèle d'unité: l'essence qui se déploie dans les phénomènes, l'organisme qui conserve son identité propre dans toutes ses parties, la construction mentale de l'interprète qui recueille et classifie a posteriori une myriade d'événements dispersés. Si le modèle organiciste ou existentialiste présuppose des universels ante rem, et si le modèle taxinomique présuppose des universels post rem, le seul schéma mental qui convienne aux universels in re est le schéma topographique.


Les entités qui se rapprochent le plus de nos objets sont peut-être les universels in re dont nous faisons chaque jour l'expérience: les villes. Notre imaginaire ne se les représente ni comme des organismes naturels, ni comme les constructions abstraites d'un géographe, mais comme des systèmes de maisons souvent hétérogènes, que relient la proximité dans l'espace, une histoire commune, quelques affinités architectoniques et un nom qui leur est propre. Là encore, l'impression de cohésion vient des structures mêmes qui jouent sur la formation des genres: la continuité de certaines composantes objectives (l'architecture, l'urbanisme, l'administration) et tout un réseau d'attentes, de mots, de discours qui atténuent les différences, exaltent les ressemblances pour créer une norme. Paris n'est pas fait que de son objective cohésion stylistique, mais aussi de son idée même, de son nom, de son image telle qu'elle s'est fixée dans l'imaginaire collectif, née de l'union d'éléments réels et fantasmatiques. Cette ville, qui paraît déjà si extraordinairement compacte dans sa physionomie, l'est encore davantage par nos habitudes perceptives qui distinguent les stylèmes parisiens des stylèmes non parisiens, y compris là où ces derniers sont plus nombreux ou plus significatifs. C'est pourquoi notre image demeure unitaire, bien que certains quartiers aient très peu à voir avec le gothique, avec les architectes de Louis xiv ou avec les travaux de Haussmann; et le Boulevard Raspail se trouve décrit dans un guide comme une «avenue parisienne typique» bien que son plus bel édifice, la Fondation Cartier de Jean Nouvel, ne réponde pas aux conceptions que nous associons généralement à la ville.


Si les universels in re reflètent une continuité en partie immanente à la res et en partie idéale, c'est aussi parce que les idées ne se bornent pas à souligner les normes, mais peuvent encore les produire. De même que les plans régulateurs des centres historiques imposent aux constructions nouvelles de se conformer à une certaine image de la ville, de même les attentes courantes des lecteurs conditionnent les écrivains, qui finissent par conformer leurs œuvres à la pratique générique, ou par affirmer leur identité propre en enfreignant une norme implicite à laquelle ils ne cessent pas moins de se référer par la négation. En somme, nos objets renvoient à une double persistance: réelle et imaginaire, inscrite dans la forme des textes et sédimentée dans les expectatives. Les éléments immatériels importent tout autant que les éléments matériels dans l'élaboration de l'image de l'ensemble. Bien souvent il suffit de modifier un nom pour transformer la perception de la chose: Pétersbourg, Pétrograd, Léningrad et Saint-Pétersbourg ne sont pas qu'une seule et même ville, et si tous les grands agglomérats urbains s'étendent bien au-delà de leurs délimitations administratives, la conscience de la discontinuité onomastique trouble la perception de l'unité spatiale. Ainsi, notre idée du genre de l'Orlando furioso change en fonction du nom que nous employons: un poème chevaleresque et un roman chevaleresque ne sont pas la même chose. Pensons aussi à une catégorie critique que Giacomo Debenedetti a rendue célèbre en Italie, celle de «roman du xxe siècle», qui décrit des phénomènes objectifs mais dissimule bon nombre d'incongruités. Car s'il est vrai que notre horizon d'attente s'est accoutumé à des styles narratifs qui n'existaient pas au xixe siècle, il est tout aussi vrai qu'on exclurait difficilement du canon des romans écrits au xxe siècle, des œuvres qui rappellent, comme Les Buddenbrook ou Vie et destin, le xixe siècle. La perception d'un changement objectif recouvre donc une simplification courante, et le «roman du xxe siècle» renvoie à un ensemble de sujets et de techniques, non moins qu'à une conception.


Comme tout espace, les genres littéraires ont eux aussi un centre et une périphérie. Le premier est occupé par les œuvres que l'horizon d'attente des lecteurs perçoit comme proches d'un hypothétique idéal-type, la seconde est occupée par les textes rattachés à un genre, mais excentriques par rapport à une norme présumée. Là encore, le critère permettant d'identifier ces diverses positions est un mélange complexe et variable de quantités et d'importance symbolique, de diffusion et d'hégémonie. Si l'on parle de «roman du xxe siècle», c'est que le nombre de romans expérimentaux à des titres divers a sans doute augmenté de façon objective dans les premières décennies du xxe siècle, mais c'est aussi parce que les romans novateurs ont eu un impact suffisamment profond pour modifier la topographie littéraire. Une fois passée dans le sens commun, l'expression finit par s'incarner dans certaines œuvres mieux que dans d'autres. Au centre, il y a naturellement la Recherche, l'Ulysse ou L'Homme sans qualités, tandis que Les Buddenbrook, Le Guépard et Vie et destin se situent à la périphérie. Il est important de souligner que les catégories spatiales n'ont pas nécessairement de valeur esthétique. Une œuvre peut occuper une position à la fois éminente dans le canon littéraire, et périphérique dans le territoire du genre auquel elle appartient; ainsi, La Terre vaine est à juste titre l'un des textes les plus célébrés de la littérature du xxe siècle, sans pour autant représenter bien sûr la forme typique de la poésie moderne.



Formes symboliques


Une fois clarifiées les frontières et la nature des genres, demeure la question essentielle: à quoi renvoient ces persistances? Que signifient les genres littéraires? J'ai déjà apporté quelques éléments de réponse: les formes de l'art enregistrent l'histoire de l'humanité avec plus d'exactitude que les documents, et les genres sont le signe d'une profonde continuité culturelle. Afin de bien saisir les conséquences de cette idée, nous pouvons recourir à un concept que Panofsky emprunte à Cassirer pour illustrer l'essence de la perspective. Pour Panofsky, la perspective serait une forme symbolique grâce à laquelle «un contenu signifiant d'ordre intelligible s'attache à un signe concret, d'ordre sensible pour s'identifier profondément à lui»[25]. Bien que très différentes les unes des autres, les œuvres recourant à cette technique partagent un trait de style qui donne une forme plastique à une certaine vision du monde – à savoir, l'idée que l'espace est infini, qu'il obéit à des lois géométriques et qu'il existe indépendamment des hommes. Dans l'usage qu'en font Cassirer et Panofsky, le concept de forme symbolique reformule un concept essentiel dans l'esthétique hégélienne: «le sensible est ainsi spiritualisé dans l'art, puisque le spirituel apparaît dans l'art comme ayant été rendu sensible»[26]. Repensant plus tard cette même idée, Adorno dit que les formes de l'art sont des contenus sédimentés, et que c'est pour cela qu'ils racontent l'histoire des hommes[27]. S'il en est ainsi, les constructions esthétiques complexes, comme la perspective ou les genres littéraires, représentent des images du monde condensées en une forme plastique et destinées à un public donné. Leur naissance, leur mort et leur métamorphose signifient la naissance, la mort et la métamorphose d'une vision de la réalité et des milieux qui s'y reconnaissent.


Pour affiner davantage la théorie de la forme symbolique, notre réflexion sur les genres peut adopter un autre point de vue, celui de l'écrivain. La catégorie de Cassirer et Panofsky naît en effet du regard de l'interprète qui juge l'histoire littéraire après son achèvement, tandis que l'écrivain est toujours précédé par les genres qui informent le domaine littéraire avant même qu'il n'y vienne, structurant a priori sa perception de la réalité, telles des charpentes inscrites dans la temporalité et préexistant à celui qui écrit. Si nous appelons espace littéraire l'ensemble des œuvres auxquelles il est raisonnable de se consacrer à une époque donnée, autrement dit l'étendue des possibilités qui s'offrent aux écrivains, les genres sont les structures transcendantales qui ordonnent cet espace. En choisir une plutôt qu'une autre (composer des sonnets ou des chansons, être poète ou romancier, écrire un novel ou un romance), c'est adopter une image du monde et de la vie, un rapport au passé, une position dans l'espace social, un public. Ainsi l'historien perçoit-il nos universels comme des formes symboliques, l'écrivain comme des structures transcendantales: dans les deux cas, de deux points de vue différents, les genres cristallisent la longue durée en littérature.



Qu'est-ce que la poésie moderne


Les formes symboliques, les structures transcendantales de la littérature moderne se composent au cours d'une longue métamorphose qui s'étend sur de nombreux siècles et culmine, entre la seconde moitié du xviiie siècle et la première moitié du xixe siècle, dans une phase de changements soudains. C'est alors que disparaissent ou entrent en situation de survie les genres considérés comme les plus prestigieux par la poétique ancienne et les poétiques classiques, l'epos et la tragédie. Deux formes absolument modernes les remplacent symboliquement: le novel et le drame bourgeois, qui racontent ou mettent en scène, de façon sérieuse et problématique, les histoires des gens ordinaires et les conflits de la vie quotidienne. Au même moment, la poésie connaît elle aussi une transformation radicale. Quand on lit les Disegni letterari et quand on pense à la position qu'occupe Leopardi dans l'histoire de la littérature italienne, cette mutation subie en quelques décennies par le domaine de l'écriture en vers a de quoi surprendre. Comment ne pas s'étonner, en effet, que l'auteur des idylles songe encore, entre 1819 et 1821, à écrire un poème didactique consacré aux forêts, autrement dit une œuvre sans avenir, tout à fait inconcevable pour l'horizon d'attente moderne, comme le sont du reste les Paralipomeni della Batracomiomachia auxquels Leopardi travaille à partir de 1831? La poésie a de nos jours une fonction et une signification autres que celles que l'auteur des Canti paraît encore lui donner dans les Disegni et dans les Paralipomeni. En l'espace d'un siècle, entre les dernières Odes de Parini et les premières Myricae de Pascoli, entre les derniers vers de Voltaire et le sonnet en yx de Mallarmé, l'art poétique s'est totalement métamorphosé.


C'est en interrogeant l'étonnement même que suscitent les Disegni letterari à deux siècles de distance que nous pouvons commencer à définir cette métamorphose. Comment se fait-il que notre horizon d'attente, inconsciemment lié à une certaine image des genres, soit troublé par l'idée que Leopardi, peu de temps après avoir composé «L'infinito», songeait à un poème didactique sur les forêts? Qu'est-ce qui nous étonne? Tout d'abord, la mission que Leopardi assigne à la poésie lorsqu'il se propose d'écrire un poème illustrant l'utilité des forêts et racontant, pour une énième fois, les histoires que la littérature européenne a accumulées au fil des siècles sur un sujet extrêmement conventionnel, lourd de passé et loin de l'expérience d'un homme du xixe siècle; ensuite, le type d'écriture que le thème semble présupposer, c'est-à-dire une versification ornementale visant à habiller un contenu préexistant et adapté à la prose. Voulant expliciter les contenus qui se cristallisent dans notre étonnement, nous trouverions cette série de stylèmes et d'attentes habituellement associées à la poésie dite moderne. Mais qu'entendons-nous par là?


Nous ne devons pas nous figurer l'objet de notre réflexion comme un organisme ou une essence, mais comme un espace complexe et en partie hétérogène. Le substantif associe un élément formel à une époque historique: «poésie» veut dire, avant tout, discours écrit en vers, et si les débuts de l'époque moderne de l'écriture en vers remontent selon les périodisations à des moments différents, tous sont cependant compris entre l'époque romantique et l'avènement des avant-gardes. Bien que la surface de son territoire se compose en majorité d'œuvres versifiées, la poésie moderne est parvenue à englober des textes en prose qui se distinguent par leurs contenus autobiographiques ou par leur densité formelle: les poèmes en prose. Comme tous les universels in re, le genre poétique présente une périphérie et un centre, occupé par des compositions brèves ou de longueur moyenne, presque toujours en vers, abordant des thèmes personnels dans un style considéré comme personnel – autrement dit par des textes appelés, depuis deux siècles, lyriques. Aujourd'hui, lorsque nous approchons dans une librairie des rayons consacrés aux volumes de poésie, nous pensons y trouver des œuvres contenant des textes versifiés et plutôt courts, qui relatent des expériences vécues ou des réflexions personnelles dans un style proche du degré zéro de la communication quotidienne. Si le projet d'écrire un poème sur les forêts nous étonne, c'est bien parce qu'il ne répond pas à ces attentes; il nous semble pré-moderne que Leopardi veuille recourir aux vers pour raconter ou expliquer un thème conventionnel et loin de l'expérience vécue, ou qu'il veuille parer un contenu prosaïque des ornements de la métrique et de la rhétorique. Depuis deux siècles au moins, la poésie didactique n'existe plus, si ce n'est sous une forme parodique ou expérimentale, comme chez Gozzano, Auden ou Queneau; depuis longtemps l'idée de style dont se réclament les poètes et les lecteurs de poésie n'est plus ornementale. Quant à la crise du récit en vers, elle est bien moins soudaine, mais tout aussi nette. Jusqu'à la moitié du xixe siècle, il était tout naturel de recourir aux vers pour orner un récit ou un raisonnement: si la poésie épique didactique et descriptive relevait du système des genres couramment pratiqués dans la littérature classique du xviiie siècle, la culture romantique revitalisa la tradition du poème narratif[28]. De 1800 à 1860, la poésie épique française en vers connut une extraordinaire expansion quantitative[29]; dans la seconde moitié du xixe siècle, quelques-uns des poètes et romanciers anglais les plus importants, comme Robert Browning, George Meredith, Elizabeth Barrett Browning, William Morris ou encore George Eliot, jugent encore tout naturel de composer de longs poèmes narratifs; de 1785 à 1858, des dizaines et des dizaines de poèmes épiques célèbrent la naissance et le développement d'une nouvelle puissance mondiale, les États-Unis[30]; en 1889, Yeats débute sa carrière de poète par une légende en vers, The Wandering of Oisin. Et pourtant, malgré ces phénomènes de résistance, le prestige des compositions narratives longues a inexorablement diminué au fil du xixe siècle, au moment précis où la poésie lyrique prenait le pas sur l'écriture en vers. La prééminence des textes brefs et subjectifs est aujourd'hui si indiscutable qu'elle se fixe dans la langue. Ce n'est pas un hasard si deux critères taxinomiques informes servent à regrouper l'ensemble des textes que nous appelons poésie. Tout texte écrit en vers est «poésie», quel que soit son contenu; mais tout texte bref en prose d'inspiration lyrique est également «poésie», suivant une pratique linguistique qui considère comme allant de soi une idée qui ne va pas de soi, à savoir qu'il y a plus d'écart entre un roman en vers et un roman en prose qu'entre une épopée en vers et un recueil de poèmes en prose. L'idée était inconcevable avant que la crise du système littéraire classique ne détruise la poésie didactique, avant que le développement du roman moderne ne fasse de la prose le medium naturel de la narration, avant que la poésie lyrique ne l'emporte sur l'écriture en vers. Dans certaines traditions critiques, du reste, la poésie subjective est tellement centrale qu'elle en paraît tautologique au point de créer des antonomases. C'est ce que soulignent le recours fréquent aux termes de «prose» et de «poésie» comme synonymes respectifs de «récit» et de «poésie lyrique», ou la confusion couramment opérée entre les concepts de poésie moderne et de poésie lyrique moderne, et que Hugo Friedrich a tenté de légitimer dans un ouvrage aussi célèbre que discutable[31]. Cette prédominance se trouve aussi involontairement confirmée par les arguments de ceux qui défendent une idée alternative, mais donnent finalement à leurs essais un ton polémique très caractéristique, comme s'ils s'érigeaient contre une opinion dominante dont ils reconnaissent le primat au moment même où ils s'attachent à le contester[32]. C'est pour la même raison que le commentateur d'un texte ne relevant pas de la forme lyrique éprouve souvent le besoin d'expliquer à son lecteur le genre de l'œuvre en question: on lit souvent que Pound tente de faire revivre l'épopée moderne en vers, que Auden redécouvre la poésie didactique pré-moderne ou que Pasolini écrit des poèmes narratifs, alors qu'il nous semblerait tout à fait inopportun que quelqu'un cherche à décrire la nature des textes de Montale, Jorge Guillén ou Ceylan.


La poésie subjective n'épuise pourtant pas tout le spectre de la poésie moderne. Nous trouvons en effet, à la périphérie du genre, deux familles étendues de textes que nous ne pouvons qualifier de lyriques. Il y a, d'une part, les œuvres en vers que la critique anglaise appelle long poems et l'italienne poemetti. Ils franchissent parfois les frontières de la poésie subjective en se rapprochant de la narration ou de l'essai, renonçant dans tous les cas, dans leur quête d'une formulation plus claire, plus transparente et plus accessible, à la forme généralement brève, obscure et subjective de la poésie lyrique moderne. D'autre part, il y a les textes qui prétendent abolir la première personne, éliminer tout contenu manifeste et réduire la poésie à un simple jeu de suggestions formelles, suivant un projet d'abord formulé par Mallarmé. Bien entendu, la frontière entre le centre et la périphérie s'estompe quelquefois, comme dans les villes. Ainsi, un texte comme Le ceneri di Gramsci peut apparaître à la lecture comme une tentative visant à ressusciter la narration en vers sur un sujet de société, ou comme une longue confession monologuée et égocentrique, ou même, ce qui est le cas, comme les deux à la fois. Bien que le genre poétique ne coïncide pas avec la poésie lyrique, et que certaines de ses œuvres les plus importantes n'aient rien à voir avec la poésie subjective (Un coup de dés ou La Terre vaine, les Cantos ou The Age of Anxiety), la position centrale de la poésie lyrique demeure inébranlable.


Les textes de ces derniers siècles semblent du reste avoir exacerbé l'égocentrisme immanent à la poésie subjective. Ils ont exhibé sous les yeux du public des expériences personnelles qui, à d'autres époques, auraient été jugées inintéressantes ou inadaptées à une œuvre sérieuse, et leur ont donné une forme qui semble régie, en surface du moins, par ce qu'Eliot allait appeler «le talent individuel», autrement dit le droit d'adopter un style excentrique par rapport à la norme publique de la tradition[33]. En principe, un poète moderne peut exprimer chacune de ses pensées, chacune de ses passions privées sous une forme si individualiste qu'elle résiste à la paraphrase, comme si s'était vraiment réalisée, dans ces deux derniers siècles, l'idée romantique de la poésie lyrique comme genre où le “je” qui s'exprime espère dire la vérité de tous et «parvenir à l'universalité par l'individuation illimitée»:

Le texte lyrique veut parvenir à l'universalité par l'individuation illimitée. […] son concept, qui nous est devenu pour ainsi dire une seconde nature, immédiatement, est de nature tout à fait moderne. […] Je sais que j'exagère, que vous pouvez me citer bien des exemples du contraire. […] Mais les manifestations de l'esprit spécifiquement lyrique des époques anciennes, tel que nous le connaissons bien, ne s'éclairent que de façon sporadique, comme les fonds dans la peinture ancienne, qui préfigurent intuitivement l'idée de la peinture paysagiste. Elles ne constituent pas sa forme. Les grands poètes du passé que les concepts de l'histoire littéraire rangent dans la poésie lyrique, comme par exemple Pindare ou Alcée, mais aussi l'œuvre de Walther von der Vogelweide dans sa plus grande partie, sont incroyablement éloignés de notre idée primaire de la poésie lyrique[34].

Ce livre entend proposer une interprétation unitaire de la poésie moderne. Mon approche est comparatiste, et mes thèses de fond s'appliquent à toutes les littératures occidentales, même si la place que j'accorde à la littérature italienne, celle que je connais le mieux, est inévitablement plus grande que celle que je donne aux autres littératures. Si cette asymétrie n'a d'autre explication que mes propres limites, je reste convaincu qu'elle ne met pas en cause la portée générale de mon propos. Bien que le faible poids géopolitique de la langue italienne freine la diffusion de sa littérature, la poésie italienne de ces derniers siècles, et plus particulièrement celle du xxe siècle, constitue, par la qualité et la variété de ses résultats, l'une des traditions poétiques les plus représentatives et les plus riches. Si j'avais écrit un livre sur le roman, je n'aurais pu, bien sûr, en dire autant.


Je commencerai par reconstruire la généalogie des concepts et des attentes inconscientes sur lesquels se fonde l'image couramment répandue de la poésie moderne: l'idée que l'écriture en vers des derniers siècles diffère de l'écriture pré-moderne, qu'elle se centre sur le genre lyrique, et que la poésie lyrique est bien ce que nous entendons aujourd'hui par ce terme. Je partirai des théories, et non des œuvres, ne serait-ce que parce qu'ici, les concepts et les mots qui rendent possible l'existence du genre se forment avant que les textes ne viennent adhérer aux nouveautés de la poétique. Bien que le moment le plus flagrant de la métamorphose de la poésie européenne se situe entre la génération de Baudelaire et celle des avant-gardes historiques, le système d'attentes qui sous-tend notre idée du genre littéraire émerge un demi-siècle plus tôt, à l'époque romantique. Si le premier chapitre retrace la formation de la théorie, le second illustre les nouveautés de la poésie moderne au sein du texte que beaucoup considèrent comme le premier véritable poème de la littérature italienne: «L'infinito» de Leopardi. Dans le troisième chapitre, je propose une histoire sur la longue durée des formes pratiquées au cours de ces deux derniers siècles. Dans le quatrième, je m'attache à établir une sorte de cartographie des courants et des tendances qui composent, au fil des heurts et des croisements, l'espace littéraire en question. Dans le dernier chapitre, je tente d'expliquer le contenu spirituel qui se cristallise dans notre forme symbolique: ce que signifie la poésie moderne, quelle image de l'homme et du monde elle nous transmet, ce qu'elle nous permet de comprendre, quelle valeur elle a pour nous aujourd'hui. Le livre tend vers cet épilogue.



Guido Mazzoni


Pages de l'Atelier associées: Histoire, Genres, Lyrisme.




[1] G. Leopardi, Disegni letterari, dans Poesie e prose, vol. II, Prose, R. Damiani (éd.), Milano, Mondadori, 1988, p. 1204-1220.

[2] G. Leopardi, Disegni letterari, op. cit.

[3] W. Benjamin, Der Erzähler, Betrachtungen zum Werk Nikolai Lesskows, dans Illuminationen, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1961; trad. M. de Gandillac, R. Rochlitz et P. Rusch, Le conteur. Réflexion sur l'œuvre de Nicolas Leskov (1936), in Œuvres, t. III, Paris, Gallimard, 2000, p.122.

[4] T.W. Adorno, Rede über Lyrik und Gesellschaft (1957), dans Noten zut Literatur I, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1958; trad. S. Muller, Discours sur la poésie lyrique et la société, dans Notes sur la littérature, Paris, Flammarion, 1984, p. 45-63.

[5] E. Auerbach, Mimesis. Dargestellte Wirklichkeit in der abendländischen Literatur, Bern, Francke, 1946; trad. C. Heim, Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Paris, Gallimard, 1977.

[6] P. Szondi, Theorie des modernen Dramas, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1956; trad. S. Muller, Théorie du drame moderne, Belval, Circé, 2006.

[7] F. Jameson, Postmodernism, or the Cultural Logic of Late Capitalism, Durham, Duke University Press, 1991.

[8] E.H. Gombrich, In Search of Cultural History, Oxford, Clarendon Press, 1969, p. 24 et suiv. Voir également E.H. Gombrich, «Hegel und die Kunstgeschichte», inNeue Rundschau, LXXXVIII, 1977, n° 2, p. 202-219.

[9] Cf. P. Bourdieu, Les Règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire, nouvelle édition revue et corrigée, Paris, Seuil, 1998, p. 328.

[10] M. Proust, Le Temps retrouvé, dans À la recherche du temps perdu, édition publiée sous la direction de J.-Y. Tadié, Paris, Gallimard, 1989, vol. IV, p. 537 et suiv.

[11] Cf. P. Bourdieu, Les Règles de l'art, op. cit.; G. Sapiro, La Guerre des écrivains. 1940-1953, Paris, Fayard, 1999; A. Boschetti, La Poésie partout. Apollinaire, homme-époque (1898-1918), Paris, Seuil, 2001.

[12] P. Ricœur, De l'interprétation. Essai sur Freud, Paris, Seuil, 1965, p. 40 et suiv.

[13] P. Bourdieu, Les Règles de l'art, op. cit., p. 416.

[14] Cf. A. Gramsci, Quaderni del carcere, V. Gerratana (éd.), Torino, Einaudi, 1975, trad. C. Perrus et P. Laroche, Cahiers de prison. 5, Cahiers 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, Paris, Gallimard, 1992, vol. 5, Cahier 19, § 25, p. 79-80. Voir également les Cahier 10, § 44et Cahier 13, § 37, dont il n'existe encore aucune traduction française publiée. 

[15] E.H. Gombrich, In Search of Cultural History, op. cit., p. 25-26.

[16] J.W. Goethe, West-östlicher Divan (1819), H. Birus (éd.), dans Sämtliche Werke, vol. III, tome I, Frankfurt a.M., Deutscher Klassiker Verlag, 1994; trad. H. Lichtenberger, Le Divan occidental-oriental, Paris, Aubier, 1940, «Notes et dissertations pour aider à l'intelligence du Divan occidental-oriental», «Genres poétiques», p. 377.

[17] Cf. P. Szondi, Poetik und Geschichtsphilosophie II, W. Fietkau (éd.), Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1974; T. Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1970; G. Genette, Introduction à l'architexte, Paris, Seuil, 1979. Sur cette distinction, voir également J.-M. Schaeffer, Qu'est-ce qu'un genre littéraire?, Paris, Seuil, 1989.

[18] Platon, Lois, III, 700 a-d, République, III, 392 d.

[19] Cf. G. Genette, Introduction à l'architexte, op. cit.

[20] Sur la distinction entre noms exogènes et endogènes, cf. J.-M. Schaeffer, Qu'est-ce qu'un genre littéraire?, op. cit., p. 71.

[21] Ibid., p. 59 et suiv.

[22] H.R. Jauss, Theorie der Gattungen und Literatur des Mittelalters (1972), dans Alterität und Modernität der mittelalterlichen Literatur, München, Fink, 1977; trad. É. Kaufholz, Littérature médiévale et théorie des genres, dans G. Genette et T. Todorov (dir.), Théorie des genres, p. 37-76, voir p. 40.

[23] Sur l'importance des noms dans la construction des genres, cf. A. Fowler, Kinds of Literature. An Introduction to the Theory of Genres and Modes,Oxford, Clarendon Press, 1982.

[24] T.W. Adorno, Discours sur la poésie lyrique et la société, op. cit., p. 49.

[25] E. Cassirer, Philosophie der symbolischen Formen, Berlin, B. Cassirer, 1923-29; trad. La philosophie des formes symboliques, Paris, Minuit, 1972, 3 vol., trad. C. Fronty, J. Lacoste et O. Hansen-Løve; E. Panofsky, Die Perspektive als «symbolische Form», Leipzig-Berlin, Teubner, 1927; trad. La perspective comme forme symbolique et autres essais, Paris, Éditions de Minuit, 1975, trad. dir. par G. Ballangé, p. 78. Franco Moretti a eu recours au concept de forme symbolique pour interpréter un genre littéraire (F. Moretti, Il romanzo di formazione, Milano, Garzanti, 1986, p. 12-13), mais Curtius avant lui, sans cependant citer explicitement Cassirer, s'en était servi dans un même but. Cf. E.R. Curtius, Europäische Literatur und lateinisches Mittelalter, Bern, Francke, 1948; trad. J. Bréjoux, La littérature européenne et le Moyen Âge latin, Paris, Presses Universitaires de France, 1956, p. 482.

[26] G.W.F. Hegel, Ästhetik,Berlin, Aufbau-Verlag, 1955; trad. J.-P. Lefebvre et V. Von Schenck, Cours d'esthétique I, Paris, Aubier, 1995, «Introduction», chap. iii, 2, p. 57.

[27] T.W. Adorno, Philosophie de la nouvelle musique, op. cit., p. XXX. Voir également T.W. Adorno, Ästhetik Theorie, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1970; trad. M. Jimenez, Théorie esthétique, Paris, Klincksieck, 1989, p. 15-330, voir p. 188.

[28] J.-L. Backès, Le poème narratif dans l'Europe romantique, Paris, Puf, 2003.

[29] W. Calin, A Muse for Heroes. Nine Centuries of the Epic in France, Toronto-Buffalo-London, University of Toronto Press, 1986, p. 298 et suiv.

[30] J. P. McWilliams, The American Epic. Transforming a Genre, 1770-1860, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.

[31] H. Friedrich, Die Struktur der modernen Lyrik, Hamburg, Rowohlt, 1956; trad. Structure de la poésie moderne, trad. M.-F. Demet, Paris, Librairie générale française, 1999. Sur la superposition de la poésie et de la poésie lyrique, voir G. Bernardelli, Il testo lirico. Logica e forma di un tipo letterario, Milano, Vita e Pensiero, 2002, p. VIII.

[32] Il suffit de lire quelques-uns des essais qui, dans les quinze dernières années, ont tenté de mettre en cause, avec des arguments efficaces, le primat de la poésie lyrique dans la poésie italienne moderne: A. Berardinelli, La poesia verso la prosa. Controversie sulla lirica moderna, Torino, Bollati Boringhieri, 1994; R. de Rooy, Il narrativo nella poesia moderna. Proposte teoriche e esercizi di lettura, Firenze, Cesati, 1997; N. Gardini, L'antico, il nuovo, lo straniero nella lirica moderna, Milano, Edizioni dell'Arco, 2000.

[33] T.S. Eliot, Tradition and the Individual Talent, in Id., The Sacred Wood. Essays on Poetry and Criticism, London, Methuen, 1920; trad. La tradition et le talent individuel, in T.S. Eliot, Essais choisis, trad. H. Fluchère, p. 27-37.

[34] T.W. Adorno, Discours sur la poésie lyrique et la société, op. cit., p. 46, 48, 49.



Guido Mazzoni

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Dernière mise à jour de cette page le 9 Juillet 2015 à 16h11.