Atelier

Jean-Louis Jeannelle[1]

Corps mémorial et corps politique
dans les Mémoires de guerre du général de Gaulle

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Dans Le Partage du sensible, Jacques Rancière faitla remarque suivante au sujet des rapports entre littérarité et historicité: «L'homme est un animal politique parce qu'il est un animal littéraire, qui se laisse détourner de sa destination “naturelle” par le pouvoir des mots. Cette littérarité est la condition en même temps que l'effet de la circulation des énoncés littéraires “proprement dits[2]”.» On peut voir dans cette observation un véritable programme pour l'étude d'une littérarité comprise en un sens plus large que celui fixé par Jakobson dès 1919 dans un article intitulé «La nouvelle poésie russe[3]»: une littérarité qui ne serve pas simplement à déterminer ce qui caractérise en propre les textes «littéraires», mais qui inclue dans le champ de la littérature l'ensemble des «genres factuels», c'est-à-dire des écrits traitant du réel et visant à un effet social particulier – l'histoire, la critique, les textes scientifiques, les témoignages, la prose argumentative ou l'écriture polémique. Ainsi comprise, une telle notion ne se confondrait plus, comme c'est le cas de fait, avec les domaines de la fiction ou de la poésie, mais permettrait de rendre également compte du «pouvoir des mots» lorsque ceux-ci sont employés pour désigner des référents attestés. Remarquons, à ce propos, la prééminence des discours relevant traditionnellement de la rhétorique – genres judiciaire, délibératif et démonstratif – qui visent, de manière plus directe que les fictions ou les poésies, à «détourner» leurs auditeurs. Cependant, faute d'une théorie prenant en compte ces écrits dans leur totalité – les analyses les plus intéressantes portent en priorité sur le discours historique, comme chez Paul Ricœur ou chez Jacques Rancière par exemple –, il nous faut nous situer à un niveau d'appréhension intermédiaire, celui des protocoles de répartition conventionnelle des textes que sont les genres.

Nous nous intéresserons, par conséquent, ici aux modalités d'articu­lation entre la langue et les corps non pas en partant de l'œuvre d'un écrivain qui en aurait bouleversé les rapports communément établis, pas plus qu'en explorant les mutations socioculturelles des subjectivités contemporaines, mais en considérant cette question comme un problème de nature générique. Le propre des genres est de représenter bien plus qu'un simple catalogue de propriétés thématiques, poétiques ou structurelles définissant des classes de textes: dans le cas des écrits factuels, la définition est avant tout de nature pragmatique. Ainsi des Mémoires, que nous définirons comme la reconfiguration narrative du mémorable d'une vie. L'écriture de ce type de récit est un événement public, une prise de position officielle accomplie à l'intérieur d'un dispositif réglé d'incitations et de contraintes: si le mémorialiste a pour terrain d'action le dissensus personnel, social ou politique, il n'en vise pas moins à rassembler autour de son texte ses contemporains et ses successeurs. Il s'inscrit, de ce fait, dans un réseau de discours préalables, un interdiscours, propre à conférer à son récit une crédibilité en tant que représentation d'événements historiques. Nous envisagerons ainsi le genre mémorial comme un assemblage réglé, c'est-à-dire à la fois résistant mais aussi figé, configurant de manière têtue les rapports entre un individu et le corps social auquel il s'adresse et dont il prétend reconstituer l'histoire.

Nous avons choisi les textes les plus représentatifs de cette tradition générique, les Mémoires de guerre du général de Gaulle, par désir de rééquilibrer la perception que nous avons du domaine des récits de soi. Le développement des études sur l'autobiographie a, en effet, occulté le fait que les Mémoires ont retrouvé, juste après la Seconde Guerre mondiale, une très grande légitimité en tant que modèle littéraire et qu'ils ont donné lieu jusqu'à aujourd'hui à une profusion de textes, parmi lesquels les trois tomes du général de Gaulle, L'Appel, L'Unité et Le Salut, sont certainement l'exemple le plus emblématique. Avec les Mémoires de guerre sont conduits jusqu'à leur terme tous les présupposés du genre, de sorte qu'on peut y lire sous leur forme la plus aboutie les caractéristiques de ce modèle d'écriture qui impose un lien extrêmement contraignant entre le sujet mémorial et la collectivité à laquelle il appartient. Les Mémoires sont la représentation, selon un usage contrôlé de la langue, de différents groupes sociaux ou de l'ensemble du corps social d'un pays à un moment déterminant de leur histoire. Un individu y noue intentionnellement le cours de sa vie à l'histoire de cette communauté, définissant de cette manière des modes d'appartenance auxquels son récit confère une légitimité plus ou moins grande. La très grande rigidité de ce genre, traditionnellement voué à l'exaltation de la communauté nationale, pose la question des limites des récits de pouvoir: le sujet mémorial, acteur de l'histoire, semble, nous le verrons, irrémédiablement rivé à un territoire et à une langue épurée, une sorte de prose du pouvoir confinée dans la sphère de la nation.

La lecture des Mémoires de guerre servira d'introduction à l'étude des textes relevant du domaine des «genres factuels». Nous y voyons la possibilité de rendre compte de la nature profondément politique de ce que nous nommons littérature, à savoir l'exercice codifié du pouvoir des mots.


Une guerre de mémoire


La publication des trois tomes des Mémoires de guerre, respectivement en 1954, 1956 et 1959, marque un véritable tournant dans l'histoire des vies majuscules au xxesiècle: le général de Gaulle y restitue son prestige à un genre qui, sans avoir jamais disparu en tant que pratique d'écriture, avait néanmoins connu un véritable déclin durant toute la première moitié du siècle. La Grande Guerre aurait dû, selon toute vraisemblance, favoriser la recrudescence de la production mémoriale. Ce ne fut que très partiellement le cas. La lutte contre les Empires centraux, facteur d'union nationale, ne donna naissance qu'à une littérature officielle assez pauvre. Il fallut attendre la défaite de mai-juin 1940 pour que les conditions d'un renouveau du genre mémorial fussent à nouveau réunies: la crise provoquée par l'Occupation et par la guerre civile larvée qui se produisit alors en France créa un espace de conflictualité et contraignit chaque Français à prendre position, ne serait-ce que par la passivité, sur un domaine commun de préoccupations, désormais constitutif de la mémoire et de l'identité collectives. Les tensions issues de cette crise ont alors donné naissance à une production mémoriale massive: le genre est devenu, ou plutôt est redevenu – sur le modèle de ce qui s'était produit à la suite de la Fronde, de la Révolution ou de l'Empire – un moyen d'aménager l'imaginaire politique liant les membres de la communauté nationale sous la forme d'une reconstitution narrative des événements survenus. Dans ce cadre, le caractère exceptionnel des Mémoires de guerre tient à ce qu'ils condensent l'ensemble des traits génériques propres à cette tradition littéraire vieille de plus de quatre siècles et n'ayant jamais connu de véritable solution de continuité.

Peu de textes ont eu, au xxesiècle, autant d'effets sur le corps social. D'ordinaire, nous jugeons de l'importance d'une œuvre en fonction de ce qu'elle apporte à notre connaissance du fait littéraire. Supposons, à l'inverse, qu'il s'agisse de mesurer la portée des œuvres à l'aune de leurs répercussions sociales et culturelles: les Mémoires de guerre occuperaient dans ce cas une place dont la critique est de nos jours loin d'avoir rendu compte. Leur fonction était, lors de leur publication dans les années cinquante, de proposer aux Français un véritable mythe des origines, le récit de la fin d'un monde et la conclusion d'une alliance entre le Général et ses concitoyens, représentés par cette émanation naturelle de la France que fut la résistance. Ce récit aux accents épiques a transformé la guerre de 39-45 en une vaste palingénésie nationale, une mort et une refondation collective dont de Gaulle s'est voulu le véritable garant. Une telle mythographie structure aujourd'hui encore notre mémoire de la guerre et de ses suites – et ceci malgré toutes les révisions instruisant le procès de Vichy depuis une trentaine d'années. Trop souvent lus à titre de simple reconstitution historique ou d'exercice rhétorique, les Mémoires de guerre constituent en réalité la pièce maîtresse de la politique commémorative du général de Gaulle: ils doivent être lus comme les éléments d'une stratégie à la fois idéologique et littéraire, véhiculant un modèle d'identification politique qui a joué et qui continue à jouer un rôle central en France. C'est une certaine idée des Français que mettent en scène L'Appel, L'Unité et Le Salut, une certaine idée des membres de cette collectivité unie par la seule volonté nationale, par un amour de la patrie transcendant les intérêts particuliers – intérêts de classe, de race ou de culture – et imposant au pays un idéal de grandeur – grandeur de la diplomatie, de la défense nationale ou de la puissance monétaire, par exemple. L'usage que Jacques Chirac a su faire du charisme de la fonction présidentielle en avril- mai 2002 témoigne de l'influence qu'exerce encore l'imaginaire politique gaullien, présent sous sa forme la plus épurée dans les Mémoires de guerre.

Une telle influence n'a, a priori, rien d'évident. Pierre Nora a montré que le rapport de force mémoriel opposant les gaullistes aux communistes était très clairement en défaveur des premiers. Alors que le mouvement lancé par le chef de la France libre se caractérisait par un «nationalisme étroitement passéiste, lié par définition à une aventure purement individuelle et politique», le communisme apparaissait à l'inverse comme «le phénomène le plus lourd, le moins lié aux circonstances et à une personnalité exceptionnelle, le plus tourné vers l'avenir, le plus chargé d'histoire, en logique et en raison, dans l'espace et dans le temps[4]». La dislocation progressive de la mémoire communiste a toutefois favorisé l'extraordinaire déploiement de la mémoire gaulliste, mieux relayée, on l'a souvent remarqué, par un ancien adversaire du Général comme François Mitterrand que par ses héritiers politiques plus ou moins directs. Mais le paradoxe ne s'arrête pas là. Car les Mémoires de guerre, dont le ton est outrageusement auto-apologétique – les trois tomes de cette machine de guerre idéologique ont paru successivement sous une couverture bleue, blanche puis rouge –, ne paraissaient pas devoir occuper la place centrale qu'ils détiennent depuis dans la mémoire collective. De Gaulle s'y montre d'une singulière assurance, affirmant dès les premières pages n'avoir jamais douté qu'il aurait un jour l'occasion de rendre quelque service signalé à la patrie[5]. Sans craindre de présenter l'entreprise de la France libre comme l'actualisation d'une mission dont il avait préalablement conscience, le mémorialiste confond le récit de la Seconde Guerre mondiale avec le déroulement de sa propre entreprise militaro-politique, présentée en trois actes – l'appel, l'unification, et le salut – de telle sorte qu'à l'appel initial, exhortant à la lutte contre l'envahisseur nazi, se superpose un second appel, implicite mais parfaitement audible et visant à libérer la France de l'influence des partis politiques afin de s'en remettre à la seule autorité du Général. Une si frappante assurance aurait dû nourrir une plus grande prévention. Ceci non seulement à cause des protestations de bonne foi auxquelles de Gaulle doit sans cesse recourir – le chef de la France libre est le seul personnage des Mémoires de guerre à ne jamais être soupçonné de vouloir accaparer le pouvoir qu'il revendique –, mais aussi en raison des déplacements narratifs permettant au Général de mettre l'accent non pas sur Vichy, mais sur les aventures de la France libre. En effet, jamais présent sur le territoire métropolitain durant toute la durée de l'Occupation, de Gaulle ne dispose de ce qu'ont vécu les Français qu'un tableau reconstitué par ses services de renseignement. Éloigné du centre géographique et politique des événements, le mémorialiste présente de la guerre une série de batailles le mettant aux prises moins avec les Allemands ou les pays de l'Axe qu'avec les Alliés eux-mêmes: la grande majorité des Mémoires de guerre est ainsi consacrée au récit des escarmouches qui l'ont opposé aux Anglais et aux Américains et des luttes diplomatiques féroces au cours desquels il a imposé son autorité militaire et politique sur les mouvements de résistance.

De Gaulle ne passe d'ailleurs généralement pas sous silence les contestations dont il fut l'objet: alliés vitupérant contre l'autoritarisme du Général, campagnes de presse contre cet apprenti-dictateur dont l'entourage est «noyauté de fascistes et de cagoulards[6]», attaques des communistes contre le «mythe de Gaulle»… De nombreux concurrents, parmi lesquels le général Giraud occupait une place prépondérante, contrebalancèrent les prétentions militaires et politiques du mémorialiste. Contre tous ceux qui ont, à un moment ou à un autre, prétendu représenter la France, l'auteur des Mémoires de guerre entend prouver que de Gaulle lui seul était habilité à parler au nom de la France. Aux yeux du Général, l'antériorité de son appel à la résistance lui confère de facto une supériorité sur tout autre prétendant: «Un appel venu du fond de l'Histoire, ensuite l'instinct du pays, m'ont amené à prendre en compte le trésor en déshérence, à assumer la souveraineté française. C'est moi qui détiens la légitimité[7].» L'appel du 18juin était en quelque sorte la réponse à une convocation antérieure. En dépit de son assurance, de Gaulle ne peut toutefois occulter l'ambiguïté d'un tel fondement: en septembre1942, Churchill, irrité par les désaccords qui l'opposent au chef de la France libre en Syrie, au Liban et à Madagascar, déclare à ce dernier sur un ton «acerbe et passionné»: «Vous dites que vous êtes la France! Vous n'êtes pas la France! Je ne vous reconnais pas comme la France[8]!» De fait, le Général sait ne tenir matériellement, mais aussi en grande partie légalement, son autorité que de la bonne volonté du Premier Ministre britannique – celui-ci ne se fait d'ailleurs pas faute de lui rappeler qu'il pourrait trouver ailleurs une autorité de même valeur. Le mémorialiste ajoute alors: «Je le coupai: “Si, à vos yeux, je ne suis pas le représentant de la France, pourquoi et de quel droit traitez-vous avec moi de ses intérêts nationaux?” M.Churchill garda le silence». De Gaulle clôt ainsi cet échange, mais il n'en souligne pas moins la circularité du mode de certification dont il bénéficie. Il ne l'emporte au cours de cet échange qu'au prix d'une dangereuse révélation: celle du caractère arbitraire du processus de validation réciproque qui lie le chef de la France libre et le Premier Ministre britannique – et le premier de manière plus impérieuse que le second.

Par quel moyen le mémorialiste parvient-il alors à compenser son décentrement et à faire de son long plaidoyer un récit donnant sens aux souffrances du corps national? Il est, en effet, frappant de constater que le déficit initial est converti en un véritable atout: la distance est ainsi présentée comme un exil autorisant le Général à mettre entre parenthèses l'Occupation et à ordonner l'ensemble de son récit autour de l'histoire de la résistance, plus particulièrement de la France libre. En ignorant de façon délibérée les faits et gestes du gouvernement de Vichy, dont l'existence n'est rappelée que ponctuellement et qui est présenté à chaque fois comme une simple illusion[9], de Gaulle efface une réalité historique qu'il juge nulle et non avenue et lui substitue le récit d'une reconquête héroïque, bien plus satisfaisante pour le public français. La souveraineté n'aurait été en quelque sorte que transférée; les événements survenus sur le territoire, pour douloureux qu'ils aient été, auraient ainsi moins de valeur que l'histoire de sa progressive reconquête. Le déplacement opéré est sensible. Au début du second tome, L'Unité, de Gaulle dresse un état des lieux de la guerre au printemps 1942 et se fixe pour objectif de regrouper la France dans la guerre afin de lui éviter la subversion et de lui remettre un destin qui ne dépende que d'elle-même: «Contre l'ennemi, malgré les Alliés, en dépit d'affreuses divisions, j'aurai à faire autour de moi l'unité de la France déchirée[10].» L'ennemi militaire, les Alliés et les divisions du corps national: le combat est mené sur trois fronts – militaire vis-à-vis de l'Axe, diplomatique contre les Anglais, les Américains et les Russes, avides de profiter de l'affaiblissement du reste de l'Europe, politique enfin contre les forces de dispersion de la France. In fine, ces trois combats peuvent se réduire à cette dernière et unique source de conflit, qui constitue un fil narratif central dans les Mémoires de guerre: en effet, la défaite, puis les errements qui en ont résulté, sont dus pour de Gaulle à la défaillance du pouvoir politique et aux divisions des Français. Le crime du régime de Vichy – comme des citoyens qui lui ont apporté leur soutien – n'est pas de nature idéologique ou éthique; il est avant tout stratégique: «Pour moi, la faute capitale de Pétain et de son gouvernement c'était d'avoir conclu avec l'ennemi au nom de la France, le soi-disant “armistice[11]”». La politique de collaboration n'est donc que la conséquence indirecte d'une erreur plus importante: l'abandon. Bien sûr, la simplicité de ce fil conducteur confère à texte gaullien une force singulière: l'hétérogénéité des circonstances historiques se trouve résorbée. Tout fait s'inscrit alors dans une axiologie manichéenne reposant sur un imaginaire national bien connu et mettant en regard l'aspiration à la grandeur, à laquelle doit tendre le chef, et les forces de dispersion, qu'alimentent les partis politiques – le peuple, entité neutre, se contente, quant à lui, de répercuter les ambitions, nobles ou dégradées, du pouvoir politique. Il en résulte que le récit de la guerre vaut aussi, par projection, comme récit de conquête politique: le diagnostique de la défaite militaire s'explique politiquement, de sorte que la libération du territoire n'est complète que si elle débouche à son tour sur la suppression du régime des partis. Le «salut» n'est intégral qu'à la condition d'un retour au pouvoir – le général de Gaulle devra toutefois attendre jusqu'en 1958 pour mener à bien un tel programme.

Chaque page des Mémoires de guerre répète cette même assertion: la défaite et l'Occupation sont dues à l'oubli de l'unité fondamentale du corps national; l'unité retrouvée effacera les souffrances subies. Tout l'effort de de Gaulle tend précisément à incarner cette unité, à projeter dans sa propre figure mémoriale l'accord politique censé laver le pays de la faute commise. Le «transfert de souveraineté[12]» qu'a représenté l'appel du 18juin doit se comprendre ainsi: alors qu'aucun «homme public n'éleva la voix pour condamner l'armistice[13]», le Général, «seul et démuni de tout[14]», a pris conscience, devant «le vide effrayant du renoncement général», de sa «mission»: «En ce moment, le pire de son histoire, c'était à moi d'assumer la France[15]». Pour surprenante qu'elle puisse paraître, la désignation de l'entité nationale en tant que complément d'objet direct souligne le processus d'individualisation de la question politique. Seul véritable témoin de l'éclipse du pouvoir, de Gaulle est naturellement le seul à pouvoir assumer la souveraineté nationale.


L'érection du corps national


Si la revendication du Général est connue, on s'intéresse généralement moins aux procédés qui sont mis en œuvre pour la justifier. L'essentiel, nous semble-t-il, dépend moins de l'argumentation déployée que de la prégnance du sujet mémorial lui-même. On s'accorde, en effet, d'ordinaire à lire les Mémoires de guerre comme une entreprise de sublimation de Charles de Gaulle en sa pure fonction de dirigeant de la France libre. Malraux a cautionné cette interprétation en parlant dans les Antimémoires de la relation du général de Gaulle «avec le personnage symbolique qu'il appelle de Gaulle dans ses Mémoires; plus exactement, dont il a écrit les Mémoires, où Charles ne paraît jamais[16]». S'il en était tout à fait ainsi, on comprendrait mal la force de conviction que la figure mémoriale de ce texte peut exercer. Il s'agit, afin de compléter cette interprétation, d'analyser la stratégie gaullienne de mobilisation du sentiment patriotique, et ceci en partant de ce qui constitue d'une certaine manière l'aboutissement du récit, non pas sa fin chronologique ou sa conclusion mais le point d'orgue de l'entreprise de légitimation du général de Gaulle: le défilé sur les Champs-Élysées, le 26août 1944. On y trouve, sous une forme condensée, ce que ces Mémoires ont de plus significatif:

Devant moi, les Champs-Élysées!

[…] Si loin que porte ma vue, ce n'est qu'une houle vivante, dans le soleil, sous le tricolore.

Je vais à pied. […] Il s'agit, aujourd'hui, de rendre à lui-même, par le spectacle de sa joie et l'évidence de sa liberté, un peuple qui fut, hier, écrasé par la défaite et dispersé par la servitude. Puisque chacun de ceux qui sont là a, dans son cœur, choisi Charles de Gaulle comme recours de sa peine et symbole de son espérance, il s'agit qu'il le voie, familier et fraternel, et qu'à cette vue resplendisse l'unité nationale. […]

Je vais donc, ému et tranquille, au milieu de l'exultation indicible de la foule, sous la tempête des voix qui font retentir mon nom, tâchant, à mesure, de poser mes regards sur chaque flot de cette marée afin que la vue de tous ait pu entrer dans mes yeux, élevant et abaissant les bras pour répondre aux acclamations. Il se passe, en ce moment, un de ces miracles de la conscience nationale, un de ces gestes de la France, qui parfois, au long des siècles, viennent illuminer notre Histoire. Dans cette communauté, qui n'est plus qu'une seule pensée, un seul élan, un seul cri, les différences s'effacent, les individus disparaissent[17].

On sait qu'à Bidault qui demandait au Général parvenu à l'Hôtel de Ville de proclamer solennellement la République devant le peuple assemblé, de Gaulle répondit que la République n'avait jamais cessé d'exister puisque la France libre l'avait, dès la défaite, incorporée et que lui-même étant le président du gouvernement de la République, il ne pouvait la proclamer: «Allant à une fenêtre, je salue de mes gestes la foule qui remplit la place et me prouve, par ses acclamations, qu'elle ne demande pas autre chose[18].»Toute la valeur du geste politique du chef de la France libre consiste, ainsi qu'il le répète inlassablement, à paraître et en se montrant, à témoigner de la pérennité de l'entité nationale. De Gaulle incarne une France que son corps, ses attitudes, le ton de son discours doivent signifier à ses interlocuteurs – les Alliés, les mouvements de résistance ou le peuple français. C'est la raison pour laquelle son premier geste le 25août 1944 avait été de se rendre au ministère de la Guerre afin de «faire paraître tout de suite la figure et l'autorité de l'État» dans la capitale libérée et de «rassembler les âmes en un seul élan national». Là, il avait constaté que rien ne manquait, «excepté l'État» lui-même: «Il m'appartient de l'y remettre. Aussi m'y suis-je d'abord installé[19].» L'insistance du mémorialiste tout au long des Mémoires de guerre sur son maintien physique et sur «l'attitude raidie et durcie» qu'il adopte, «par raisonnement autant que par tempérament[20]», s'explique ainsi: la rection permanente du corps gaullien manifeste la souveraineté qu'il a recueillie lors de la défaite et qu'il lui faut mettre en scène afin d'imposer les droits d'une France bafouée, mais réapparue, dans toutes ses prérogatives, en la personne de ce général hautain et inflexible. L'unité du pays est au prix de la raideur qu'il saura opposer: dur et inébranlable avec les politiques, il doit se montrer solennel et souverain aux yeux du peuple. Son être fait ainsi apparaître ce «personnage quelque peu fabuleux, incorporant aux yeux de tous cette prodigieuse libération[21]», conférant à chacun de ses gestes et à chacune de ses paroles un caractère épiphanique. Les gestes du Général ne délivrent qu'un seul message, inlassablement répété et dont le défilé est l'expression la plus aboutie: «me voici[22]».

Si le mémorialiste suppose que chaque Français présent le 26août 1944 a choisi, «dans son cœur» – ce qui n'est peut-être pas le cas dans les esprits – «Charles de Gaulle comme recours de sa peine et symbole de son espérance», c'est au prix d'une forme de dédoublement. Dans les Mémoires de guerre, la première occurrence de cet énallage de personne intervient lors du ralliement des hommes de l'île de Sein, juste à la suite de l'appel du 18juin[23]. Nous ne citerons ici qu'un exemple de ce processus de disjonction et d'incorporation progressive des composantes nationales en un corps politique qu'emblématise la personne du Général. Il s'agit de l'épisode au cours duquel le général Catroux, qui aurait pu s'opposer à ses prétentions puisqu'il était plus haut placé dans la hiérarchie militaire, reconnaît publiquement l'autorité du chef de la France libre, manifestant ainsi à ceux qui l'entouraient que «pour Catroux, de Gaulle était, désormais, sorti de l'échelle des grades et investi d'un pouvoir qui ne se hiérarchisait pas[24]». L'usage de la troisième personne du singulier sanctionne bien dans ce cas un clivage entre identité privée et statut symbolique, le mémorialiste reprenant à son compte la distinction entre les deux corps du roi – et, par extension, à différents autres corps sociaux – sur le modèle de la double nature, humaine et divine, du Christ. On sait que l'adjonction d'un second corps, mystique, puis politique, au corps de chair de l'individu investi de la fonction politique permettait autrefois de satisfaire à une exigence de continuité et de permanence de l'institution, l'être mortel n'étant que le support transitoire d'une personne publique à laquelle était conférée la dignité sociale[25]. Un tel procédé de disjonction et de mise en scène du corps politique se trouve, de même, au cœur de la stratégie, politique et narrative, du général de Gaulle.

Si le mémorialiste se fait discret sur sa vie privée, ce n'est, par conséquent, ni par pudeur ni par désintérêt mais afin d'écarter tout soupçon: le dépouillement du corps naturel est volontaire, comme le montre l'insistance du mémorialiste sur sa «pauvreté[26]»; il est un signe rassurant de déprise. L'ambition politique n'est conférée qu'au corps politique, guidé par le seul intérêt collectif et, de ce fait, support exclusif de ce que Roland Barthes nomme les «syntagmes du chef[27]» dans son article intitulé «Le discours de l'histoire». Cette fiction politique permet au mémorialiste de se décharger de tout soupçon: lui seul est capable d'exercer le pouvoir sans vouloir l'accaparer[28]. Ainsi s'explique le fait que tout en restant discret sur son intimité, le mémorialiste ne cesse de mobiliser les passions – crainte, colère, joie… – et se montre capable, fait assez rare chez les mémorialistes pour être souligné, de donner à sa personne publique une prégnance émotionnelle forte. Chez de Gaulle, le corps n'est pas seulement rection offerte au respect et au dévouement, il est aussi un catalyseur d'affects. Car l'essentiel est bien de provoquer chez les Français un mouvement d'empathie patriotique propre à neutraliser les divergences idéologiques. Pour cela, l'auteur des Mémoires de guerre déploie un registre émotionnel tout à fait classique, plus proche de la théorie physiologique en vigueur au xviiesiècle que de la psychologie contemporaine et toutefois d'un grand rendement narratif. Alors que les «émotions calculées[29]» des anglo-saxons et la froideur déshumanisée des fonctionnaires soviétiques[30] témoignent, aux yeux du Général, d'un certain dérèglement entre l'individu et son statut, lui-même s'arroge une aptitude essentielle: celle d'émouvoir jusqu'aux larmes ses interlocuteurs. Qu'il s'agisse d'officiers[31], de diplomates[32], d'hommes politiques[33], des auditeurs de ses discours[34] ou des Français auxquels il apporte la libération[35], on pleure autour de de Gaulle, qui ne dédaigne pas lui-même de verser des «sanglots d'orgueil» et des «larmes de joie[36]» à l'annonce de la victoire de Bir Hakeim. Ces larmes ne coulent jamais pour des intérêts privés: c'est le corps politique du Général et non son corps naturel, privé de toute passion égoïste, qui suscite ces manifestations lacrymales. Dans les Mémoires de guerre, les larmes ne coulent que sous l'effet d'une émotion patriotique intense; elles sont le trop plein d'une effusion suscitée par l'amour de la patrie, seul sentiment capable d'unir les Français, par-delà leurs divisions idéologiques.

C'est la raison pour laquelle le récit gaullien est scandé d'incessants discours, de continuelles revues militaires et de défilés de plus en plus importants, jusqu'au grand défilé du 26août, triomphe de l'entreprise gaullienne – triomphe à tous les sens du terme, puisqu'il s'agit d'une victoire militaire et politique, du déroulement de sa pompe et de son inscription topographique, de l'Arc de triomphe jusqu'à Notre-Dame. Ultime ressort de la stratégie du Général, toutes ces manifestations publiques visent, selon une sémiotique politique que le mémorialiste expose avec minutie, à exciter le sentiment patriotique afin de provoquer un mouvement d'identification chez ses interlocuteurs et, par les «tempêtes d'acclamations[37]» de ce que de Gaulle nomme lui-même des «spectacles démonstratifs», «d'animer l'assistance, de la révéler à elle-même[38]». L'«euphorie patriotique[39]» qui naît de ces mouvements de foule devient ainsi un spectacle que l'assistance se donne à elle-même[40], établissant ainsi un schéma de communication idéal où, à la rhétorique travaillée des discours gaulliens répond, chez ses auditeurs, l'éloquence naturelle du cri et du civisme – signes manifestes du patient travail de reconstitution du corps national.

Les multiples cérémonies des Mémoires de guerre convergent, idéalement, vers ce point central du récit qu'est la descente des Champs-Élysées. Si l'appel du 18juin avait fixé de manière symbolique des paroles que peu de Français ont à l'époque entendues et dont l'énonciateur leur était inconnu, le défilé du 26août constitue l'envers d'une telle entreprise, sa pure certification: de Gaulle n'y parle pas; il se contente de se montrer à l'ensemble des Français, présents en quelque sorte par délégation. C'est là l'aboutissement d'un processus que le mémorialiste avait déjà appliqué tout au long des Mémoires de guerre, comme durant une simple inspection militaire où les soldats sont décrits comme «profondément impressionnés par la présence de ce de Gaulle, qu'une certaine politique leur avait souvent commandé de blâmer[41]». Sous l'effet de cette apparition, les soldats adoptent à leur tour le raidissement patriotique que le Général entend propager à l'ensemble de ses compatriotes: «les hommes, voyant de près celui qu'ils appellent “le grand Charles”, lui offrent par leurs regards, leur attitude, leur ardeur dans la manœuvre, l'hommage d'un attachement qui ne composera jamais[42]». Le même mécanisme d'identification réciproque, appliqué cette fois-ci à l'ensemble du corps national, se produit le 26août 1944.

Le défilé sur les Champs-Élysées a pour fonction de rendre manifeste l'union enfin retrouvée du peuple français: si loin que porte le regard du chef de la France libre observant les deux millions de citoyens accourus l'acclamer, il n'y a qu'une «houle vivante, dans le soleil, sous le tricolore[43]». En descendant l'avenue, le Général rend, ainsi qu'il l'écrit, le peuple français «à lui-même, par le spectacle de sa joie et l'évidence de sa liberté». Et ceci par la grâce d'un phénomène d'élection réciproque, sans perte ni supplément – l'échange des regards, la réciprocité des attitudes suffisent en quelque sorte à certifier la souveraineté du Général et la cohésion de son peuple. Si les Français rassemblés au cours de cet événement épiphanique se donnent à eux-mêmes le spectacle de leur propre unité, sous l'effet de la conjonction des volontés, de la convergence des regards, des voix et des mouvements de la foule, ce n'est que par la médiation légitime du chef de la France libre, seul habilité à restaurer la continuité interrompue en mai-juin 1940. Le sauveur et son peuple s'engendrent en quelque sorte mutuellement. Le premier s'incorpore ceux qui l'entourent, «tâchant, à mesure, de poser [ses] regards sur chaque flot de cette marée afin que la vue de tous ait pu entrer dans [ses] yeux[44]», tandis que le second, auparavant déchiré par les divisions politiques et idéologiques, retrouve son unité par ce transport d'allégeance qu'est le défilé: «Dans cette communauté, qui n'est qu'une seule pensée, un seul élan, un seul cri, les différences s'effacent, les individus disparaissent[45].» C'est là le miracle de ce mode de légitimation particulier qu'est l'enthousiasme patriotique, source parfaite d'attestation, à la fois fusionnelle et projective. En court-circuitant tout système de représentation, l'acclamation institue celui auquel elle s'adresse tout en emportant l'adhésion de ceux qui en sont les témoins: la foule, les observateurs, les politiciens, et surtout les lecteurs, auxquels s'adressent ces cris d'approbation destinés à propager indéfiniment la chaîne de la reconnaissance. Le dynamisme de ce phénomène de fusion est tel que de Gaulle use alors de l'allocution et, s'adressant aux Français réunis, prend ainsi à partie les destinataires indirects mais véritables de son discours – les lecteurs français, censés êtres unis aux parisiens rassemblés ce 26août par une même vibration patriotique: «Innombrables Français dont je m'approche tour à tour, à l'Étoile, au Rond-Point, à la Concorde, devant l'Hôtel de Ville, sur le parvis de la cathédrale, si vous saviez comme vous êtes pareils[46]!» Cette assomption identitaire venue suturer les failles de la mémoire collective procède de l'identification au chef de la France libre, véritable garant d'une continuité qu'il décline selon les âges de la vie et l'ordre des choses. Aux enfants la joie, aux femmes les chagrins et le sourire, aux hommes la fierté et la reconnaissance, aux vieillards les larmes: «ah! comme vous vous ressemblez[47]!» L'exclamation souligne ce que le geste gaullien a de performatif: acclamer le Général, c'est être en retour reconnu par lui comme Français, c'est-à-dire rétabli dans cette nature identitaire d'avant la faille de 1940.


Pouvoirs de la littérature


Louis Marin définissait le récit comme un piège, un piège propre à la justice que le pouvoir se donne afin de justifier les effets d'un rapport de force préalable. Les Mémoires seraient alors la forme la plus aboutie d'un tel simulacre, puisque l'acteur des événements prétend y parler en son nom propre et supprimer l'écart qui grève d'ordinaire le récit du pouvoir: dans le récit mémorial, l'auteur des faits et l'énonciateur du discours coïncident en une même personne. En ce sens, le récit de pouvoir n'est pas simplement un récit où le pouvoir se donne à contempler, mais bien plutôt un récit capable de s'imposer au lecteur par la seule concentration des moyens narratifs qu'il met en œuvre. C'est en cela que le corps à corps du chef de la France libre avec la patrie retrouvée dont le défilé du 26août constitue la forme idéalisée est avant tout le résultat d'une concentration de traits génériques, propre à donner à l'imagi­naire mémorial son rendement optimal. La tradition des vies majuscules s'est déployée au xixe en un mythe national auquel Chateaubriand en conféré sa forme topique dans un célèbre chapitre du Génie du christianisme, intitulé «Pourquoi les Français n'ont que des Mémoires»:

Le Français a été dans tous les temps, même lorsqu'il était barbare, vain, léger et sociable. […] il faut toujours qu'il soit en scène, et il ne peut consentir, même comme historien, à disparaître tout à fait. Les mémoires lui laissent la liberté de se livrer à son génie. Là, sans quitter le théâtre, il rapporte ses observations, toujours fines, et quelquefois profondes. Il aime à dire: J'étais là, le Roi me dit… J'appris du Prince… Je conseillai, je prévis le bien, le mal[48].

Cette correspondance imaginaire entre un genre et le caractère d'une «race» naturellement «sociable et causeuse[49]» fut déclinée tant de fois – et l'est encore aujourd'hui – qu'il serait vain d'en passer en revue les variantes, de Michelet à Fumaroli, en France ou à l'étranger[50]. Le topos nous intéresse ici en ce qu'il noue, la plupart du temps, le genre à une norme linguistique, un idéal de la langue que le général de Gaulle conduit à son terme en donnant à son discours cette rigidité stylistique si particulière. Dans les Mémoires de guerre, l'effet d'assomption de soi est indissociable d'un processus d'épurement de la langue, de filtrage de tout ce qui, dans l'acte d'écriture, pourrait excéder l'expression du sens. Y sont valorisées, à l'inverse, toutes les qualités rassurantes de la langue: ordre des parties du discours, maîtrise expressive de la syntaxe – destinée à traduire adéquatement les modalités auxquelles peut recourir un auteur: l'expression de la volonté, la précision didactique ou la violence polémique par exemple –, gaze produit par l'adjonction de figures ou encore embellissement par les harmonies imitatives, graphiques et phonétiques. Les Mémoires de guerre concentrent toutes ces vertus au service d'un idéal de clarté et de ferveur capable de susciter chez les lecteurs à la fois l'enthousiasme et la confiance. La conception proprement rhétorique que de Gaulle a de la littérature le situe, on s'en doute, à l'opposé d'une véritable écriture du corps: ni surface sur laquelle s'inscriraient les traces des épreuves vécues, ni chair traversée d'affects qui perturberaient le discours contrôlé des émotions, le corps existe avant tout en tant posture, c'est-à-dire à la fois comme une situation d'énonciation, un comportement réfléchi et une position plus ou moins favorable dans un rapport de forces. Aussi exposé soit-il, le corps gaullien n'est jamais sensible. Les larmes ne traduisent chez lui aucun débordement; elles signifient avec exactitude un sentiment codé, adéquat à une fonction précise: servir de conducteur à l'expression de l'exaltation patriotique – la mort de proches, les crimes nazis ou les sacrifices des mouvements de résistance laissent par conséquent le mémorialiste de marbre. C'est d'une politique du corps qu'il faut parler, puisque l'enjeu n'est autre que le maintien ordonné des corps réglant les oppositions politiques, notamment l'opposition structurante entre l'inertie des groupes d'intérêt et la volonté inébranlable du grand homme. Il s'agit de susciter le désir de soumission en adoptant une posture d'autorité et en captant cet imaginaire national que véhicule le modèle mémorial.

Le point nodal de cette stratégie n'est autre que ce que Roland Barthes nomme «Littérature» dans un article publié dans France-Observateur le 12novembre 1959. En effet, quelques semaines après la publication du troisième tome des Mémoires de guerre, Barthes entreprend, dans «De Gaulle, les Français et la littérature», de démanteler les trois pièces d'un dispositif largement idéalisé et qui fait sentir tous ses effets depuis qu'en juin1958, le gouvernement du Général a été investi par l'Assemblée nationale et que lui-même a reçu les pleins pouvoirs ainsi que le droit de réviser la Constitution. La parenthèse ouverte par son départ en janvier1946 semble s'être refermée, comme si la IVeRépublique n'avait été qu'un mauvais souvenir dans le déroulement contrôlé du projet gaullien. Pour l'auteur des Mythologies, il s'agit de dénoncer une collusion entre esthétique et politique. Car la publication du Salut est, à ses yeux, l'occasion d'une vaste démission de la critique. Loin de dissocier l'énoncé historique des moyens de représentation narrative mis en œuvre, celle-ci subit la fascination du récit mémorial au point de ne plus «remonter du “style” du général à son idéologie, et surtout, de cette idéologie aux forces réelles, aux intérêts sociaux qu'elle sublime[51]». En se gargarisant de la beauté classique de son style, la critique ne cesse de renflouer l'écrivain par le politique et le politique par l'écrivain, de sorte que de Gaulle se situe toujours ailleurs:

Écrivain, on ne s'inquiète plus de la littéralité de son témoignage, il jouit de l'immunité poétique, personne ne s'étonne plus d'habiter cette France des Mémoires, à peu près aussi insolite que la Grèce de Plutarque. Politique, sa langue devient celle d'un grand écrivain, dans la mesure même où sa «carrière» n'est pas la littérature; […] ce style devient tout à coup admirable du moment qu'il n'est que le luxe de l'action, le coup de chapeau des armes à la toge. […] Telle est la posture du général devant sa critique: un pied dans la Littérature, un pied au-dehors, pesant ici, pesant là, obligeant la malheureuse critique à se faire bigle, à fixer d'un œil le politique et de l'autre l'écrivain[52].

De Gaulle incarne, aux yeux des Français, l'union de la force et de la parole, de la grandeur historique et de la noblesse du discours. Dans le triangle que Barthes s'efforce de défaire, l'élément central est sans conteste le troisième: la Littérature, puisque le Général n'exerce une telle autorité sur ses concitoyens qu'en vertu de la confiance que ces derniers accordent à leurs écrivains, comme si «aucun mal, aucune lésion ne [pouvait] venir d'un homme qui se soucie d'écrire bien le français[53]». Les Français satisfont, de cette manière, leur désir de césarisme tout en se rassurant au spectacle de ce «grand art latino-français», de ce «despotisme éclairé» que représentent les Mémoires de guerre, tant, ajoute Barthes, «la Littérature est chez nous une valeur invétérée[54]».

On aurait tort de voir dans ce processus le produit de la simple naïveté. Outre la persistance des effets du dispositif gaullien – la publication des Mémoires dans la Bibliothèque de la Pléiade en est l'un des signes –, il est intéressant de voir jusqu'à quelle profondeur les racines de la croyance dénoncée par Barthes peuvent s'enfoncer. À cet égard, le plus frappant est peut-être de constater que Roland Barthes lui-même a défendu, au tout début de sa carrière, l'idéal classique, dès «Culture et tragédie» ou les «Notes sur André Gide et son “Journal[55]”». Ceci est encore plus explicite dans un très beau texte, d'interprétation difficile et qu'il ne nous semble pas possible de lire uniquement en fonction des développements futurs de l'œuvre de Barthes, ainsi que Philippe Roger le fait dans Roland Barthes, roman. Il s'agit d'un article publié en 1944 dans le n°32 d'Existence, la revue de l'association «Les étudiants au sanatorium» de Saint-Hilaire-du-Touvet en Isère: «Plaisir aux Classiques». Dans cet éloge de la convention contre l'excentricité, l'arbitraire et le ténébreux qui ont supplanté l'idéal classique dans l'art des Lettres, Roland Barthes écrit: «Les classiques apprennent à bien écrire; ils enseignent surtout que bien écrire ne va pas sans bien penser[56].» Cette variante somme toute banale du précepte de Boileau, lui-même repris d'Horace, ne se réduit pas à un geste de révérence à l'égard d'un modèle pédagogique en vigueur à l'époque. Nous avons été frappés de retrouver dans ce texte de 1944 la formulation exacte du noyau mythique que Roland Barthes tentera de débusquer de l'imaginaire national en 1959:

Les problèmes de rhétorique ne sont ni particuliers, ni accessoires, ni inutiles; l'art de bien parler commande d'une façon décisive aux opérations essentielles de la vie. C'est la clef de toutes les supériorités. Ceux que l'humanité prend pour ses grands hommes ont-ils pu se passer d'être écrivains? (César, Léonard de Vinci, Napoléon, Delacroix, Laplace, etc.) Il faut toujours se méfier des grands hommes qui méprisent le bien écrire. Dureront-ils? Passent le marbre, le fleuve, les lois et les mœurs, mais la parole est la plus longue à survivre, et des civilisations mortes rayonnent encore par leur seule voix[57].

«Il faut toujours se méfier des grands hommes qui méprisent le bien écrire.» N'est-il pas surprenant de rencontrer sous la plume de Barthes la formulation la plus exacte d'une conception de la littérature qu'il va combattre très peu de temps après, puisque dès les articles réunis en 1953 dans Le Degré zéro de l'écriture est mis en place le couple conceptuel «Littérature»/«écriture»? On y voit déjà s'opposer l'exercice de la langue comme valeur institutionnalisée d'une part et la quête d'une réalité formelle indépendante de la langue et du style, représentée, dans les années cinquante, par le «rêve orphéen» d'un «écrivain sans Littérature» d'autre part[58].

Toute sa vie durant, Barthes s'est employé à défaire les «intimidations de langage». Ce programme intellectuel prend sa source dans une expérience personnelle de cet imaginaire national qu'il cerne si bien, en 1959, chez le général de Gaulle: l'articulation entre le mythe du grand homme, une conception autoritaire des rapports politiques et un usage réglé de la langue. Cette conjonction particulière entre esthétique et politique est ce qui distingue, dans ce qu'il a de plus traditionnel, le modèle générique des Mémoires, où le sujet esquisse par l'intermédiaire de son récit historique une représentation du corps social, sorte de leurre offert aux lecteurs afin qu'ils y reconnaissent leur propre histoire collective. En dépit des divergences dans les parcours sociaux ou politiques des mémorialistes au xxesiècle, force est de constater que dans la plupart des cas les auteurs s'en tiennent à un cadre étroitement national, comme si ce modèle de récit historique exigeait qu'on lie le fil de sa vie au destin d'une collectivité. C'est la résistance dont fait preuve ce modèle qui étonne: depuis l'école des Annales, l'histoire excède de toutes parts la chronique; et pourtant, c'est toujours la chronique du mémorable qui représente le modèle de récit historique le plus pratiqué par les intéressés. C'est peut-être la limite de tout récit de pouvoir que la tentative d'assomption de soi doive presque nécessairement se doubler d'un geste d'exaltation de la communauté nationale.

D'une certaine manière, la critique engagée par Roland Barthes en 1959 n'a pas encore produit tous ses effets et mérite d'être à nouveau développée. Non seulement parce que, ainsi que le montre l'article «Plaisir aux Classiques», nul n'est exempt de cette fascination qu'exerce l'idéal du «bien écrire» que met en scène la prose du pouvoir, mais aussi et surtout parce que les effets de la machine mémoriale que Barthes analyse lors de la publication du Salut sont aujourd'hui encore tout aussi sensibles, en dépit des mutations sociales, économiques et culturelles qu'a connues la France depuis cette époque. Le leurre dénoncé par Roland Barthes n'est pas propre au récit gaullien; il est le fait, à une plus ou moins grande échelle, de la plupart des écrits mémoriaux, dont le succès est de nos jours toujours aussi important que dans les années cinquante.



[1]Université Paris IV-Sorbonne.

[2] Rancière, Jacques, Le Partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique-éditions, 2000, p.63.

[3]«Ainsi, l'objet de la science de la littérature n'est pas la littérature mais la littérarité, c'est-à-dire ce qui fait d'une œuvre donnée une œuvre littéraire.» (Roman Jakobson, «Fragments de “La nouvelle poésie russe”», Huit questions de poétique, Paris, Éditions du Seuil, coll. «Points», 1977, p.16).

[4] Nora, Pierre, «Gaullistes et communistes», Les Lieux de mémoire, t.II, sous la dir. de Pierre Nora, Paris, Gallimard, coll. «Quarto», 1997 [1992], p.2490.

[5] Voir de Gaulle, Charles, Mémoires de guerre, dans Mémoires, sous la dir. de Marius-François Guyard, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 2000, p.6.

[6]Ibid., p.349.

[7]Ibid., p.583.

[8]

Ibid., p.297.

[9] Voir par exemple les pages225, 229, 261, 312, 422. Ou encore la p.344 où de Gaulle écrit: «C'est naturellement vers [la France Combattante] que se tourne le sentiment général au moment où se dissipe l'illusion que fut Vichy.»

[10]

Ibid., p.267.

[11]

Ibid., p.834.

[12]

Ibid., p.72.

[13]

Ibid., p.75.

[14]

Ibid., p.71.

[15]

Ibid., p.76.

[16] Malraux, André, Antimémoires, éd.Marius-François Guyard, Œuvres complètes, t.III, sous la dir. de Marius-François Guyard, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1996, p.109.

[17] de Gaulle, Charles, Mémoires de guerre, op. cit., p.573.

[18]

Ibid., p.570.

[19]

Ibid., p.568.

[20]

Ibid., p.317. De manière tout à fait révélatrice, c'est à ce propos que le mémorialiste, qui ne rapporte de sa vie privée que de grandes banalités, se permet d'adopter le ton de la confidence: «Je dois dire qu'il allait en résulter pour moi-même une perpétuelle sujétion. Le fait d'incarner, pour mes compagnons le destin de notre cause, pour la multitude française le symbole de son espérance, pour les étrangers la figure d'une France indomptable au milieu des épreuves, allait commander mon comportement et imposer à mon personnage une attitude que je ne pourrais plus changer. Ce fut pour moi, sans relâche, une forte tutelle intérieure en même temps qu'un joug bien lourd.» (Ibid., p.114). Voir de même p.276 où de Gaulle parle de son attitude «raidie et durcie».

[21]

Ibid., p.589. De Gaulle use ainsi du «nous» de majesté qui lui permet de désigner l'ensemble des Français à travers sa propre personne: «Pendant mon séjour à Damas, je reçus tout ce qui s'y trouvait de notabilités, politiques, religieuses, administratives, et il s'en trouvait beaucoup. À travers l'habituelle prudence orientale, on pouvait voir que l'autorité de la France était, en notre personne, reconnue sans contestation, […] que chacun n'attendait que de nous la remise en marche des organes de l'État et l'instauration d'un gouvernement nouveau.» (Ibid., p.164).

[22] Voir notamment p.716: «Me voilà, tel que Dieu m'a fait!»

[23] Voir p.79.

[24]

Ibid., p.116.

[25]Voir Kantorowicz, Ernst, Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Âge, trad.Jean-Philippe Genet et Nicole Genet, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque des Histoires», 1989 [1957], 634p. et Merlin-Kajman, Hélène, L'Absolutisme dans les lettres et la théorie des deux corps. Passions et politique, Paris, Champion, 2000, 364 p.

[26]Voir par exemple de Gaulle, Charles, Mémoires de guerre, op. cit., p.224, 265, 296, 366, 450 et 458.

[27]Dans son analyse du «il» césarien, Roland Barthes fait remarquer qu'on peut distinguer le sujet ainsi désigné des autres participants du procès par ce simple fait: «le il césarien ne supporte que certains syntagmes, que l'on pourrait appeler syntagmes du chef (donner des ordres, tenir des assises, visiter, faire faire, féliciter, expliquer, penser), très proches, en fait, de certains performatifs, dans lesquels la parole se confond avec l'acte» (Barthes, Roland, «Le discours de l'histoire», Œuvres complètes, t.II, 1966-1973, éd. Éric Marty, Paris, Éditions du Seuil, 1994, p.421).

[28] Cet effort de sublimation conduit le Général à livrer, dans un discours qu'il prononce à Tunis en juin1942, un testament moral où il affirme n'être candidat à rien, comme si, une fois sa mission accomplie, la figure dont il était porteur devait s'évanouir, ne laissant qu'une dépouille: «À la France, […] à notre dame la France, nous n'avons à dire qu'une seule chose c'est que rien ne nous importe, excepté de la servir. […] Nous n'avons rien à lui demander, excepté, peut-être, que le jour de la liberté elle veuille bien nous ouvrir maternellement ses bras pour que nous y pleurions de joie et, qu'au jour où la mort sera venue nous saisir, elle nous ensevelisse doucement dans sa bonne et sainte terre.» (de Gaulle, Charles, Mémoires de guerre, op. cit., p.387). Ainsi retourné à la terre-mère dont il procède, le corps terrestre du Général s'effacerait pour laisser place à la «renaissance de l'État et de l'unité nationale recouvrée», à «l'espèce de résurrection» qu'aurait permis ce don total de sa personne.

[29] De Gaulle évoque, par exemple, le jeu politique des Anglais présents en Syrie et au Liban, «soutenu par le Premier Ministre dont les promesses ambiguës et les émotions calculées donnaient le change sur les intentions» (ibid., p.160).

[30] Voir p.474 au sujet de Vichynsky. De Gaulle décèle de même chez Bogomolov, représentant soviétique auprès du Comité national, une tension entre le conformisme rigide que lui impose sa fonction et la part d'humanité qui perce chez l'individu, qui «savait pratiquer l'humour, allant même jusqu'au sourire». Derrière le portrait de cet homme, c'est un vaste système de dépersonnalisation qui est dénoncé: «Je dois dire qu'à son contact je me suis persuadé que si la règle soviétique revêtait d'un carcan sans fissure la personnalité de ses serviteurs elle ne pouvait empêcher qu'il restât un homme par-dessous.» (Ibid., p.196).

[31] Ainsi de l'amiral Starck, bouleversé par la résistance que les Français opposent aux Alliés en novembre1942, et qui se présente au Général «les larmes aux yeux, rempli d'émotion […] par [son] appel radiodiffusé de la veille» (ibid., p.308).

[32] Dans les mêmes circonstances, «Eden, ému jusqu'aux larmes» (ibid., p.315), prend de Gaulle à part afin de lui avouer à quel point il est personnellement troublé.

[33] Lebrun rend visite, après la Libération, au général de Gaulle auquel il témoigne son allégeance: «Les larmes aux yeux, levant les bras au ciel, il confessait son erreur.» (Ibid., p.609).

[34] Voir par exemple les larmes de ses auditeurs lorsque le Général annonce, en Algérie, une réforme favorisant l'égalité civique et politique: «Devant moi, près de la tribune, je vois pleurer d'émotion le Dr Bendjelloul et maints musulmans.» (Ibid., p.447).

[35] Juste à la suite du débarquement, de Gaulle se rend à Bayeux: «À la vue du général de Gaulle, une espèce de stupeur saisit les habitants, qui ensuite éclatent en vivats ou bien fondent en larmes. Sortant des maisons, ils me font cortège au milieu d'une extraordinaire émotion. Les enfants m'entourent. Les femmes sourient et sanglotent. Les hommes me tendent les mains. Nous allons ainsi, tous ensemble, bouleversés et fraternels, sentant la joie, la fierté, l'espérance nationales remonter du fond des abîmes.» (Ibid., p.494).

[36]

Ibid., p.259.

[37]

Ibid., p.282.

[38]

Ibid., p.417.

[39]

Ibid., p.114.

[40] Voir p.241.

[41]

Ibid., p.399.

[42]

Ibid., p.241.

[43]

Ibid., p.573.

[44]

Ibid., p.573.

[45]

Ibid., p.573.

[46]

Ibid., p.573-574.

[47]

Ibid., p.574.

[48] Chateaubriand, Essai sur les révolutions. Génie du Christianisme, IIIe partie, LivreIII, chap.iv, éd.Maurice Regard, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1978, p.838-839.

[49] Lanson, Gustave, Histoire de la Littérature française, éd. remaniée et complétée pour la période 1850-1950 par Paul Tuffrau, Paris, Librairie Hachette, 1952, p.304.

[50] Voir, au sujet de Michelet, l'Introduction à l'histoire universelle: «La France agit et raisonne, décrète et combat; elle remue le monde; elle fait l'histoire et la raconte. L'histoire est le compte rendu de l'action. Nulle part ailleurs vous ne trouverez de Mémoires, d'histoire individuelle, ni en Angleterre, ni en Allemagne, ni en Italie. […] Dès qu'un homme a fait, vu quelque chose, vite il l'écrit.» (Michelet, Jules, Introduction à l'histoire universelle, Paris, Hachette, 1831, p.54-56). Le topos se trouve encore en 1943 sous la plume de George Peabody Gooch dans un article sur les «autobiographies politiques» publié dans Studies in Diplomacy and Statecraft: «France is the classic land of memoirs, and no French political apologia has been so widely read as that of the brilliant and cynical adventurer Paul de Gondi» (Peabody Gooch, George, «Political Autobiography», Studies in Diplomacy and Statecraft, London-New York-Toronto, Longmans, Green and Co., 1943, p.232).

[51] Barthes, Roland, «De Gaulle, les Français et la littérature», Œuvres complètes, t.I, 1942-1965, éd. Éric Marty, Paris, Éditions du Seuil, 1993, p.830.

[52]

Ibid., p.830-831.

[53]

Ibid., p.831.

[54]

Ibid., p.832.

[55] «Gide donne envie de lire les classiques. Chaque fois qu'il les cite, ils sont d'une beauté étonnante, tout vivants, tout proches, tout modernes. Bossuet, Fénelon, Montesquieu ne sont jamais si beaux que cités par Gide. On se juge alors criminel de les si mal connaître.» (Barthes, Roland «Notes sur André Gide et son “Journal”», Œuvres complètes, t.I, 1942-1965, éd. Éric Marty, Paris, Éditions du Seuil, 1993, p.25).

[56] Barthes, Roland, «Plaisirs aux Classiques», Œuvres complètes, t.I, 1942-1965, éd. Éric Marty, Paris, Éditions du Seuil, 1993, p.48.

[57]

Ibid., p.48.

[58] Le plus surprenant est peut-être que Roland Barthes laisse entrevoir dans cet article de 1944 certaines virtualités que nous le savons avoir réalisées par la suite. Ainsi de cette première formulation du punctum: «Il faut […] lire [les classiques] dans un dessein tout personnel. Je vais chercher, sous la généralité de leur art, la flèche qu'à travers les siècles ils m'ont décochée.» (Ibid., p.45).



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