Atelier

Le domaine du contrefictionnel aporétique joue sur les énoncés aux statuts véridictoires ambigus, soumis à des stratégies de tromperie pouvant aboutir à de l'indécidable. Que penser d'allégations contradictoirement maintenues entre plusieurs narrateurs mystérieux comme dans l'usage des notes dans La Reprise de Robbe-Grillet ? C'est alors la limite traçable entre les faits avérés et non-avérés de la définition du contrefictionnel qui posera problème. Robert Martin l'établit dans Pour une logique du sens : la différence essentielle entre les énoncés logiques et ceux d'une langue naturelle, c'est que les premiers sont posés, et donc justiciables du vrai ou du faux, tandis que les seconds ne sont qu'assertés. C'est-à-dire que le narrateur « affirme ce qu'il croit être vrai », selon une maxime de sincérité implicite, cette validité des énoncés d'un récit étant paradoxalement renforcée dans le cadre pragmatique de la fiction, où le lecteur souscrit à un pacte de lecture qui, entre autre, semble exiger une totale confiance vis-à-vis de ce narrateur. Un soupçon de manipulation ne s'élève alors que contre « l'objectivité » par laquelle le lecteur se voit sommé d'accepter comme indiscutables les assertions du narrateur-auteur, comme le pointe Michal Glowinski dans un ancien article « sur le roman à la première personne » (1977) (découvert en France avec vingt ans de retard). Au cinéma, un film au scénario roublard comme l'est Usual Suspects, nous révèle in fine que tout le récit fait par le personnage interrogé – et qui a constitué la mise en image qui a fourni la matière du film même – était faux, improvisé par ce narrateur apparemment si fragile mais en réalité le criminel tant recherché. Que penser alors du récit qui a précédé : quelle part de crédit lui accorder ? Le film a ainsi livré au spectateur des séquences qu'il doit remettre en cause au lieu de vraies informations construisant le réel de l'histoire, et il s'y cache une part de contrefiction, d'images inventées et non avérées.

La multiplication des narrateurs tampons est souvent un signe et un moyen pour ouvrir une brèche dans les certitudes sur ce qui s'est ou non passé. Une solution nouvelle d'interprétation peut ainsi changer la donne du factuel dans le récit, dans un exemple canonique comme Le Meurtre de Roger Ackroyd d'Agatha Christie, texte inépuisable en vertiges interprétatifs (voir le compte rendu de l'ouvrage de Pierre Bayard,Qui a tué Roger Ackroyd ?), aussi bien qu'à l'issue de la lecture d'un texte comme <i>Le Tour d'écrou<i> d'Henry James. L'existence du surnaturel n'est pas la seule hypothèse d'interprétation, et l'influence si pesante du climat de tension sexuelle entre la gouvernante, qui assume le récit, et le jeune Miles peut aussi expliquer les phénomènes en invalidant le premier degré de la parole de la narratrice. Enfin, le narrateur peut lui-même faire état d'incertitudes concernant les faits de son récit qui empêchent la lecture contrefictionnelle de se refermer sur une invalidation certaine

Maxime Abolgassemi

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Dernière mise à jour de cette page le 9 Juin 2003 à 11h40.