Atelier

Tous ces termes désignent chez Bakhtine les différentes façons dont plusieurs voix particulièrement celle de l'auteur et celle du narrateur, celle du narrateur et celles des personnages, ou bien celle du narrateur et celle de la doxa, ou bien encore celles des personnages et celle de la doxa— peuvent se superposer, soit en convergence (quand elles sont en accord) soit en divergence (quand il y a discordance entre elles) : « Nous qualifions de construction hybride un énoncé qui, d'après ses indices grammaticaux (syntaxiques) et compositionnels, appartient au seul locuteur, mais où se confondent en réalité deux énoncés, deux manières de parler, deux styles, deux « langues », deux perspectives sémantiques et sociologiques » (Esthétique et théorie du roman, p. 125-126). C'est pourquoi Bakhtine parle à propos de passages de ce genre de bivocalité ou de pluriaccentuation. Ces notions sont fortement liées à celle de polylinguisme, car c'est le polylinguisme qui permet la bivocalité : « Le polylinguisme introduit dans le roman (quelles que soient les formes de son introduction), c'est le discours d'autrui dans le langage d'autrui, servant à réfracter l'expression des intentions de l'auteur. Ce discours offre la singularité d'être bivocal. IL sert simultanément à deux locuteurs et exprime deux intentions différentes : celle— directe— du personnage qui parle, et celle —réfractée— de l'auteur.(….) En outre, les deux voix sont dialogiquement corrélatées, comme si elles se connaissaient l'une l'autre (comme deux répliques d'un dialogue se connaissent et se construisent dans cette connaissance mutuelle), comme si elles conversaient ensemble. Le discours bivocal est toujours à dialogue intérieur. Tels sont les discours humoristique, ironique, parodiques, les discours réfractant du narrateur, des personnages, enfin les discours des genres intercalaires » [Genres intercalaires = genre a priori non romanesque inséré dans le roman ou utilisé par le roman : lettre, confession, journal intime, récit de voyage, etc.] (Esthétique et théorie du roman, p. 144-145) La plupart des exemples relevés par Bakhtine (chez Dickens) relèvent du discours indirect libre, (qu'il a particulièrement étudié dans Marxisme et philosophie du langage, en même temps que d'autres formes du discours rapporté). La motivation pseudo-objective est un cas particulier de construction hybride : il s'agit d'un lien logique présenté comme objectif, mais en réalité parfaitement subjectif, c'est-à-dire relevant du système idéologique des personnages ou de la doxa et non de celui de l'auteur- narrateur ; celui-ci feint de reprendre à son compte ce qu'il n'approuve pas forcément ; d'où la fréquence de la motivation pseudo-objective avec des conjonctions qui impliquent une présupposition comme « puisque » ou « car » ; d'où également l'effet d'ironie généralement associé à cette motivation.



Claire Stolz

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Dernière mise à jour de cette page le 5 Juillet 2002 à 23h37.