Essai
Nouvelle parution
S. Zlitni-Fitouri, Pour un art de la relation. Processus narratif et reconstruction du sujet dans Le Livre du sang de A. Khatibi, Ombre sultane de A. Djebar et Les Mille et une années de la nostalgie de R. Boudjedra.

S. Zlitni-Fitouri, Pour un art de la relation. Processus narratif et reconstruction du sujet dans Le Livre du sang de A. Khatibi, Ombre sultane de A. Djebar et Les Mille et une années de la nostalgie de R. Boudjedra.

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Sonia Zlitni Fitouri)

Référence bibliographique : Zlitni-Fitouri Sonia, Pour un art de la relation. Processus narratif et reconstruction du sujet dans Le Livre du sang de A. Khatibi, Ombre sultane de A. Djebar et Les Mille et une années de la nostalgie de R. Boudjedra., Centre de Publication Universitaire (CPU), 2014. EAN13 : 9789973378088.

Observer le fonctionnement et la structure de l’imaginaire maghrébin, dans Ombre sultane, Le Livre du sang et Mille et une années de la nostalgie, en utilisant Les Mille et une nuits, comme hypotexte de départ, était à l’origine de notre interrogation. Partir de ces contes ouvrait déjà la lecture, l’orientait vers la compréhension des origines possibles du processus de la narration. Force est de constater que ces premiers questionnements nous ont conduit à considérer la narration comme relation, de par son étymologie et l’acception qu’en donne Edouard Glissant en partant du concept de rhizome proposé par Deleuze et Guattari. Par définition, la relation est multiple. « Elle se noue dans la rencontre de l’autre, du différent, du divers, qui sont reconnus comme tels » précise Jean-Louis Joubert Aussi notre questionnement a-t-il voulu porter sur l’idée de relation comme construction établie par la narration et l’imagination.

Pour Khatibi, Djebar et Boudjedra, l’appartenance simultanée à une double culture, à une double langue, rend possible la création d’une poétique maghrébine, d’une parole de la relation où l’espace narratif devient celui de son propre avènement. La relation devient prétexte d’écriture, un catalyseur de création ; mieux : un sursis de vie. En outre, mettre en relation les œuvres de trois écrivains maghrébins avec la pensée glissantienne reviendrait à révéler ‘’l’intranquillité’’ qui les sous-tend. La littérature maghrébine de langue français n’a-t-elle pas toujours été, depuis sa naissance, une littérature travaillée par  le fragile et le manque, l'inquiétude et la perte ? Littérature de l'intranquillité, dans ce sens que rien ne lui est jamais acquis et qu'elle vit de ses paradoxes mêmes (double langue, double culture, enfermement, universalité). Précisons que la notion d'intranquillité, bien qu’elle puisse s'appliquer à toute forme d'écriture, de littérature, s'applique tout particulièrement à la pratique langagière de l'écrivain francophone, qui est fondamentalement ‘’une pratique du soupçon’’. Écrire au Maghreb, serait-il aller à la rencontre de cette étrangeté, sachant qu'il n'y a de littérature possible que dans l'inconfort et l'intranquillité ? Raconter incessamment en interrogeant le langage, subvertir le récit, déjouer l’attente du lecteur ne serait-t-il pas également une  tentative de triompher de la mort ?

 

C’est donc la narration tissant un réseau de relations et justifiant par là-même l’étymologie latine du mot ‘’texte’’< ‘’textus’’ < ‘’tissu/trame’’, qui évite le cercle vicieux, fait que les personnages sortent d’eux-mêmes par l’imaginaire, le mythe, y reviennent par la subjectivité mais la modèrent par les voyages intertextuels et la force du langage qui les font, les constituent. David Brezis, dans son ouvrage Kierkegaard et la subjectivité en miroir, explique que l’idéalisme allemand s’est achevé sur une crise d’une subjectivité  qui ‘’ cessant de trouver son fondement dans un rapport de réappropriation réflexive à soi, ne se constitue que depuis une ouverture à l’Autre, d’une certaine transcendance, l’entraînant hors des limites de sa propre souveraineté.’’  L’activité spéculaire de la narration en tant que relation est-elle enfin l’issue d’une crise du sujet qui a perduré dans la littérature maghrébine ?