Questions de société
Xavier Darcos appelle les intellectuels à un

Xavier Darcos appelle les intellectuels à un "dialogue sérieux" . Chiche!

Publié le par Bérenger Boulay

On croit rêver: 

Le ministre de l'Education Xavier Darcos réclame un "dialogue sérieux"et "rationnel" de la part des intellectuels qui s'opposent à sesréformes, leur reprochant de préférer "la rumeur, l'outrance, lathéorie du complot ou le déni de vérité", dans une tribune publiée dansLe Monde daté de jeudi 19 mars.

Sur Xavier Darcos:  Xavier Darcos Supermenteur

Sur le traitement de la mobilisation universitaire dans le quotidien Le Monde : Le Monde et le mouvement universitaire (Acrimed)

Sur cette page:

- Esprit français, es-tu là ? par Xavier Darcos

- Xavier Darcos et la conférence: Chiche! par Christine Noille-Clauzade

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Esprit français, es-tu là ? par Xavier Darcos

http://www.lemonde.fr/archives/article/2009/03/18/esprit-francais-es-tu-la-par-xavier-darcos_1169544_0.html 

LE MONDE | 18.03.09 | 14h13

Édition papier du 19/03/09  

Parmi les grandesdémocraties contemporaines, la France occupe, historiquement, une placeparticulière, parce qu'elle a toujours accordé au savoir et aux idéesune prééminence dans la conduite du débat public et, partant, del'action politique.

Et lorsque les intellectuels semblent moins s'exprimer, on leur fait reproche de leurs "salves de silence".On y voit une sorte de trahison ou de manquement. Car cette vigilancede l'esprit constitue un utile contre-pouvoir, une force dialectique,un stimulant. Cette singularité est un atout dans une société soumiseau rythme de l'information immédiate et éphémère, dans laquelle tout seperd et tout se vaut.

Cet usage résulte, comme chacun sait, de la figurefrançaise de "l'auteur engagé". Depuis Voltaire, au moins, ils'identifie à une résistance face à l'institution, même si de grandsesprits et des plumes alertes ont aussi pu accompagner les ambitions dela nation, tels les poètes de la Pléiade contribuant à l'unificationlinguistique et politique du royaume de France sous François Ier.

Maiscette vision émane aussi de notre héritage positiviste, qui a scelléune alliance du monde intellectuel et du monde politique, en fondant leprogrès social sur les avancées de la science et de la vérité critique.C'est à cette longue tradition que se référait Nicolas Sarkozyen rappelant, au cours de sa campagne présidentielle, qu'il n'y a pasde projet politique sans véritable projet scolaire - entendez par là,sans revenir aux racines mêmes du projet républicain qui a voulu fonderle pacte social sur le partage du savoir, sur l'accès aux monuments dela culture et de la pensée. Tout honnête homme, quelle que soit sonappartenance politique, désire l'avènement d'une société éclairée oùprogressent pour tous les valeurs de liberté et de justice.

D'oùvient alors ce soupçon perpétuel qui pèse sur nos gouvernements,quelles que soient leur appartenance et les mesures qu'ils adoptent ?Le voici qui se réanime bruyamment, oscillant entre le procès enillégitimité et l'accusation de vouloir bâillonner culture et librepensée.

Comment expliquer que dans un pays qui a magnifié à cepoint l'usage de la raison ou l'examen des preuves, le rationnel sembleexilé du débat public, tandis que la rumeur, l'outrance, la théorie ducomplot ou le déni de vérité s'instillent jusque dans les sphères lesplus éclairées du monde intellectuel ? La dérive n'est pas inusitée,certes. Montaigne voyait déjà dans la "passion du courroux" un puissant ennemi du dialogue raisonnable, vouant à l'échec la cause de la vérité : "Il n'est passion qui ébranle tant la sincérité des jugements que la colère."Je m'étonne : par paradoxe, cet excès de passion semble désormais lepremier argument de ceux qui entendent défendre les intérêts de laraison.

Cette tendance imprécatrice blesse l'intelligence. Elleme choque : non seulement parce qu'elle peut émaner de personnalitésque j'admire et auprès desquelles j'ai appris et travaillé ; mais aussiparce qu'elle encourage le monde du savoir dans une défiance explicite,voire obligée, à l'égard du politique, au risque d'une rupture entreces deux alliés du projet républicain.

Lorsqu'on laisse utiliserle sceau et la typographie officielle de la Sorbonne pour publier destracts parodiques appelant au procès du président de la République, cen'est pas seulement la représentation du peuple que l'on bafoue : cesont aussi les efforts et le mérite de tous ceux qui ont obtenu leurdoctorat frappé de ce même sceau que l'on déprécie. Affaiblir lepouvoir, galvauder l'image du savoir, ridiculiser ses espèces, c'estfaire la part belle à tous les populismes, voire aux obscurantismes quirêvent toujours de couper durablement la politique de l'esprit.

Personnen'a intérêt à encourager cette dérive. Personne n'en sortira gagnant.Et surtout, personne ne peut en justifier les vrais ressorts, qui sontle dévoiement de la fonction critique de l'intellectuel, au profitd'intérêts partisans ou caricaturaux. Il suffit, pour s'en convaincre,de fréquenter certains blogs ou certains forums dans lesquels lesexposés les plus brillants sont parfois consacrés aux arguties dethèses les plus insensées, assorties de procès en sorcellerie adhominem.

Là n'est pas l'exigence de l'esprit d'examen et de larigueur morale qui ont fait le prestige de notre traditionintellectuelle - et, même, je le reconnais, sa précellence sur unpersonnel politique soumis aux aléas de l'opinion et aux contraintes dutransitoire.

Comme ministre, mais aussi comme professeur, jecrois que nous devons sortir le débat d'idées de ce registre polémique,sophistiqué et agressif, dans lequel il est actuellement tenté des'enfermer. Les politiques ne sont pas les ennemis du savoir - surtoutpas ceux de cette majorité qui a fait de l'université et de larecherche une priorité.

Dans un monde où les valeurs matérielleset vénales basculent sous leur propre échec, les intellectuels vont,une fois encore, se trouver aux avant-postes pour inventer une autreutopie sociale. Nous avons soif de leurs clartés, d'autant que nousn'avons d'autre moteur du progrès que la connaissance. L'affaire ne seclive pas entre les bons (la gauche) et les méchants (la droite).

Cettesupputation est inféconde. Elle donne un exemple désastreux à notrejeunesse, en privilégiant la querelle ou le préjugé plutôt que lacontroverse argumentée. De quelque côté que nous nous trouvions, nouspouvons disputer et penser des convergences utiles.

Bref, et si on retrouvait cette forme de l'excellence de l'esprit français, "l'art de conférer" ?

Xavier Darcos est membre de l'Institut, ministre de l'éducation nationale.

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- Xavier Darcos et la conférence: Chiche!

Communiqué de Christine Noille-Clauzade, PR. Grenoble 3.

Suite à un appel (un défi? un cri dans le désert un soir de mars?) lancé par Darcos dans une Tribune du Monde :

"Et si on retrouvait cette forme de l'excellence de l'esprit français, l'art de conférer"

devons-nous en déduire que Xavier Darcos serait prêt à CONFERER?Sommes-nousau bord d'en finir avec les protestations sans violence, joyeuses etcarnavalesques où nous contraignent les refus du gouvernement d'ouvrirdes négociations? Pouvons-nous espérer enfin voir les négociationss'ouvrir? De notre côté en tout cas, pas de problème! Car commel'aurait dit Montaigne (III, 8),

"Leplus fructueux et naturel exercice de notre esprit, c'est à mon gré laconference. J'en trouve l'usage plus doux que d'aucune autre action denotre vie. ... J'entre en conference et en dispute avec grande libertéet facilité. ... J'aime, entre les galants hommes, qu'on s'exprimecourageusement, que les mots aillent où va la pensée."

Alors oui, avec les Ministères de l'Education Nationale et del'Enseignement Supérieur et de la recherche, ouvrons dès demain unegrande CONFERENCE SUR L'UNIVERSITE ET LA RECHERCHE!