Questions de société

"X. Darcos, V. Pécresse et la mastérisation", par B. Perucca (Le Monde 24/05/09)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : SLU)

"Xavier Darcos, Valérie Pécresse et la mastérisation", par Brigitte Perucca, Le Monde, 24 mai 2009

LE MONDE | 23.05.09. Article paru dans l'édition du 24.05.09.

http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/05/23/xavier-darcos-valerie-pecresse-et-la-masterisation-par-brigitte-perucca_1197068_3232.html

Les universités sont quasiment débloquées, mais lesInstituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), eux, sontencore crispés. Même si Xavier Darcos, chargé de la réforme de laformation des professeurs, a en partie désarmorcé la grogne enrepoussant sa mise en oeuvre d'un an, le problème n'est que différé.Cette "mastérisation" aura constitué la face cachée du mouvement quiagite les universités depuis huit semaines.

Tout sauf anodine, puisqu'elle modifie le niveau derecrutement et la façon dont vont être formés les professeurs de cepays, cette réforme a une autre caractéristique : son traitementconcerne certes au premier chef le ministère de l'éducation, quirecrute les professeurs mais a de fortes implications pour le ministèrede l'enseignement supérieur qui les forme.

Xavier Darcos et Valérie Pécresse auraient dû en bonnelogique penser et agir la réforme ensemble. Or le moins que l'on puissedire est que les deux équipes ministérielles n'ont traité le sujet nien harmonie ni même en commun. Pendant toute la durée de la crise, lesdeux ministres n'ont cessé - en privé - de se renvoyer laresponsabilité de l'impasse dans laquelle se trouvait le mouvement desuniversités.

A chaque fois qu'on évoque devant elle les difficultésde mise en oeuvre, mais aussi le mal-fondé de la réforme de laformation des maîtres, la ministre de l'enseignement supérieur répondpar un "joker" ! Cette réponse en forme de pied denez signifie que Mme Pécresse n'approuve ni ne défend vraiment uneréforme qui n'est pas la sienne. De surcroît, Mme Pécresse n'a pas étédupe de l'empressement de M. Darcos à vouloir réaliser la mastérisationsi promptement : elle lui permettra d'économiser à terme des milliersde postes.

Cette mastérisation - qui vise à traduire concrètementle fait que tous les enseignants seront recrutés à bac + 5 - n'est passeulement une mesure d'économie. C'est une réforme qui permet àM. Darcos de satisfaire tous ceux qui veulent en finir avec lesIUFM. Créés par Lionel Jospin, ils sont honnis d'une bonne partie dumonde académique et universitaire. Mais bizarrement, la contestation decette réforme n'est pas venue des IUFM, muets dans un premier tempsdevant le dépeçage de l'aspect "professionnel" de la formationenseignante. Leurs critiques ont cependant fini par émerger, lesdirecteurs d'IUFM regrettant que les nouveaux futurs enseignants soient"lâchés" sans formation devant des classes.

Les présidents d'université n'étaient pas mécontents derécupérer dans leur giron une formation que certains d'entre eux jugentconfisquée par les "pédagogues" et dont le rattachement à l'universitéparaît logique. Mais comment s'y prendre, dans l'université tellequ'elle est, pour assurer à la formation d'enseignant le caractèreprofessionnalisant dont elle a besoin ? Les universitaires, nonpréparés puisque mis à l'écart des préliminaires de la réforme, en ontréalisé assez vite les effets collatéraux.

Les enseignants-chercheurs se sont ainsi inquiétés dela création de cet "ovni" que risque d'être le master "enseignement".De quoi seront "faits" ces masters ? S'agit-il d'une sorte de"pot-pourri" de disciplines dont l'enseignement n'aurait, de fait, riend'universitaire puisqu'il s'agit de garantir que les futurs professeursdes écoles possèdent bien les connaissances de base nécessaires ? Quedeviendront ces jeunes en cas d'échec ? N'y a-t-il pas un risque quecette filière capte les meilleurs des étudiants en sciences humaines,ce qui, du coup, priverait ces filières de "bons" étudiants ? Que l'onjuge ces critiques discutables ou irrecevables ne change rien àl'affaire : les choses auraient dû être dites et débattues avant d'êtreimposées.

De la même manière que l'on ne change pas par "décret"un rapport aussi complexe que celui de l'enseignement et de larecherche, on ne peut bousculer en quelques semaines, sous prétexted'économies, une formation aussi sensible que celle des professeurs. Etil y a fort à parier que tous les aspects de la réforme auraient étémieux traités si un seul ministère avait piloté ladite réforme.

Car cette gestion morcelée ne tient pas seulement aufait que les titulaires des deux portefeuilles ne s'entendent pas. Elledémontre aussi que l'enseignement est un continuum difficile à scinder.Les incompréhensions et les malentendus autour de la mastérisationauraient peut-être été résolus plus tôt si le dossier avait étéd'emblée étudié sous toutes ses facettes. Ce qui vaut pour la formationdes maîtres peut s'appliquer à d'autres dossiers comme la réforme dulycée. Une bonne partie de l'argumentaire de M. Darcos pour "changer" le lycée repose sur l'idée qu'il ne prépare pas convenablement aux exigences de l'enseignement supérieur.

Et que dire si demain l'enseignement supérieur étaitséparé de la recherche de manière à "offrir" à Claude Allègre, l'ancienministre de l'éducation de M. Jospin, le portefeuille sur mesure (larecherche et l'industrie) qu'il réclame ? Nul doute que lesenseignants-chercheurs et les chercheurs, à qui M. Allègre n'a paslaissé que des bons souvenirs, auront du mal à s'y retrouver.

Brigitte Perucca, service Planète

Courriel : perucca@lemonde.fr