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Voltaire et D'Alembert (Paris)

Voltaire et D'Alembert (Paris)

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Olivier Ferret)

16-17 juin 2017

Voltaire et D’Alembert

Le tricentenaire de la naissance de D’Alembert (1717-1783) figure parmi la première liste des événements donnant lieu aux célébrations nationales de 2017. Au-delà des circonstances, d’importants chantiers éditoriaux entrepris depuis une cinquantaine d’années invitent à faire le point sur l’état actuel des connaissances sur les relations entre Voltaire et D’Alembert : l’édition critique des Œuvres complètes de Voltaire, en cours d’achèvement à la Voltaire Foundation d’Oxford, celle des Œuvres complètes de D’Alembert, placée sous le patronage de l’Académie des sciences, qui soutient également la mise en œuvre récente du projet d’édition numérique collaborative et critique de l’Encyclopédie (ENCCRE). Les apports réciproques des membres de ces équipes éditoriales paraissent ainsi de nature à réexaminer à nouveaux frais les modalités des échanges entre les deux hommes de lettres et philosophes, dont l’histoire reste à écrire[1].

Ces journées seront ainsi l’occasion de revenir, grâce aux éclairages nouveaux que les éditions en cours de ces textes sont susceptibles d’apporter, sur les moments phares de la collaboration entre Voltaire et D’Alembert : on songe à la rédaction de l’article « Genève » (1757) de l’Encyclopédie, aux remous qu’il suscite et au rôle que Voltaire est censé avoir joué dans cette affaire. On songe aussi aux circonstances qui ont conduit à la publication en 1765, à Genève, par les soins de Voltaire, de l’opuscule intitulé Sur la destruction des jésuites en France, « par un auteur désintéressé ». Réciproquement, qu’en est-il du rôle que D’Alembert a pu jouer dans l’élaboration d’éditions parisiennes de certains ouvrages ou opuscules voltairiens ? Cette fonction de relais gagnerait à être mise en lumière par les éditeurs et éditrices des Œuvres complètes de Voltaire. Pour ce faire, la correspondance entre les deux hommes est une source précieuse, même si – les recherches entreprises sur l’épistolaire depuis le milieu du xxe siècle l’ont établi de manière indiscutable – les énoncés de correspondance doivent être mis en perspective, et s’avèrent d’ailleurs intéressants à bien d’autres titres.

L’importance de cette correspondance, partiellement éditée par Besterman et dont un inventaire plus précis a depuis été effectué[2], n’est plus à démontrer. Le corpus, qui a fait l’objet d’un article ancien et d’une thèse récemment soutenue[3], ouvre des perspectives de questionnement à plusieurs niveaux. Les situations respectives des correspondants, l’un de part et d’autre de la frontière franco-suisse, l’autre à Paris, en rendant matériellement indispensable la mise en place d’un commerce épistolaire, conduisent à explorer leurs réseaux : quels échanges d’informations transitent entre les deux lieux ? Et, lorsqu’on resitue les échanges entre les deux épistoliers dans leurs correspondances respectives, que se disent-ils et comment, mais aussi, de manière tout aussi instructive, que passent-ils sous silence ? Ces échanges prennent-ils par ailleurs sens vis-à-vis d’une tierce personne – on pense par exemple au dispositif, stratégique pour l’un comme pour l’autre, mis en œuvre dans la correspondance avec Frédéric II. Il s’agit ici notamment d’apprécier le mode de circulation de l’information au sein du clan des « philosophes ».

Une autre perspective consiste à s’interroger sur la relation épistolaire, à commencer par les rôles que cette correspondance assigne aux deux épistoliers – celui que chacun endosse et assume au sein de l’échange ; celui que le discours de l’autre fabrique – compte tenu du statut (public, privé, semi-privé) sinon de leur correspondance dans son ensemble, du moins des lettres qui individuellement la constituent. Ainsi, lorsque Voltaire écrit à D’Alembert, à qui s’adresse-t-il ? à l’un de ses « frères » philosophes parisiens, qui fréquente en particulier les salons ? à l’encyclopédiste ? à l’académicien – membre de l’Académie des sciences depuis 1741, de l’Académie française depuis 1754, membre ou correspondant de plusieurs autres académies en France et en Europe ? Et à l’inverse, à quel Voltaire D’Alembert s’adresse-t-il ? au membre de certaines de ces mêmes académies ? au chef de file des « philosophes », dont la position s’affirme dans la seconde moitié des années 1750 mais qui apparaît de plus en plus contestée, de l’intérieur même du parti, au début des années 1770 ? Au-delà de la mise en jeu, de part et d’autre, d’un ethos, il faudrait encore questionner les modalités rhétoriques des interactions entre les deux épistoliers, en faisant autant que faire se peut la part de ce qu’elles doivent à des considérations stratégiques au sens large : se ramène-t-elle aussi aisément au modèle de la relation de maître à disciple ? On peut émettre l’hypothèse que ces interactions sont plus complexes, et qu’elles gagnent à être appréciées en fonction de la nature des textes qui les construisent.

En dehors de la seule correspondance, en effet, il convient de prêter attention au sens que revêtent les références à D’Alembert dans les œuvres de Voltaire. De même – le phénomène est sans doute moins étudié –, quel sens accorder aux références à Voltaire dans le corpus d’alembertien ? Méritent d’être explorés les textes que D’Alembert écrit pour l’Encyclopédie, en tant que collaborateur mais aussi, du moins jusqu’en 1758, en tant qu’« éditeur », avec Diderot, du Dictionnaire raisonné[4]. Il en va de même de ceux qu’il rassemble dans les éditions successives (en 1753, en 1759, en 1767) de ses Mélanges de littérature, d’histoire et de philosophie. Une attention particulière peut encore être apportée à ce qui constitue l’essentiel de son activité littéraire à partir de son accession au secrétariat perpétuel de l’Académie française (1772) : la rédaction d’une Histoire des membres de l’Académie française, publiée à titre posthume par Condorcet en 1786-1787, dont les « réflexions philosophiques » comptent de nombreuses mentions de Voltaire et de ses ouvrages.

 

[1] Contrairement, par exemple, à la question des relations entre Voltaire et Rousseau, étudiée par Henri Gouhier (Rousseau et Voltaire. Portraits dans deux miroirs, Paris, Vrin, 1983), aucune monographie n’a jusqu’à présent été consacrée à Voltaire et D’Alembert.

[2] Inventaire analytique de la correspondance de D’Alembert (1741-1783), éd. établie par Irène Passeron avec la collaboration d’Anne-Marie Chouillet et de Jean-Daniel Candaux, Œuvres complètes, vol. V/1, Paris, CNRS Éditions, 2009. Voir aussi la Correspondance générale 1741-1752, éd. sous la dir. d’I. Passeron, Œuvres complètes, vol. V/2, Paris, CNRS Éditions, 2015. Voir encore l’édition numérique en ligne, D’Alembert en toutes lettres : .

[3] Voir Marta Rezler, « The Voltaire-d’Alembert Correspondence: An Historical and Bibliographical Re-appraisal », SVEC, no 20 (1962). Voir aussi Nathalie Casares, « La correspondance entre Voltaire et D’Alembert : une amitié épistolaire », sous la dir. de Sylvain Menant, Université Paris-Sorbonne (Paris IV), 16 janvier 2014.

[4] Quelques aperçus sont proposés par O. Ferret, Voltaire dans l’Encyclopédie, Paris, Société Diderot, 2016. L’ouvrage ne fournit cependant pas de synthèse sur la question spécifique des textes de D’Alembert.