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Voix subalternes et créa(c)tives Explorer l'inventivité de la marge francophone (Frédéricton, Nouveau-Brunswick, Canada)

Voix subalternes et créa(c)tives Explorer l'inventivité de la marge francophone (Frédéricton, Nouveau-Brunswick, Canada)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Cécilia W. Francis)

APPEL À COMMUNICATIONS

Voix subalternes et créa(c)tives Explorer l'inventivité de la marge francophone 

Frédéricton, Nouveau-Brunswick, Canada, 21-24 octobre 2021

 

Le 31e colloque de l’Association des professeurs.es des littératures acadienne et québécoise de l’Atlantique a pour objectif de réunir des chercheurs.es interpelés.es par la vitalité et la prégnance de productions littéraires et culturelles provenant d'aires francophones associées communément à la marge (en particulier les littératures acadienne, franco-ontarienne, de l’Ouest canadien, sans négliger les littératures du Québec, des Caraïbes, d’Afrique ou d’autres régions francophones). La notion de « marge » arrimée aux sujets engagés dans des démarches créatrices innovantes ou impliqués dans l'exploration de domaines de pensée en émergence, influe sur la mondialisation progressive des lettres francophones et sur la transversalité de réseaux poétiques « archipéliques ». Comment concevoir cette mouvance de décentralisation mondiale sans les notions de créolisation, de racines démultipliées, de l’Autre et du Divers qui sont à l’origine de ce que Glissant désigne comme la Relation, une Relation qui se dévoile aussi et surtout dans les littératures de la marge? La marge en littérature francophone évoque a priori le concept de littérature mineure forgé par Deleuze et Guattari (réélaboré par François Paré dans le contexte nord-américain), lequel renvoie à la littérature « qu'une minorité fait dans une langue majeure[1]». Selon ces chercheurs, les réalisations de la marge sont assujetties à un coefficient de déterritorialisation, tant spatial que linguistique, au branchement de l'individuel sur le politique et à l'agencement collectif d'énonciation[2], circonstances inéluctablement génératrices de tensions, mais que des auteurs.es à l’instar d’Herménégilde Chiasson, de Catherine Mavrikakis, de Dany Laferrière, d’Émile Ollivier, de Nina Bouraoui, d’Amin Maalouf ou d’Abdourahman Waberi, et bien d’autres encore, abordent plutôt en termes d’accroissement de liberté, de ferment créateur.

La notion de marge conjuguée à la minorisation comme constellation parallèle ou excentrique est souvent caractérisée par ce que Glissant dénomme des stratégies de détour renvoyant à l’idée d’inventivité. Aux yeux de Pascale Casanova, le droit à la liberté créatrice dont se réclament les créateurs de la périphérie n’est pas une donnée accordée d’emblée : « ils ne l’ont conquise qu’au prix de luttes toujours déniées comme telles au nom de l’universalité littéraire et de l’égalité de tous devant la création, et de l’invention de stratégies complexes qui bouleversent totalement l’univers des possibles littéraires[3] ». Selon Lise Gauvin de telles stratégies vont « de la transgression affichée à la mise en place de systèmes astucieux de cohabitations de langues ou de niveaux de langues, qu’on désigne généralement sous le nom de plurilinguisme ou d’hétérolinguisme textuel[4] » auxquels pourraient s’ajouter le multiculturalisme syncrétique et la réécriture parodique ou ironique de grands modèles qui bouleversent les formes narratives standard[5]. Chez Glissant de telles stratégies de détour s’imposent aux écrivains.es francophones puisque leurs productions littéraires s'adressent souvent à deux publics, celui de la région ou du pays d'origine et celui du lieu adoptif, lesquels sont séparés par des acquis culturels divergents, les amenant à improviser pour atteindre un lectorat à la fois local et plus vaste[6] - on pense entre autres aux démarches de France Daigle en Acadie et d’Abla Farhoud au Québec.   

Les littératures de la marge restent traversées par « une conscience de la fragilité qui se meut aussitôt en force, celle de l’intranquillité[7] », pour reprendre le titre d’un ouvrage de Fernando Pessoa. Ce paradoxe entourant le statut précaire et « toujours à renégocier[8]» des littératures mineures cristallisé par l’expression « voix subalternes et créa(c)tives[9] » autorise à les rapprocher d’une sphère d’idées élaborée par Gayatri Chakravorty Spivak. S’appuyant d’une part sur Antonio Gramsci[10] qui s’est intéressé aux groupes sociaux inférieurs dont le témoignage fut exclu du discours historiographique officiel et, d’autre part, sur deux concepts retenus par Marx, à savoir Vertretung, terme allemand qui signifie parler au nom de quelqu’un en tant que représentant(e) ou mandataire, et Darstellung, notion qui renvoie à la représentation sémiotique ou esthétique, où il est question de parler de quelqu'un dans un récit ou un portrait, par exemple, Spivak cherche à cerner les défis entourant la mise en représentation de sujets privés de réceptivité, que nous adaptons dans le sens de petites littératures confrontées par les épreuves de la reconnaissance. La chercheure demeure sensible aux épistémès socioculturelles qui empêchent le sujet subalterne d’accéder aux compétences rhétoriques ou scripturales permettant d’encoder son histoire au niveau d’un discours hégémonique[11] et souligne que ce sujet s’avère « irrémédiablement hétérogène[12] », ses modalités signifiantes empruntant souvent des formes non canoniques de désignation, susceptibles de passer inaperçues[13].

 D'après Spivak, la critique, dans son travail de décryptage touchant au sujet subalterne, a tout intérêt à s’attarder sur la transmutabilité de cette parole vers d’autres formes expressives, d’autres effets langagiers, qui, échappant aux codes universels de représentation demeurent hautement signifiants[14]. Le langage des subalternes se trouverait articulé différemment, à savoir dans des actes illocutoires singuliers ou au moyen d'occurrences visuelles, gestuelles ou acoustiques. De cette manière, la subalternité aurait des résonances avec une variabilité de discours qui constitueraient autant de modalités d'agentivité ou d'occasions de parole performante permettant d'encoder des voix inconnues ou encore inadéquatement explorées. Cette définition du sujet subalterne convoque la pensée de Judith Butler qui conçoit la notion d’agentivité dans le sens d’une identité performative transformationnelle, relativement au stéréotype, puisqu'en se présentant autrement dans la répétition, le sujet devient agent et crée la possibilité de déplacer la loi au lieu de la consolider[15].

En transposant la notion de sujet subalterne au prisme de la marge francophone, nous désirons explorer une vaste panoplie de manifestations à la fois créatives, illocutoires et imprégnées d’activisme en insistant sur leur inventivité, par lesquelles les sujets et les discours de la périphérie s'imposent et apportent des transformations sur le plan des normes, des limites, des possibilités ou de contraintes par rapport aux discours hégémoniques du centre ou du canon[16]. De plus, les récits et les productions de groupes au sein de la francophonie qui adoptent des formes hybrides ou intermédiales infiltrent et régénèrent les discours dominateurs. À cet égard, on peut évoquer, à titre d’exemple, des voix acadiennes, québécoises, franco-canadiennes et franco-européennes, des voix du sud francophone (l’Afrique, les Caraïbes, la Polynésie), des voix autochtones, celles épousant des revendications écologiques, celles assimilées aux problématiques féministes et celles issues des communautés queer.

Ce colloque suscite de la sorte un riche faisceau d’interrogations. Quelles sont les préoccupations des productions de la marge francophone depuis les deux dernières décennies ou depuis le manifeste « Pour une littérature-monde en français », paru dans Le Monde du 16 mars 2007? Quelles sont les revendications éthiques et esthétiques des auteurs et des autrices de la marge? Quels sont les recoupements entre subalternité, marginalité et transversalité abordées sous l’angle des littératures ou des productions esthétiques francophones? Qui sont les auteurs/autrices ou les créateurs/créatrices en émergence œuvrant dans la marge francophone? Lesquelles sont les postures critiques de la marge? Quels sont les défis posés par la lecture et la circulation des productions extraterritoriales? Comment les divergences imaginaires de la francophonie composent-elles avec la langue ou les langues d’écriture? Quelles sortes de mixité générique infléchissent les productions de la marge? Quel est l'impact du cyberespace sur les productions de la marge (publications numériques, baladodiffusion, réseautage transcontinental, etc.)?

Le comité organisateur du colloque sollicite des propositions de communication articulées en fonction des axes suivants: 

  • Formes inventives issues des marges francophones
  • La déterritorialisation de la langue ou l’inventivité linguistique de la marge
  • Postures critiques et marge : exiguïté, francophonie, postcolonialisme, néocolonialisme
  • La transversalité des institutions littéraires francophones
  • Les manifestes ou les discours axés sur les manifestes de la marge
  • Le sujet subalterne au sein des institutions francophones
  • L’agentivité allant du singulier au collectif
  • Les stratégies de détour liées aux auteurs et aux autrices de la marge
  • Les littératures de l’intranquillité
  • L’intermédialité, l’hybridité ou la mixité des genres
  • Littératures francophones et cyberespace
  • Traduire les textes francophones
  • Voix émergentes autochtones
  • Discours et narrations francophones axés sur l’écologie
  • Récits ou productions culturelles francophones et problématiques du genre (LGBTQ+)
  • Textes et productions audiovisuelles signés par les femmes œuvrant dans la francophonie
  • Échos et métamorphoses de la « littérature-monde en français »
  • Le dialogue nord-sud à travers des productions esthétiques : rencontres, tensions, ouvertures

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Proposition de communication : un résumé de 150 à 250 mots, accompagné d’une courte notice bio-bibliographique.

Date de tombée : le 15 novembre 2020.

L’adresse électronique pour l’envoi : voixsubalternes@gmail.com  

Lieu du colloque : À l’Université du Nouveau-Brunswick et à l’Université Saint-Thomas

Frédéricton, (Nouveau-Brunswick/Acadie) Canada.

Les jeunes chercheurs.es ainsi que les professeurs.es en début de carrière sont invités.es à soumettre le texte de leur communication au jury du Prix François-Paré. Ce prix récompense un étudiant ou une étudiante aux études supérieures (maîtrise, doctorat, recherches postdoctorales) ou un professeur ou une professeure pendant ses cinq premières années de carrière, ayant soumis la meilleure version écrite d’une communication présentée lors du colloque annuel de l'Association des professeurs.es des littératures acadienne et québécoise de l'Atlantique. Voir : https://www.unb.ca/fredericton/arts/departments/francais/aplaqa/prixfp.html

Selon les subventions reçues, les organisateurs du colloque seraient possiblement en mesure de couvrir une portion des dépenses de participation au colloque des étudiants.es inscrits.es aux études supérieures (maîtrise, doctorat, chercheurs.es au niveau postdoctoral).

Veuillez noter qu’à la suite du colloque, le comité organisateur a l’intention de publier un ouvrage collectif sur le thème du colloque.

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Les membres du comité organisateur du colloque :

Co-présidence :

Robert Viau, Université du Nouveau-Brunswick 

Cécilia W. Francis, Université Saint-Thomas

Membres :

Patrick Bergeron, Université du Nouveau-Brunswick 

Julien Defraeye, Université Saint-Thomas 

Daouda Diarra, Université de Moncton 

Jo-Anne Elder, Transfiction Translation Services

Christian Mbarga, Université Saint-Thomas

Chantal Richard, Université du Nouveau-Brunswick 

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Bibliographie indicative :

Bertrand, Jean-Pierre et Lise Gauvin (dir.), Littératures mineures en langue majeure. Québec / Wallonie-Bruxelles, Bruxelles - Montréal, P.I.E. Peter Lang et Les Presses Universitaires de Montréal, 2003.

Bouraoui, Hédi, Transpoétique. Éloge du nomadisme, Montréal, Mémoire d’encrier, 2005.

Butler, Judith, Gender Trouble: Feminism and the Subervsion of Identity, New York et Londres, Routledge, 1999 [1990].

Casanova, Pascale, La République mondiale des lettres, Paris, Seuil, 1999.

Deleuze, Gilles et Félix Guattari, Kafka. Pour une littérature mineure, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975.

Denis, Benoît et Rainier Grutman, « Centre et périphérie », Paul Aron, Denis Saint-Jacques et Alain Viala (dir.), Le dictionnaire du littéraire, Paris, PUF, 2002, p. 83.

Francis, Cécilia W. et Robert Viau, Trajectoires et dérives de la littérature-monde. Poétiques de la relation et du divers dans les espaces francophones, Amsterdam/New York, Rodopi, coll. « Francopolyphonies », 2013.

Gauvin, Lise, Romuald Fonkoua et Florian Alix (dir.), Penser le roman francophone contemporain, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2020.

Godin, Jean-Léo (dir.), Nouvelles écritures francophones. Vers un nouveau baroque?, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2001.

Gramsci, Antonio, Cahiers de prison, (5 tomes), textes présentés par Robert Paris, Paris, Gallimard,1983.

Le Bris, Michel et Jean Rouaud (dir.), Pour une littérature-monde, Paris, Gallimard, 2007.

------, Je est un autre. Pour une identité-monde, Paris, Gallimard, 2010.

Lionnet, Françoise et Shu-mei Shih (dir.), Minor Transnationalism, Durham et Londres, Duke University Press, 2005.

McDonald, Christie et Susan Rubin Suleiman (dir.), French Global. A new Approach to Literary History, New York, Columbia University Press, 2011.

Moura, Jean-Marc, Littératures francophones et théorie postcoloniale, Paris, PUF, 2013.

Moura, Jean-Marc et Véronique Porra, L’Atlantique littéraire. Perspectives théoriques sur la constitution d’un espace translinguistique, Hildesheim, Olms Verlag, 2015.

Paré, François, Les littératures de l’exiguïté, Hearst, Le Nordir, 1994.

Porra, Véronique, « De la marginalité instituée à la marginalité déviante ou que faire des littératures africaines d’expression française contemporaines? », Revue de littérature comparée, n° 2, 2005, p. 207-226.

Rocca, Anna et Névine El Nossery, Frictions et devenirs dans les écritures migrantes au féminin, Sarrebruck, Éditions universitaires européennes, 2011.

Spivak, Gayatri Chakravorty, Les subalternes peuvent-elles parler?, traduit par Jérôme Vidal, Paris Éditions Amsterdam, 2009 [1988].

------, A Critique of Postcolonial Reason, Cambridge, Harvard University Press, 1999.

 

 

 

[1] Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka. Pour une littérature mineure, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p. 29.

[2] Ibid., p. 33.

[3] Pascale Casanova, La République mondiale des lettres, Paris, Seuil, 1999, p. 243.

[4] Lise Gauvin, « Autour du concept de littérature mineure. Variations sur un thème majeur », Bertrand, Jean-Pierre et Lise Gauvin (dir.), Littératures mineures en langue majeure. Québec / Wallonie-Bruxelles, Bruxelles - Montréal, P.I.E. Peter Lang et Les Presses Universitaires de Montréal, 2003, p. 21.

[5] Benoît Denis et Rainier Grutman, « Centre et périphérie », Paul Aron, Denis Saint-Jacques et Alain Viala (dir.), Le dictionnaire du littéraire, Paris, PUF, 2002, p. 83.

[6] Lise Gauvin et Florian Alix, « Avant-propos », Lise Gauvin, Romuald Fonkoua et Florian Alix (dir.), Penser le roman francophone contemporain, Montréal, PUM, 2020, p. 8.

[7] Gauvin, « Autour du concept de littérature mineure. Variations sur un thème majeur », op.cit., p. 39. 

[8] Ibid.

[9] Il s’agit d’un intitulé partiellement inspiré et adapté du colloque tenu à Exeter en juin 2016 ayant eu pour titre, « Femmes créa©tives : les vies et les œuvres des femmes francophones dans les arts et les médias ».

[10] Antonio Gramsci, Cahiers de prison, (5 tomes), textes présentés par Robert Paris, Paris, Gallimard,1983.

[11]Gayatri Chakravorty Spivak, A Critique of Postcolonial Reason, Cambridge, Harvard University Press, 1999, p. 308.

[12]Gayatri Chakravorty Spivak, Les subalternes peuvent-elles parler?, traduit par Jérôme Vidal, Paris Éditions Amsterdam, 2009 [1988], p. 45.

[13] Ibid., p. 51.

[14] Spivak, op.cit., p. 204.

[15]Judith Butler, Gender Trouble: Feminism and the Subervsion of Identity, New York et Londres, Routledge, 1999 [1990],  p. 40.

[16] Benoît Denis et Rainier Grutman, op. cit., p. 83.