Essai
Nouvelle parution
V. de Changy, Fils de Rabelais

V. de Changy, Fils de Rabelais

Publié le par Arnauld Welfringer

Valérie de Changy, Fils de Rabelais

Editions Aden.

Paru le 16/09/2009

ISBN : 978-2-8059-0197-3
344 pages


1544. L'heure n'est plus à l'optimisme dans le campdes humanistes. Le feu menace la République des lettres. L'étau seresserre autour de Rabelais et des siens qui se heurtent alentour à"plus de couillons que d'hommes".
Mêlant vérité historique et invention romanesque, l'auteure nousplonge dans la vie de maître François en une période riche et trouble.Mais, parce que le XVIe siècle évoque en de nombreux domaines notresiècle et parce que les questions qu'affrontent les personnages sontplus que jamais d'actualité, le roman raconte avant tout une histoired'aujourd'hui : celle d'un fils qui doit s'éloigner du père, celled'une jeune femme qui veut exister sans se marier, celle d'un écrivainqui ne peut écrire que sous le masque.

Valérie de Changy est née en 1968 en Italie, d'unemère belge et d'un père français. Agrégée de Lettres modernes, elle aenseigné en région parisienne. Actuellement, elle vit à Bruxelles oùelle se consacre à l'écriture.

"Ainsi la guerre des esprits que son maîtreévoquait avec tant de colère se rapprochait-elle. Cette guerre-là,Justus avait cru qu'elle se limitait à des attaques par lettres, à desinsultes par pamphlets, à des vengeances par livres et, au pire, à cequi en était la peine capitale : la censure.
Mais il comprenait peu à peu qu'en engageant des idées, on s'engageaittout entier, que le conflit des esprits empoignait lui aussi des épéeset que bientôt, on répondrait par le sang aux attaques menées àl'encre.
En réalité, tout cela avait déjà commencé depuis longtemps mais Justusavait été tenu à l'écart. Rabelais ne l'avait jamais informé du dangerqui les cernait de plus en plus. Il voulait, plus que tout, former unenfant de concorde, et il savait que pour que l'homme aspire à la paix,il fallait qu'il l'eût connue et goûtée."
(extrait du chapitre : « Celui qui mitonne le grand potage de lavie ne manque point d'imagination » se dit Justus en regardant sous lecouvercle)

"Le tableau était saisissant. Imago, au centre du groupe, semblaitguider la marche mais ses rênes pendantes et son harnachement assezsommaire lui donnaient un air frondeur et négligé. Elle était soussurveillance étroite des deux imposants chevaux qui l'entouraient maiselle se tenait aussi fièrement que s'ils n'étaient là que pour luiobéir. Tandis que les autres s'arrêtaient souplement, Imago continua detrotter allègrement jusqu'à venir couvrir Justus de son souffle chaudet humide. Il plongea la main gauche dans le toupet de sa jument ets'aida de cette prise pour se relever prestement. Face à lui setenaient les deux chevaux qui avaient raccompagné Imago. À droite, unsplendide roncin gris pommelé, tout en rondeurs, natté et harnachécomme un jour de fête, monté en amazone par une dame élégante, dont lesharmonieuses couleurs étaient mises en valeur par celles de sa monture.Justus inclina la tête sous le regard de la dame et prépara quelquesmots de remerciements. Il avait déjà eu maintes occasions de croiser denobles personnes et il avait acquis au contact de Rabelais une facilitéà saluer les uns et les autres sans affectation ni timidité, sansmarquer de respect mensonger ni de servilité dégradante. Rabelais luiavait enseigné à ne pas s'abaisser lui-même et à toujours regarderl'autre en recherchant ce qu'il avait de singulier. Aussi Justusabordait-il les inconnus avec une certaine confiance en lui et unintérêt réel pour l'autre, ce qui le rendait forcément avenant."
(extrait du chapitre : Comment Justus découvre en chemin que les dames merveilleuses n'existent pas que dans les livres)

"Justus hésita. Il eût volontiers confié à son maître une pleinebrouettée de ses découvertes et de ses incompréhensions de la veille.Un fourre-tout hétéroclite de questions. La déception de la récolteratée et cette vision merveilleuse de l'animal ; la rencontre de ladame ; et puis les inquiétudes de la tante ; la menace que faisaitpeser Puits-Herbault ; ses interrogations sur la valeur démesurée quel'on accordait aux choses rares et le trop peu d'intérêt que l'onportait à ce qui était courant ; les critiques du meunier ; sadiscussion avec Armand ; et Seuilly, où il ne voulait plus retourner.Toutes ces petites choses de sa journée, Rabelais les aurait éclairéesd'une lumière différente. Il aurait trouvé une interprétation valable.Il l'aurait aidé à lire ces anecdotes « en sens agile ». Et pourtantJustus garda tout cela en lui-même. Ce jour-là, il trouvait biendifficile d'ouvrir son coeur à son maître…
— Maître, j'ai ramassé en une journée un plein panier de questions. Dequoi faire une belle fricassée. Mais je vais d'abord faire le tri toutseul et je vous les servirai quand elles seront bien préparées.Légèrement croustillantes, c'est cela ?
Justus avait appris de Rabelais à se sortir des situations difficilespar le rire et cette dérobade pudique toucha Rabelais qui reconnut enlui son disciple. Mais il sentait que l'enfant était tourmenté et qu'ilfallait l'aider à parler. Alors il sourit. Et il attendit."
(extrait du chapitre : Quand Rabelais tente d'expliquer à Justus qu'écrire est une autre manière de vivre)