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Utopies et mondes possibles. Le récit d’anticipation en Belgique francophone

Utopies et mondes possibles. Le récit d’anticipation en Belgique francophone

Publié le par Florian Pennanech (Source : Valérie Stiénon)

Revue Textyles, n° 47 (2015)

 

Utopies et mondes possibles.

Le récit d’anticipation en Belgique francophone

 

Numéro dirigé par Valérie Stiénon (Université Paris XIII)

 

 

Terre fertile en paralittératures, familière des littératures de l’imaginaire, la Belgique semble paradoxalement peu représentée dans la veine utopique. Si en France le récit d’anticipation moderne se constitue en prolongement, souvent négatif, de l’utopie narrative d’Ancien Régime, la situation est plus difficile à déterminer pour la Belgique, où cette écriture n’a pas acquis de véritable visibilité auctoriale ou éditoriale et paraît loin de constituer un genre autonome. On reconnaît plus volontiers à la littérature belge d’expression française ses particularités, tôt développées, dans les domaines du fantastique et de la science-fiction. Il s’agit assurément d’esthétiques voisines, mais il ne faudrait pas les confondre. Roger Bozzetto a insisté pour considérer le fantastique et la fiction spéculative comme « deux genres spécifiques avec des origines, des généalogies et des visées différentes »[1], tandis que Darko Suvin a proposé des critères distinguant l’utopie de la science-fiction[2]. Sous la désignation de « littérature utopique »[3] peuvent se regrouper des œuvres qui ont en commun les caractéristiques de la fiction prospective ou conjecturale associées à un traitement rationnel, généralement centré sur des préoccupations sociétales. Une telle définition repose à la fois sur des traits narratifs (cadre spatio-temporel d’anticipation), figuratifs (représentations de la collectivité humaine) et logiques (lien de vraisemblance entre monde fictif représenté et référence au réel). Ce numéro de la revue Textyles proposera un premier état des lieux de cette production hybride, disparate et peu considérée. Il associera, pour ce faire, des études de cas à une réflexion d’ensemble. Quatre orientations pourront être investiguées, ensemble ou séparément :

 

  • étude thématique : existe-t-il des thèmes spécifiques à l’utopie belge ainsi entendue ? L’écriture du tableau urbain et la poétique des ruines au futur antérieur, bien représentées dans la production française, trouvent-elles leurs équivalentes en Belgique ? Se développe-t-il dans la production belge une inscription topographique et politique particulière, comme semble l’indiquer par exemple Le Siège de Bruxelles de Jacques Neirynck (1996) ? L’utopie s’oriente-t-elle, comme en France, vers un pessimiste dystopique, ce que pourraient confirmer les œuvres de Jacques Sternberg, (Mai 86, 1978) et de Florian Houdart (Black-Out, 2009) développant une forme de catastrophisme prophétique qu’il reste à caractériser ? Quels aspects de l’imaginaire social ces fictions privilégient-elles, à l’instar de la précoce Mort de la Terre (1910) de Rosny Aîné, qui pose avec clairvoyance les questions écologique, démographique et atomique, ou à l’image du Species Technica (1981, publié en 2001) de Gilbert Hottois, qui explore la thématique des technosciences ?
  • étude générique : quels sont les sous-genres investis par l’anticipation belge ? La question s’étend de l’anti-utopie au steampunk, en passant par l’uchronie revisitée récemment par Stéphane de Lobkowicz avec La reine Astrid n'est pas morte à Küssnacht (2011). Comment ces frontières génériques interfèrent-elles par ailleurs avec les esthétiques du merveilleux scientifique, de l’absurde, du surréalisme ou du réalisme magique manifesté notamment par un Franz Hellens dans son recueil Le dernier jour du monde (1967) ? La notion de « récit » sera entendue au sens le plus large pour mieux considérer la diversité des formes génériques susceptibles d’accueillir l’écriture d’anticipation : roman, nouvelle, conte, journal personnel, enquête fictive, entretien imaginaire, etc. Elle inclura volontiers la dimension visuelle propre à la bande dessinée. Que l’on pense à la série Les Cités obscures, conçue par François Schuiten et Benoît Peeters à partir de 1983, ou à certains albums de Blake et Mortimer (le « chronoscaphe » du Piège diabolique, 1960). Les traits définitoires du genre pourront aussi être déterminés par comparaison avec l’essai, le roman d’aventures, la littérature de voyage donnée comme authentique ou imaginaire et la littérature de jeunesse, représentée par exemple chez Philippe Ebly [Jacques Gouzou] avec Les Patrouilleurs de l’an 4003 (1984-86).
  • étude sociologique : si les auteurs belges se sont rarement spécialisés dans le seul genre du récit d’anticipation, en revanche certaines structures éditoriales ont pu contribuer à la cohérence et au rayonnement de cette forme d’écriture en Belgique. En témoigne par exemple la revue spécialisée Anticipations, qui publie des fascicules sériels en petit format en 1945 et 1946. Pour déterminer les échanges internationaux et les effets de réseaux, il importe aussi de faire le départ entre les lieux d’édition spécifiquement belges (Marabout avant son intégration par Hachette ; La Concorde publiant à Bruxelles Le dernier couple de Roger-Henri Jacquart en 1945) et les réseaux étrangers investis occasionnellement par les auteurs belges, à l’exemple de la collection française « Anticipation » au Fleuve Noir, qui publie notamment le tandem Jean-Gaston Vandel [Jean Libert et Gaston Vandenpanhuyse] auteur de L’agonie des civilisés (1953). On pourra aussi s’interroger sur les modalités de collaboration des auteurs, sur les carrières d’écrivains et sur la composition des équipes éditoriales autour de la littérature d’anticipation.
  • étude monographique : parallèlement au profil socio-littéraire de l’auteur et aux réseaux qui ont favorisé sa production, on pourra choisir d’étudier non pas les entours de l’œuvre, mais l’œuvre elle-même de manière intrinsèque, afin de la faire mieux connaître et de déterminer la part laissée à l’écriture particulière de l’utopie dans un parcours d’écriture, un projet créateur, une esthétique. Il s’agira alors de mettre en évidence des caractéristiques et des dominantes discursives ou stylistiques, mais aussi des évolutions, des emprunts, des influences qui fondent la dynamique d’un ou plusieurs texte(s) au regard de la littérature utopique. La question peut être posée pour tout auteur belge concerné. Songeons entre autres à Franz Hellens, Marcel Thiry (Échec au Temps, 1945), Alain Le Bussy, Henri Vernes et sa série des Bob Morane.

 

Ce numéro thématique de la revue Textyles poursuit deux objectifs complémentaires. D’une part, à travers des études de cas documentées, il entend mettre en évidence cette fraction particulière de la production belge pour proposer une première esquisse d’histoire littéraire s’étendant sur un peu plus d’un siècle, de Rosny Aîné (La Mort de la Terre, 1910) à Luc Delisse (2013 Année terminus, 2012). D’autre part, il vise à interroger, par une réflexion transversale analytique et comparative, les raisons de la faible visibilité et de la relative non-reconnaissance de la littérature utopique en Belgique francophone.

 

Les propositions de contributions (environ 500 mots) accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique sont à adresser à Valérie Stiénon (V.Stienon@ulg.ac.be) avant le 30 novembre 2013. La présélection sera communiquée aux auteurs pour le 15 décembre 2013. Les articles retenus seront à envoyer pour le 1er mai 2014. Ils feront l’objet d’une évaluation par le directeur du dossier et par le comité scientifique de la revue.

 

Textyles, revue des lettres belges de langue française, est une revue universitaire, qui paraît deux fois par an, sous la forme de volumes d’environ 150 pages, comprenant un dossier consacré à une œuvre ou à une problématique, des varias, des comptes rendus d’ouvrages critiques et une bibliographie exhaustive des publications critiques de l’année écoulée dans le domaine des lettres belges. Elle constitue ainsi un véritable organe de synthèse pour la recherche, la documentation et l’enseignement des lettres belges, en Belgique et à l’étranger.