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Usages et stratégies polémiques en Europe au temps de l’humanisme (du XIVe au milieu du XVIIe siècle)

Usages et stratégies polémiques en Europe au temps de l’humanisme (du XIVe au milieu du XVIIe siècle)

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Martignoni Andrea)

Usages et stratégies polémiques en Europe au temps de l’humanisme

(du XIVe au milieu du XVIIe siècle)

 

Colloque international

13-14-15 février 2014

Paris, Université Paris-Sorbonne

 

Université Paris-Sorbonne

Centre Roland Mousnier (UMR 8596),

Labex EHNE, axe 3, L’humanisme européen ou la construction d’une Europe “pour soi” entre affirmation et crises identitaires

13 février 2014 : Sorbonne, salle J636 (esc. G, 3ème étage)

14 et 15 février : Sorbonne, salle des Actes

Organisateurs :

Marie Bouhaïk-Gironès, Tatiana Debbagi Baranova, Nathalie Szczech

Communication scientifique :

Andrea Martignoni

 

 Malgré l’intérêt récent des historiens et des littéraires pour les sources polémiques, il n’existe pas véritablement d’ouvrage de synthèse qui permettrait d’interroger l’évolution de la polémique en tant que dispositif [1], c’est-à-dire en tant qu’ensemble de positions institutionnelles ou informelles, d’attentes, de normes et de valeurs qui cherchent à réglementer l’usage de la parole critique voire injurieuse et avec lequel tout acteur ayant recours à cet instrument discursif doit composer. Si l’on considère les sources polémiques non plus uniquement pour leur contenu mais comme la mobilisation stratégique de pratiques discursives socialisées et inscrites dans le temps [2], il serait pourtant possible d’écrire l’histoire de la culture polémique européenne.

L’objectif de ce colloque est de contribuer au développement d’une réflexion historique sur ce type de sources, que l’on se propose d’envisager à l’échelle européenne et dans le temps long de l’humanisme. A la charnière du Moyen Âge et des Temps modernes, cette période connaît en effet de nombreux conflits qui donnent lieu à des affrontements verbaux (le Grand Schisme, la guerre entre Armagnacs et Bourguignons, les guerres d’Italie, la guerre des Deux-Roses, la Réforme, les guerres de Religion, la guerre de Trente ans, etc.) et constitue à ce titre un point d’observation privilégié. L’innutrition antique et l’idéal de la République des Lettres favorisent alors le renouvellement et la diffusion, à l’échelle européenne, des modalités de la joute verbale. D’une part,  malgré son aspiration à l’unité et à l’harmonie, la culture humaniste est profondément conflictuelle car elle est construite sur la remise en cause des traditions. D’autre part, la naissance et la généralisation de l’imprimé à la fin du XVe siècle facilite l’accès des auteurs à la publication, élargissant le cercle des lecteurs et introduisant de nouvelles logiques d’action, commerciales et éditoriales, sans que les formes orales et manuscrites de la polémique soient abandonnées. On pourra alors se demander quelles possibilités ce tournant critique et ces nouvelles capacités de publication ouvrent aux polémistes ? Si ces derniers continuent à se référer aux anciennes normes et pratiques, la nouvelle conjoncture ne leur offre-t-elle pas une occasion de les bousculer et de gagner en autonomie ? Il s’agira d’ainsi de mesurer le poids des héritages, des glissements et des transformations des conditions de l’action polémique de la fin du Moyen Âge au début des Temps modernes à l’échelle de l’Europe.

Ce colloque souhaite donc interroger les caractéristiques du discours polémique et son instrumentalisation dans une période qui voit se croiser et interagir affrontements oraux, manuscrits et imprimés, en épousant une variété de discours polémiques (religieux, politiques, littéraires, scientifiques). Les propositions de communications pourront s’articuler autour des problématiques suivantes :

-        En mettant à distance l’idée qu’il existe un genre polémique, on pourra s’interroger sur les formes privilégiées par les polémistes au temps de l’humanisme et voir dans quelle mesure les choix de discours (scénographies, langues, références culturelles…) et d’argumentation (organisation du discours, lieux communs, autorités…) peuvent renseigner, à la fois, sur les pratiques culturelles des sociétés d’alors et sur les tactiques individuelles de l’auteur. Quels modèles les discours polémiques instrumentalisent-ils volontiers et dans quel but ? On pourra notamment suivre les liens complexes qui se nouent entre la polémique et ladisputatio universitaire, entre la polémique et la parole judiciaire (plaidoyers, factums…), entre la polémique et l’imaginaire du duel d’honneur. Existe-il d’autres modèles et pratiques discursives caractéristiques de la fin du Moyen Âge et de la première modernité et peut-on en suivre les circulations au sein d’une Europe humaniste ?

-        Le recours à un modèle ou à une pratique admise comme légitime permet de composer avec le cadre normatif de discours polémiques. Sur quels préceptes théoriques, quel arsenal légal ou quelles contraintes sociales ces normes discursives se fondent-elles ? Suivant quelle évolution et dans quelles conditions un tel cadre normatif s’installe-t-il ? En retour, comment le polémiste justifie-t-il le surgissement d’une parole traditionnellement considérée comme illégitime voire dangereuse ? L’une des constantes du discours polémique est sa construction dans une permanente autolégitimation. Comment cette légitimité est-elle construite et reçue et qu’est-ce que cet échange entre le polémiste et ses auditeurs/lecteurs autour du problème de la justification peut-il enseigner des pratiques d’écriture et de lecture au seuil des Temps modernes ? On pourra aussi intégrer à la réflexion les discours iréniques d’extinction du polémique au cours d’une période marquée par le rêve d’une Europe de l’unité qui serait un « milieu civil et humain de coexistence » neutre (Alphonse Dupront).

-        Il serait ensuite intéressant de s’interroger sur les modalités de publication du discours polémique et sur sa réception. L’analyse des choix tactiques, moraux ou matériels de publication (discours oral, manuscrit, imprimé) permet de saisir les représentations qu’ont les publicateurs de leur action. La plus grande publicité de la polémique due à la généralisation de l’imprimé a-t-elle eu un impact sur les tactiques et les justifications des auteurs ? Peut-on observer, du côté des lecteurs, des pratiques témoignant de leur intérêt pour ce type de production (mise en recueil, analyse, notes dans les journaux) ? Quelle image ont-ils du polémiste et de ses objectifs ?

-        De manière plus large, il faut se demander quels sont les ressorts de l’engagement du polémiste dans la guerre de mots au risque de sa réputation. On pourra souligner la réalité d’engagements multiples qui dépassent et laissent même souvent de côté la volonté de convaincre l’adversaire. Cet Autre rejeté favorise-t-il la construction d’une identité individuelle ou communautaire ? Il serait notamment intéressant d’envisager le champ polémique comme un espace de promotion de soi au sein duquel l’adversaire devient un faire-valoir, la geste héroïque du polémiste est valorisée et qui peut même conduire à la création d’adversaires de papiers. La réalité d’une professionnalisation du discours polémique pourra ainsi être soumise à l’analyse et l’on pourra s’interroger sur sa genèse et son étendue.

Le débat s’ouvrira enfin aux problèmes méthodologiques que rencontre l’historien dans sa pratique : par exemple, les choix formels des polémistes peuvent-ils faire historiquement sens ? Comment passer d’une étude de cas qui valorise une action individuelle et originale à une généralisation ? Où les normes discursives existent-elles vraiment et comment les saisir ?