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Usages didactiques de la bande dessinée (revue Tréma)

Usages didactiques de la bande dessinée (revue Tréma)

Publié le par Marc Escola (Source : Hélène Raux)

Usages didactiques de la bande dessinée

Appel à articles pour Tréma, revue internationale en sciences de l'éducation et didactique,

Faculté d'Education - Université de Montpellier

Coordination

Marianne Blanchard, ESPE Toulouse 

Hélène Raux, LIRDEF, Université de Montpellier

 

De l’école à l’université, l’idée que la bande dessinée a sa place dans un contexte d’enseignement fait aujourd’hui consensus, notamment en France : des bandes dessinées sont inscrites au titre d’œuvres dans les programmes de littérature de l’école primaire depuis 2002, les résidences d’auteurs de BD en milieu scolaire se multiplient, les plus hauts responsables de l’Education nationale ont participé aux Rencontres nationales d’Angoulême sur le thème « bande dessinée et éducation » en octobre 2017… l’heure n’est manifestement plus à discuter de la légitimité ou non d’une intégration de la bande dessinée aux pratiques d’enseignement.

La BD est mobilisée dans de nombreux champs disciplinaires: en français et en arts, bien sûr, mais on la voit mobilisée également en histoire et en langues (Rouvière, 2012), des dispositifs apparaissent en sciences (De Hosson et al, 2014), en mathématiques (Laveault et al, 1987 ; plus récemment, le concours de bande dessinée « Bulle au carré » est proposé aux enseignants de mathématiques), des propositions émergent en sciences sociales (la collection Sociorama s’appuie sur l’expertise de sociologues qui sont aussi enseignants et conçoivent les albums « comme des outils pédagogiques »[1]), un intérêt s’exprime en philosophie (Tozzi, 2013)... Les enseignants documentalistes sont aussi particulièrement impliqués dans les activités liées à la bande dessinée – notamment à travers la participation d’établissements à des prix comme le prix Mangawa, qui touche des centaines d’établissements. 

Pourtant, des freins ou résistances continuent d’être déplorés par les promoteurs de la BD en milieu éducatif (Berthou, 2015). En outre, les données manquent pour évaluer la place effective de la bande dessinée dans l’enseignement, et documenter les nombreux usages qui en sont faits, en France ou ailleurs. Les modalités selon lesquelles la BD entre dans les classes sont en effet, à l’image des disciplines impliquées, diverses ; mais ces modalités ne recoupent pas uniquement un partage disciplinaire : une distinction entre la BD comme objet d’enseignement - pour les disciplines dans lesquelles elle figure au programme, en français et arts -et la BD comme support d’enseignement - pour toutes les autres disciplines - ne rendrait pas compte de la variété des pratiques.

On peut considérer que la BD est mobilisée dans l’enseignement selon trois statuts, pouvant co-exister au sein d’une même discipline :

- en tant qu’œuvre ou langage à travailler pour ses ressources propres (à travers des activités de lecture ou de production de bande dessinée),

- en tant que vecteur de motivation pour l’attrait qu’elle a la réputation d’exercer sur les élèves,

- en tant qu’illustration, comme support d’un usage documentaire.

Il est cependant impossible d’associer l’un de ces statuts à l’une ou l’autre des disciplines. Ainsi, inscrite comme objet d’enseignement au titre d’ œuvre littéraire dans les programmes de français, la bande dessinée fournit également aux manuels de nombreuses vignettes illustrant avec humour la distinction entre phrase interrogative et exclamative (Bomel-Rainelli et Demarco, 2011)… tandis qu’en physique-chimie, les usages vont de l’appui sur des extraits de bande dessinée pour accompagner une démarche d’investigation, comme avec une planche du Temple du soleil pour lancer une recherche sur les éclipses (Durocher, 2016), jusqu’à la création de strips lors d’un projet plaçant la transposition narrative et visuelle au coeur de la transmission des savoirs scientifiques (De Hosson et al, 2014 ).

T. Groensteen a désigné la BD comme un « objet culturel non identifié » (2006) ; lorsque cet objet culturel est scolarisé, force est de constater qu’il devient un objet didactique mal identifié.

L’objectif de ce numéro est de croiser les regards issus de didactiques des différentes disciplines pour éclairer les logiques et les enjeux des usages didactiques de cet objet culturel, du premier degré à l’enseignement supérieur, en France et/ou dans d’autres pays.

Ces multiples regards, appuyés sur des expériences et l’analyse de pratiques, clarifieront ce que les différentes disciplines, à divers niveaux d’enseignement, peuvent attendre d’un travail sur, ou avec, la bande dessinée. La diversité des approches devrait par ailleurs permettre de repérer si des convergences se dessinent dans l’articulation de la poursuite d’objectifs disciplinaires avec la prise en compte de la spécificité du médium.

Plusieurs pistes de réflexion sont à explorer pour tenter de définir les dimensions didactiques de la BD.

1. La place de la bande dessinée dans les pratiques effectives d’enseignement

Quelques résultats de questionnaires offrent un aperçu de la part et des titres de bandes dessinées lues parmi les œuvres intégrales de littérature au cycle 3 (Dardaillon, 2009 ou Bonnéry et al, 2015) mais cet aperçu reste très partiel. Si la BD « semble avoir conquis des milieux qui lui ont longtemps résisté, à savoir, les programmes des premiers cycles d’enseignement, voire les études universitaires »[2], on ne sait guère comment cela se traduit dans les pratiques : la présence de la BD se banaliserait-elle, dans quelle mesure, via quelles activités ?

La question se pose aussi de savoir quelle BD entre à l’école : quelle(s) logique(s) préside(nt) à la constitution du corpus de la bande dessinée scolaire ? S'agit-il d’intégrer à l’enseignement des œuvres familières aux élèves/étudiants, proches de leurs pratiques de lecture privée ? Une orientation plus patrimoniale se dessine-t-elle, avec des logiques conformes aux préconisations de l’histoire des arts, chargeant toutes les disciplines de contribuer à l’éducation du regard et de la sensibilité ?

2. La spécificité du médium.

Quelle plus-value pédagogique peut être attendue de la lecture ou de la production de bande dessinée dans des situations d’enseignement ? Et comment sa spécificité peut-elle être pleinement prise en compte pour éviter qu’une « scolarisation dans le mauvais sens du terme » (Peeters, 2013) n’instrumentalise le médium sans considération de ce qu’il est ?

Des travaux proposent des pistes pour articuler la poursuite d’un objectif d’apprentissage disciplinaire avec la prise en compte des spécificités d’un support graphique, artistique et souvent fictionnel : un travail sur la bande dessinée historique peut nourrir une démarche de réflexion historienne s’il est attentif à la part de fiction et de création de l’œuvre (Marie, 2012 ; Martel et Boutin, 2015) ; en sociologie, une œuvre peut être décryptée pour les représentations qu’elle véhicule et met en images (Snyder, 1997) ; l’attention portée à la narration graphique peut participer de la construction d’une posture de lecteur distancié par l’étude d’une BD comme œuvre intégrale (Rouvière, 2012) ou d’une adaptation en BD lue comme invention et non comme « ravaudage » (Fourtanier, 2013 ; Louichon, 2012)... En production, la mise en images d’une notion scientifique peut participer pleinement de l’assimilation de cette notion (De Hosson, 2012), de la mise en évidence d’une pluralité des points de vue en jeu pour une approche réflexive de l’enseignement de la médecine (Green, 2013)... Des pistes sont ouvertes, qui demandent à être prolongées dans toute la diversité des disciplines et des niveaux d’enseignement.

L'important développement de l’offre éditoriale en matière de bandes dessinées à vocation didactique appelle par ailleurs une réflexion sur les particularités et l’apport potentiel de ce type de bande dessinée dans un contexte d’enseignement.  

3. Les compétences des élèves/étudiants.

A quelles conditions la bande dessinée peut-elle être mobilisée efficacement, quels sont les écueils à éviter ?

Le postulat selon lequel les élèves sauraient d’emblée lire une BD conduit souvent à ne pas  les former à cette lecture et produit des malentendus parfois lourds d’effets pervers : le choix d’un support BD pour un groupe d’élèves de CP fragiles, loin de réduire les difficultés des lecteurs débutants à identifier les mots en épurant le texte écrit, risque par exemple d’ajouter à la difficulté du support (Bautier et al, 2012). Il importe donc de clarifier quelles compétences sont pré-requises pour travailler avec ou sur la BD, et de s’interroger sur des éléments de progression. Les étapes de l’acquisition de la compétence de narration graphique chez l’enfant ont fait l’objet de recherches (Guillain, 1992) qui demanderaient à être prolongées et déclinées en particulier dans le domaine de la lecture.

A contrario de cette réflexion sur les compétences pré-requises pour un travail autour de la BD, comment le travail sur la BD peut-il contribuer au développement de compétences de lecture, ou plus largement de littératie – notamment des nouvelles formes de littératie envisagées, comme la littératie médiatique multimodale (Lebrun et al, 2012) ?

 

Les articles pourront aborder une ou plusieurs de ces thématiques, en s’appuyant sur l’analyse de pratiques d’enseignement ou sur des données d’enquêtes.

Calendrier

Les propositions d’articles devront être envoyées au plus tard le 15 février 2018 aux adresses des deux coordinatrices : marianne.blanchard@univ-tlse2.fr et helene.raux@umontpellier.fr

Les propositions, d’environ 5000-6000 signes, préciseront les méthodes et données employées, les principaux résultats et expliciteront la façon dont elles s’inscrivent dans une ou plusieurs des pistes d’analyses proposées par l’appel. Les auteurs veilleront à mentionner leurs coordonnées complètes (statut, institution de rattachement, adresse postale et e-mail)

Les notifications d’acceptation ou de refus des propositions seront envoyées aux auteurs le 15 mars 2018.

Les textes complets des articles (entre 30.000 et 50.000 signes) devront parvenir pour le 30 juin. (Consignes aux auteurs : https://trema.revues.org/876). Ils feront l’objet d’une double expertise anonyme dont les retours seront envoyés aux auteurs pour le 15 septembre. La version définitive des articles sera remise pour le 15 novembre 2018. La publication est prévue pour la fin de l’année 2018.

 

Bibliographie indicative

Bautier Élisabeth, Crinon Jacques Crinon, Delarue-Breton Catherine et Marin Brigitte, « Les textes composites : des exigences de travail peu enseignées ? », Repères, 45 | 2012, 63-79.

Berthou  Benoît, « Bande dessinée, école, université : quelle mésentente ? », Comicalités, 2015.

Bomel-Rainelli, Demarco Alain, « La BD au collège depuis 1995 : entre instrumentalisation et reconnaissance d’un art », Le Français aujourd’hui n° 172, mars 2011.

Bonnéry Stéphane, Crinon Jacques et Marin Brigitte « Des inégalités d’usage de la littérature de jeunesse dès les premiers cycles de l’école primaire ? Une enquête par questionnaires », Spirale n°55, 2015.

Boutin Jean-François, « De la paralittérature à la littératie médiatique multimodale. Une évolution épistémologique et idéologique du champ de la bande dessinée », in La Littératie médiatique multimodale, Presses de l'Université de Québec, 2012.

Dardaillon Sylvie, « Quelle place pour l'iconotexte dans les pratiques des enseignants du cycle 3 ?», in La Littérature en corpus, sous la direction de Brigitte Louichon et Annie Rouxel, Scéren-CRDP Bourgogne, 2009

De Hosson Cécile, Bordenave Laurence, Decamp Nicolas, Hache Christophe. « Learning Science through the Conception of Comics: the SARABANDES Research Project », Communication à la conférence « New perspectives in science education », Florence, 2014.

Durocher Emmanuel, « Utiliser la bande dessinée en physique-chimie au collège », Colloque Telling science, Drawing science, Angoulême, 24/11/2016

Fourtanier Marie-José, « Adaptations en BD : ravaudage ou invention ? » in Les Patrimoines littéraires à l'école, sous la direction de Sylviane Ahr et Nathalie Denizot, Presses Universitaires de Namur, 2013.

Green Mickael J., Teaching with Comics: A Course for Fourth-Year Medical Students, Journal of Medical Humanities, December 2013, Volume 34, Issue 4, pp 471–476

Groensteen Thierry, La bande dessinée: un objet culturel non identifié, Actes Sud-L’An 2, 2006.

Guillain André, « La narration graphique chez l'enfant », Tréma, 2 | 1992, 29-46.

Laveault, Dany and Richard Joly. "La bande dessinée et l’apprentissage de la mathématique au secondaire dans un enseignement par fiches." Revue des sciences de l'éducation, volume 13, numéro 1, 1987, p. 31–50. doi:10.7202/900550ar

Lebrun Monique, Lacelle Nathalie et Boutin Jean-François. La littératie médiatique multimodale. De nouvelles approches en lecture-écriture à l'école et hors de l'école. Presses universitaires du Québec, 2012.

Louichon Brigitte, « Fables en BD : la contrainte du texte », in Bande dessinée et enseignement des humanités, ELLUG, 2012.

Marie Vincent, « De cases en classe : étudier une fiction historique en bande dessinée : C’était la guerre des tranchées de Jacques Tardi », in Bande dessinée et enseignement des humanités, ELLUG, 2012.

Martel Virginie, Boutin Jean-François, « La bande dessinée comme vecteur de coopération disciplinaire et éducationnelle. » Biennale internationale de l’Education, de la Formation et des pratiques professionnelles, Juin 2015, Paris, France.

Peeters Benoît, « Un univers culturel à faire découvrir », Cahiers pédagogiques n°506, juin 2013. 

Rouvière Nicolas, « Étudier une oeuvre intégrale en bande dessinée au cycle 3 : quelles spécificités didactiques ? », in Bande dessinée et enseignement des humanités, ELLUG, 2012.

Snyder Eldon E., « Teaching the Sociology of Sport: Using a Comic Strip in the Classroom » Teaching Sociology ,Vol. 25, No. 3 (Jul., 1997), pp. 239-243

Tozzi Michel, « La philosophie par la bande », Cahiers pédagogiques n°506, juin 2013.

 

[1] http://ses.ens-lyon.fr/articles/entretien-avec-yasmine-bouagga-autour-de-la-collection-de-bd-sociorama

[2] Extrait de la présentation des Rencontres nationales « Bande dessinée et éducation » sur le site de la CIBDI, octobre 2017, http://www.citebd.org/spip.php?article8872