Questions de société

"Universités : une réforme à inventer" (revue Multitudes/web)

Publié le par Marc Escola

En tête du n° 32 de la revue Multitudes (hiver 2008), on lira un long texte (intégralement disponible en ligne) consacré à la crise actuelle des institutions universitaires, et qui appelle à l'invention de nouveaux usages :

UNIVERSITÉS : UNE RÉFORME À INVENTER ?


Interprétons un instant la mobilisation politique qu'ont connue les universités, au cours de ces derniers mois, comme le signe d'une agitation qui travaille la société française. Et si l'enjeu réel des grèves, blocages, suspensions de cours, fermetures administratives, manifestations, prises de positions publiques et autres assemblées générales, était bien moins de lutter contre une loi (la loi « Liberté et Responsabilité des Universités ») que de se battre pour des valeurs qui sont perçues, à tort ou à raison, comme étant menacées ou piétinées par cette loi ? Les étudiants refusent aujourd'hui la privatisation de l'université, ou même la « simple » injection de fonds privés. N'est-ce pas pour échapper demain à ce qu'ils perçoivent comme un contrôle néolibéral de leurs vies ? N'est-ce pas aussi, par delà l'opposition manichéenne privé/public, le refus de certains mécanismes néolibéraux, au sens d'une mise en concurrence des universités (qu'elles soient publiques ou non), à travers la « liberté » dans la gestion du personnel, des actifs immobiliers, des recherches de financement ? Car, contrairement à ce qui est répété à l'envi, ce refus du contrôle néolibéral ne serait nullement à interpréter comme « une nostalgie » passéiste : le modèle du marché concurrentiel peut parfaitement s'appliquer à des universités qui resteraient publiques. Les jeunes qui animent les comités de mobilisation et leurs coordinations sont eux-mêmes les enfants de la vague néolibérale – et non des reliquats de l'époque (mythique) du tout-État. Inutile aussi de lire ce refus comme une « réaction » aux politiques décomplexées de la nouvelle droite sarkoziste.


Dans les mouvements récents, ce qui s'affirmait, c'est une exigence irrépressible d'égalité, la sensation confuse que l'éducation et la connaissance sont devenues plus que jamais des biens communs, l'envie de socialiser les biens immatériels, de les rendre palpables et contrôlables par le corps politique de la société, à contre-courant de la société « sérieuse » qui veut les mettre sur pilotage automatique économique et « de marché » !


Dans ses hésitations, ses limites, ses impasses, le mouvement étudiant nous a paru parler une langue qui ne nous était pas complètement étrangère. Esquissons donc ici, à chaud, un bilan provisoire de cet énième épisode d'une « crise des universités ». Le choc est chronique. Nous y reviendrons, probablement, parce qu'il se situe d'emblée dans « la fabrique des valeurs ».

Bornons-nous ici à un petit inventaire : morale provisoire d'une critique qui veut fermement s'ancrer dans les transformations les plus contemporaines.
Rapprochez le refus étudiant du désengagement de l'État de quelques-unes des idées développées dans les colonnes de Multitudes, en particulier celle d'une singularité nouvelle et irréductible du capitalisme cognitif à exploiter la force-invention plutôt que la seule force de travail. Ne s'agit-il pas finalement de poser la question de l'usage des cerveaux et de la finalité de la production de soi ?


En effet, tout se passe comme si l'horizon réel de la mobilisation de ces derniers mois (comme de celle qui a eu lieu contre le CPE) était et demeurait le problème du productivisme : la production de l'homme est-elle au service de la production, ou l'inverse ? La résistance contre la « normalisation » par la LRU ne constitue-t-elle pas un lancinant appel à tous, étudiants, enseignants, universitaires, mais aussi multiples segments de la société appelés à passer par l'université, d'une façon ou d'une autre, à imaginer de nouvelles articulations pour que cette fameuse « société du savoir » ne devienne pas une pure « fabrique de l'infélicité », selon la formule de Franco Berardi ? Plus que jamais, tenons-nous en à quelques réalités que nous avons mises en proposition…"

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