Questions de société

"Universités: un petit tour à Lausanne et son learning center, et puis s'en vont" (V. Soulé, blog Libération "c'est classe")

Publié le par Arnaud Welfringer

"Universités: un petit tour à Lausanne et son learning center, et puis s'en vont." par Véronique Soulé, blog "C'est classe !", Libération, 03/11/2010


es présidents d'université courent beaucoup ces temps-ci, essentiellement après l'argent. Voici un bref retour sur un voyage express de deux d'entre eux, et le représentant d'un troisième: un Paris-Lausanne dans la journée pour admirer un learning center flambant neuf et rappeler que l'on attend toujours l'argent du ministère.

Les learning centers sont des BU améliorées où l'on peut lire au calme en bibliothèque, travailler en groupe, revoir ses cours, piquer un petit somme entre deux et surtout venir à toute heure, week-end compris. Loin donc des vieilles BU françaises aux horaires étriqués, où les places sont chères et pas toujours confortables.

Le 1er octobre, Louis Vogel, le président de Panthéon-Assas (Paris II), Jean-Charles Pomerol, celui de l'Université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC, Paris VI), et Denis Labouret, le représentant de Georges Molinié, le président de Paris-Sorbonne (Paris IV), ont invité quelques journalistes à les accompagner à Lausanne. But: visiter l'Ecole polytechnique fédérale, en particulier son learning center ouvert le 28 février 2010. Avec son architecture moderne, il est considéré comme l'un des plus beaux d'Europe.

Or justement les trois universités, qui ont formé un PRES (un pôle de recherche et d'enseignement supérieur) baptisé "PRES Sorbonne Universités", projettent d'ouvrir des learning centers dans le cadre du Plan campus (plan de rénovation immobilière pour lequel le gouvernement a promis les intérêts de 5 milliards d'euros placés). L'un d'eux est prévu à Jussieu et sera commun à Paris IV et Paris VI. L'autre sera à Assas.

Vol pour Genève, minibus à l'arrivée. On contourne un lac, longe des montagnes ... Accueil à l'école Polytechnique, vaste campus moderne en dehors de la ville. Les présidents retrouvent Philippe Gillet, le vice-président de l'école et ancien directeur de cabinet de Valérie Pécresse au moment de l'adoption de la LRU (loi sur l'autonomie des universités).

La visite commence par une présentation: ou comment une petite école d'ingénieurs a acquis  en quarante ans une renommée internationale, 20è au classement de Shanghai. Logitech est né sur le campus qui accueille des start-ups. Son président Patrick Aebisher vante les liens étroits avec les entreprises, sa très grande liberté d'action, etc. "L'Etat confédéral fait des propositions, et nous décidons, nous avons l'autonomie totale".

Louis Vogel regrette que le ministère en France se mêle encore de trop de choses et qu'il ne se contente pas d'être un "stratège": "en France, on manque d'argent mais encore plus de liberté car malgré l'autonomie on continue à nous contrôler".

Clou de la visite: le Rolex learning center. Un bâtiment de 165 mètres de long, 125 mètres de large, avec 850 places de travail - et dans le hall d'entrée, un distributeur du Crédit suisse.

La forme est originale, tout en courbes et en baies vitrées, sans couloir ni porte. Les murs sont blancs, la moquette grise. Des étudiants sont affalés dans des fauteuils multicolores. Le centre est ouvert sept jours sur sept, de 7 heures du matin à minuit... La construction a coûté 100 millions de francs suisses, la moitié financée par des dons, essentiellement de Rolex.

Jean-Charles Pomerol déplore que ce ne soit pas facile en France d'attirer des entreprises et de les faire investir à l'université: "l'Institut du cerveau a bien reçu 25 milions d'euros. Mais ils émanaient d'un grand nombre de donateurs. Surtout, il semble qu'ils aient fait ces dons car ils allaient à une fondation - l'Institut du cerveau - non à une université. Dans les pays étrangers en revanche, on n'hésite pas à donner aux universités".

Les deux présidents se plaignent aussi de n'avoir toujours rien reçu de l'Etat pour leur PRES dans le cadre du plan Campus. Leur grand "rival" à Paris, le "PRES Sorbonne Paris Cité", qui réunit notamment Paris III, V, VII et XIII, plus Sciences Po, l'Inalco, etc, a déjà reçu 200 millions d'euros. "Je crains que nous soyons les grands perdants", s'inquiète Jean-Charles Pomerol.

La ministre Valérie Pécresse voulait que les universités parisiennes, très dispersées, avec des locaux un peu partout dans Paris, se réorganisent, "mutualisent" des services et redessinent un paysage plus structuré.

Plusieurs PRES sont alors apparus, non sans mal. Mais ils ont pris des formes très différentes - certains regroupent de grandes universités, d'autres de petites écoles haut de gamme -, et on ne voit plus trop la cohérence. Aux yeux de la ministre, certains correspondent au but recherché - coopérer, faire des choses en commun -, mais d'autres non. D'où une impression de confusion qui perdure et un sentiment, pour certains, d'un deux poids deux mesures. Les présidents proposent, la ministre dispose."