Université, recherche : "pourquoi nous ne cèderons pas", par des enseignants de l'Université de Strasbourg (LeMonde.fr 18.05.09)
Université, recherche : pourquoi nous ne cèderons pas, par des enseignants de l'Université de Strasbourg
LEMONDE.FR | 18.05.09
Après quinze semaines de lutte, de grèveet de manifestations diverses sur l'ensemble du territoire, legouvernement reste obstinément campé sur ses positions initiales. S'ilest encore trop tôt pour dresser un bilan du plus long mouvementuniversitaire de l'histoire récente, nous constatons que nos autoritésde tutelle ont choisi l'épreuve de force plutôt que le compromis, ladémagogie plutôt que la démocratie et une campagne de désinformationinjurieuse plutôt que l'apaisement souhaité par tous les acteurs duconflit. Ce style de gouvernement, hélas, se généralise. Il ne manquerapas de susciter dans l'ensemble de la fonction publique et de lasociété des résistances à la mesure de l'incompréhensible gâchis du"modèle français" qu'il cherche à provoquer.
Le décret sur le statut des enseignants-chercheurs a été modifié àla marge, sans l'accord des représentants réels de notre communauté :coordination nationale des universités, associations et sociétéssavantes, syndicats majoritaires. Le contrat doctoral impose désormaisle financement privé des thèses, au détriment des étudiants sans moyenspropres, de la qualité d'un travail souvent long et pénible – et plusgénéralement des sciences humaines, rarement sponsorisées par lesentreprises. Les accords passés avec le Vatican dans le cadre supposéde l'uniformisation européenne (processus de Bologne) mettent en dangerle monopole de l'Etat républicain et laïque pour la délivrance desdiplômes, ouvrant la voie aux revendications d'autres institutionsreligieuses et communautaires. La mastérisation de la formation desinstituteurs et des enseignants du secondaire sera très probablementvotée en catimini cet été et donnée pour acquise à la rentrée.L'autonomie des universités, dont personne ne conteste le bien-fondé enthéorie, a été accordée sans moyens supplémentaires et surtout sansaucune garantie de séparation des pouvoirs, donc d'équité.
Prétendre que l'on ne peut réformer un pays crispé sur ses supposés"avantages sociaux" relève du mensonge ou d'un mépris volontaire de cequi a été engagé par les gouvernements précédents – fussent-ils dedroite – ceci, au nom d'une "rupture" moins "tranquille" quecontradictoire et idéologique. Ce qui a provoqué le soulèvement desuniversitaires, ce n'est pas une opposition a priori aux réformes, maisla méthode brutale, les objectifs dissimulés de démantèlement dusystème éducatif, la remise en cause des compétences, le dénigrementsystématique d'un métier en pleine mutation, le refus de revaloriserdes carrières difficiles. Nous voulons que les parents aient confianceen l'école publique, que les vocations d'enseignant naissent, que larecherche fleurisse dans notre pays. Les réformes mises en oeuvre nousapparaissent au mieux comme une régression, au pire comme une volontédélibérée de ruiner toute possibilité d'accès au savoir, toute gratuitéde la connaissance et au final, toute liberté de penser et des'exprimer.
Ces derniers jours, on annonce urbi et orbi le retour à la normaletout en stigmatisant les résistants actifs, soi-disant noyautés par desextrémistes et des gauchistes. Certaines facultés refusent les examens,d'autres engagent un blocage administratif multiforme : moins visibledans l'immédiat, il empêchera à terme le fonctionnement desétablissements, à commencer par la rentrée universitaire 2009. Toutesces initiatives, adaptées aux circonstances particulières de chaqueuniversité, sont légitimes. Si les examens ont lieu aujourd'hui àStrasbourg, ce n'est ni sur ordre de ministres ayant perdu toutecrédibilité et abdiqué toute dignité, ni parce que nous avons renoncé ànotre combat. Cette décision a été prise par notre communautéuniversitaire – enseignants, chercheurs, personnels administratifs ettechniques, étudiants – pour ne pas faire le jeu du gouvernement ensacrifiant ce pour quoi nous nous battons. Nous continuons à exiger leretrait des textes incriminés et demandons une vraie concertation. Nousen avons assez de subir des attaques insensées, nous voulons réfléchirsereinement, collectivement, efficacement à l'avenir de l'universitéfrançaise.
Signataires :
Anne-Marie Adam, professeur des Universités, antiquités nationales, Université de Strasbourg
Laetitia Bernadet, Ater, histoire romaine, Université de Strasbourg
Loup Bernard, maître de conférences, antiquités nationales, Université de Strasbourg
Georges Bischoff, professeur des Universités, histoire médiévale, Université de Strasbourg
Sandra Boehringer, maîtresse de conférences, histoire grecque, Université de Strasbourg
Nicolas Bourguinat, maître de conférences, histoire contemporaine, Université de Strasbourg
Cédric Brélaz, maître de conférences, histoire grecque, Université de Strasbourg
Thomas Brunner, professeur agrégé, histoire médiévale, Université de Strasbourg
Laurence Buchholzer, maître de conférences, histoire médiévale, Université de Strasbourg
Frédéric Colin, professeur des Universités, directeur de l'Institut d'égyptologie, Université de Strasbourg
Damien Coulon, maître de conférences, histoire médiévale, Université de Strasbourg
Valérie Da Costa, maître de conférences, histoire de l'art contemporain, Université de Strasbourg
Dominique Dinet, professeur des Universités, histoire moderne, Université de Strasbourg
Sylvie Donnat, maître de conférences, égyptologie, Université de Strasbourg
Jean-Pascal Gay, maître de conférences, histoire moderne, Université de Strasbourg
Michel Humm, professeur des Universités, histoire ancienne, Université de Strasbourg
Jean-Marie Husser, professeur des Universités, histoire des religions, Université de Strasbourg, doyen de l'UFR des Sciences Historiques
Isabelle Laboulais, maître de conférences, histoire moderne, Université de Strasbourg
Dominique Lenfant, Professeur des Universités, histoire grecque, Université de Strasbourg
Thomas Loué, maître de conférences, histoire économique et sociale, Université de Strasbourg
Jean-Yves Marc, professeur des Universités, archéologie romaine, Université de Strasbourg
Catherine Otten, maître de conférences, histoire médiévale, Université de Strasbourg
Philippe Quenet, maître de conférences, antiquités orientales, Université de Strasbourg
Jean-Jacques Schwien, maître de conférences, archéologie médiévale, Université de Strasbourg
Alexandre Sumpf, maître de conférences, histoire contemporaine, Université de Strasbourg
Eckhard Wirbelauer, professeur des Universités, histoire ancienne, Université de Strasbourg