Questions de société
Université, recherche : Pécresse vs Monthubert (nouvelobs.com)

Université, recherche : Pécresse vs Monthubert (nouvelobs.com)

Publié le par Bérenger Boulay

Le Nouvel Observateur 19/02/09

Les débats de l'Obs
Université, recherche : le duel Valérie Pécresse - Bertrand Monthubert
Laministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche défend sesréformes contestées face à l'ex-président de Sauvons la Recherche,aujourd'hui responsable de ce dossier au PS


Le Nouvel Observateur/France-Culture .Le monde universitaire, chercheurs et enseignants, exprime ses vives inquiétudes sur son avenir. Valérie Pécresse, pouvez-vous nous rappeler les grandes lignes de votre projet pour l'université et la recherche ? Bertrand Monthubert, pouvez-vous nous dire vos principales objections à celui-ci ?
Valérie Pécresse.- Depuis 2007, le gouvernement a mis l'université au coeur de sonprojet avec l'idée qu'on ne pouvait pas continuer à faire perdurer unsystème où une partie des meilleurs étudiants s'orientaient vers lesgrandes écoles au détriment de l'université et où une partie desmeilleurs chercheurs allaient dans des organismes de recherche sansrevenir dans des laboratoires universitaires. La réforme repose surl'autonomie des universités et sur le développement d'alliancesterritoriales entre universités, grandes écoles et organismes derecherche. Avec un objectif : simplifier la gestion de la recherche etdonner davantage de rayonnement à nos universités.
Bertrand Monthubert.- Il y a d'abord un problème de méthode. Nous avons une succession deréformes qui n'ont pas réellement été élaborées en concertation avec lacommunauté scientifique et universitaire. Un rappel : au printemps2007, une quinzaine d'organisations regroupant aussi bien la Conférencedes Présidents d'Université que les syndicats étudiants ont décidé defaire des propositions de réforme qui devaient être développées dans lecadre d'assises de l'enseignement supérieur et de la recherche. Nousavions la volonté de changer un système dont nous connaissions leslimites. Mais le choix a été fait par le gouvernement de passer la loisur l'autonomie des universités en urgence au cours de l'été 2007 et dene pas utiliser ce travail collectif des enseignants-chercheurs et desétudiants. Aujourd'hui, vous payez le prix de cette indifférence avecun mouvement de contestation extraordinaire dans les universités.

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V. Pécresse.- Dans mon ministère, il y a eu 1 non-renouvellement de départ enretraite pour 12 titulaires alors que, dans d'autres administrations,c'est 1 pour 2. Mais, à la suite des états généraux de la recherche etparce qu'il y avait un réel besoin, 6 200 emplois ont été créés, 2 000environ par an depuis 2005. Auxquels j'ai ajouté 3 250 supports demonitorat, en fait des postes pour les jeunes doctorants, quireprésentent 1000 équivalents temps plein. Il y a donc eu énormément decréations de postes ces trois dernières années. Dans les dix dernièresannées, il y a eu 20% d'emplois supplémentaires, grâce à lamobilisation générale, je le reconnais. L'urgence pour moi aujourd'huiest la revalorisation des carrières. Il faut recruter à de meilleurssalaires les jeunes maîtres de conférences en prenant en compte leurancienneté, leurs années de doctorat et de postdoctorat. C'est ce quenous ferons cette année en les augmentant de 12% à 25%. Il n'y aurapas, en raison de la crise, beaucoup de professions en 2009 dont lessalaires de départ augmenteront autant. Nous allons doubler d'ici à2011 toutes les promotions de maîtres de conférences, de professeurs etde directeurs de recherche et créer des primes pédagogiques et derecherche pour mettre l'enseignement à égalité avec la recherche,primes qui pourront atteindre jusqu'à 15 000 euros par an, distribuéessur la base d'une évaluation nationale. Enfin, nous allons créer deschaires mixtes université-organismes de recherche pour permettre à uncertain nombre de jeunes talents d'avoir de meilleurs salaires. C'estcrucial pour éviter la fuite des cerveaux. Il n'y a eu cette annéeaucune suppression d'emplois d'enseignants-chercheurs dansl'université, mais pour la première fois le ministère a décidé deredéployer les postes entre les universités qui avaient perdu deseffectifs et celles qui en avaient gagné.
Avec l'autonomie desuniversités, les enseignants-chercheurs, pour l'évaluation de leurstravaux et l'évolution de leur carrière, seront-ils soumis au bonvouloir des présidents d'université ?
B. Monthubert. - Lalogique de la réforme de 2007, c'est de confier beaucoup plus depouvoir aux présidents d'université dans le choix par exemple despostes à demander ou à supprimer. Ils auraient aussi la possibilité defixer la modulation de service entre recherche et enseignement. Or il ya dans la culture universitaire internationale un point central quis'appelle la collégialité, qui veut que les décisions universitairessoient prises sur la base d'un collège d'enseignants- chercheurs et nonuniquement d'une seule personne. Les savoirs sont très spécialisés, etdans les universités se côtoient des enseignants de disciplines variéesqui n'ont pas la compétence pour juger des autres disciplines. Il y adonc besoin d'un travail très collectif pour prendre ensemble lesbonnes décisions. La loi LRU d'août 2007 (relative aux libertés et auxresponsabilités des universités) renforce le pouvoir des présidents etmet trop de décisions dans les mains d'un seul homme. Les règles decollégialité ont été bafouées dans les réformes en cours. Evidemment,certains présidents associeront de manière large les intéressés, maisrien ne les y oblige. On ne peut pas faire reposer une réforme enpariant sur la vertu des présidents d'université. Il faut desgarde-fous. ?
V. Pécresse. - Vous proposez une visioncaricaturale de la loi qui donne davantage de pouvoir aux conseilsd'administration d'université, composés très largement d'enseignants-chercheurs élus. Mais nous n'avons pas privé d'existence les conseilsscientifiques d'université et les conseils des études et de la vieuniversitaire qui continuent de donner leur avis, ni diminué pourautant le pouvoir des directeurs des composantes universitaires,c'est-à-dire les unités de formation et de recherche, les IUT ou lesécoles internes. Par exemple, la modulation des servicesuniversitaires, c'est-à-dire la possibilité pour unenseignant-chercheur de voir son service d'enseignement modulé selonson souhait et les besoins de l'université pour lui permettre de fairedavantage de recherche ou de tâches administratives, interviendra surune décision du président de l'université mais après consultation dudirecteur de sa composante et du directeur de son unité de recherche...Il y a bien toute une série de garde-fous. On peut certes augmenter cesgaranties, et je suis ouverte au dialogue. Pour l'évaluation desenseignants-chercheurs, elle sera désormais complètement nationale etfaite par les sections du Conseil national des Universités, à qui nousallons donner de nouveaux moyens. Et qui évalueront tous les quatre ansles activités des enseignants-chercheurs. C'est radicalement nouveau.
B. Monthubert. - Vous parlez de structure d évaluation nationale. Comment apprécie-t-on l'activité pédagogique ?
Nousavons déjà de telles procédures dans la recherche et des décenniesd'expérience d'évaluation (car les chercheurs sont plus évalués enFrance que dans beaucoup d'autres pays). Pour l'activité pédagogique,cela n'existe pas jusqu'alors. La première chose à faire est de mettreen place un dispositif d évaluation et de le faire évoluer sinécessaire. Il faut par ailleurs valoriser les activités d'enseignementautant que celles de recherche. Comment ? Vous nous proposez qu'unenseignant-chercheur mal évalué dans son activité de recherche soitcontraint d'avoir un service d'enseignement plus important. Celaprésente l'enseignement comme une punition. Alors que c'est uneactivité extrêmement noble. Les cas de chercheurs qui ne sont pasactifs en recherche et n'ont pas d'investissement pédagogique fort sontrares. On ne va pas les obliger à enseigner plus, car ce que nousvoulons, c'est offrir les meilleurs enseignants aux étudiants. Il y acertes quelques problèmes avec de rares enseignants, il ne s'agit pasde le nier, mais on ne va pas traiter ces problèmes marginaux par unbouleversement de l'ensemble des pratiques et instaurer une concurrenceabsurde entre tous les enseignants-chercheurs.
V. Pécresse.- L'essentiel de l'utilité de la modulation, c'est de permettre unedécharge d'enseignement qu'on n'a jamais pu faire. Aujourd'hui, il fautla faire à l'échelle de l'établissement, parce que c'est important dansune carrière d'enseignant de pouvoir, à un moment donné, chercherdavantage ou enseigner davantage, et que ce soit valorisé. Il faut lefaire sans dégrader le potentiel d'enseignement en université.
C'està l'université collégialement de régler ce problème. La modulation,c'est un projet collectif porté au niveau de l'établissement, maisaussi au sein de ses équipes pédagogiques et de recherche pourpermettre à chacun d'avoir une carrière plus riche.
N. O./F.-C. - On répète sans cesse que la recherche est le moteur de l'avenir du pays. La France semble souffrir d'une incapacité chronique à mettre en place une liaison efficace entre le monde de la recherche et celui de l'entreprise Pourquoi ?
B. Monthubert.- Ces dernières années, on a donné énormément d'argent aux entreprisespour soutenir la recherche privée par le biais du crédit impôtrecherche (CIR) avec pour résultat qu'elles ont investi plutôt moinsqu'avant. Pour le budget de l'année 2009, il est prévu une augmentationde 600 millions d'euros de crédit d'impôt recherche. C'est un leurre.Quand l'Etat redonnait à l'entreprise 1 euro, l'entreprise n'ajoutaiten fait que 10 centimes pour la recherche. Cela n'a eu à peu près aucuneffet d'entraînement. Nous souffrons, d'autre part, en France, d'uneséparation entre la culture universitaire et celle des grandes écoles.Les entreprises sont dirigées essentiellement par des ingénieurs quin'ont pas eu au cours de leur formation de contact avec leslaboratoires de recherche. Il manque en France des «passeurs» derecherche et d'innovation, des personnes dans l'entreprise quiconnaissent le monde académique et qui peuvent faire l'interface entreles besoins des entreprises et les laboratoires. Cela nécessite d'abordd'augmenter le nombre des docteurs, alors que malheureusement lesprévisions montrent que, dans les dix prochaines années, il devrait yavoir une baisse de 32% de leur nombre. Le second problème, c'est devaloriser les formations doctorales au sein des entreprises, de faireen sorte que celles-ci accueillent mieux les docteurs, les emploientmieux. Nous avions proposé une condition à l'octroi du crédit impôtrecherche à l'entreprise : augmenter l'embauche des docteurs. L'Etats'est privé de ce levier.
V. Pécresse. - Nous avons pris encompte cette demande. L'embauche de jeunes docteurs compte double dansle crédit impôt recherche. Voilà ce que nous proposons pour remédier àla distance entre recherches publique et privée. D'abord laconstitution des pôles de recherche et d'enseignement supérieur. Nousavons aujourd'hui une quinzaine de pôles prêts à voir le jour. C'estl'alliance de grandes écoles et d'universités avec une école doctoralecommune et une signature de recherche commune. C'est enfin dire auxgrandes écoles qu'elles doivent envoyer leurs jeunes vers desdoctorats. Le deuxième outil, c'est le crédit impôt recherche que nousavons triplé car des grands groupes français s'apprêtaient àdélocaliser leurs centres de recherche à l'étranger.
Nous n'étionsplus compétitifs. C'est aussi un outil d'attractivité de la France, etdepuis nous avons vu revenir Microsoft ou IBM, qui n'avaient pluslocalisé en France des centres de recherche depuis longtemps. Nousavons l'environnement fiscal le plus attractif pour la rechercheprivée, mais je serai vigilante pour que cette augmentation du CIR setraduise par des augmentations d'efforts de recherche et développement.Troisième dispositif, c'est la stratégie nationale de recherche etd'innovation. Nous n'avions pas de document stratégique pluriannuel quifixe nos priorités de recherche en réponse aux défis scientifiques etsociétaux à relever et en confrontant les points de vue des chercheursprivés et publics et des représentants de la société civile. Nousprocédons en France par focus successifs, un jour l'alzheimer, un autrele sida ou les nanotechnologies, et quand on a la malchance de ne paschercher dans ces domaines, on s'inquiète de son financement. Unexemple sur les nouvelles batteries électriques destinées àl'automobile : les entreprises avaient beaucoup de mal à identifier leslaboratoires publics qui travaillaient dessus. Mais la recherchepublique a elle aussi beaucoup de mal à appréhender les modes defonctionnement des entreprises privées. Il y a trop souvent un fosséentre les deux, et cette stratégie nationale permettra de le combler.
N. O./F.-C. - Les chercheurs font souvent référence au discours de Nicolas Sarkozy à Saclay qui insistait sur la nécessité de dégager des axes de recherche stratégiques, des priorités de recherche. Il donnait à titre indicatif les biotechnologies, les nanotechnologies, les technologies environnementales. Est-ce à l'Etat de piloter la recherche, et comment fait-on pour maintenir une recherche fondamentale qui est essentielle ?
B. Monthubert.- On doit distinguer deux niveaux. D'abord celui des grandesorientations. Prenons un exemple : aujourd'hui, il y a des défisénergétiques évidents, et que l'Etat indique à la recherche des axes dedéveloppement, c'est légitime. Le deuxième niveau, que j'appellerai lapolitique scientifique. Comment la traduit-on en objectifs de recherche? C'est très compliqué, car c'est à la fois développer de la rechercheappliquée sur certaines technologies mais aussi encourager la recherchefondamentale, d où émergent le plus souvent les réelles avancées.Prenons l'exemple éclairant du prix Nobel d'Albert Fert. Il commenceses travaux il y a une quarantaine d'années sur des questions dephysique fondamentale qui le conduiront à découvrir certainespropriétés de matériaux très importantes ayant un débouchétechnologique imprévu à l'origine. A savoir : le stockage de massesconsidérables de données dans nos ordinateurs. Au départ, il ne seposait que des questions d'ordre fondamental. Des exemples similaires,on en a en permanence. La focalisation sur ce qui paraît essentiel à unmoment donné peut nous conduire à abandonner des pans entiers du savoirqui deviendront peut-être déterminants. L'Etat doit laisser une fortemarge de manoeuvre à la communauté scientifique, alors qu'il ne cessede réduire les crédits de base qui permettent aux laboratoires depouvoir s'engager dans des projets scientifiques de moyen et long terme.
V. Pécresse.- L'ANR Agence nationale de la Recherche, a été un formidable progrès.Elle a permis à la recherche française d'entrer dans une culture derecherche sur projet et d'augmenter les moyens des laboratoires de 25%en moyenne. Mais l'ANR a besoin de s'appuyer sur un document-cadrepluriannuel élaboré à partir des attentes de la communauté scientifique: la stratégie nationale de recherche et d'innovation sera importantede ce point de vue. L'ANR a deux types de projet : les projetsthématiques et les «projets blancs», c'est-à-dire des projetstotalement créatifs qui ne sont pas soumis à l'air du temps. J'ai portéces «projets blancs» à 35% du budget de l'ANR Je souhaite que l'annéeprochaine ils soient portés à 50% afin de privilégier encore plus lacréativité pure.

Valérie Pécresse

ValériePécresse a été députée des Yvelines de 2002 à 2007. Elle est ministrede l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Elle est candidate à laprimaire UMP pour les élections régionales de 2010 en Ile-de-France.

Bertrand Monthubert

BertrandMonthubert est mathématicien, professeur des universités et ancienprésident du collectif Sauvons la Recherche. Depuis décembre 2008, ilest secrétaire national à l'enseignement supérieur et à la recherche auParti socialiste.

Gilles Anquetil
Le Nouvel Observateur