Questions de société
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Université : " le gouvernement n'a pas reculé d'un décret", Par D. Guedj (Rue 89 20/06/2009)

Publié le par Bérenger Boulay

Rue 89 - tribune: Université : le gouvernement n'a pas reculé d'un décret Par Denis Guedj | Universitaire et écrivain  | 20/06/2009

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Historique ! Un mouvement débuté justeaprès le Jour de l'An, qui se poursuit jusqu'aux vacances d'hiver,persévère jusqu'à Pâques, traverse avec légèreté trois « ponts »successifs, Ascension, 8 Mai, Pentecôte. Qui le mènent, toujours aussiobstiné, jusqu'à l'orée de l'été.

Une demi-année ! Qui l'aurait imaginé ? Alors qu'en 1968 lemouvement n'avait duré que cinq semaines)est en soi une victoire, cettedurée inédite donne la mesure de notre engagement et de notrepersévérance. Les pressions, les chantages, la désinformation, lesarticles assassins, sans compter les gesticulations des bouffonnesassociations de parents d'étudiants (sic), n'y ont rien fait. Nousn'avons pas cédé, ils ne nous ont pas réduits.

Mais ils n'ont pas reculé d'un décret. C'est cela qu'il nous fautgérer. La plus grande richesse d'un mouvement réside dans les individusqui le composent. Nous ne disposons ni d'argent, ni d'armes, ni deslieux de pouvoir, ni des lieux d'information, nous sommes notre seuleforce.

Nous avons pour nous notre intelligence, notre créativité, notreimagination, notre obstination, notre refus intransigeant de noussoumettre à des coups de force contre la pensée. Cette richesse, ilnous faut la protéger en veillant à ce que les combats que nous menonsne nous affaiblissent pas, mais au contraire nousrenforcenthumainement, philosophiquement et politiquement.

Hormis les « revendications » (préférons le terme « exigences »),qui s'adressent à l'adversaire, une lutte a principalement pour objetde nous donner toutes les raisons de poursuivre le combat entamé et dene pas laisser se rompre les solidarités et les amitiés tissées pendantet par le conflit.

Décider nous-mêmes de l'issue du conflit

Voilà pourquoi il est décisif que nous décidions nous-mêmes ce quiest pour nous victoire ou défaite. C'est-à-dire que nous décidions de« ce qui compte » POUR NOUS. Ce que je dis n'est en rien unrenfermement sur nous, mais une affirmation que nous sommes la sourcedes luttes que nous menons. Le maintien des décrets ne signe en rienune défaite du mouvement, ceux qui espéraient que la reprise des courset des examens mettrait fin aux mouvements, n'ont vraiment riencompris.

Grève, blocage, examens, rétention des notes, refus departicipations aux jurys étaient des figures circonstanciées de notrelutte. Nous ne sommes pas fétichistes. Dès janvier, nous savions que legouvernement ne reviendrait pas sur ses décrets et que ce qu'ildésirait avant tout était de nous infliger une défaite radicale pourmater enfin ce monde universitaire et de la recherche non pas rebelle,oh non ! mais rétif. .

Il s'agissait d'un règlement de comptes avec un milieu socialporteur de valeurs qui le dépassent. En agissant avec une telle haine,il perdait toute légitimité. Ce gouvernement n'est plus pour nous uninterlocuteur valable. Ainsi, libérés d'avoir à attendre et à analyserces gesticulations, nous avons pu mener nos luttes avec nos propreslogiques, sereins, inventifs, finalement apaisés.

La force de ce mouvement :

  • Le nombre et la diversité des acteurs. Pour la première fois et defaçon durable, toutes les composantes de l'université, et des labos,enseignants chercheurs, administratifs, étudiants, se sont unis et ontmené ensemble une lutte non corporatiste. Et, remarquable, la présenceimportante de retraités, qui, grâce à « l'ouverture » du mouvement, ontpu se l'approprier et trouver leur présence légitime dans ces combats.Ils étaient là, non par solidarité, mais en acteurs.
  • La dimension géographique. Le mouvement a innervé le territoireentier. Pas une ville qui ne soit « touchée ». Pas un établissementuniversitaire, pas un labo qui ne se soit investi dans la lutte. Qued'enseignants, de chercheurs, d'étudiants, d'administratifs qui ontvécu là pour la première fois l'expérience grisante du combat
    social.
  • L'auto organisation du mouvement. À aucun moment, nous nous sommeslaissés déposséder de l'initiative et des décisions à prendre. AGfréquentes, comité de grève, comité de mobilisation, élection desdélégués aux différentes coordinations. Aucun regroupement n'achapeauté le mouvement, aucun syndicat n'a voulu ou pu négocier sansnous et contre nous. Qui peut citer le nom d'un seul leader ? Lesmédias n'ont pas réussi à « isoler » l'un d'entre nous, pour en faireun leader qui leur aurait permis de placer le Un à la place du Nous.
    Est-ceune partie de l'explication de la pérennité, de l'obstination, del'inventivité dont le mouvement a fait montre. Porte-parole qui nemonopolise pas la parole, la Coordination Nationale des Universitésrenouvelée tous les quinze jours, réunie dans une ville différente quiassure son accueil, a pleinement joué son rôle.
  • L'incroyable inventivité des formes de lutte et de résistancesCours hors les murs, ligne de métro transformée en Amphi, la ligne 14 !Les « Procès » de ministres. La Marche de Tous les Savoirs. La Nuit desUniversités à Paris 8, l e vendredi 12 juin. Lancée par l'université dePau, l'opération Escargot Electronique, partie à l'assaut des boîtes decourriers électroniques officielles, les ensevelit peu à peu sous unraz-de-marée de courriels de protestations. Les innombrables actes dedésobéissance, de refus, 3000 instituteurs et directeurs d'écolesentrés en dissidence, les refus administratifs répétés.

Comme elle se l'était promise, la Ronde Infinis des Obstinés arepris ici ou là, intempestive. Sa mobilité focale a fait place à unemobilité géographique. Nous avons gagné une dimension. Nous tournonssur nous-même et dans la ville. Sur le parvis du Panthéon, à la BNF(Bibliothèque nationale de France), aux côtés des bibliothécaires engrève, à Beaubourg pour accueillir les marcheurs obstinés partis deChartres quatre jours plutôt.

« Darcos, on te voit »

Nous girons rue de Grenelle, où gît le Ministère. « Darcos, on tevoit ! » Et dès mardi, durant cinq jours, du 2 au 6 juin, de 12h àminuit devant le Panthéon, pour une ronde « européenne » . Sans oublierla métaronde, la Ronde des Rondes, où par-delà la distance, dans unedizaine de villes, les Rondes ont tourné ensemble.

Que ces rondes ne cachent pas la forêt des actions multiples,singulières qui fleurissent aujourd'hui dans des facs où les cours ontrepris et où les examens ont lieu. Qui imagine que l'été nous consumeraet que nous ne rependrons pas nos activités pour leur offrir une bellerentrée !

Le gouvernement a quelques soucis à se faire. Nous l'avertissons quecette lutte a produit des dizaines de milliers d'individus durablementengagés dans la résistance, qui ont plus encore qu'avant un compte à
régler avec lui et avec la société qu'il veut nous imposer.

Serons-nous capables de poursuivre et d'amplifier notre lutte, derésister à leurs attaques, de ne pas nous défaire ? Seront-nouscapables de résister aux sollicitations insidieuses et pleines de bonsens des « réformistes » toujours si réalistes, si pragmatiques, siouverts, si modernes et qui toujours ont fini par nous faire un enfantdans le dos ?

À travers cette lutte collective, nous avons éprouvé ce que la luttea de formateur, de mise en pratique de l'amitié entre égaux. Et deplaisirs.

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