Article d'Indépendance des Chercheurs du 15 février :
Université, doctorat, Europe et grandes écoles (I)
Le 15 février, Valérie Pécresse a confirmé qu'elleentend bien poursuivre sa « réforme de l'enseignement supérieur ». Laveille, Sauvons l'Université (SLU) avait évoquéles « trois principes essentiels » définissant le fonctionnement del'université française : l'enseignement supérieur est fondé sur unearticulation entre production et transmission des savoirs ; tous lesétudiants doivent avoir un libre accès à toutes les filières ;l'université est administrée par ses personnels selon des principes decollégialité et de représentation, par l'élection, de toutes sescomposantes. Mais à ces trois principes, SLU ajoute le « non-dit » de «l'existence des grandes écoles » et la disparité des investissementspublics dont bénéficient les élèves des deux filières. Les facs sont leparent pauvre dans la famille imaginaire de l'enseignement supérieur.De surcroît, les principes énoncés par SLU sont mis en cause par lastratégie gouvernementale de privatisation des universités. Telle estla situation à l'approche d'un Conseil Européenoù la stratégie de l'Union Européene en matière d'éducation,d'enseignement supérieur et de recherche sera certainement débattue.Dès lundi, un Conseil « Education, jeunesse et culture » aura lieuà Bruxelles pendant que le gouvernement français et sa majoritéparlementaire multiplient des gestes qui ressemblent à des tentativesde gagner du temps et de diviser les mouvements de la recherche et del'éducation. Mais la Charte des Thèses dont l'élaboration relève dechaque université, ne comportait-elle pas, déjà il y a dix ans, ledébut d'un processus de privatisation ?
Il va de soi qu'un repli du mouvement universitairepermettrait au gouvernement de « mieux faire passer », entre autres :la casse de l'éducation nationale ; la dislocation en instituts du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et de l'INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) ; le projet de fusion en un seul Institut du Département des Sciences du Vivant du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), de l'INSERM(Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) et del'ensemble de la Biologie et de la recherche médicale françaises ; la mise en placede la prétendue « autonomie » de vingt universités ; la précarisationcroissante des personnels et des étudiants ; la démolition du statut dela fonction publique des personnels titulaires...
Cette pression sur le mouvement de la recherche et de l'éducation a été évoquée dans un communique du SNESup-FSU du 14 février (ANNEXE 1). Mais ce n'est pas le seul danger que présente la situation actuelle.
Préparant le Conseil Européen des 19 et 20 mars, setiendra entre autres, le 16 février dans le cadre des activités del'Union Européenne, un Conseil « Éducation, jeunesse et culture » avec un ordre du jour en deux parties : Jeunesse et Education. Dans la note d'information, on peut lire notamment :
« Éducation
Au cours du déjeuner, les ministres débattront du cadreactualisé pour la coopération dans le domaine de l'éducation et enparticulier de ce qu'ils attendent de la coopération et de ce qu'ilspensent des principaux objectifs stratégiques.
L'après-midi, le Conseil adoptera des messages clésadressés au Conseil européen de printemps à titre de contribution dansle domaine de l'éducation et de la formation.
Le Conseil procédera à un échange de vues surl'actualisation du cadre stratégique pour la coopération européennedans le domaine de l'éducation et de la formation, en particulier lerôle des critères de référence (débat public).
(...)
Éducation et relance économique - Messages clés adressés au Conseil européen de printemps
Le Conseil adoptera les messages clés adressés au Conseil européen de printemps qui ont été
formulés dans le cadre de la crise économique actuelle (doc. 5809/09).
Ces messages clés soulignent la contribution importanteque l'éducation et la formation peuvent apporter à la relance et à lastabilité socioéconomique à long terme. Ils portent en outre surl'actualisation à venir du cadre stratégique pour la coopérationeuropéenne dans le domaine de l'éducation et de la formation. LeConseil européen devrait inviter les ministres de l'éducation à adopterun cadre actualisé pour la prochaine décennie lors de la prochainesession du Conseil "Éducation", qui se tiendra les 11 et 12 mai 2009.
Coopération européenne dans le domaine de l'éducation et de la formation au-delà de 2010
Le Conseil procédera à un échange de vues sur unnouveau cadre pour la coopération européenne dans le domaine del'éducation et de la formation pour la période 2010-2020, axé enparticulier sur le rôle des critères de référence dans la coopération(débat public).
Les ministres ont été invités à répondre à deux questions compte tenu de la crise économique actuelle :
1. Vu l'investissement considérable déjà consenti etles efforts qui sont encore nécessaires dans au moins quatre domaines,le Conseil peut-il convenir que les domaines couverts par les critèresde référence existants seront maintenus et/ou actualisés de manière àaccompagner l'identification des bonnes pratiques et l'évaluation desprogrès réalisés?
2. Quelles sont les nouvelles priorités les plusurgentes susceptibles d'apporter une valeur ajoutée à la coopérationeuropéenne dans le domaine de l'éducation et de la formation, notammentpar le biais de la mise en place de critères de référence et/oud'indicateurs?
La coopération européenne dans le domaine del'éducation et de la formation est menée selon la méthode ouverte decoordination et vise à atteindre des objectifs communs, dénomméscritères de référence, qui correspondent à des défis communs dans cedomaine. Pour la période 2010-2020, la Commission a proposé que lescritères de référence qui existent déjà (participation des adultes,maîtrise insuffisante des compétences de base, jeunes quittantprématurément l'école et diplômés de l'enseignement supérieur) soientmaintenus afin que les progrès réalisés puissent être mis à profit.
Par ailleurs, la Commission suggère d'étendre la coopération européenneaux six nouveaux domaines suivants : mobilité, employabilité,innovation et créativité, enseignement préprimaire, investissement dansl'enseignement supérieur et langues. Cette suggestion a suscité desquestions au sein du Conseil.
Lors de la session du 16 février, il sera surtoutquestion des aspects politiques généraux du cadre actualisé. Sur labase des résultats du débat ministériel, des travaux plus approfondisseront entrepris en ce qui concerne le nombre de critères de référenceet leur portée ou contenu précis.
Ces préparatifs ouvriront la voie à l'adoption du nouveau cadre lors de la session du Conseil "Éducation" des 11 et 12 mai 2009.
De plus amples informations figurent dans le documentde réflexion de la présidence consacré à cette question (doc. 5956/09)et dans la proposition de la Commission (doc. 17535/08). »
(fin de citation)
On peut sans doute s'interroger sur le dégré de «concertation » qui a pu précéder les réponses du gouvernement françaisaux deux questions de l'Union Européenne évoquées dans ce texte.
Et la réunion du 16 février n'est qu'un exemple desnombreuses activités des « décideurs » de l'Union Européenneintéressant l'éducation, les universités et la recherche dans lapériode actuelle marquée par le « contexte de Lisbonne ». De toute évidence, le doctorat sera l'un des sujets au coeur de ces débats.
Mais quelle est la situation du doctorat en France ?
Les études doctorales, que des grandes écoles comme l'Ecole Nationale d'Administration (ENA)semblent marginaliser ouvertement, ont subi en France une fragilisationcroissante depuis les années 1980 qui ont vu également la suppressionde la Thèse d'Etat. Une telle politique est-elle fondée sur le plan desréalités professionnelles ? On peut penser le contraire.
Pour rappel, on accède à la formation initiale de l'ENA par un concours ouvert à trois catégories de candidats :
- titulaires d'un diplôme de niveau bac+3 pour le concours externe ;
- fonctionnaires ou agents publics pour le concoursinterne (après 4 années d'expérience professionnelle, sans condition dediplôme)
- élus et salariés du secteur privé pour le troisièmeconcours (après 8 années de mandat ou d'expérience professionnelle,sans condition de diplôme)
Le niveau d'une licence étant suffisant, le doctoratn'est donc pas, loin s'en faut, une exigence pour accéder à laformation initiale de l'ENA. Laquelle comporte à son tour un enseignement à structure « modulaire » de 27 mois, à l'issue duquel, d'après Wikipédia :
« Les élèves de l'ENA intègrent à leur sortie de l'école différents corps de la fonction publique d'État, en fonction de leur classement. Les premiers choisissent généralement les corps d'inspection et de contrôle, à savoir la Cour des comptes (4 élèves en 2008), l'Inspection générale des Finances (4 élèves en 2008), le Conseil d'État (4 élèves en 2008), l'Inspection générale des affaires sociales (3 élèves en 2008) ou l'Inspection générale de l'administration (2 élèves en 2008).
D'autres élèves, en principe bien classés également, intègrent le Quai d'Orsay en tant que conseillers des affaires étrangères.
Près de la moitié de la promotion intègre le corps des administrateurs civils ; parmi ceux-là, certains sont directement placés en position de détachement dans le corps des sous-préfets. Les autres élèves rejoignent les corps des conseillers de tribunal administratif et de Cour administrative d'appel ou celui des Chambres régionales des comptes. Quelques élèves rejoignent la Mairie de Paris en tant qu'administrateurs. »
(fin de citation)
Sans vouloir offenser personne, une telle formation, oùnous n'avons pas réussi à identifier l'équivalent du travail d'undoctorant, paraît moins solide sur le long terme que celle que fournitla préparation d'une thèse avec l'ouverture qu'elle comporte endirection d'un travail scientifique créateur.
Pourtant, un diplôme de l'ENA ouvre de nombreuses portes qui restent de fait inaccessibles aux titulaires d'un doctorat. Quelle est la raison d'être d'un tel système ? Dans quel autre pays trouve-t-on une situation pareille ?
Quel est, dans ces conditions, le statut du doctoratdans le monde professionnel français ? Nicolas Sarkozy, qui évoquesouvent des fausses « exceptions françaises », oublie curieusementd'évoquer les véritables « exceptions françaises » dont fait partiecette marginalisation du doctorat dans notre pays.
Evoquant l'affaire d'Isabelle Debergue,nous avons déjà constaté que l'intéressée s'est vu refuser l'aidejuridictionnelle pour régulariser un pourvoi en cassation auprès duConseil d'Etat qui aurait dû normalement amener la Haute Juridiction àse prononcer en formation collégiale sur la question de la valeurréglementaire de la Charte des Thèses (nos articles du 25 janvier et du 27 janvier).Force est de constater qu'alors que le ministre de tutelle confirmaitpubliquement (en 2004) la valeur réglementaire de la Charte, leTribunal Administratif et la Cour Administrative d'Appel de Paris ontdit le contraire par ordonnance, et le Conseil d'Etat n'a pas jugél'affaire au fond en cassation.
Mais en confiant à chaque conseil d'administrationd'université le soin d'élaborer une Charte des Thèses, au lieu depromulguer dans la clarté des dispositions réglementaires de portéenationale, Claude Allègre a dans la pratique encouragé les universitésa nier la valeur régalementaire de la Charte en cas de contentieux. Il a également condamné les doctorants aux plus incroyables galères, comme en témoigne la situation d'Isabelle Debergue.
Tels sont, notamment, les effets d'une politique qui, déjà au moment de l'arrêtédu 3 septembre 1998, encourageait les universités françaises à secomporter comme des entités privées. Le doctorat, déjà confiné à unrôle subalterne sur le plan professionnel, a encore été affaibli parcette politique.
Plus globalement, les droits des étudiants et la «casse des diplômes » sont devenus en France un souci de plus en pluspressant des usagers du service public de l'éducation et del'enseignement supérieur. De nombreux professionnels, également.
Voir également, entre autres, nos articles :
Statut des enseignants-chercheurs et privatisation de l'enseignement supérieur
Vers la privatisation des universités françaises
La recherche peut-elle être une marchandise ?
Conseil d'Etat, Universités et Charte des Thèses (I)
Conseil d'Etat, Universités et Charte des Thèses (II)
Doctorants sous pression et casse de la recherche publique
Education et recherche : le piège européen
Travail précaire à temps partiel des jeunes dans les facs
Indépendance des Chercheurs
http://www.geocities.com/indep_chercheurs
http://fr.blog.360.yahoo.com/indep_chercheurs
http://science21.blogs.courrierinternational.com
Les annexes à l'article d'Indépendance des Chercheurs du 15 février :
ANNEXE 1 - Communiqué du SNESup-FSU du 14 février
Communiqué du SNESUP-FSU,
Les 100 000enseignants-chercheurs, enseignants et chercheurs,personnels etétudiants qui ont manifesté mardi 10 février pour une inflexion notabledes politiques universitaires et de recherche méritent de clairesannonces.
* Sans tourner autour des mots le président de laRépublique et la ministre de l'enseignement supérieur et de larecherche doivent dire que
le projet de décret sur le statut desenseignants-chercheurs est caduc. Il y a aujourd'hui une doubleincompatibilité : celle - essentielle - entre
le texte connu dudécret et les aspirations de la communauté universitaire, et celleentre la lettre de mission de V Pecresse à la "médiatrice" quimentionne un retravail du texte respectant les orientations du projetactuel...et les mots rapportés de N Sarkozy demandant que soientexplorées d'autres voies.
* L'enjeu de la formation des professeurs des écoles etprofesseurs des lycées et collèges, compétence partagée du MESR et duMEN appelle un choix audible pour les étudiants et les formateurs. Lepetit jeu et les provocations verbales des deux ministres concernés,n'est plus de mise. Le Premier ministre doit s'engager à maintenir lesconcours (PE et CAPES) dans leur format actuel pour 2010 et ouvrir avecl'ensemble du monde de l'éducation des négociations qui n'ont jamaisdébuté.
* Dès maintenant la "relance" passe par l'emploiscientifique et le rayonnement des organismes de recherche.D'immédiates mesures s'imposent pour engager les recrutements etl'avenir du CNRS.
Les milliers d'universitaires dans une grèveinédite et responsable, le SNESUP leur première force syndicale,portent avec détermination ces exigences scientifiques et démocratiques.
Paris, le 14 février 2009
(fin du communiqué)
ANNEXE 2 - Appel de la Coordination Nationale Etudiante :
APPEL DE LA COORDINATION NATIONALE ETUDIANTE REUNIE A RENNES II LES 14 ET 15 FEVRIER
NON A LA CASSE DE L'UNIVERSITE PUBLIQUE ET DE NOS DIPLOMES !
Nous, étudiants de 63 universités réunis encoordination nationale à Rennes les 14 et 15 février, appelons àamplifier la mobilisation sur les universités par la grève réelle etreconductible des étudiants.
Les enseignants chercheursexigent le retrait du projet de décret qui vise à transformerprofondément leur statut. Cette réforme fait de l'enseignement unesanction. Cela va réduire considérablement la qualité desenseignements, donc celle de nos diplômes et donc celle de nosconditions de travail. L'enseignement supérieur est frappé par unesérie d'attaques majeures. Depuis plusieurs années et en particulierdepuis l'adoption en catimini de la Loi LRU en 2007, contre laquelles'était mis en place une forte mobilisation étudiante, une série demesures visent à transformer profondément l'enseignement supérieur. Lesobjectifs de la classe dirigeante sont simples : soumettre lesuniversités à des logiques de compétitivité, de rentabilité, lesmettant en concurrence les unes avec les autres, les obligeant àrecourir aux financements privés.
Nous, étudiants mobilisés,refusons la privatisation des universités et la soumission aux intérêtsprivés, nous refusons le développement d'un enseignement supérieur àdeux vitesses. Nous refusons de nous voir délivrer des diplômes qui neprotègent pas dans le monde du travail et qui conduisent à laprécarité. Nous ne serons pas de la chair à patrons.
La LRUest le cheval de bataille commun aux étudiants enseignants etpersonnels. C'est derrière le mot d'ordre de l'abrogation de la LRU quele mouvement pourra s'unifier. Face aux attaques actuelles contrel'enseignement supérieur, nous devons bloquer les suppressions depostes et exiger le retrait des réformes suivantes :
- la LRU
- celle dite du recrutement et de la formation des enseignants
- celle dite de l'allocation des moyens
- celle du statut des enseignants chercheurs
- celle du contrat doctoral unique
Le mouvement contre le CPE et la Loi sur l'égalité desChances a démontré que seule la lutte paie. La mobilisation en coursdémontre la volonté de ne pas laisser passer la casse du service publicd'enseignement supérieur. Les étudiants doivent s'engager dans la luttepour défendre les facs, les diplômes et les conditions d'études. Pourgagner sur l'ensemble des revendications, nous avons besoin degénéraliser la mobilisation étudiante, de la doter de revendicationspropres sur lesquelles il est possible de gagner. La semaine qui vientdoit permettre de faire passer la mobilisation étudiante d'unemobilisation de solidarité passive à une grève majoritaire, réelle etactive des étudiants, seule à même de stopper la logique delibéralisation et de casse du service public d'enseignement supérieur.Aujourd'hui, nous devons amplifier la mobilisation étudiante par lagrève, les manifestations, la convergence des luttes.
La mobilisation étudiante doit se poursuivre dans laperspective de généraliser la grève à d'autres secteurs. Après laréussite de la journée de grève et de manifestation du 29 janvier, nousappelons au soutien de toutes les luttes en cours. Nous appelons d'orset déjà à la nouvelle journée de grève et de manifestationinterprofessionnelle à l'appel des syndicats de salariés le 19
mars prochain.
Sans attendre, nous devons poursuivre la grève étudiante, c'est-à-direla cessation totale et reconductible des cours. Nous appelons à unejournée nationale d'action étudiante le Mardi 17 février, nous appelonsà une journée nationale de grève et de manifestation étudiante le Jeudi19 février.
- Retrait de la réforme des concours d'enseignement dit de masterisation
- Retrait du décret de l'allocation des moyens
- Non aux suppressions de postes dans la fonction publique. Recrutement massif dans l'éducation
- Retour du cadrage national des diplômes et reconnaissance des diplômes nationaux dans les conventions collectives
- Pour la mise en place d'un véritable système d'aide sociale étudiant basé sur des critères sociaux
(fin de l'appel)