Questions de société

"Université. Cette réforme n'aura pas lieu", par les porte-parole de la 7ème CNU (L'Humanité 07/04/09)

Publié le par Bérenger Boulay

L'Humanité, 07/04/09:

Cette réforme n'aura pas lieu

http://www.humanite.fr/2009-04-07_Tribune-libre_Universite-Cette-reforme-n-aura-pas-lieu


ParDavid Berrué, étudiant, Germaine Depierre, chercheure, Pascal Levy,BIATOSS, Christophe Mileschi enseignant-chercheur, Patricia Tutoy,enseignante, Léa Valette, doctorante, porte-parole de la Coordinationnationale des universités.

Voilà huitsemaines que l'université et la recherche françaises se sont arrêtées.Peu ou pas d'enseignements, des manifestations par dizaines, desétablissements occupés ou bloqués, des responsables qui démissionnent,des rondes d'obstinés qui marchent sur les parvis, des cours hors lesmurs… Huit semaines d'inventions, de revendications et de mobilisationau cours desquelles Xavier Darcos et Valérie Pécresse ont choisi de nerien entendre. Leur combat est perdu d'avance : on ne peut imposer uneréforme sans l'assentiment de ceux chargés de la mettre en oeuvre.Cette réforme, parce qu'elle est inutile et dangereuse, parce qu'ellefait l'unanimité contre elle, ne pourra pas s'appliquer. Elle n'aurapas lieu.

Les universitaires en grève ? Ritournelle de printemps, que lepublic voit d'un oeil parfois lointain. Mais le mouvement en cours estinédit : parti des enseignants-chercheurs, il s'est étendu auxétudiants, aux autres personnels, et il ne fléchit pas. Il voit même sedévelopper des signes de contagion dans le secondaire, le primaire,auprès des parents d'élèves, le tout alimenté par les autres secteursen ébullition (hôpitaux, justice, transports, etc.). Le mois d'avrilest déjà là et avec lui une perspective difficile à éluder : la Francese prépare un printemps chaud. Et dans nombre de facs, le secondsemestre est compromis, au grand dam des étudiants et de leursprofesseurs.

Xavier Darcos et Valérie Pécresse sont responsables du plus longmouvement de protestation qu'ait connu l'université depuis 1968.Arc-boutés sur les termes d'une réforme bâclée, ils n'ont rien écouté,rien compris, ni les avertissements nombreux avant la grève, ni la voixde toute une profession unanime, ni même les alertes issues de leurpropre camp. Ils se livrent à de minuscules batailles, dénaturant destextes déjà passablement confus, résistant sur des broutilles ets'accrochant à des formulations incantatoires. Cette intransigeance,que l'on devine idéologique, empêche les universitaires de travailleret compromet les études de centaines de milliers d'étudiants. Et plusle temps passe, plus la communauté universitaire, mesurant lessacrifices faits depuis deux mois, se montre intraitable sur ce qu'elledemande depuis le début, sur tous les tons : le retrait pur et simplede réformes qui consacrent le dévoiement de l'enseignement supérieur etde la recherche.

Qui peut penser qu'il s'agit d'un simple mouvement d'humeur ? IUT,IUFM, universités, mais aussi laboratoires, revues ou sociétéssavantes… des personnels aux usagers, la mobilisation est générale,quasiment unanime. Les menaces, les intimidations et la répression,policière ou financière, ne suffisent pas à la contenir ; commentpourrait-elle se satisfaire d'une « réécriture » ou d'un« accompagnement » des réformes contestées ?

Il est temps d'en finir avec tout cela : décret sur le statut desenseignants-chercheurs, mastérisation, contrat doctoral unique,démantèlement des organismes de recherche, suppressions de postes… Ilest temps que ce gouvernement entende que personne n'attend plus de luiqu'il recule, mais bien qu'il renonce. Et que les deux ministres netouchent plus à rien ; qu'ils retournent à leurs campagnes électoralesfutures et nous laissent à nos chères études (trop chères, parfois).

Pour que les choses rentrent dans l'ordre, de la maternelle àl'université, il suffirait que le gouvernement retire ses projets etdésavoue leurs auteurs, assume les affaires courantes, revalorise cequi doit l'être et donne les moyens pour que l'année se termine dansles meilleures conditions. Alors les cours pourront reprendre et lesexamens se tenir. Alors nous pourrons poser la question d'unealternative à la loi libertés et responsabilités des universités (LRU),dont chaque tentative d'application soulève un tollé.

Qu'il faille réformer le système public d'éducation, l'enseignementsupérieur et la recherche, personne ne le nie. Mais tout le monde saitaussi que rien ne pourra se faire sans les acteurs concernés. C'est àla communauté universitaire, dont c'est la vocation et le rôle social,qu'il revient de discuter et de décider de ce que peuvent et doiventêtre l'autonomie et la responsabilité des universités. Au politiquerevient la charge d'en donner les moyens et la garantie. Des pistespour d'autres réformes existent, des idées sont débattues depuislongtemps…

Cette réforme n'aura pas lieu, il faut en inventer une autre, plusambitieuse, intelligente et partagée, pour assurer le futur de larecherche et de l'enseignement, qui sont l'enjeu majeur et le lieu oùse joue l'avenir de nos sociétés en crise.